POEME « Le Lacoon » de Jacques SADOLET « Le voilà donc sorti

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POEME « Le Lacoon » de Jacques SADOLET « Le voilà donc sorti
POEME « Le Lacoon » de Jacques SADOLET « Le voilà donc sorti de ces vastes décombres, Où la nuit du néant le couvrait de ses ombres Ce marbre si vanté ce chef‐d‘œuvre des arts Le plus bel ornement du palais des Césars! « Non jamais chez les grecs dans les jours de leur gloire Dans les siècles écrits au livre de mémoire, Le ciseau créateur n’a produit leurs yeux Pour les palais des rois pour les temples des dieux Un ouvrage où l'artiste où l‘humaine industrie Ait passé d'aussi loin la borne du génie. « Ce marbre qu’à genoux, admiraient nos aïeux Chef‐d'œuvre disparu que pleuraient leurs neveux Par le temps respecté dans ses formes divines Renaît pour être encore l‘honneur des sept collines. « D'un si noble travail, quels traits peindre d’abord! Est‐ce un père et ses fils luttant contre la mort ? Les serpents monstrueux altérés de carnage ? Tous leurs muscles gonflés des poisons de la rage ? Leurs replis tortueux leurs dards ensanglantés ? (O prodiges de l‘art à mes yeux présentés !) Le marbre obéissant aux lois de la nature Et qui semble mourir des tourments qu’il endure Parmi ces traits divers obligé de choisir, « Je ne puis qu’en silence admirer et frémir; Et Laocoon mourant, ses fils à l'agonie De leurs propres douleurs accablent mon génie; « Les serpents recourbés en replis inégaux, Embrassent dans les nœuds de leurs vastes anneaux Le père et ses enfants dont les membres fragiles Sont froissés et meurtris sous le poids des reptiles. « L’un d’eux faisant siffler son effroyable dard « Qu‘il plonge à coups pressés dans le flanc du vieillard Toujours plus altéré du sang de sa victime En abreuve à longs traits la fureur qui l’anime. Voyez comme à l'instant le corps de Laocoon Jaillit, pour l’éviter, sous le dard du dragon « Se courbe en frissonnant et reporte en arrière Le côté qu'entrouvrit la flèche meurtrière! C’est en vain qu’il s’efforce de raffermir son cœur Le cri du désespoir échappe à sa douleur. Tandis que du bras droit ce vieillard intrépide S’oppose au dard du monstre sa rage homicide Du bras gauche étendu sur son corps écailleux Il tâche d’écarter, de rompre tous ses nœuds: « Mais malgré son courage et sa mâle énergie Malgré tous ses efforts pour défendre sa vie Bientôt le poison frappe en son cœur qu’il atteint, La douleur le suffoque, et son souffle s'éteint. « Le serpent irrité de ses propres blessures Resserre encore ses nœuds, redouble ses morsures; Dans le sein du vieillard par des poisons nouveaux, De son sang qui se glace infecte les canaux Et toujours lui livrant des assauts plus rapides Promène le trépas dans ses veines livides. « Mais quel spectacle offert à mes yeux interdits Augmente encore l'effroi dont mes sens sont saisis! Dieux justes protégez et sauvez l’innocence Verriez‐vous sans pitié les larmes de l'enfance ? « Je vois de Laocoon les enfants malheureux Sous les yeux de leur père encore ouverts sur eux, Dans les nœuds des dragons dans leur prison sanglante, Immobiles d'horreur, palpitants d’épouvante. Le plus jeune, étouffé par les flots de venin Que le second serpent verse dans son sein Suspendu dans les nœuds du monstre qui l'enserre Expire en implorant le secours de son père; « L’autre qu’un Dieu a, sans doute, couvert de son bras Echappé par miracle à la faux du trépas Elève pour frapper le reptile barbare Un pied qu’on voit frémir de l’effort qu’il prépare; « Mais tournant sur son père un œil épouvanté Où naissent quelques pleurs dont il est humecté Il retient ses soupirs, il commande la plainte Et reste inanimé de douleur et de crainte. « Auteurs de ce chef‐d’œuvre, artistes immortels, Dont l‘amitié guida les ciseaux fraternels Le génie gravé par les mains de la gloire, Vos trois noms réunis au temple de mémoire. « Ce marbre sous vos mains reçut le mouvement, Et des traits animés du fendu sentiment Il exprime l’effroi la douleur, la colère D’un être organisé l’auguste caractère; Et dans l’illusion qu'il produit sur les cœurs, On entend ses soupirs, on voit couler ses pleurs. « Illustres citoyens d’une illustre patrie, Souveraine des mers et reine de l'Asie Rhodes qui vous vit naître, admira vos travaux, Et leur dut dans les arts des triomphes nouveaux. Mais dans la nuit des temps de vos œuvres perdues On eût en vain cherché les traces disparues; « Quand Rome tout‐à‐coup du sein de ses débris Vit vos titres d'honneur dans l’ombre ensevelis Par le Dieu des beaux‐arts rendus à la lumière Reprendre leur éclat et leur Splendeur première. « Favoris de Plume qui, fiers de vains honneurs Que vous rend à genoux un peuple de flatteurs Prétendez envahir le temple de la gloire Pour dérober vos noms à l'oubli de l’histoire Que servent vos trésors, tant de faste et d’orgueil « Le néant vous devance aux portes du cercueil. Mais au nom mérité par des travaux célèbres, Les ans opposeront d’inutiles ténèbres: Météore immortel, par la gloire escorté Ce nom franchit des temps l’espace illimité. »