Chapitre 3 - CosmoQueer

3
True Blue
L’équipage du CosmoQueer contemplait le paysage déroutant de la mystérieuse planète. La
surface blanche et lisse de ce monde inconnu était entièrement quadrillée de câbles gris, reliés
entre eux aux intersections des lignes, par des machines étranges hérissées d’antennes et de
bidules électroniques. On pouvait distinguer les habitants – des humanoïdes vêtus de
combinaisons blanches – qui se déplaçaient bizarrement sur ces immenses carrés vides. Après
avoir hurlé « Where’s The Party ? » avec enthousiasme, Alex6 chercha des yeux – en vain –
la présence de boutiques, de clubs, de bars ou de temples de l’Eglise de la Superficialité
Salutaire.
− Leur tour de contrôle automatisée nous demande de nous poser là, dit Stefan en actionnant
doucement le manche de pilotage.
− D’après les analyses de l’IA, leur technologie est très avancée, expliqua Draja.
Pourtant, visuellement, c’était le dépouillement total. Alex6 n’en revenait pas. Désintéressé, il
quitta le poste de pilotage avec un soupir méprisant.
− Déprimant, lâcha-t-il avant de disparaître derrière les portes automatiques.
Lorsque Kristof, Ana et Draja sortirent de l’astronef, un représentant de la planète les
accueillit immédiatement. Très amical, il portait de grosses lunettes noires et la même
combinaison blanche anonyme que le reste de la population. Rien ne semblait différencier un
habitant de ce monde d’un autre.
− Soyez les bienvenus à White Heat, la capitale d’Ego, fit l’humanoïde. Je m’appelle Jimmy
Jimmy.
Le cyborg et ses compagnons lui rendirent poliment son sourire commercial.
− Je suis Kristof, capitaine de l’astronef CosmoQueer. Nous venons d’une autre dimension.
Excusez notre curiosité, mais votre planète est un peu déconcertante pour nous…
− C’est une réaction parfaitement normale, rassurez-vous. Notre monde a atteint
l’Accomplissement Suprême grâce à la technologie virtuelle du True Blue qui est la version
ultra-perfectionnée de l’écran bleu utilisé il y a plusieurs siècles sur Terre, à la télé et au
cinéma. La planète Ego a été transférée dans les Limbes Galactiques il y a plusieurs
décennies, afin de préserver notre sécurité et notre indépendance. Des usines robotisées
construites dans des souterrains se chargent de nous fournir la pâte alimentaire au goût
CosmoQueer feat. Madonna – Kevin Saad – 2013 – www.cosmoqueer.com
1
programmable qui nous sert de nourriture et les lunettes associées aux combinaisons
s’occupent du reste. Grâce aux lunettes, le bonheur est devenu la norme sur notre planète.
Tout le monde est heureux ici, car tout le monde vit la vie qu’il souhaite.
− Je ne comprends rien, murmura Ana.
− Laissez-moi vous montrer, fit l’humanoïde en désignant plusieurs paires de lunettes qui
venaient d’apparaître sur le sol immaculé, à côté d’une pile de combinaisons blanches pliées
avec soin, probablement par des mains mécaniques.
Les minutes passaient et Stefan n’avait toujours aucune nouvelle de Kristof et des filles. Il
avait vu le trio s’éloigner du CosmoQueer en compagnie d’un habitant de la planète blanche,
puis il les avait tous totalement perdus de vue. Il quitta son poste et rencontra Alex6 sur le
chemin du sas.
− Je vais voir ce qu’ils sont en train de fabriquer, fit le jeune pilote. Alex6, je te confie
l’astronef. Et pas de gaffe comme avec les fleurs géantes, hein ?
Alex6 ignora le sarcasme.
− Stefan, je crois que notre petite passagère est légèrement caractérielle. Il y a des sujets qu’il
ne faut pas aborder avec elle. Depuis que j’ai mentionné sa mère, elle reste prostrée dans le
salon comme une cosmodasse de grade 5 qui aurait loupé le premier jour des soldes. En plus,
elle est futée : elle a quand même gardé mes fringues, mes bijoux et une paire de godasses.
− Et bien, remonte-lui le moral. Tu sais y faire pour divertir les gens d’habitude, même quand
ils n’ont rien demandé d’ailleurs…
L’androïde claqua des doigts.
− Tu me donnes une idée ! Stefan, tu es presque génial !
− Oui, enfin, n’en fais pas trop quand même. N’oublie pas de veiller sur le CosmoQueer et
surveille bien le docteur Schlange. C’est un traître patenté doublé d’un psychopathe incurable.
− Oui, oui…
Alex6 s’éloigna en se dandinant. Stefan haussa les épaules et pénétra dans le sas de
décompression. A l’extérieur, le paysage blanc, froid et monotone d’Ego s’étendait à perte de
vue devant lui. Les silhouettes blanches des habitants de la planète allaient et venaient, sans
but visible. Certains humanoïdes dansaient, d’autres se roulaient par terre, d’autres encore
sautaient de joie ou faisaient mine de nager ou même de faire l’amour. Ils portaient tous des
lunettes identiques et étaient tous vêtus de la même combinaison moulante blanche.
− Ils ont pris de l’extra ou quoi ? murmura Stefan intrigué avant d’enclencher son
communicateur.
CosmoQueer feat. Madonna – Kevin Saad – 2013 – www.cosmoqueer.com
2
Ni Kristof, ni les filles ne répondirent à ses appels répétés. Un humanoïde souriant s’approcha
du jeune pilote.
− Bonjour ! Cherchez-vous vos amis, les trois sympathiques étrangers ?
− Oui, répondit Stefan avec une pointe de méfiance.
− Ne vous inquiétez pas jeune homme, vous ne courez aucun danger sur Ego. Notre planète
est sûre et notre peuple pacifique. Tout ici n’est que paix et surtout amour… Love Makes The
World Go Round depuis des siècles sur Ego. Vos compagnons sont simplement en train de
visiter la réalité de l’Accomplissement Suprême.
− La quoi ?
− Mettez ces lunettes et cette combinaison et vous comprendrez.
Stefan ramassa avec un peu d’hésitation la paire de grosses lunettes et le vêtement qui
venaient d’apparaître à ses pieds.
− Vous êtes sûr que c’est sans danger ce truc ? demanda-t-il toujours un peu sur ses gardes.
L’humanoïde aida le pilote à enfiler la combinaison, affichant un sourire rassurant.
− Vous ne le regretterez pas, croyez moi. Open Your Heart, jeune étranger incrédule, et
préparez-vous à découvrir le bonheur virtuel. Live to tell, vous m’en direz des nouvelles…
Stefan chaussa les lunettes et fut aussitôt surpris de voir que le paysage blanc et monotone
d’Ego avait disparu au profit d’une superbe plage de sable fin bordée d’arbres multicolores et
de rochers émeraude. Une mer scintillante et cristalline s’étendait autour de la petite île
circulaire, sous un soleil magnifique. Quatre jeunes hommes bronzés et bien bâtis s’ébattaient
joyeusement au milieu des vagues. Intrigué et émoustillé, Stefan s’approcha d’eux.
Pendant ce temps, agenouillée sur un pouf du salon et la tête posée contre la baie vitrée
panoramique, Madonna observait l’étrange comportement des habitants d’Ego. La blancheur
du sol artificielle de la planète et des vêtements des humanoïdes à lunettes donnait
l’impression agréable à la petite fille qu’elle se trouvait quelque part dans les nuages. Elle
songea que sa maman devait probablement se trouver dans un endroit semblable à celui-ci,
avec toutefois plus de nuages cotonneux, d’étoiles scintillantes et de musique douce. Un son
strident tira Madonna de sa rêverie mélancolique. Elle se retourna et fut assaillie par une
avalanche de paillettes multicolores tandis qu’une musique assourdissante aux basses
puissantes résonnait dans tout l’astronef. Alex6 fit son apparition, chaussé de bottes à talon
antigravité et coiffé d’une perruque représentant le mélange improbable de la Tour de Pise et
d’une pièce montée particulièrement riche en chantilly.
CosmoQueer feat. Madonna – Kevin Saad – 2013 – www.cosmoqueer.com
3
− Galaxiiiiiiie, c’est une blondeuuuuu, qui plaît à tout le mondeuuuuu, chanta l’androïde en
effectuant une chorégraphie élaborée.
Madonna s’esclaffa et sauta du pouf pour profiter du spectacle en dansant joyeusement. Les
plumes synthétiques, les étoffes caméléon, les perles pulsantes et le maquillage holographique
éblouissaient la petite fille. A la fin du morceau, applaudissements et rires saluèrent le numéro
de cabaret d’Alex6.
− C’était extraordinaire ! s’écria Madonna tandis qu’Alex6 commandait mentalement à ses
chaussures à talon antigravité de descendre de trente centimètres.
− Merci mon chou ! Et encore, tu n’as assisté qu’aux répétitions. Je veux me produire devant
l’équipage et, soyons charitable, devant les prisonniers. Où sont-ils tous passés d’ailleurs ?
− Ils sont toujours dehors. J’ai vu Stefan se changer pour s’habiller comme toutes les
personnes qui habitent sur cette planète. Alex6, j’aime pas trop leurs lunettes bizarres. Elles
font peur.
− Ne bouge pas d’ici, je vais aller jeter un coup d’œil. Et crois moi, cette fois si je tombe sur
une fleur, je lui ferai la causette.
Dans la salle des machines, Cut surveillait le docteur Schlange. Le savant fou avait mis à
contributions toute sa matière grise pour améliorer la machine à remonter le temps. Les
connaissances scientifiques du Voyageur étant immenses, l’appareil semblait maintenant
totalement opérationnel. Il restait cependant un problème de taille : sortir des Limbes
Galactiques. Bien sûr, au début des travaux, Schlange avait pensé libérer Formol mais il
s’était rendu à l’évidence : Kristof et ses compagnons semblaient les mieux placés pour sortir
tout le monde de ce pétrin trans-dimensionnel.
Sur Ego, Stefan constata qu’il n’était vêtu que d’un maillot de bain rouge particulièrement
moulant et très flatteur. Il pensa que le bleu eut été préférable et surtout moins vulgaire. Le
maillot de bain changea aussitôt de couleur. Le jeune pilote commençait à comprendre. Il
regarda les beaux nageurs et les imagina totalement nus. Une microseconde plus tard, les
quatre jeunes hommes sortaient de l’eau dans le plus simple appareil, sans aucun geste de
pudeur. Leurs maillots de bain avaient disparu. Et comme par hasard, les quatre athlètes
étaient tous très bien dotés par la nature. La combinaison et les lunettes étaient vraiment
efficaces. Stefan sentait même la chaleur des rayons de soleil sur sa peau et la brise légère
dans ses cheveux. Il réalisa qu’il était devenu une sorte de dieu dans son propre monde
virtuel. Tous ses désirs pouvaient se matérialiser à volonté et instantanément. Stefan invoqua
CosmoQueer feat. Madonna – Kevin Saad – 2013 – www.cosmoqueer.com
4
Kristof, Ana et Draja dont les doubles virtuels apparurent immédiatement devant lui, sublimés
par l’imagination de Stefan : Kristof était encore plus baraqué et excité, Draja et Ana avait de
longs cheveux blonds, des lèvres pulpeuses, des seins énormes et des tenues à faire rougir une
cyber-péripatéticienne. Les quatre Apollons nus attendaient patiemment sur la plage, toujours
souriants, toujours aussi bien membrés. Quelle planète formidable, pensa Stefan !
Perplexe, Alex6 observait le comportement étrange de Stefan. On aurait dit qu’il mimait une
sorte de partouze géante vu le nombre de choses invisibles qu’il semblait avoir dans les mains
et ailleurs. C’était ridicule et pathétique… Les humains étaient vraiment de drôles de
bestioles, songea Alex6. Il entendit Stefan donner des ordres à des gens que l’androïde ne
voyait pas.
− Oh oui, vas-y !
− Mais il est devenu complètement marteau, murmura Alex6 mi-catastrophé, mi-amusé.
− Et maintenant, on change de position. Putain, qu’est-ce que c’est bon !
Alex6 se planta devant Stefan et lui arracha sa paire de lunettes, déclenchant aussitôt un
violent choc psychique et visuel chez le jeune pilote du CosmoQueer.
_ C’est pas bientôt fini ces idioties ? demanda l’androïde en agitant les lunettes sous le nez du
malheureux pilote complètement déboussolé.
_ Oh non… pleurnicha Stefan. C’était tellement merveilleux. Je me tapais les mecs de mes
rêves, dans le paysage de mes rêves, dans les positions sexuelles de mes rêves… J’avais
même relooké Ana et Draja pour qu’elles ressemblent enfin à des filles… Tu as tout gâché…
Excédé, Alex6 redressa Stefan et le secoua un peu.
_ Cette planète est nullissime ! Tout est virtuel donc ça ne compte pas ! C’est comme porter
du faux : ça ressemble à un sac à main NovaGucci mais en fait c’est une merde dupliquée
importée du système Cheap ! Bref, c’est du vent ! Reprends tes esprits ma fille et aide moi à
retrouver le capitaine et nos deux copines !
Mais Stefan se rebella, repoussant méchamment Alex6. Il titubait, comme ivre.
_ Oh ça va ! Ça te va bien de jouer les pères moralisateurs ! Papa Don’t Preach, hein ! J’en ai
rien à foutre, moi ! Virtuel ou réel ! Quand tu portes ton putain de sac à main à la noix, tu es le
seul à savoir si c’est un vrai ou un faux, donc c’est exactement la même chose : c’est dans ta
tête aussi ! Redonne-moi ces lunettes ! Je veux y retourner ! J’étais en train de baiser avec des
stars du holo-porn au milieu de l’océan sur La Isla Bonita !
Alex6 lança les lunettes trente mètres plus loin.
_ Oups, fit-il faussement ennuyé. Je les ai perdues !
CosmoQueer feat. Madonna – Kevin Saad – 2013 – www.cosmoqueer.com
5
_ Connasse ! hurla Stefan rageur avant de se jeter sur l’androïde.
Le pilote dont les cheveux étaient devenus rouge sang gifla Alex6 qui, outré, rendit la baffe
avec sa force d’androïde. Le jeune pilote, la mâchoire de travers, tomba aux pieds d’Alex6,
assommé pour au moins deux bonnes heures.
_ Bon, fit le vainqueur à perruque en installant le corps inanimé du pilote sur ses épaules.
Maintenant, il faut retrouver Kristof, Ana et Draja…
Ce que l’androïde fit, en adoptant la même stratégie expéditive. Et une fois à bord du
ComosQueer, l’équipage commença son sevrage virtuel.
CosmoQueer feat. Madonna – Kevin Saad – 2013 – www.cosmoqueer.com
6