C.13.0184.F

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C.13.0184.F
13 JUIN 2014
C.13.0184.F/1
Cour de cassation de Belgique
N° C.13.0184.F
FONDS COMMUN DE GARANTIE AUTOMOBILE, dont le siège est
établi à Saint-Josse-ten-Noode, rue de la Charité, 33,
demandeur en cassation,
représenté par Maître Michel Mahieu, avocat à la Cour de cassation, dont le
cabinet est établi à Watermael-Boitsfort, boulevard du Souverain, 36, où il est
fait élection de domicile,
contre
AXA BELGIUM, société anonyme dont le siège social est établi à WatermaelBoitsfort, boulevard du Souverain, 25,
défenderesse en cassation,
représentée par Maître Michèle Grégoire, avocat à la Cour de cassation, dont le
cabinet est établi à Bruxelles, avenue Louise, 480, où il est fait élection de
domicile.
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I.
C.13.0184.F/2
La procédure devant la Cour
Le pourvoi en cassation est dirigé contre le jugement rendu le 24
octobre 2012 par le tribunal de première instance de Huy, statuant en degré
d’appel et comme juridiction de renvoi ensuite de l’arrêt de la Cour du 28 avril
2011.
Le 3 mars 2014, l’avocat général Thierry Werquin a déposé des
conclusions au greffe.
Le conseiller Marie-Claire Ernotte a fait rapport.
L’avocat général Thierry Werquin a été entendu en ses conclusions.
II.
Le moyen de cassation
Le demandeur présente un moyen libellé dans les termes suivants :
Disposition légale violée
Article 29bis de la loi du 21 novembre 1989 relative à l’assurance
obligatoire de la responsabilité en matière de véhicules automoteurs
Décisions et motifs critiqués
Le jugement attaqué décide que le véhicule assuré en responsabilité
civile auprès de la défenderesse n’est pas impliqué dans l’accident litigieux, dit
en conséquence l’appel du demandeur non fondé, et confirme le jugement
entrepris en ce qu’il avait déclaré la demande du demandeur contre la
défenderesse non fondée, par tous ses motifs réputés ici intégralement
reproduits et spécialement par les motifs suivants :
« L'arrêt prononcé par la Cour de cassation le 28 avril 2011 dans la
présente espèce semble rompre avec l'enseignement dégagé par les deux
derniers arrêts qui viennent d'être cités en énonçant : ‘au sens de cette
disposition légale (l’article 29bis), un véhicule est impliqué lorsqu'il existe un
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lien quelconque entre le véhicule et l'accident. Il n'est pas requis que le
véhicule ait joué un rôle dans la survenance de l'accident. Le lien existe dès
qu'il y a eu contact entre ce véhicule et la victime’.
Le tribunal n'est pas tenu de se conformer aux termes de cet arrêt,
l'hypothèse visée par l'article 1120 du Code judiciaire n'étant pas ici
rencontrée.
Le caractère particulièrement extensif donné par l'arrêt du 28 avril
2011 à la notion d'implication apparaît contraire au sens commun du terme,
qui suppose une participation dans le processus accidentel.
Selon le tribunal, il ne suffit pas qu'il y ait eu un contact entre la victime
et un véhicule pour que ce dernier soit ipso facto impliqué, mais il faut que ce
véhicule soit intervenu d'une manière ou d'une autre dans la réalisation de ce
contact, c'est-à-dire qu'il soit susceptible d'en expliquer la survenance, sans en
être nécessairement la cause.
C'est ainsi que, lorsqu'une victime est heurtée par un premier véhicule
pour aboutir ensuite sur un autre, le tribunal conçoit que ce dernier ait
physiquement participé à la réalisation de l'accident, en raison du fait qu'il
était effectivement engagé dans la circulation (à l'arrêt ou en mouvement), ou
qu'il était stationné à un endroit où il ne pouvait se trouver. Le tribunal ne peut
par contre concevoir que le véhicule en question puisse être considéré comme
ayant eu une incidence dans la réalisation de l'accident, alors qu'il se trouvait,
comme en l'espèce (voir le plan des verbalisateurs), régulièrement stationné
dans une aire prévue à cet effet, sous peine de vider de tout son sens le terme
même d'implication.
Cette lecture semble du reste en harmonie avec les arrêts précités des 3
octobre 2008 et 21 juin 2010, et n'apparaît pas contrariée par celle des
travaux préparatoires.
Le premier juge a relevé qu'il n'était pas contesté que le véhicule de
madame C n'a joué aucun rôle dans la genèse de l'accident. Il n'est en tout cas
pas contestable, à l'examen des constatations faites et des auditions recueillies
par les verbalisateurs, que ce véhicule n'a joué aucun rôle dans la réalisation
de l'accident, compris dans son ensemble (soit le choc de la victime avec le
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véhicule B et le contact subséquent avec le véhicule C). Sa présence n'a pas
plus apporté d'eau au moulin du processus accidentel que n'aurait pu le faire
en l'espèce un arbre qui aurait bordé la chaussée.
Le premier juge ajoute : ‘il n'est pas établi non plus qu'il (lire : le
véhicule C) soit intervenu d'une quelconque façon dans le dommage de
monsieur D. Pour qu'une telle preuve soit faite, et l'implication reconnue, il
conviendrait que [le demandeur] ou les ayants droit de monsieur D établissent
que le premier choc (très violent puisque l'expert évalue la vitesse de monsieur
B à 75 kilomètres à l’heure) n'était pas létal pour la victime. À cet égard, force
est de constater que le tribunal ne dispose d'aucune preuve, d'aucun indice lui
permettant de fonder une quelconque conviction. Partant de ce constat, il
convient de conclure que seul le véhicule automoteur (non assuré) de monsieur
B est impliqué dans ce tragique accident’.
Le tribunal arrive à la même conclusion, mais pour d'autres motifs, le
premier juge excluant aussi l'implication du véhicule en raison de l'absence
démontrée de causalité entre sa présence et la survenance du dommage tel
qu'il s'est produit.
La question qui se pose est en réalité si le véhicule a eu une incidence
quelconque dans la survenance de l'accident, étant entendu que, dans la
négative, son éventuelle implication dans le dommage est insuffisante pour
conclure à son implication dans l'accident.
Comme l'écrit N D (en envisageant un cas similaire à celui de l'espèce)
: ‘La solution de facilité serait d'admettre l'implication. Ce serait cependant
oublier qu'implication signifie que la présence du véhicule doit expliquer la
survenance de l'accident ; il ne suffit pas que la présence du véhicule explique
simplement tout ou partie des dommages encourus, comme pourrait le faire
n'importe quel objet, motorisé ou non, se trouvant sur les lieux du sinistre.
C'est toute la différence entre le rôle matériel joué par le véhicule dans la
survenance de l'accident et dans la survenance du dommage’ (CUP, Droit des
assurances, vol. XIII, janvier 1997, 129).
Autrement dit, à l'estime du tribunal :
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ou bien un véhicule n'est pas impliqué au sens de la disposition
étudiée, pour les motifs précités, et dans ce cas, le rôle matériel que ce
véhicule aurait pu jouer dans la réalisation du dommage est insuffisant pour
l'impliquer ;
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ou bien ce véhicule est impliqué dans l'accident, et il revient alors
à son assureur de démontrer, le cas échéant, que ce dernier est étranger au
dommage.
Le tribunal a déjà retenu, en l'espèce, la première branche de cette
alternative, de telle sorte que la demande du [demandeur] dirigée contre [la
défenderesse] sera déclarée non fondée ».
Griefs
En vertu de l’article 29bis, § 1er, alinéa 1er, de la loi du 21 novembre
1989 relative à l'assurance obligatoire de la responsabilité en matière de
véhicules automoteurs :
« En cas d'accident de la circulation impliquant un ou plusieurs
véhicules automoteurs, aux endroits visés à l'article 2, § 1er, et à l'exception
des dégâts matériels et des dommages subis par le conducteur de chaque
véhicule automoteur impliqué, tous les dommages subis par les victimes et
leurs ayants droit et résultant de lésions corporelles ou du décès, y compris les
dégâts aux vêtements, sont réparés solidairement par les assureurs qui,
conformément à la présente loi, couvrent la responsabilité du propriétaire, du
conducteur ou du détenteur des véhicules automoteurs. La présente disposition
s'applique également si les dommages ont été causés volontairement par le
conducteur ».
Il est constant qu’un véhicule est impliqué au sens de cette disposition
lorsqu’il existe un lien quelconque entre le véhicule et l’accident.
L’implication d’un véhicule n’est liée ni à l’existence d’une faute de son
conducteur ni davantage à un lien de causalité entre la présence du véhicule et
la survenance de l’accident de la circulation. Il n’est dès lors pas requis que le
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véhicule ait joué un rôle dans la survenance de l’accident pour que celui-ci
soit impliqué au sens de l’article 29bis précité.
Par ailleurs, dès qu’il y a eu un contact entre le véhicule et la victime,
le lien nécessaire à l’implication du véhicule dans l’accident est
nécessairement établi.
Le jugement attaqué estime que la notion d’implication, telle qu’elle est
interprétée notamment par la Cour, présente un caractère particulièrement
extensif et contraire au sens commun du terme. Le jugement attaqué estime
ainsi que, pour qu’un véhicule soit impliqué dans un accident, il ne suffit pas
qu’il y ait eu un contact entre la victime et un véhicule, mais il faut que celui-ci
« soit intervenu d’une manière ou d’une autre dans la réalisation de ce
contact, c'est-à-dire qu’il soit susceptible d’en expliquer la survenance, sans en
être nécessairement la cause ».
Le jugement attaqué estime ainsi qu’un véhicule régulièrement
stationné sur une aire prévue à cet effet, et non engagé dans la circulation,
comme en l’espèce, ne peut avoir eu une incidence dans la réalisation de
l’accident, et être ainsi impliqué dans celui-ci au sens de l’article 29bis
précité.
Le jugement attaqué décide en tout état de cause que, sur la base des
éléments du dossier, le véhicule assuré auprès de la défenderesse « n’a joué
aucun rôle dans la réalisation de l’accident, compris dans son ensemble » .
Le jugement attaqué décide partant qu’il doit être répondu par la
négative à la question « de savoir si le véhicule a eu une incidence quelconque
dans la survenance de l’accident », et que le véhicule assuré auprès de la
défenderesse n’est donc pas impliqué dans l’accident litigieux au sens de
l’article 29bis de la loi du 21 novembre 1989.
Alors que, pour être impliqué dans un accident au sens de l’article
29bis précité, il suffit qu’existe un lien quelconque entre le véhicule et
l’accident, sans qu’il soit requis par ailleurs que le véhicule ait joué un rôle
dans la survenance de l’accident, le jugement attaqué, qui exclut l’implication
du véhicule assuré auprès de la défenderesse précisément au motif que ce
véhicule, qui était régulièrement stationné, n’a eu aucune incidence et n’a joué
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aucun rôle dans la survenance de l’accident, viole l’article 29bis de la loi du
21 novembre 1989 relative à l'assurance obligatoire de la responsabilité en
matière de véhicules automoteurs.
En outre, après avoir constaté que la victime avait été percutée par le
véhicule de monsieur B et projetée contre le pare-brise arrière de la voiture
Citroën Saxo, assurée auprès de la défenderesse, et qu’il y avait donc eu un
contact entre ce véhicule et la victime, le jugement attaqué n’a pu légalement
exclure l’implication de ce véhicule dans l’accident litigieux, alors qu’un
véhicule est impliqué lorsqu’il existe un lien quelconque entre le véhicule et
l’accident, et que ce lien est établi dès qu’il y a eu contact entre ce véhicule et
la victime (violation de l’article 29bis de la loi du 21 novembre 1989 relative à
l'assurance obligatoire de la responsabilité en matière de véhicules
automoteurs).
III.
La décision de la Cour
La décision que critique le moyen est inconciliable avec l’arrêt de
renvoi du 28 avril 2011.
Le moyen a la même portée que celui qui a été accueilli par cet arrêt.
Il doit, dès lors, être examiné par les chambres réunies de la Cour.
L’article 29bis, § 1er, de la loi du 21 novembre 1989 relative à
l’assurance obligatoire de la responsabilité en matière de véhicules
automoteurs dispose qu’en cas d’accident de la circulation impliquant un ou
plusieurs véhicules automoteurs, aux endroits visés à l’article 2, § 1er, et à
l’exception des dégâts matériels et des dommages subis par le conducteur de
chaque véhicule automoteur impliqué, tous les dommages subis par les
victimes et leurs ayants droit et résultant de lésions corporelles ou du décès, y
compris les dégâts aux vêtements, sont réparés solidairement par les assureurs
qui, conformément à cette loi, couvrent la responsabilité du propriétaire, du
conducteur ou du détenteur des véhicules automoteurs.
Un véhicule automoteur est impliqué au sens de cette disposition légale
s’il a joué un rôle quelconque dans l’accident de la circulation.
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Il n’est pas requis qu’un lien de causalité existe entre la présence du
véhicule automoteur et la survenance de l’accident.
Le jugement attaqué constate que la victime, monsieur D, a été percutée
par le véhicule de monsieur B et projetée contre le pare-brise arrière du
véhicule de madame C, assurée de la défenderesse, véhicule qui se trouvait en
stationnement régulier.
Il considère qu’un véhicule « régulièrement stationné dans une aire
prévue à cet effet [ne peut] être considéré comme ayant eu une incidence dans
la réalisation de l’accident » et, par référence aux motifs du premier juge, que
«[la] présence [du véhicule de l’assurée de la défenderesse] n’a pas plus
apporté d’eau au moulin du processus accidentel que n’aurait pu le faire en
l’espèce un arbre qui aurait bordé la chaussée ».
Le jugement attaqué, qui, sur la base de ces énonciations, décide que le
véhicule de l’assurée de la défenderesse n’est pas impliqué dans l’accident au
sens de l’article 29bis précité, viole cette disposition légale.
Le moyen est fondé.
Par ces motifs,
La Cour, statuant en chambres réunies,
Casse le jugement attaqué, sauf en tant qu’il reçoit l’appel ;
Ordonne que mention du présent arrêt sera faite en marge du jugement
partiellement cassé ;
Réserve les dépens pour qu’il soit statué sur ceux-ci par le juge du
fond ;
Renvoie la cause, ainsi limitée, devant le tribunal de première instance
de Namur, siégeant en degré d’appel, qui se conformera à la décision de la
Cour sur le point de droit jugé par elle.
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Ainsi jugé par la Cour de cassation, chambres réunies, à Bruxelles, où
siégeaient le président Paul Maffei, le président de section Christian Storck, le
conseiller Didier Batselé, le président de section Albert Fettweis, les conseillers
Alain Smetryns, Koen Mestdagh, Martine Regout, Geert Jocqué, Mireille
Delange, Filip Van Volsem et Marie-Claire Ernotte, et prononcé en audience
publique du treize juin deux mille quatorze par le président Paul Maffei, en
présence de l’avocat général Thierry Werquin, avec l’assistance du greffier en
chef Chantal Van Der Kelen.
Ch. Van Der Kelen
M-Cl. Ernotte
M. F. Van Volsem
M. Delange
G. Jocqué
M. Regout
K. Mestdagh
A. Smetryns
A. Fettweis
D. Batselé
Ch. Storck
P. Maffei