Siem Reap - Angkor. Architecture - Patrimoine

Transcription

Siem Reap - Angkor. Architecture - Patrimoine
bulletin n°1, septembre 2008
Observatoire urbain
de
Siem Reap/Angkor
Architecture - Patrimoine - Développement
IPRAUS
Institut parisien de recherche :
architecture, urbanistique, société, laboratoire de recherche de
l’École nationale supérieure d’Architecture de Paris-Belleville et
de l’Université Paris X Nanterre
Département de l’UMR AUS n°7136 du CNRS
Sommaire
Observatoire
urbain de Siem Reap/Angkor.
Architecture – Patrimoine – Développement
Éditorial
Présentation
,
Le temps et l espace
Introduction géographique
Le territoire d’Angkor : site des capitales khmères
Histoire et évolution urbaine
Recherches
Les recherches de l’équipe de l’Observatoire
Patrimoine
Le zoning Environmental Master Plan (ZEMP)
Paysages et Réseaux : patrimoine en transition
La prise en compte du patrimoine par le tourisme
Patrimoine architectural en péril :
Édi ices publics des années 1953-1970
Rénovation et reconversion
Cartes et plans
Formes architecturales et urbaines
Compositions urbaines
Formes architecturales
Enseignement
Atelier d’Architecture Siem Reap/Angkor
Activités - Actualités
Bibliographie - Travaux / Diplômes
Journées d’études
Observatoire urbain de Siem Reap/Angkor.
Éditorial Architecture - Patrimoine - Développement
La ville de Siem Reap est le passage obligé pour accèder au site prestigieux d’Angkor,
sa porte d’entrée, ses coulisses, son avant scène. Chacun sait qu’Angkor est bien
plus qu’une série de monuments prestigieux, c’est un ensemble de villes-capitales,
déplacées sur un vaste territoire au cours des siècles. Avant donc d’être un parc
archéologique, Angkor a été une série de villes successives, dont on fait remonter la
première fondation à l’an 802 et l’abandon au cours du XVe siècle. C’est dans cette
logique, cette histoire inscrite sur la longue durée que nous pensons que Siem Reap
doit aussi être remarquable par ses qualités de vie et ses qualités architecturales,
urbanistiques, paysagères et environnementales.
Angkor aujourd’hui est dans un écrin
constitué de son grand paysage, sur un
vaste territoire, sa forêt, ses rizières, ses
villages et Siem Reap est son avant scène,
elle était une ville végétale, hydraulique,
équilibre entre nature et bâti, aux qualités indéniables. Préserver les qualités de
vie de Siem Reap, maintenir un équilibre
qualitatif avec le site d’Angkor, préserver
son patrimoine et en faire un lieu de création architecturale contemporaine digne
de son passé archéologique est un enjeu
urbanistique majeur.
Cette situation nous pose ici une série de
questions fondamentales, celle de la protection de grands territoires habités que
l’on ne saurait mettre sous cloche mais
dont il est impératif de contrôler et maîtriser le développement. Au moment de
la réouverture du pays dès le début des
années 1990 et, sous l’égide de l’UNESCO,
Angkor a mobilisé, dans un élan exceptionnel de solidarité, la communauté
internationale ; le site a été inscrit sur la
liste du Patrimoine mondial avec un raffinement particulier dans l’élaboration
du plan de zonage et la définition des
zones de protection (cf. ZEMP et plan de
zonage).
Ce plan de gestion exemplaire prévoyait
un élargissement progressif du périmètre, depuis la zone des monuments
les plus prestigieux à savoir quelques
400 km², (l’équivalent de cinq fois la
superficie de Paris construit hors Bois
de Boulogne et de Vincennes) jusqu’à
l’ensemble du territoire de la province.
C’est donc ce rapport entre Angkor et la
ville de Siem Reap, son territoire et celui
élargi de la province, entre l’intérieur de
zones de protection sévèrement gardées,
de secteurs rigoureusement contrôlés et
la ville autour, son cœur, ses extensions
et son territoire agricole qui mérite aussi
un traitement de qualité.
Le quartier Nord de la ville se rapprochant du parc archéologique et réduisant
la couverture végétale. Photographie aérienne © JICA, 2005.
Angkor attire aujourd’hui un nombre
croissant de touristes, passant en 15 ans,
de quelques 40 000 visiteurs/an à près
de 2 millions aujourd’hui. Angkor s’internationalise et de nombreux pays contribuent aux travaux entrepris sous l’Auto3
rité pour la Protection et la Sauvegarde
du site, l’Autorité nationale APSARA.
L’Autorité APSARA exerce aussi, à côté
de ses responsabilités en matière de
sauvegarde des monuments et d’archéologie, avec les instances de la ville et de
la province, des compétences en matière
de développement touristique, d’urbanisme et d’environnement.
Les transformations rapides que connaît
aujourd’hui la ville de Siem-Reap, l’enjeu
important que son développement représente pour la préservation du site d’Angkor nous ont conduits depuis quelques
années à mener à l’École nationale supérieure d’Architecture de Paris-Belleville
(ENSAPB), avec le soutien du ministère
de la Culture et de la Communication,
diverses actions d’enseignement et
de recherche, que nous avons regroupées dans un Observatoire urbain de
Siem Reap/Angkor, ArchitecturePatrimoine-Développement, créé en
collaboration entre l’Ipraus, laboratoire
de recherche de l’ENSAPB – UMR A.U.S.
7136 du CNRS, et l’École française d’Extrême-Orient qui en héberge l’antenne
sur le terrain.
Sa fonction essentielle est le développement sur le long terme d’actions de
recherches, architecturales et urbanistiques, sur les transformations de la
ville, son patrimoine, son évolution, ses
extensions, ses typologies ; les plans
mis en œuvre, les acteurs et les moyens
d’actions. Il a pour objectifs de contribuer à la connaissance du territoire et de
fournir aux acteurs et partenaires locaux
et internationaux, documentation et évaluation des évolutions.
L’accès à Angkor se fait par la ville de
Siem Reap qui aujourd’hui connaît des
transformations profondes, c’est sur
elle que nous avons depuis quelques
1 Une action conjointe APUR – IPRAUS sur
le patrimoine de la ville de Phnom Penh avait
été conduite sous la direction de Christiane
Blancot par Aline Hétreau-Pottier; voir
Starkmann Nathan, Blancot Christiane (ed.),
Phnom Penh. Développement urbain et patrimoine, ministère de la Culture, Atelier parisien
,
d urbanisme, Paris, 1997, 160 p.
2 Frédéric Mauret, Identification et protection
du patrimoine architectural et urbain de la ville
4
années porté un regard de chercheurs et
d’enseignants.
Le premier atelier de terrain, dans le
cadre du cursus de l’ENSAPB, a été
conduit en 1993-1994, organisé comme
une extension de l’enseignement sur les
métropoles asiatiques qui, pendant trois
ans, a travaillé sur la ville de Phnom Penh
au moment de sa “ réouverture ”1, en
collaboration avec l’Atelier parisien d’urbanisme (APUR) et Christiane Blancot,
architecte-urbaniste en particulier.
Alors qu’avait été élaboré, entre 1994 et
1997, le Plan d’urbanisme de référence
de la ville de Siem Reap (ARTE-BCEOM),
s’appuyant largement sur les premiers
travaux conduits précédemment sur la
ville par Ros Borath et Aline HétreauPottier dans le cadre du plan de gestion
et de zonage d’Angkor, élaboré en 199293 à la suite de l’inscription sur la liste
du Patrimoine mondial (ZEMP), Frédéric
Mauret, architecte, avait conduit en 1996
dans le cadre de l’Ipraus, auprès du Bureau
d’urbanisme d’Apsara naissant, sous la
direction de Tepp Vatho, une première
action spécifique sur l’identification du
patrimoine2 et le développement de la
ville. Dans le même temps, Emmanuelle
Gay faisait un mémoire sur l’eau et la
ville3 et un diplôme d’architecte sur le
siège d’Apsara. Depuis d’autres anciens
étudiants de Paris-Belleville se sont installés à Siem Reap ou Phnom Penh et ont
réalisé des œuvres architecturales significatives, Angkor Village (Olivier Piot) ;
centre de conférences Kantha Bopha,
salle de danse, Cyril et Lisa Ros (Asma
Architectes). L’enjeu important que
représente la ville de Siem Reap et son
territoire pour la préservation du site
d’Angkor nous ont conduits à développer
depuis 2004, un atelier Angkor/SiemReap, studio de master de l’ENSAPB, avec
Cyril Ros, Inès Gaulis, Nathalie Lancret,
Aline Hétreau-Pottier, Lisa Ros et Adèle
de Siem Reap, Rapport final, Ipraus/ministère
de la Culture/Apsara, 1996.
3 Emmanuelle Gay, Étude de l’eau dans la cité
,
de Siem Reap, mémoire de diplôme de l École
,
d Architecture de Paris-Belleville, 1998.
4 Inès Gaulis, Les Leçons d’Angkor : dix ans
de coopération internationale dans la région
de Siem Reap/Angkor, Rapport de recherches,
projet post-doctoral soutenu par une allo-
Esposito. L’atelier a donné lieu depuis sa
création à des expositions annuelles et
conférences au Centre culturel français
de Siem Reap. Mais très vite ces actions
pédagogiques ont été relayées par des
travaux de recherche auxquels l’Observatoire sert de support.
Inès Gaulis, docteur en études urbaines,
enseignant chercheur, s’est penchée sur
les nombreux projets de coopération
internationale initiés depuis 1991 : Les
Leçons d’Angkor : dix ans de coopération
internationale dans la région de Siem
Reap/Angkor4.
Aline Hétreau-Pottier, architecte et doctorante, sur le site depuis plus de 15
années, observe et inscrit les mutations
de la ville et leur accélération dans la
dernière décennie, dans une perspective
historique qui est celle du siècle passé :
“ Développement et patrimoine : formes
et mutations de la ville de Siem Reap à
l’ombre d’Angkor (1907-2007)5 ;
Adèle Esposito, architecte et doctorante,
travaille sur “ la mise en tourisme ” de
Siem Reap et son impact sur les formes
architecturales et urbaines : “ Siem Reap
– Inventions et constitution d’un lieu de
tourisme aux portes d’Angkor ”.
Ce Bulletin de l’Observatoire n°1 publié
en 2008 relate ses premières années de
travaux.
D’autre part, l’équipe de l’Observatoire
devrait participer, en octobre 2008 à
Siem Reap, à une table ronde sur le
développement actuel de la ville et ses
implications/interactions avec le site
archéologique, organisée par le Centre
d’Études khmères (CKS), avec le Bureau
des Affaires urbaines d’Apsara, le Getty
Conservation Institute, et le Pacific Rim
Council for Urban Development (PRCUD).
Pierre Clément
cation de la Région Île-de-France, CNRS, UMR
7136 AUS, IPRAUS, juillet 2007, 142 p.
,
5 Le volume d Autrement : Angkor VIIIe – XXIe
siècle. Mémoire et identité khmères, février
,
2008, sous la direction d Hugues Tertrais
,
,
se fait l écho des travaux d Inès Gaulis,
“Aménagement du territoire : le zonage, limite
,
ou frontière ? ” pp.168-181, et d Aline HétreauPottier, “ Siem Reap bouleversé : dynamique
touristique et urbanisation ” pp.182-203.
Observatoire urbain de Siem Reap/Angkor.
Architecture - Patrimoine -Développement
Présentation
Siem Reap, modeste capitale provinciale, détient pourtant un statut international
de par sa fonction d’accès et sa proximité avec Angkor. Depuis la réouverture du
pays au début des années 90, la ville connaît un développement urbain accéléré,
dû à la montée en puissance du tourismeϋ et à la conjoncture d’ouverture internationale qui en résulte. Cette conjoncture pose des problèmes d’infrastructures, de
gestion urbaine, de respect du patrimoine et de l’environnement tant au niveau du
site archéologique que de la ville. Par ailleurs, une part importante du développement économique du Cambodge repose sur le tourisme. Le patrimoine architectural,
urbain comme naturel représente donc un atout majeur et un développement urbain
harmonieux et durable, un véritable enjeu stratégique. L’ambition de l’Observatoire
de Siem Reap Angkor est de s’intéresser aux transformations architecturales et
urbaines suscitées par cette brusque accélération de l’urbanisation dans le contexte
particulier de la confrontation d’un site archéologique majeur et d’une ville contemporaine qui doit s’adapter et se transformer sous la forte croissance des ϔlux touristiques et des investissements qu’ils suscitent.
Site d’étude
Cette ambition ne
saurait cependant se limiter à la seule
ville de Siem Reap. En effet, la frontière
entre la ville et le site est à maints
égards artificielle.
Les sites archéologiques sont répartis
sur l’ensemble du territoire, y compris
celui de la ville de Siem Reap, et les
structures anciennes – infrastructures
hydrauliques, parcellaire –, héritées
du passé, ont façonné l’ensemble de la
région. De même, le parc archéologique
d’Angkor n’est pas une zone dévolue
entièrement à l’archéologie : 100 000
personnes habiteraient désormais les
villages compris sur son territoire.
L’Observatoire doit donc également
porter attention à la dimension territoriale de la région de Siem Reap/Angkor
et rendre compte de ce qui fait système
à l’intérieur de cet espace complexe.
Siem Reap intéresse et se transforme
de par sa proximité avec Angkor. Il faut
donc relier les deux territoires dans
une interrogation commune.
Siem Reap
Siem Reap assure
désormais gîte et couvert aux nombreux visiteurs étrangers et cambodgiens, venus découvrir les capitales
successives de l’ancien Empire khmer.
Cet afflux touristique a pour résultat
une croissance urbaine extrêmement
rapide, orientée bien souvent vers la
construction d’équipements touristiques qui font fi des formes urbaines
et architecturales héritées du passé et
transforment progressivement la ville
en un espace servant du site d’Angkor.
Cette situation justifie l’intérêt que l’on
porte à Siem Reap comme l’institution
d’un observatoire dont la mission sera
de rendre compte des transformations
que subit la ville et d’en comprendre
les mécanismes.
Inès Gaulis
Nathalie Lancret
Centre ville, Psar Chas, le quartier administratif et le Psar Leu vus de ciel.
( A. Hétreau-Pottier, 2007)
1 Près de deux millions de visiteurs en 2007.
5
Une journée d’études, organisée par l’IPRAUS et l’École française d’Extrême-Orient, s’est tenue le 9 mars 2005 à
Siem Reap dans les locaux de l’EFEO ; elle avait pour objectif de réϔléchir à la mise en place d’un tel observatoire. Cette
rencontre a permis de préciser ses missions, objectifs et programmes.
Objectifs, missions et programmes
L’Observatoire de Siem Reap Angkor est une structure de recherche, rattachée
à l’IPRAUS/ENSAPB et à l’École française d’Extrême-Orient, hébergée à Siem
Reap dans les locaux de l’EFEO. Il travaille en collaboration avec APSARA.
Mission de documentation
Mission de recherche
Mission d’information
Une de ses premières missions est la
constitution d’un fonds cartographique
et de relevés des formes architecturales
de Siem Reap. Cette mission a débuté par
un recensement préalable et systématique de la documentation actuellement
disponible dans d’autres centres de
documentations ou d’archives :
La mission de recherche est organisée
autour des problématiques suivantes :
Enfin il a été prévu d’éditer une lettre
d’information, support de communication de l’Observatoire.
-
Inventaire de la cartographie – collecte
des plans, numérisation et constitution de
Cdrom, en relation avec le programme de
cartographie des villes d’Asie de l’IPRAUS..
-
Mise à disposition des chercheurs des
documents récoltés dans un fonds propre
à l’Observatoire (bibliothèque de l’EFEO à
Siem Reap).
-
Représentations de la ville à travers
cartes et plans, analyse des relations entre
le site archéologique et la ville ;
- Tourisme et développement urbain ;
- Compréhension des outils opérationnels ;
- Observation des transformations architecturales et urbaines de Siem Reap et
de sa région (identification, classement et
typologie des formes architecturales nouvelles, identification, classement et typologie des extensions urbaines) ;
- Dynamiques urbaines et foncières ;
- Patrimoine paysager, urbain et territorial.
L’activité de l’Observatoire est fondée sur
ces trois principales missions, menées
tant à l’IPRAUS qu’à l’Observatoire de
Siem Reap/Angkor/EFEO. Par ailleurs,
une recherche post-doctorale et deux
thèses, portant sur Siem Reap, actuellement en cours, signalent le démarrage de
la mission recherche.
L’Observatoire peut être également un
instrument à la disposition de chercheurs ou de thésards dont les problématiques de recherche seraient proches
de celles développées en son sein ou les
complèteraient.
Équipe scientifique
Responsables scientifiques :
Pierre Clément, professeur à l’ENSAPB, directeur de l’IPRAUS ;
Nathalie Lancret, ENSAPB/chargée de recherches CNRS/IPRAUS ;
Charles Goldblum, professeur des Universités Paris VIII/IFU ;
Christophe Pottier, maître de Conférences à l’École française d’Extrême-Orient,
responsable de l’antenne de l’EFEO à Siem Reap.
Coordination
scientifique
ENSAPB/IPRAUS
Inès Gaulis,
Post-doctorante IPRAUS,
enseignante, ENSAPB/atelier
de master Angkor/Siem Reap
6
Responsable
de l’Observatoire urbain
à Siem Reap
Aline Hétreau-Pottier,
enseignante, doctorante IPRAUS,
allocataire du ministère de la Culture
Chargés de mission
Adèle Esposito, doctorante,
allocataire de recherches IPRAUS ;
Cyril Ros, enseignant,
ENSAPB/atelier de master Angkor/
Siem Reap ;
Lisa Ros, enseignante,
ENSAPB/atelier de master Angkor/
Siem Reap
Le ttemps et l,espace
L
Introduction géographique
Les monuments et vestiges, qui constituent le site d’Angkor (IXƉ– XVƉ siècles), se trouvent dispersés dans une région, celle de Siem Reap, située au nord-ouest de l’actuel
Cambodge. Ce territoire est délimité au nord-est par une chaîne de montagnes, le
Phnom Kulen (498m). Les principales rivières qui traversent et irriguent la plaine
d’Angkor (les rivières Roluos, Siem Reap et Puok), prennent leur source dans ce massif, qui constitue ainsi le « château d’eau » de ce territoire, lieu également de rechargement des nappes phréatiques profondes de la région.
Au pied des Kulen, s’étend la plaine
d’Angkor, où l’on rencontre la plus
forte densité de vestiges angkoriens ;
elle s’achève au sud sur les berges du
Tonlé Sap ou Grand Lac , qui constitue
la principale réserve d’eau douce et
halieutique du Cambodge. Entre ces
deux éléments naturels forts, la montagne et le lac, les seuls reliefs, modestes,
sont le Phnom Krom (137m), le Phnom
Bakheng (60m) et le Phnom Bok
(235m), éléments majeurs de la symbolique et de l’histoire du territoire.
Le Mont Kulen (A. Hétreau-Pottier, 2007)
Le Tonlé Sap offre une particularité unique au monde, qui fait de la plaine d’Angkor un milieu naturel singulier : à l’emplacement des « quatre bras », à Phnom
Penh, plus de 300km au sud d’Angkor,
site de confluence de la rivière Tonlé
Sap, exutoire naturel du Grand Lac, et
du Mékong, les eaux de ce dernier, sous
l’effet de la crue en période de mousson,
se précipitent dans la rivière, provoquant
La région de Siem Reap/Angkor. © Google Earth,
(Montage de l’image M. Kudlacik et D. Tarielashvili, 2007).
1 On désigne sous le nom de Tonlé Sap le système hydrologique comprenant le lac et son
exutoire naturel qui le relie au Mékong.
7
l’inversion de son courant, et viennent
remplir le lac dont la surface va jusqu’à
quadrupler. Son niveau peut alors s’élever
de sept à huit mètres et la zone inondée
s’étendre sur 20 à 50km, engendrant des
milieux naturels exceptionnels comme les
forêts inondées, déposant aussi de riches
alluvions dont les hommes ont très tôt su
tirer parti, développant au cours des siècles la riziculture, qui marque encore le
paysage actuel. Ainsi, la plaine d’Angkor
vit-elle au rythme de l’inondation et son
principal centre urbain actuel, Siem Reap
s’est-il implanté légèrement au nord de la
limite de battement des eaux du lac.
1 - Con iguration typique d’un temple
(Prasat Kravan) : son tertre et ses douves.
(A. Hétreau-Pottier, 2007)
La particularité de ce territoire, l’omniprésence de l’eau, dont témoignent les
légendes de fondation du Cambodge, ont
impliqué une attention vite portée par
les hommes à la maîtrise de l’eau, développant systèmes d’irrigation et ouvrages de rétention, dans un contexte climatique, celui du régime de mousson, où,
soit l’eau est en surplus, soit elle vient à
manquer. Le système hydraulique mis
au point par les Khmers permet alors
de résorber le trop plein en saison des
pluies, grâce aux bassins artificiels, beng
et trapeang , qui drainent les terrains,
se remplissent en saison des pluies,
constituant alors des réserves d’eau, qui
se vident progressivement au cours de
la saison sèche. Ainsi, la plaine d’Angkor,
soumise au régime inégal de cet élément,
milieu naturel fragile, constitue-t-elle
aussi un paysage historique du fait de
l’intervention ancienne et répétée des
hommes. Cette occupation millénaire
a laissé des traces monumentales, ces
temples, palais, chaussées, douves, vastes pièces d’eau et baray qui entraînent
chaque années l’affluence croissante de
visiteurs, mais aussi plus modestes, les
bassins de drainage, les canaux qui traversent et irriguent la plaine d’Angkor,
le parcellaire de rizière mis en place peu
à peu par les Khmers. Tous témoignent
du modelage du territoire au cours des
siècles écoulés , vaste paysage façonné
progressivement par l’homme, où se
mêlent vestiges archéologiques d’une
importance variable et cultures, notamment rizicole, elles-mêmes témoignage
historique.
Ce territoire d’Angkor est donc caractérisé par la qualité de son écosystème et
de son fragile milieu naturel, dont l’anthropisation au cours des siècles a suscité
une interdépendance étroite des éléments historiques comme naturels qui le
constituent.
1
Inès Gaulis
2 - Paysage de casiers de rizières dans
la plaine d’Angkor.
(rapport ARTE, 1994)
2
3
2 Les trapeang sont des bassins artificiels
4 Cf. Christophe Pottier, Carte archéologique
de forme rectangulaire, bordés de berges
épaisses.
de la région d’Angkor – Zone sud, thèse sous
la direction de Bruno Dagens, Université de
Paris III - Sorbonne nouvelle, 1999, 3 volumes.
,
3 Les baray sont de vastes réservoirs d eau,
délimités par de hautes digues,
8
3 - Vue du Phnom Krom,
les terres inondées sur les rives
du lac Tonlé Sap.
(A. Hétreau-Pottier, 2007)
,
Le temps et l espace
Le territoire d’Angkor : site des capitales khmères
Angkor, reconstituée par un siècle de recherches épigraphiques et monumentales,
voit son histoire commencer vers la ϔin du VIIIƉ siècle avec les pérégrinations d’un
jeune prince qui rassemble un pays divisé, se fait sacrer « souverain universel » au
sommet du Phnom Kulen en 802 apr. J.C., et ϔinit ses jours en régnant sous le nom de
Jayavarman II dans la cité de Hariharâlaya, identiϔiée dans la région de Roluos, à
une dizaine de kilomètres à l’est de la ville actuelle de Siem Reap.
Jayavarman II apparaît non seulement comme le premier « roi suprême » à régner
dans la région d’Angkor, mais aussi – et surtout peut-être – comme le créateur de
la royauté angkorienne, de sa titulature, de certains de ses cultes qui perdureront
lors des dynasties suivantes. Avec Jayavarman II commence donc ofϔiciellement la
période angkorienne ; et, hormis une brève inϔidélité d’une vingtaine d’années dans
le courant du XƉ siècle, tous ses successeurs demeureront dans la région jusqu’à son
abandon vers le XVƉ siècle, contribuant les uns après les autres à l’édiϔication de ce
vaste complexe que constituera ϔinalement Angkor.
La civilisation khmère n’est toutefois
pas apparue aussi soudainement : elle
prend racine dans une préhistoire
encore mal connue au Cambodge, même
si les recherches conduites depuis une
dizaine d’années soulignent l’existence
de continuités et d’une lente maturation
conduisant, depuis les époques anépigraphiques (Âges du Bronze 1500 - 500
av. J.C. , puis du Fer 500 av. J.C. - 300 ap.
J.C.) à l’apparition de premiers systèmes
politiques complexes, puis aux premiers
États. Les annales chinoises ont en particulier conservé la mémoire d’un premier
royaume « hindouisé », qu’elles nomment
Funan, dont le foyer était situé au sud,
près du delta du Mékong, entre les IV et
VI siècles. Cet État semble avoir été progressivement supplanté par un autre, que
les mêmes sources nomment Chenla, et
dont la capitale correspondrait un temps
au site de Sambor Prei Kuk, au nord de la
ville de Kompong Thom, sur la rive septentrionale du lac Tonlé Sap, à mi-chemin
entre Siem Reap et l’actuelle capitale du
pays, Phnom Penh. La « dislocation » du
Chenla génère cependant au VIII siècle
une époque particulièrement confuse, au
moins d’un point de vue épigraphique et
historique. Elle est généralement considérée comme une période de scissions
diverses et successives et de luttes entre
petits royaumes plus ou moins indépendants, auxquelles Jayavarman II vient
mettre un terme, sinon définitif, du moins
suffisant pour assurer une nouvelle cohésion à la base de l’expansion de « l’Empire khmer ». À son apogée cinq siècles
plus tard, cet empire s’étendra sur tout
l’actuel Cambodge, le Sud du Vietnam et
du Laos, et le centre et le nord-est de la
Thaïlande.
Même si plusieurs indices suggèrent que
divers établissements étaient déjà présents depuis la préhistoire dans la région
Carte archéologique de la région d’Angkor - © Greater Angkor Project : Pottier/EFEO (1999)
et Evans/GAP (2007) - Fonds (Topographie et hydrographie) d’après JICA 2005.
9
Temple d’Angkor Vat (C. Giraudet, 2007).
d’Angkor, sur les rives du lac Tonlé Sap,
et qu’un centre majeur y était déjà établi
depuis le VII siècle, en particulier dans
la région occidentale, l’installation de
Jayavarman II à Roluos à l’aube du IX
siècle célèbre communément le début
d’Angkor en tant que capitale de l’empire angkorien. Pendant quelques 700
ans, une série de capitales successives,
des centaines d’établissements villageois
et de vastes aménagements territoriaux
s’établiront dans toute la région, migrant
et se superposant souvent, aboutissant à
une densification rapide et à une transformation profonde de l’ensemble du
terroir angkorien. Les souverains garderont pourtant une prédilection pour
les environs du Phnom Bakheng, la plus
centrale des rares collines de la plaine
alluvionnaire qui descend progressivement depuis les plateaux réseux du
Phnom Kulen au nord-est jusqu’au lac
Tonlé Sap. C’est sur cette colline située
à sept kilomètres au nord de Siem
Reap que Yaçovarman 1er, abandonnant
Hariharâlaya, installe le temple central
de sa nouvelle ville de Yaçodharapura
dès la fin du IX siècle. Et c’est dans cette
zone qui constitue désormais le cœur du
site actuel d’Angkor, que ses successeurs
construiront leurs cités et leurs principales fondations religieuses, dont les
imposants temples pyramidaux qui sont
autant de jalons symboliques marquant
les centres des capitales consécutives.
De ce palimpseste émergent certains souverains, grâce aux inscriptions qui célèbrent leurs exploits et aux monuments
spectaculaires qui leurs sont attribués. Il
en est ainsi de Suryavarman II (1113-c.
10
1150), bâtisseur du temple vishnouïte
d’Angkor Vat, considéré à juste titre
comme l’acmé architecturale de la civilisation khmère. De même pour le roi
Jayavarman VII (1181-c. 1218), souverain bouddhiste et fondateur de la dernière capitale, Angkor Thom, centrée sur
le temple du Bayon aux célèbres tours à
visages et enchâssée dans son impressionnante enceinte défensive carrée de
trois kilomètres de côté. Mais le déplacement de la capitale vers la région de
Phnom Penh, au milieu du XV siècle,
sonne le glas d’Angkor qui semble alors
avoir rapidement été abandonné. Hormis
quelques îlots, tel le temple d’Angkor Vat
qui demeurera l’important site de pèlerinage bouddhique que les premiers
explorateurs occidentaux « découvriront » quatre siècles plus tard au milieu
de la forêt qui a largement recouvert la
région.
Le site d’Angkor qui s’offre désormais
aux visiteurs, présente avant tout une
remarquable concentration d’œuvres
architecturales monumentales, résultat
de l’accumulation de fondations royales
pendant des siècles. Ne subsiste pourtant
en apparence que le squelette religieux
de cette civilisation angkorienne, dans
les résidus d’un écrin végétal largement
décimé par la déforestation et les développements modernes. Mais au-delà des
grands temples et de la zone centrale
protégée, Angkor s’étend à l’ensemble de
la région, intégrant d’ailleurs Siem Reap
qui s’est constituée à la croisée de trois
anciens canaux majeurs – dont la rivière
actuelle – et dans un environnement
ponctué de multiples vestiges angkoriens.
Nos récentes recherches archéologiques,
couplant télédétection et prospections
au sol, révèlent à l’échelle de la région
entière, l’ampleur de cette facette angkorienne non monumentale : les modestes
ruines de centaines de petits sanctuaires,
de milliers de bassins et de terre-pleins
témoignent d’une myriade d’établissements villageois, qui s’inséraient dans un
écheveau dense et complexe de chaussées, de canaux, de barrages et de réservoirs (baray) qui structuraient un vaste
terroir dont on perçoit encore l’ancienne
intensité d’occupation des sols par la
présence des casiers des rizières fossiles.
Façonné par les fondations pieuses, les
établissements humains et les structures
viaires et hydrauliques, Angkor constituait finalement une vaste mégalopole
couvrant l’ensemble de la région dans
un remarquable continuum urbain-rural.
On rappellera donc en conclusion de
cette courte introduction que le développement actuel de la ville de Siem Reap
constitue une menace aussi sérieuse
qu’inéluctable pour la conservation d’Angkor. Et que la préservation des temples
monumentaux ne saurait masquer la
richesse de l’archéologie du territoire et
son importance pour une compréhension
équilibrée du phénomène angkorien.
Christophe Pottier
Temple de Bakong à Roluos : vue aérienne
depuis le nord-est (C. Pottier, 2004).
Maître de Conférences à
l’École française d’Extrême-Orient
,
Le temps et l espace
Histoire et évolution urbaine
Avec 80 000 habitants, la ville de Siem Reap, chef-lieu de la province du même nom,
est située à 5 km d’Angkor Vat, à la croisée de deux voies perpendiculaires, le stung
(rivière) Siem Reap et la route nationale n°6 (RN6). Elle occupe une place singulière
au Cambodge : en plus de ses fonctions administratives, commerciales et résidentielles, sa proximité avec le site d’Angkor lui donne un statut de pôle touristique international. Ce statut s’est nettement renforcé depuis 1992 avec l’inscription d’Angkor
au Patrimoine mondial. En moins de quinze ans, le développement économique du
pays, l’explosion démographique et l’accroissement touristique (deux millions de
visiteurs attendus en 2008), entraînent Siem Reap dans un cycle de mutations profondes et rapides.
Extrait de la carte d’État-Major d’Indochine
« Grand Lac », 1907.
Échelle d’origine 1:200.000e.
Arrivée au Phnom Krom. Source : Les aventuriers du monde, 1866-1914,
Ed. L’Iconoclaste, Paris 2003, p. 41.
Cette situation contraste avec une histoire urbaine présentant une évolution
relativement lente sur plus de quinze
décennies. Elle fut rythmée de phases
de fabrication étroitement liées à l’histoire politique du pays. À la fin du XIX
siècle, les descriptions données par les
premiers découvreurs occidentaux et les
cartes siamoises rendent bien compte
des tracés et des structures existantes.
Ce paysage associait la rivière et son
écrin végétal à une série de villages avec
leurs monastères, lieux de culte et de
socialisation. Siem Reap était à l’aube du
XX siècle la porte d’accès vers Angkor
Vat, haut lieu de pèlerinage bouddhi-
que. L’ensemble formait une agglomération administrative, commerciale et
agricole qui s’étirait du nord au sud sur
une dizaine de kilomètres. Le long de
la rivière, les habitations de bois et de
paille se succédaient sous un couvert
arboré renforcé de plantations irriguées,
bordées de chaque côté par des rizières.
Cet aspect linéaire est omniprésent dans
les descriptions que font les premiers
Européens explorateurs des itinéraires
qu’ils ont suivis pour accéder à cette
« bourgade » en bateau depuis le lac du
Tonlé Sap à une quinzaine de kilomètres
au sud, puis en barque pour remonter la
rivière. Dans la partie nord, sur la rive
droite s’élevait la citadelle du gouverneur siamois entourée de remparts et de
bastions. Au sud, un premier marché est
implanté à la croisée d’anciens canaux et
de pistes, au niveau de l’actuel monastère
Vat Bo.
Le pays est placé sous protectorat français depuis 1863, mais il faudra attendre
une dizaine d’années après la rétrocession des Siamois de la province de Siem
Reap en 1907 pour que l’administration
française puisse commencer à aménager
la ville et le site des temples. Elle déplace
le marché existant à l’emplacement de
l’actuel Psar Chas (Vieux Marché). Sur la
base d’un plan d’ensemble, les premiè11
La citadelle de Siem Reap, 1902.
Source : Musée national de Phnom Penh, collection privée.
res rangées de compartiments à arcades
en maçonnerie voient le jour autour
d’une halle, alors qu’au nord la citadelle
est rasée, laissant place à un quartier
administratif développé sur un réseau
de rues orthogonales. Dans ces prémices d’un premier aménagement urbain
s’implantent la poste, la prison, l’hôpital
et les divers équipements nécessaires au
chef-lieu provincial que Siem Reap est
devenu. Par la suite, le Grand Hôtel et
un parc sont construits plus au nord, le
dernier intégrant l’autel du Neak Ta Ya
Tep, génie protecteur de la ville. Bien que
la ville se développe toujours le long de
la rivière, c’est à la fin des années 1920
qu’elle acquiert sa première organisation
« centrée » sur un réseau viaire orthogonal, avec la création de la nouvelle route
coloniale n°1bis, reliant Angkor à Saïgon
via Phnom Penh, l’actuelle RN6. Cette
nouvelle voie est-ouest modifie complètement l’approche initiale de la ville
par voie d’eau. Le Protectorat continue
à préciser l’organisation des infrastructures de Siem Reap et d’Angkor, forgeant
lentement leurs caractères respectifs de
petit chef-lieu et de grande attraction
monumentale.
Après l’Indépendance du Cambodge en
1953, l’organisation de la ville se poursuit par un renforcement de l’armature
urbaine. La partie centrale se densifie,
intensifiant le caractère urbain avec de
nouvelles constructions symboliques du
Cambodge nouveau. Il s’agit par exemple d’édifices de style moderne comme
la Villa princière, le tribunal, le stade,
les écoles primaires ou encore l’ancien
lycée Suryavarman II en lisière de la
12
forêt d’Angkor. Le tourisme commence à
se développer (environ 50 000 visiteurs
vers la fin des années 1960 qui trouvent
à se loger dans quelques hôtels), mais
la ville reste de taille modeste avec une
population d’environ 10 000 habitants.
La partie marchande, relativement dense,
contraste avec les autres secteurs de la
ville où les édifices sont implantés au
milieu de larges parcelles ouvertes. Si
l’aérodrome s’agrandit et prend un statut international, la priorité des autorités
concerne le développement d’autres villes provinciales du Cambodge.
On observe déjà les prémices d’une
confrontation entre Siem Reap et Angkor,
augurant des enjeux entre patrimoine et
développement. De nouveaux projets de
développement en direction des temples
sont prévus, mais avec l’occupation des
temples par les Khmers Rouges en 1970,
ces intentions sont arrêtées. En 1975, la
ville est vidée de ses habitants. Après la
chute du régime Khmer Rouge en 1979,
la ville reste plongée dans un isolement
défensif jusqu’en 1992. De cette période
datent la digue périphérique de défense,
le marché Psar Leu et le quartier de Phum
Thmey.
Depuis l’ouverture d’Angkor au réseau
touristique mondial, radicalement différent de celui des années 1960, Siem Reap
connaît une internationalisation qui
bouleverse profondément ses mécanismes de développement et son rythme de
fabrication. La réelle explosion constructive, liée à la stabilité retrouvée depuis les
« ajustements » politiques de 1997-1998,
se traduit au début par une densification
du centre urbain, un développement
hôtelier et commercial sur les axes estouest et nord, puis par une expansion de
la surface de la ville en retrait des axes. Le
développement se retrouve en décalage
par rapport aux schémas directeurs qui
ne cessent d’être élaborés. Ainsi la ville a
décuplé de surface durant les dix dernières années. Les bouleversements récents
touchent autant les secteurs hôteliers,
commerciaux et celui des services, que
les fonctions résidentielles et administratives qui se dispersent sur l’ensemble
du territoire rural environnant.
Ces bouleversements se traduisent par
une altération du paysage rural, végétal,
La rivière de Siem Reap, 1902.
Source : Musée national de Phnom Penh, collection privée.
(© Google earth, 2005)
(© Google earth, 2005)
(© Google earth, 2005)
1- Quartier du Vieux Marché
2- Sur la route d’Angkor, les hôtels
et l’hôpital Kanta Bopha
3- Les villages le long de la rivière,
au sud de Siem Reap.
archéologique, une mise en péril du patrimoine urbain, une production architecturale sommaire et par la dégradation
et la disparition des espaces publics.
Rapidement, ces transformations morphologiques altèrent en profondeur
le caractère de « ville jardin » de Siem
Reap, pourtant toujours vanté tant dans
la littérature touristique, que dans les
discours officiels et les rapports d’études
spécialisées. La configuration originelle
de la ville se modifie profondément,
transformant son rapport à la campagne.
Construite par une succession d’à-coups
issus majoritairement d’opportunités
individuelles, la ville s’urbanise de façon
fragmentaire.
des systèmes parcellaires, une évolution des trames. À la modification des
configurations architecturales, s’ajoute
des surélévations, une minéralisation
et des constructions bon marché et de
faible qualité spatiale. L’infrastructure
hôtelière est omniprésente avec plus de
10 000 chambres d’hôtels disponibles,
dispersées en centre ville, le long de la
route de l’aéroport et vers les temples.
Les marchés, centres commerciaux, hangars à souvenir et restaurants ne cessent
de se multiplier. La surenchère de compartiments, généralisés par d’importantes opérations immobilières, participe
autant à la minéralisation de la ville qu’à
sa mutation urbaine, aux portes d’Angkor
comme en pleine campagne. Des projets
privés dits culturels (musées, centre
d’exposition) ou de loisirs (golf, village
culturel) s’installent aussi selon une
apparente autonomie, au centre comme
en périphérie. Le centre se vide de ses édifices administratifs dont les services sont
renvoyés au loin dans les rizières pour
faire place à des opérations privées. Les
zones résidentielles se déploient à l’écart
des deux grands axes mais commencent
à présenter des caractéristiques propres.
Au nord-ouest, Phum Thmey a triplé de
surface en s’étendant notamment sur
les zones protégées du parc archéologique. Les vieux villages au nord-est sont
par contre restés bloqués par une cité
hôtelière fantôme, alors que le sud-est
est devenu une vaste zone de développement résidentiel. Si le sud-ouest est
pour l’instant demeuré peu développé, il
devient une cible remarquable pour des
opérations foncières d’envergure.
Privatisations, enjeux spéculatifs du
foncier, absence d’un schéma directeur
approuvé, lacunes des réglementations,
de leurs applications et lacunes de gestion de l’espace public, nouveaux acteurs
nationaux et étrangers, nouvelles pratiques touristiques sont autant de facteurs
qui génèrent de nouvelles configurations
urbaines, modifiant l’identité originelle
de la ville et de son territoire.
La conjonction de la valeur foncière et
de la rentabilité à court terme des investissements privés influe directement
sur les formes urbaines et architecturales. On assiste à des densifications, des
changements d’échelle, une répétitivité
Ce dynamisme est insuffisant sinon
absent dans les infrastructures sanitaires (adduction d’eau, drainage des eaux
pluviales, évacuation et traitement des
eaux usées, collecte d’ordure), et dans
les équipements urbains collectifs (espaces verts et de loisirs, écoles publiques,
administration). Le décalage entre le
dynamisme privé et le développement
modéré des infrastructures publiques est
critique. À l’image de la capitale, la ville et
son terroir se sont ouverts à la spéculation et au développement. Rompant avec
les logiques habituelles du front pionnier
linéaire, l’urbanisation de Siem Reap se
déploie désormais résolument à travers
son territoire. Elle n’obtient pas de nouveau statut urbain, ni d’identité patrimoniale propre. Elle n’a pas non plus pour
l’instant fait l’objet d’une volonté d’y affirmer un quelconque projet public majeur
ou d’y construire une image signifiante
et les axes de son devenir. D’ailleurs, elle
avait un nom, qu’elle risque de perdre,
pour être rebaptisée « Angkor City »…
à l’ombre d’Angkor.
Aline Hétreau-Pottier
13
Recherches
de l’équipe de l’Observatoire
Recherche post-doctorale : Inès Gaulis
Les leçons d’Angkor : dix ans de coopération internationale
dans la région de Siem Reap/Angkor
Cette recherche s’est intéressée à l’analyse
des nombreux projets issus de la coopération internationale, concernant la région
d’Angkor/Siem Reap. Ceux-ci ont été élaborés par différents organismes, cabinets
d’études ou agences d’architecture, lors de
la réouverture du Cambodge au début des
années 1990.
Dès 1989, les principaux partis cambodgiens s’adressent à l’UNESCO pour que
celle-ci prenne en charge une campagne
de sauvegarde d’Angkor. À l’automne
1991, la signature des Accords de Paris
qui ramènent la paix au Cambodge autorise le lancement de cette campagne
laquelle devient effective. Son premier
acte sera l’inscription concomitante du
site sur la liste du Patrimoine mondial et
celle du Patrimoine en péril en 1992. Les
projets, ici analysés, accompagnent cette
action générale. Ils concernent la conservation et la protection des monuments,
mais aussi l’aménagement du territoire à
l’entour, notamment celui de la ville voisine de Siem Reap.
En effet, il apparaît très vite que cette
campagne de sauvegarde annonce une
rapide ouverture au tourisme, dont on
espère la montée en puissance. Il s’agit
alors de mener, à travers et grâce à ces
projets, deux types d’action essentiels :
la protection du patrimoine d’Angkor
et le redémarrage économique du pays
(crucial après vingt ans de guerre et de
troubles). Le développement touristique
attendu désigne alors la région d’Angkor
comme la zone moteur du redémarrage
économique du Cambodge et le tourisme, principale industrie, pourvoyeuse
de devises. On doit donc concilier deux
objectifs, souvent considérés comme
contradictoires : protection du patrimoine
et développement économique. L’enjeu
est rendu crucial par l’extrême pauvreté
du pays et de la population, et par la
valeur et les dimensions exceptionnelles
du patrimoine considéré. En ce début de
14
décennie 1990, cette situation aiguë risque d’être brutalement confrontée à l’état
existant du tourisme, à savoir une industrie en plein essor. Il fallait donc concilier
développement économique, résultat du
développement touristique, et protection
du patrimoine archéologique, historique
mais aussi environnemental (le bassin
du Tonlé Sap était classé réserve de la
Biosphère par l’UNESCO dans la foulée).
Conscientes de ces enjeux, les autorités
cambodgiennes, la communauté internationale, comme l’UNESCO, appelée au
secours par les autorités cambodgiennes
et qui assurera bien souvent la coordination de l’action menée en faveur d’Angkor, lancent une série de projets, visant
la protection du patrimoine historique
et naturel, l’aménagement du territoire,
et par conséquent le contrôle de l’usage
de l’espace, indispensable à la protection
du site. Ce contrôle s’est organisé autour
d’un plan de gestion et de protection
de la région, Zoning and Environmental
Management Plan for Angkor Area
(ZEMP), qui a abouti à un zonage et à une
délimitation des sites protégés.
Les projets étudiés datent de la décennie
1991-2002. Ils ont été élaborés dans le
contexte de la campagne de sauvegarde
d’Angkor, souvent dans la suite du ZEMP,
et ont cherché à concilier les deux priorités affichées par les autorités cambodgiennes : protection et développement
économique. Dans cette recherche, il s’est
alors agi d’interroger le statut de ces projets, leur fonction et d’en confronter les
intentions avec la réalité du terrain.
Ces projets touchaient à des domaines
tels que la restauration et la conservation
des monuments mais aussi l’établissement d’un schéma directeur d’aménagement, le développement touristique (pris
sous un angle prospectif) ou la protection
de la biodiversité. Ils ont fait appel à des
expertises aussi diversifiées : historiens,
archéologues, architectes, urbanistes,
Directeur scientifique : Pierre Clément
Recherche soutenue par l’attribution
d’une allocation de recherches post-doctorale
de la Région Île-de-France
(IPRAUS/UMR 7136 A.U.S-CNRS)
mais aussi paysagistes, anthropologues,
ingénieurs hydrauliciens ont apporté leur
contribution à cet objectif de protection
et de développement contrôlé. Près de
quinze ans se sont écoulés depuis l’élaboration des premiers projets, qu’en est-il
des objectifs poursuivis ?
Si le site, à savoir le parc archéologique
(zones de protection 1 et 2 du ZEMP),
semble protégé et entretenu, il n’en est
pas de même de la ville de Siem Reap,
qui connaît un développement accéléré
du fait de l’afflux des touristes, lequel a
engendré une forte spéculation foncière.
Alors que la construction à l’intérieur du
périmètre du parc archéologique paraît
à peu près sous contrôle (néanmoins
la population des nombreux villages,
dispersés sur les 401 km² de la zone
archéologique, a considérablement crû
passant d’environ 25.000 habitants en
1992 à près de 100.000), le territoire de
la ville de Siem Reap est la proie de la
spéculation foncière. Ce développement
affecte non seulement le paysage urbain,
mais aussi l’environnement de la région,
ainsi de la terre arable est-elle extraite de
régions situées au bord du Tonlé Sap pour
servir de remblai à des parcelles de rizières, transformées en terrain à bâtir.
Très clairement, les tentatives de contrôler le développement de Siem Reap à
travers schéma directeur et autres plans
d’urbanisme ont échoué. Cet échec tient
vraisemblablement à une volonté politique peinant à imposer son contrôle, sans
doute également à la difficulté rencontrée
pour établir une protection progressive
(de la zone monumentale à la ville) et
élargie à une part conséquente de la province car nous faisons l’hypothèse que ces
plans successifs des années 1990 avaient
aussi pour objectif de servir la protection
du site (en protégeant ses abords) et en
constituaient vraisemblablement l’un des
dispositifs.
Développement et patrimoine :
formes et mutations de la ville de Siem Reap
à l’ombre d’Angkor (1907-2007).
Depuis la réouverture du pays et l’inscription du site d’Angkor sur la liste du
Patrimoine mondial en 1992, Siem Reap
s’est retrouvée confrontée à de profondes
transformations induites par une explosion démographique et une croissance
économique tirée par l’aide internationale
et le développement touristique exponentiel. Cette ville secondaire du Cambodge
fait dorénavant l’objet de recompositions
et de mutations architecturales et urbaines signiϔicatives, tant dans sa partie centrale qu’en périphérie. Elle a vu sa surface
décupler en une décennie, jusqu’à menacer d’empiéter la zone des temples.
L’évolution récente de la ville illustre
de manière singulière la difficile reconnaissance d’un patrimoine urbain face à
la concurrence du « grand patrimoine »
unanimement célébré des temples
angkoriens. À l’échelle de la région et
dans son rapport avec Angkor, elle montre l’ambiguïté de la perception, de la
représentation de la ville et de ses identités territoriales. À cette dichotomie,
s’ajoute l’opposition patente entre des
structures de pierres millénaires et une
ville séculaire largement constituée d’architectures végétales éphémères. Elle
est désormais confrontée à de nouveaux
enjeux. « Forêt de pierre vs. ville végétale », « grand et petit patrimoines »,
« conservation et développement urbain »,
tels sont des questionnements que Siem
Reap permet d’aborder et d’approfondir
dans un processus couvrant un siècle
d’histoire et dans une actualité au dynamisme singulier.
Sous le signe de l’ouverture et de la dichotomie, cette phase de croissance rapide
offre l’opportunité d’analyser la relation
que la ville entretient désormais avec ses
héritages paysagers, ruraux, urbains et
les nouvelles configurations spatiales.
Dans ce dessein, en partant des caractéristiques et des processus majeurs de
la production contemporaine, différents
domaines d’investigations sont envisagés, tels l’identification des caractéristiques patrimoniales, le dégagement des
périodes charnières de la fabrication et
de l’évolution urbaine, la reconnaissance
des enjeux politiques, économiques et
stratégiques et l’étude des acteurs et des
différents modèles, locaux ou exogènes
qu’ils véhiculent.
Plusieurs constats structurent notre
démarche initiale. À l’ombre d’Angkor,
Siem Reap s’inscrit dans un contexte
culturel qui la différencie d’autres villes
secondaires régionales. Plus commun,
mais fondamental au regard de l’évolution contemporaine, Siem Reap possède
des singularités locales ancrées dans le
monde rural cambodgien. La ville « historique », dont le caractère urbain n’avait
été que modérément affirmé, ne représente plus qu’une faible surface du territoire actuel. Dans un tel contexte, la relation entre les héritages et la fabrication
urbaine se pose de manière diachronique
et multiple.
Dans sa dimension historique, les changements récents rendent possible un travail rétrospectif d’identification, d’analyse des modes de fabrication de cette
ville, tant dans son rapport avec Angkor
que dans son développement. Au-delà
de 1992, la compréhension de la ville se
fonde sur une lecture de son évolution à
ses diverses échelles (territoire, village,
quartier, îlot, bâtiment) afin de mettre
en perspective les permanences et les
mutations de cette fabrication. Sur la
base d’un état des lieux des formes et des
types actuels, une chronologie relative
doit être développée, afin de souligner
les périodes clés de l’histoire urbaine,
depuis les installations coloniales jusqu’aux périodes de post-indépendance
et contemporaine.
Les questionnements de notre recherche
aborderont l’influence qu’Angkor a eu sur
le développement de Siem Reap, les traits
de sa fabrication et ses cultures de projets face aux renouvellements des enjeux,
la place et l’impact des référents patrimoniaux issus des singularités historiques
et culturelles face à l’introduction de
nouveaux modèles, ainsi que la volonté
d’établir une identité locale confrontée à
son histoire.
D’un point de vue spatial, Siem Reap est
face à de nouvelles qualifications des
lieux, à une redistribution des cartes
foncières, à des enjeux spéculatifs importants, à une recherche d’une rentabilité à
court terme et à l’absence d’un schéma
directeur fédérateur, associée aux lacunes des réglementations existantes et
de la maîtrise de la gestion de l’espace
public. L’urbanisation bouleverse le paysage et semble échapper aux logiques
préétablies et aux outils de planification
ordinaires. Les dynamiques territoriales
Thèse en cours :
Aline Hétreau-Pottier
Directeur et codirecteur :
Pierre Clément, Nathalie Lancret
École doctorale Ville et Environnement,
ENPC, ENSAPB.
introduites par les acteurs de la nouvelle
économie (foncier, immobilier et touristique) ont un impact fort sur les configurations, ne serait-ce que par la nature
et la multiplication des opérateurs et
de leurs réalisations. Qu’il s’agisse du
secteur public, d’organismes internationaux et du secteur privé omniprésent,
les conséquences se perçoivent sur les
représentations de l’espace (conception)
et sur les espaces de représentations
(symbole) modifiant l’identité de la ville
et de son territoire.
Nos questionnements portent sur les
origines, les modalités de ces transformations multiples qui touchent tant à
l’évolution urbaine (résistances, superpositions, adaptations, suppressions de
chemins, de tracés de rizière, de village,
de jardins…) qu’à la production architecturale (densifications, surélévations,
comblements selon une spéculation
modeste ou de plus vaste envergure,
mimétismes, pastiches ou assimilation
des connaissances…).
Ces réflexions motivent une analyse qui
conjuguera plusieurs critères :
- les héritages et leurs représentations (qualification, évolution, rapport paradoxal entre la
ville et Angkor, discours et réalité) ; - les enjeux
nationaux et internationaux, les acteurs et
les outils des stratégies (pouvoirs publics,
investisseurs privés, organismes internationaux, populations locales, professionnelles) ;
- les productions urbaines et architecturales,
projet et réalisation (situation, opération,
stratégie, répercussion).
Cette recherche s’insère ainsi dans un
cadre méthodologique basé sur trois
approches complémentaires pour une
mise en perspective de la connaissance
historique et spatiale de ses faits urbains,
de ses référents et de ses modes de représentations :
- identification rétrospective des types, des
configurations urbaines et architecturales exogènes, endogènes, mixtes, y compris
celles issues des nouvelles dynamiques
(relevés, recherches de plans, reconstitution
historique selon cas, genèse et analyse des
transformations) ; - élaboration d’une cartographie diachronique et d’une analyse
comparative d’un corpus couvrant plus d’un
siècle de cartes, de plans « constats » et « projets », de photographies aériennes, d’images
satellitaires (intégration dans un SIG) ; - Une
série d’enquêtes de cas de certains acteurs
des éléments représentatifs des phénomènes
(chronologie, logique et modèles des projets).
15
Siem Reap - Invention et constitution
d’un lieu de tourisme aux portes d’Angkor
Les perspectives de développement
touristique consécutives à l’inscription
d’Angkor au patrimoine mondial suscitent l’aménagement du territoire pour le
tourisme. Ce dernier s’afϔirme comme un
outil du renouveau économique du pays,
mais aussi de son ouverture à l’étranger.
Angkor faisant l’objet d’un strict régime
de protection, ces aménagements ont
Siem Reap comme lieu d’implantation
privilégié.
Au début des années 1990, le Cambodge
avait des infrastructures inadaptées au
tourisme international. De plus, Angkor
n’avait été visité que par un nombre
limité de touristes : le développement
du secteur, débutant entre les années
1950 et 1970, avait était interrompu
par les Khmers Rouges. Ainsi, lors d’une
première phase (1992-1999), qui suit le
classement d’Angkor, les interventions
sont-elles faites sous le signe de « l’urgence » : construction d’une première
génération d’hôtels, aménagement de
guest houses, amélioration de l’accès. A in
de favoriser le redémarrage économique
du Cambodge, l’objectif est l’augmentation du nombre de visiteurs par l’offre
d’infrastructures de base1.
Par la suite, les élections générales au
Cambodge (1998) et son entrée dans
l’ASEAN (1999) favorisent une nouvelle
politique basée sur des objectifs quantitatifs, comme la prolongation des séjours.
Aussi, à cause de la crise des économies
asiatiques, le Cambodge manifeste-t-il le
souhait de développer un secteur touristique plus diversi ié, et donc plus fort
face aux aléas du scénario international2.
Ainsi, l’ambition pour Siem Reap/Angkor,
à partir de 2000, vise-t-elle à améliorer
la qualité de l’accueil et à mettre en place
des attractions « autres » que les temples. De nombreuses infrastructures sont
implantées dans la ville, mais aussi des
équipements culturels, ludiques et sportifs. Certains lieux sont valorisés pour la
fréquentation touristique. De nouvelles
pratiques voient le jour : les manifestations culturelles et l’éco-tourisme, les
activités sportives. Face au patrimoine
majeur d’Angkor, la ville de Siem Reap est,
au cours des premières années, un lieu
d’accueil et de service. Ensuite, le changement des politiques et le climat favo-
1 Cf. Ministère de la Planification, Premier
Plan de Développement du Cambodge, 1996.
2 Cf. Ministry of Tourism, Report on recapitulation of Tourism Year 1998-2002, 2003.
3 Cf. Urry, J. (2002), The tourist gaze, London,
Sage Publications ; Holden, A. (2005), Tourism
16
Thèse en cours : Adèle Esposito
Directeur et codirecteur : Pierre Clément, Charles Goldblum
École doctorale Ville et Environnement, ENPC, Université de Paris VIII.
rable aux investissements contribuent
à modi ier les façons dont on intervient
dans la ville. Nous formulons l’hypothèse
que Siem Reap engage, au cours des toutes dernières années, un changement de
« vocation » : de lieu d’accueil dans « les
coulisses d’Angkor », elle s’af irmerait
comme lieu de tourisme à part entière.
Cette « transition » se baserait sur une
évolution des façons de concevoir Siem
Reap, qui deviendrait un cadre agréable
pour des visites et des activités de loisir. La
prise en compte de la ville en fonction des
demandes d’une clientèle « extérieure »
reste constante ; en revanche, le contenu
de ces demandes évoluerait. Pour enquêter sur ces processus, nous nous référons
à la notion du « regard » employé dans
la recherche en matière de tourisme3 :
la perception des qualités des lieux est
« socialement construite » par les acteurs
de l’aménagement et de la promotion. La
reconnaissance de l’intérêt touristique
commence en amont du voyage, à travers
la promotion du site par les images et les
représentations mentales qui guident
ensuite l’expérience du touriste : ainsi, les
lieux qui con irment ces images sont-ils
mis en valeur ou créés ex nihilo.
À Siem Reap/Angkor, la création de cette
imagerie commence avec les explorateurs
du XIXe siècle. Bien que focalisée sur la
magni icence d’Angkor, elle touche la ville,
à laquelle on attribue un charme exotique
et pittoresque. La continuité de ces images
contribuerait à fonder la relation entre
Siem Reap et Angkor qui, tout en étant
hiérarchique, est loin de se limiter à une
simple exaltation du site archéologique
versus l’ignorance de la ville4. Ensuite, par
l’introduction de la logique de développement touristique, cette relation devient
aussi de complémentarité fonctionnelle
: tandis qu’Angkor fait l’objet de la reconnaissance internationale, Siem Reap est
un lieu « utilitaire ». Il est alors question
de voir comment la relation entre Siem
Reap et Angkor est fondatrice de la création urbaine et la prise en compte du
patrimoine pour le tourisme5. Le regard
découvre une nouvelle perception de la
ville. Nous désignons sous le terme d’invention – action de créer par l’imagination – les projets fondés sur celle-ci. Ainsi,
Siem Reap serait-elle inventée comme
lieu de tourisme. Le nombre et la portée
de ces interventions étant exceptionnels,
nous considérons que celles-ci auraient
non seulement un rôle transformateur,
mais aussi « refondateur » aboutissant à
la constitution des formes du lieu de tourisme6 .
Nous enquêtons sur la culture de ces
projets, les processus auxquels ils participent, les formes, les pratiques spatiales
engendrées. Les acteurs – auteurs/promoteurs de projets – exerçant un regard
particulier, témoignent des intérêts pluriels opérant sur la ville, et la transforment en un lieu de convergence d’enjeux
complexes entre projets ayant des cultures et des stratégies hétérogènes.
Depuis les années 1990, les projets de
développement urbain par des équipes internationales ont rencontré de
nombreuses dif icultés de réalisation.
Entretemps, la ville est fabriquée par l’initiative privée : le décalage entre la ville
projetée et sa factualité nous semble être
alors une approche pertinente tant pour
les projets de fabrication urbaine que
pour ceux prenant en compte le patrimoine urbain en vue de sa valorisation
touristique. Dans ce contexte, le déploiement des infrastructures touristiques
et leur évolution sont une clé de lecture
du développement urbain accéléré, de
la recomposition des tissus constitutifs,
ainsi que des dynamiques foncières.
Aussi, considérons-nous ces infrastructures en tant que formes architecturales, en nous focalisant sur les lieux d’hébergement – hôtels et guest houses. Les
cultures locales possédant peu de modèles
d’hôtels, nous abordons la question de leur
création dans la relation dynamique entre
l’« importation » de références et modèles
– leur appropriation et réélaboration et la
prise en compte de la localité. Ensuite, nous
enquêtons sur les processus par lesquels
l’habitat est adapté à la fonction de guest
house, ainsi que sur des constructions plus
récentes qui semblent fondées sur la reproduction de modèles. En in, il semble que
les formes du tourisme participent à un
processus plus large d’innovation architecturale qui intéresse l’habitat : nous les
abordons donc en tant que vecteurs de
signes de nouveaux modes d’habiter ainsi
que de références formelles.
studies and the social sciences, Routledge.
4 Cf. Mouhot, H. (1872), Voyage dans les
royaumes de Siam, de Cambodge, de Laos et
autres parties centrales de lindochine, Genève,
Olizane ; Loti, P. (1912), Un pèlerin dAngkor,
Paris, Calmann-Lévy Editeurs.
5 Pour la prise en compte du patrimoine par
le tourisme, un des principaux axes de notre
,
recherche, nous renvoyons à l article paru
dans ce même bulletin.
6 Cf. Equipe MIT (2005), Tourismes 1, Lieux
Communs, Belin, Paris.
Recherche
Patrimoine Introduction
L’intérêt que l’on porte à Siem Reap, qui justiϔie la création d’un observatoire, tient
à sa proximité avec Angkor mais aussi à sa transformation au cours des quinze dernières années en un « espace servant » du site, pour reprendre la formule employée
par Charles Goldblum.
Au premier abord, cette relation entre Siem Reap et Angkor, ainsi déϔinie, pourrait
relever d’une confrontation entre un site archéologique et historique majeur, qui
allie symbolique nationale et renommée internationale, avec une modeste ville
de province, dévolue à l’accueil des visiteurs. Le développement actuel de Siem
Reap, comme sa fonction d’espace servant, serait le résultat d’une sorte de « choc »
suscité par cette confrontation entre deux espaces de nature différente, un espace
archéologique et un territoire urbain, le premier réservé à la conservation, le second
au développement économique. La confrontation semble cependant se faire aussi
entre un patrimoine monumental – celui d’Angkor dont les vestiges, qui répondent
à la déϔinition du concept de « monuments historiques », sont immédiatement identiϔiés comme tels – et un ensemble urbain (que la culture occidentale qualiϔierait
d’ailleurs plus volontiers de villageois) dont les qualités spatiales, comme l’évolution
de la notion de patrimoine, aurait dû leur permettre d’acquérir le statut de patrimoine à divers titres : architectural, urbain, paysager.
Or, cette confrontation semble se faire au
détriment de ce patrimoine plus modeste,
balayé par le développement et la soif de
modernisation, faisant ainsi mentir cette
évolution de la notion de patrimoine qui,
théoriquement, lui réserve une place
dans son souci de protection. Il s’établirait ainsi comme une sorte de rapport
de forces qui opposerait le monument
au vernaculaire, à l’habitat, aux petits
« monuments » – vat ou équipements
administratifs qui ont participé de la
structuration de l’espace physique comme
de l’espace social de la ville –, au paysage,
comme si les monuments d’Angkor euxmêmes ne participaient pas de ce paysage. On observe donc aussi une scission
entre le territoire du site et celui de la
ville, une opposition entre le monument
et un patrimoine « ordinaire » potentiel,
qui, lui, n’est guère protégé. Peut-être et
sans doute parce que ce patrimoine ordinaire n’est pas encore totalement identifié comme tel ou imparfaitement. Non
pas tant qu’aucune valeur patrimoniale
n’ait été reconnue à la ville et à son environnement : le ZEMP la classe en zone 3,
c’est-à-dire en paysage culturel protégé.
Dès le démarrage de la campagne de
sauvegarde d’Angkor, nombreux furent
les experts à souligner ses qualités et à
prôner sa protection ; leur intérêt pour
1 Ce souci de protection est sous-entendu
,
dans l élaboration du plan directeur de Siem
,
,
Reap par l équipe d ARTE-BCEOM en 1995.
Siem Reap est cependant resté largement
subordonné à Angkor. C’est la proximité
d’Angkor qui justifie que l’on se soucie de
protéger la ville (ne serait-ce que parce
que c’est cette proximité qui la menace )
car protéger Siem Reap, c’est aussi protéger l’environnement élargi du site. C’est
d’ailleurs bien souvent parce que la ville
participe de cet environnement que l’on
déplore sa destruction en cours, perçue,
à juste titre, comme une menace pour le
site. La question est donc de savoir si l’on
accorde à Siem Reap une place et une
valeur intrinsèques ou si elle est condamnée à n’exister que par rapport au site, à
la fois cadre et environnement acceptables pour Angkor, mais volontiers sacrifié
au profit du développement économique
et de la modernisation. Confronté à un
patrimoine monumental, le patrimoine
mineur peine à se faire reconnaître.
Le cas de Siem Reap permet donc d’aborder une série de problématiques touchant au patrimoine. Parmi lesquelles,
nous noterons en premier lieu la dichotomie entre un certain regard occidental
qui identifie dans un ensemble urbain un
patrimoine potentiel et une volonté de
développement économique qui ignore
cette possibilité. Au demeurant, cette
volonté de développement peut être portée aussi bien par des acteurs locaux qui
souhaitent accéder à la modernité que
par des investisseurs internationaux ; en
second lieu, nous remarquerons la faiblesse d’un patrimoine mineur face à un
patrimoine monumental, comme aussi
les limites d’une extension de la protection à de très vastes territoires, comme
c’est le cas à Angkor, face aux impératifs
de développement.
C’est la raison pour laquelle, nous proposons de développer ce sujet dans ce
premier numéro du Bulletin de l’Observatoire. Nous présentons tout d’abord le
cadre législatif de la protection du site
d’Angkor et de ses environs, qui a actuellement cours, à travers le plan de zonage
et de gestion de la région de Siem Reap
/Angkor (ZEMP), élaboré en 1992-93.
Adèle Esposito évoque ensuite la patrimonialisation de certains secteurs de
Siem Reap par le regard de l’autre, en
l’occurrence les touristes. Elle aborde la
question de l’adaptation, de l’exportation
de la notion de patrimoine, mais aussi de
l’influence de ces visiteurs que sont les
touristes à travers l’attente qu’on leur
prête, ce qui suscite tant de la part des
investisseurs privés que des autorités
des actions en faveur de la ville, encore
très balbutiantes, il faut le reconnaître.
Enfin, Aline Hétreau-Pottier, dans une
série d’articles, se prête à l’exercice de
l’inventaire, inventaire de ce qui contribue aux qualités spatiales de Siem Reap
et qui, par conséquent, serait susceptible
d’être identifié, puis reconnu et enfin protégé. Dans un premier texte, le paysage
de la plaine d’Angkor dans lequel s’insère Siem Reap est évoqué, démontrant
le risque de rupture dans la continuité
territoriale, existant entre le site et la
ville, que son développement incontrôlé
est susceptible de provoquer. Enfin, Aline
Hétreau-Pottier, à travers une analyse
des différents types d’architecture présents à Siem Reap (du village au chef-lieu
de province du Cambodge indépendant
en passant par la période du protectorat)
établit un inventaire soigneux du patrimoine potentiel de Siem Reap, dont elle
déplore le risque de disparition.
Inès Gaulis
17
Recherches
Patrimoine
Le ZEMP et la délimitation du site d’Angkor
À la demande du gouvernement cambodgien, se met en place au début des années
1990, le projet de sauvegarde du site d’Angkor, rapidement associé avec celui de
l’inscrire sur la liste du Patrimoine mondial de l’UNESCO. Cette entreprise désigne
alors la région d’Angkor/Siem Reap à l’attention de la communauté internationale
qui va apporter son appui à la protection du site, bien souvent avec le soutien de
l’UNESCO.
Si, à cette occasion, l’attention s’est naturellement portée sur les monuments
déjà répertoriés, on a aussi considéré la
région tout entière du fait des principaux
objectifs affichés par le gouvernement
cambodgien : la conciliation de la conservation des monuments et du développement économique vivement souhaité de
la région, lequel serait induit par l’augmentation attendue du tourisme.
Le projet de sauvegarde d’Angkor, ainsi
lancé, est marqué par sa grande échelle :
nombre des vestiges à protéger, ampleur
de la région considérée, complexité des
objectifs de ce projet de sauvegarde,
qui devait concilier protection et développement, un développement que l’on
voulait respectueux des milieux naturels,
humains et culturels. L’ambition du projet est donc proportionnelle à l’importance du rôle économique et culturel
qu’il revêt.
Détail de la carte général du ZEMP, ministère de la Culture et des Beaux-Arts.
Royaume du Cambodge-UNESCO, Angkor GIS 1994
L’ensemble de la région de Siem Reap, à l’exception des zones 1 à 4, étant classé en zone 5, celleci n’est que partiellement représentée sur la carte ci-contre.
Zone 1 : site monumental (monuments
historiques et sites archéologiques du
Domaine national)
Zone 2 : réserve archéologique protégée
(zone tampon autour du site monumental)
1 Décret royal du 28 mai 1994 (001/NS).
2 Soit les seules zones 1 et 2. Pour certains, dans la mesure où le zonage concerne
la région tout entière, celle-ci devrait être
considérée comme globalement inscrite sur la
liste du Patrimoine mondial.
18
Zone 3 : paysages culturels protégés (environnement portant la marque de l’intervention humaine à travers le temps)
Zone 4 : points d’intérêt archéologique,
anthropologique ou historique (sites repérés ou à repérer, dont l’importance ne peut
être reconnue que par des recherches sur
le terrain)
Zone 5 : périmètre de développement
socio-économique et culturel de la région
de Siem Reap Angkor.
Le site d’Angkor est inscrit à titre provisoire sur la liste du Patrimoine mondial en
1992 comme sur la liste du Patrimoine en
péril dont il sera retiré dix ans plus tard.
Cette inscription est soumise à conditions,
notamment l’établissement d’un plan de
gestion et de protection. Pour répondre
à cette dernière condition, une étude
pluridisciplinaire est lancée, le ZEMP
(Zoning and Environmental Management
Plan for Angkor Area). Cofinancée par le
Programme des Nations Unies pour le
Développement, l’UNESCO et la Suède,
elle concerne un territoire de 5.000km²,
allant des Monts Kulen au Tonlé Sap, rapidement porté à la totalité de la province
d’Angkor/Siem Reap (10.000km²). Celleci sera alors étudiée tant du point de vue
des vestiges qu’elle recèle que de son
environnement naturel, sa population,
ses implantations villageoises et urbaines. Cette étude aboutira à un décret
qui découpe la région en cinq zones
distinctes, correspondant à différents
degrés de protection : (voir ci-contre)
Le classement au patrimoine mondial
concerne un territoire de 401km² qui
reste habité. Celui-ci est divisé en trois
parties. La première (351km²), le site
d’Angkor proprement dit, est composée
d’une combinaison de la zone 1 et de la
zone 2. L’ensemble forme un vaste quadrilatère englobant les baray occidental
et oriental. Au nord, se trouve la zone
de protection du temple de Banteay Srei
(20km²) et au sud-est, le site de Roluos,
(30km²). Le décret délimite des corridors visuels (zone3) qui assurent une
liaison entre les sites et protègent des
périmètres particuliers comme les cours
des rivières, incluant notamment le centre de Siem Reap.
La zone 4 est réservée aux sites isolés ou à
venir et implique un degré de protection
équivalent à celui de la zone 2. La zone 5
concerne, elle, le reste du territoire de la
province de Siem Reap.
Les zones 1 et 2 sont non aedificandi et
propriété de l’Etat. La zone 1 est réservée à la protection et à la mise en valeur
du site monumental. Les seuls aménagements autorisés sont liés à l’organisation
des visites. En zone 2, les projets de développement sont limités à la protection, à
la mise en valeur des sites archéologiques
et à la conservation des modes de vie
locaux. Les villages anciens sont maintenus mais ne peuvent être agrandis.
dures spécifiques d’approbation et de
révision des projets de développement,
incluant une étude d’impact sur l’environnement et une étude archéologique,
sont prévues et des fouilles de sauvetage
préalables à tout projet peuvent être
ordonnées.
Ce classement implique l’exercice d’un
contrôle de l’administration (l’Autorité
nationale APSARA qui assure la gestion de
la région). Inscrit au Patrimoine mondial,
Angkor bénéficie cependant de la double
vigilance des autorités cambodgiennes et
de la communauté internationale.
Inès Gaulis
Dans tous les sites protégés, des procé-
Paysages et réseaux : patrimoines en transition
Au début des années 1990, les auteurs
des différents rapports d’études de la
région vantaient, parmi les multiples
valeurs d’Angkor, le caractère singulier
de la ville de Siem Reap. Étaient en particulier soulignés son inscription dans
l’environnement rizicole, le charme de
sa rivière et l’écrin végétal qui enveloppait les chapelets de villages traditionnels et leurs pagodes, ou encore les qualités urbaines, spatiales et paysagères de
son centre-ville. Les experts appelaient
alors à la mise en place d’un développement respectueux de la ville. Dans cette
perspective, dès 1994, le décret royal,
portant sur le zonage et la protection
de la région d’Angkor, intègre l’ensemble du tissu villageois et le centre urbain
dans une zone de « paysages culturels »
protégés, qui s’étend du parc d’Angkor
jusqu’au lac Tonlé Sap. Les appareils
législatifs et de gestion de cette zone ne
sont alors pas déϔinis.
Le terroir de Siem Reap recouvre un
réseau de structures qui remontent en
partie à la période angkorienne. Quelques
tours de briques et de grès et des ruines
éparses en constituent les vestiges les
plus évidents. Elles sont encore visibles
dans certains monastères de la ville.
Digues et canaux, dont l’actuelle rivière
de Siem Reap, strient la région, ponctuée
de bassins toujours en eau, de tertres, de
douves, de sanctuaires disparus et d’anciens terre-pleins. À ces vestiges archéologiques, correspond une végétation
spécifique qui les rend reconnaissables
dans le paysage.
Un réseau de structures viaires et hydrauliques traditionnellement imbriquées
les unes dans les autres s’est constitué
et développé, de moins en moins visible
sur le terrain. À l’origine, tant les grandes routes digues, telle la RN6, que les
simples pistes de villages étaient bordées
de canaux favorisant le drainage, d’une
végétation généreuse et d’habitations
largement en recul. Le paysage urbain
Carte des réseaux, © JICA, 2005, adaptation Aline Hétreau-Pottier.
Rue du quartier administratif, bordée d’arbres
de hautes tiges. (A. Pegaz-Fiornet, 2005)
19
Route et canal (ARTE, 1994).
et rural et son réseau viaire étaient le
résultat d’un équilibre fragile entre la
présence de l’eau, d’un écrin végétal et
d’habitations.
Durant les périodes du Protectorat et de
l’Indépendance, une présence végétale
importante et une faible densité du bâti
caractérisent les aménagements urbains.
Le long des voies urbaines, au bord de
la rivière et dans le jardin du Grand
Hôtel, des plantations d’arbres de hautes
futaies et d’espèces variées conservent et
renforcent le couvert végétal. Ce paysage
végétal est en osmose avec le couvert
végétal des villages (arbres fruitiers)
et des temples (forêt sempervirente).
L’enchaînement végétal entre forêt, campagne et ville atténue le caractère urbain
de ce petit siège administratif provincial
et noyau marchand. En ce sens, Siem Reap
renvoie l’image d’une ville jardin où seule
la partie marchande, plus dense et minérale, contraste avec les autres secteurs de
la ville. C’est aussi une ville aérée car les
bâtiments administratifs et résidentiels
sont implantés au milieu de larges parcelles ouvertes ou parfois délimitées par
de simples clôtures basses.
Si par le décret du ZEMP, Siem Reap est
reconnue comme l’une des zones culturelles protégées, le dispositif qui devait
accompagner ce statut est resté vague.
Bien que les diverses facettes patrimoniales de la ville aient été alors identifiées et prises en compte par la suite par
certains schémas directeurs, les autorités
ne leur ont pas apporté la considération
qui aurait pu guider les aménagements et
les extensions urbaines.
Si le caractère végétal, la faible densité
du bâti, la présence de l’eau et les nombreuses structures archéologiques participent à la constitution d’un patrimoine
singulier, la présence voisine d’Angkor
relègue ce patrimoine aux domaines du
non-monumental. Le patrimoine paysager aurait pu être valorisé et exploité
mais faute de reconnaissance locale de
sa valeur, en une décennie, bien de ces
structures et caractéristiques ont disparu
sous le coup du développement rapide de
la ville. Le dernier schéma directeur n’offre aucun espoir dans ce sens. Certes, le
parc du Grand Hôtel, de la Conservation
d’Angkor, de certains monastères et les
berges de la rivière font illusion. Les autorités ont récemment amorcé la remise en
valeur de la partie centrale de la rivière
à des fins essentiellement touristiques.
Mais ces travaux ne suffisent pas à ralentir une tendance lourde à la dégradation
globale et irréversible du paysage végétal, hydraulique et archéologique dans
l’ensemble de la ville. Au comblement
des canaux et des anciens bassins, succède la destruction des anciens tertres
angkoriens, rasés pour la vente de leurs
remblais. Certaines constructions privées
empiètent sur l’espace public avec leur
Piste de village bordée de canaux (A. Hétreau-Pottier, 2007).
20
aménagement de parking, leur extension ponctuelle, le tout au milieu d’une
densification générale des parcelles et
de constructions désormais en limite de
voierie aux dépens des jardins privés.
Ce phénomène s’étend sur l’ensemble
de la ville et de son territoire proche. La
végétation et l’eau ne trouvent plus leur
place.
Le cas de la route nationale n°6 est significatif de ces transformations. Marquant
l’entrée de la ville pour les nombreux
visiteurs venant de l’aéroport, cette voie
large de 60 mètres était bordée d’arbres,
de canaux puis d’une seconde rangée
végétale faisant partiellement écran aux
constructions édifiées en retrait. En une
décennie, la pression spéculative et le
désintérêt pour la protection de cette
configuration équilibrée ont eu raison
de cet agencement et d’une large part de
l’espace public associé. Les canaux comblés et la végétation décimée ont laissé
place à des aires de stationnement, de
stockage, de petits commerces, de jardins
« kitschs » et de gigantesques panneaux
publicitaires. Enfin, l’abandon du retrait
des constructions achève de détruire
l’aspect paysager originel au profit d’un
front quasi continu en limite de propriété. Ce phénomène semble désormais
se propager au nord où il altère profondément la transition entre la ville et le parc
d’Angkor. En arrière des axes majeurs, la
dégradation du cadre végétal se poursuit en relation proportionnelle avec la
valeur foncière, densifiant, morcelant
et clôturant les parcelles avec des murs
désormais hauts, minéraux et opaques.
L’évolution du réseau viaire est un autre
aspect de la dégradation des structures
paysagères. À la réouverture du pays,
le développement urbain se concentre
le long des deux principaux axes routiers, la route nationale n°6 et la route
des temples où se trouve désormais la
Canaux le long de la nouvelle route des temples
(A. Hétreau-Pottier, 2007).
majorité des gros hôtels et des espaces
commerciaux. Des travaux de rénovation
et d’extension financés par des institutions internationales élargissent ensuite
le potentiel de développement urbain :
réfection de la RN6, construction d’une
route desservant la cité hôtelière, voies
contournant le parc et la ville. La saturation des deux grands axes traversant
la ville et la spéculation foncière ont
motivé le renforcement et surtout la
création d’un réseau de voies secondaires. Ce réseau a été rapidement élargi
par une autre série d’extensions qui se
sont opérées à un rythme d’autant plus
soutenu qu’elles étaient motivées par des
initiatives privées et des investissements
spéculatifs, sans tenir compte dans leurs
tracés des configurations traditionnelles.
Alors que la ville s’étend dans toutes les
directions en annexant de vastes espaces
agricoles, les rizières qui constituaient
l’horizon traditionnel du paysage urbain
disparaissent dans de vastes zones de
friches. Le fragile équilibre entre l’eau,
le végétal, l’architecture et les héritages
angkoriens est menacé.
Alors que le paysage de Siem Reap constituait un trait d’union entre la campagne,
la ville et Angkor, aujourd’hui l’harmonie a pratiquement disparu pour laisser
Extension du réseau secondaire dans le territoire agricole (C. Pottier, 2006).
Coupe de principe sur la RN6. Source originelle (retouchée) © rapport ARTE BCEOM,
Plan d’urbanisme de référence et projets prioritaires, nov. 1995.
place à un environnement déstructuré.
Ceci n’est guère prometteur en ces temps
de développements durables.
Aline Hétreau-Pottier
La prise en compte du patrimoine urbain
par le tourisme
Durant les premières années de développement touristique, correspondant au
premier plan de développement national
(1996-2000), la volonté de préparer le territoire de Siem Reap Angkor à l’accueil des
touristes, par la création d’infrastructures
et l’amélioration de l’accessibilité, est primordiale dans un pays qui sort d’une longue période de guerre¹.
La ville de Siem Reap devient le lieu
d’implantation privilégié de ces infrastructures. Ainsi, tout en faisant l’objet
d’une réflexion sur ses qualités urbaines
et paysagères dans le cadre du ZEMP, la
question de l’héritage urbain reste-t-elle
marginale dans les processus de fabrication et de transformation de la ville, par
rapport aux impératifs d’une stratégie
touristique visant à emmener sur le site
le plus grand nombre de touristes. Par
la suite, au tournant de l’année 2000²,
après la crise des économies asiatiques,
un changement intervient dans les politiques nationales : la volonté de rendre
l’économie touristique moins assujettie
aux aléas du scénario international et
celle de diffuser ses bénéfices auprès de
21
couches plus larges de la population se
manifestent dans des stratégies visant le
prolongement des séjours sur place et la
diversification de l’offre, en particulier
dans la région de Siem Reap Angkor. Il
s’agit alors de mettre en place des activités qui sont de l’ordre du loisir et du
divertissement. Dans les discours des
acteurs, tant des autorités nationales
que de ceux de la coopération internationale³, apparaît alors la nécessité d’offrir
un cadre agréable et esthétique, pour
que ces activités soient véritablement
attractives. En nous fondant sur les politiques touristiques et les stratégies qui
les véhiculent, nous pouvons formuler
l’hypothèse qu’un changement apparaît
dans la prise en compte de la ville et de
son héritage bâti et paysager. Il s’agira
ici de déterminer le rôle des différents
acteurs dans ce processus et les façons
dont ils interviennent sur l’espace.
L’UNESCO, organisme international qui
s’est fait porteur de la déclaration de la
valeur patrimoniale universelle d’Angkor,
a tardé à se pencher sur la question du
patrimoine urbain du Cambodge, certes
mineur mais non négligeable. Pourtant, il
a récemment commencé à afficher, dans
ses discours , un rôle de sensibilisation
à la prise en compte de l’ensemble du
patrimoine du pays et d’encouragement
à la création d’un cadre institutionnel
pour sa protection. Il a, à ce sujet, animé
un séminaire sur la préservation de
l’héritage urbain national en 2006, où il
a exprimé sa conception : le patrimoine
dépasse les classements, il est étendu
à l’ensemble du territoire et comprend
tout regroupement de bâtiments, structure ou espace ouvert, en milieu urbain
ou rural, dont la valeur est reconnue. Audelà des discours, alors que l’UNESCO a
joué un rôle essentiel à Angkor de par
son classement, l’attention accordée à
l’héritage urbain ne se traduit pas en pratiques. La nécessité, exprimée dans les
discours de cet organisme, d’inventaires,
lois et mesures de contrôle reste insatisfaite. La seule étude du patrimoine de
Siem Reap, par F. Mauret (1997), n’a pas
eu de suite. Ainsi, faute d’identification et
de classification, l’héritage bâti se révèle-
1 Cf. Ministry of Planning, First Socio-Economic
Development Plan 1996-2000, Phnom Penh,
février 1996.
2 Cf. Ministry of Tourism, Report of Tourism
Year 1998-2002 and Action Plan 2003, et les
plans de développement 1996-2010.
22
t-il extrêmement fragile face au développement actuel de la ville. C’est pourquoi
sa prise en compte passe d’abord par
l’action individuelle d’acteurs privés. Le
Vieux Marché, premier lieu de tourisme
dans la ville, en est un bon exemple : l’initiative privée est à l’origine des premiers
aménagements à la fin des années 1990.
L’adaptation du quartier aux nouvelles
fonctions touristiques se fait à travers la
mise en place de dispositifs, typiques de
tout lieu de tourisme : la promenade, à
laquelle les rues commerçantes s’adaptent, les lieux de rencontre – terrasses
de bars et restaurants – où de nouvelles
formes de sociabilité se développent et,
très récemment, un passage couvert, qui
semble reprendre le célèbre modèle parisien . Ce quartier n’étant pas protégé par
des normes de construction ou de transformation du bâti (tout en l’étant formellement par le ZEMP), les acteurs privés
et les professionnels embauchés suivent
leur goût personnel dans les choix d’aménagements et d’architecture. Dans cette
variété de volontés individuelles, ces
acteurs semblent échapper à l’arbitraire
des critères d’intervention en partageant
un certain souci d’esthétisme, qui cherche
à agréer le regard touristique : le cadre
en est le bâti colonial, auquel ces acteurs
attribuent des qualités esthétiques. Alors
qu’au début du XX siècle les quartiers
coloniaux étaient considérés uniquement
pour leur fonctionnalité, leur historicisation leur confère une qualité nouvelle :
en particulier, leur architecture d’inspiration occidentale présente un certain
exotisme. Celle-ci se prête bien à la
composition d’un cadre familier pour les
touristes, tout en inspirant « l’ailleurs ».
Les interventions jouent donc la conciliation entre ces deux termes – familiarité
et exotisme – qui deviennent fondateurs
de « l’embellissement » du quartier. Les
acteurs privés seraient donc les premiers
à formuler un discours sur les qualités du
bâti et à le traduire en aménagement. Ce
discours se met au service de la satisfaction de la demande touristique, « filtre »
à travers lequel les qualités de l’héritage
sont perçues. Les acteurs privés comblent
le vide qui s’est instauré entre des théories patrimoniales, issues d’un contexte
international, et pas encore « assimilées »
par le Cambodge, un cadre institutionnel
défaillant et une conscience locale encore
tâtonnante. Une piste de recherche intéressante est donc l’éventuelle influence
des conceptions fondant les interventions privées sur celles qui président aux
politiques et aux interventions sur la ville
menées pas les autorités, et qui contribueraient à ce changement de la prise
en compte de la ville que nous évoquons
ici. Nous prenons comme argument la
rivière de Siem Reap. Selon le ZEMP, il
s’agit d’un paysage culturel protégé : ses
eaux étaient sacrées et primordiales dans
l’aménagement de la région d’Angkor,
comme pour l’irrigation. Le plan protège
une aire équivalente à la quasi totalité du centre historique de Siem Reap.
Pourtant, aucune pratique n’est venue
conforter cette déclaration d’intention.
Récemment, APSARA a promu, dans le
cadre du CIC, un projet d’aménagement
de la rivière et de ses berges dans l’objectif de créer une promenade touristique
qui deviendrait le prétexte à la mise en
valeur de la totalité de l’héritage de Siem
Reap : les pagodes, les villages, la ville
coloniale, les rizières… La rivière ayant
été le premier axe structurant de la ville,
elle devient, dans les discours officiels, le
pivot de la prise en compte de son héritage. Parcours privilégié des voyageurs
des XIX -XX siècles vers Angkor, son rôle
de couloir d’accès aux temples doit être
préservé. Pourtant les interventions en
cours sont modestes : nettoyage, relogement des squatteurs, plantations et mobilier urbain. Des acteurs privés aux autorités, l’objectif encore une fois manifesté
dans les discours est la création d’un paysage « attirant », d’un « panorama épatant
pour les touristes » . Dans la conscience
de la valeur patrimoniale, le fil conducteur reste la recherche de propreté, d’ordre et de décor. Ainsi, le tourisme est-il
le sauveur d’un héritage orphelin car il
motive les acteurs à sa prise en compte,
tout en représentant un danger pour son
intégrité face à la servilité imposée par le
regard de l’autre.
3 Nous faisons référence aux documents évoqués ci-dessous, aux discours des acteurs qui
interviennent au Comité de Coordination pour
la Sauvegarde et le Développement du Site
dAngkor, ainsi quà létude élaborée pour le
Master Plan de Siem Reap, JICA (2006).
et à un entretien avec Mr T. Jinnai, responsable du bureau UNESCO de Phnom Penh, 2007.
4 Cf. Actes du séminaire The preservation of
Urban Heritage in Cambodia, 16-17 Janvier 2006
Adèle Esposito
5 À ce propos, voir Equipe MIT, Knafou (dir.),
(2005), Tourismes 2. Moments de Lieux, Berlin,
Paris
6 Source : www.apsara.org.
Patrimoine architectural en péril : édiϔices publics des années 1953-1970
Les années qui suivent l’Indépendance
marquent une volonté à l’échelle nationale de moderniser l’image du pays. Alors
que de grands efforts en faveur de l’urbanisme sont réalisés à Phnom Penh, Siem
Reap ne témoigne que modérément de
cet élan. Cependant quelques bâtiments
illustrent ce courant de création architecturale de style moderne : par exemple, le tribunal (1958, Seng Suntheng), la
Villa princière (1963, Laurent Mondet),
le stade « Preah Vihear », plusieurs écoles dont le lycée Suryavarman II (1959),
le terminal international de l’aéroport
(1963, Vann Molyvann). L’architecture
des années 60 et l’utilisation privilégiée du béton apportent une nouvelle
silhouette à l’architecture khmère. La
tradition culturelle est réinterprétée
et se métamorphose dans l’architecture moderne adaptant la grammaire
architecturale ancienne aux contraintes climatiques du pays, conjuguant
ventilation naturelle (pilotis, impostes
ϔilantes, pièces traversantes, courant
d’air froid/chaud) et système de protection contre le soleil et la pluie. Cette
architecture exogène s’adapte au cadre
paysager et climatique du pays : l’édiϔice se distingue par une architecture
aux lignes sobres, faite de toiture-terrasse et d’ornements fonctionnels et
minimalistes. Des jeux de volume, de
transparence et d’écrans apportent des
solutions climatiques. Des éléments tels
que les brise-soleil, les auvents et les
claustras de diverses hauteurs participent à la composition architecturale des
façades, rythmées par des pans de murs
en pierre apparente. Le « modernisme
tropical » marque ces années qui suivent
l’indépendance.
Mais ce patrimoine important est actuellement en péril. Le risque de voir disparaître ces constructions est grand car elles
appartiennent pour une grande majorité
à l’État qui accentue depuis quelques
années sa politique de vente de terrains
et d’édifices publics. Le visiteur peut
encore apprécier certains d’entre eux,
restés dans leur environnement d’origine. Beaucoup sont malheureusement
détruits, défigurés ou en sursis. La liste
des destructions ne cesse de s’allonger.
L’ancien terminal de l’aéroport, témoin
de l’architecture originelle et audacieuse
de cette époque est resté longtemps dans
son état d’abandon ; il vient juste d’être
détruit. Le tribunal, édifice sur pilotis,
s’est retrouvé enserré entre deux nou-
veaux hôtels et un magasin de souvenirs ;
les services de la justice sont désormais
transférés en rase campagne. Il n’a pas
été immédiatement détruit, mais simple répit, il a aussitôt été transformé et
compartimenté. Le stade qui accueillait
des activités tant sportives que festives
a été vendu au secteur privé et le lieu
se transforme en un vaste projet de
compartiments.
Par contre un bel exemple de rénovation
de cette architecture des années 50 est le
lycée (devenu centre de formation provincial des professeurs). Rénové grâce à
des aides internationales, il a retrouvé
toute son ampleur originelle au milieu
d’un vaste espace paysager. Son architecture présente des jeux d’épaisseurs
séduisants sur les diverses façades : paresoleil, claustra, bandeaux débordants
et circulations extérieures. Mais il n’est
pas pour autant à l’abri d’une opération
Logement de la conservation d’Angkor
(A. Hétreau-Pottier, 2006).
immobilière dans un futur proche.
Quelques témoins de logement collectif de l’époque sont aussi à découvrir.
Le premier, dessiné par l’architecte
J. Dumarcay, fut construit pour les cadres
de la Conservation d’Angkor au sein de
celle-ci. Il est le résultat d’une réflexion
constructive mêlant maçonnerie et béton
afin d’obtenir un « confort sans ventilation ». Il développe en particulier « l’effet
de cheminée », une ventilation transversale directe avec une seule pièce en
épaisseur et une isolation par une double
toiture. Le sort de cet édifice dépend de
celui qui sera réservé à l’institution appelée à se transformer.
Centre de formation provincial des professeurs (A. Hétreau-Pottier, 2007).
distribution en coursive à l’étage. Habité
par plusieurs familles, cet édifice montre des modifications dues à un rajout
de sanitaires et de cuisines individuels
(à l’origine collectifs), et des extensions
de cabanes sur la façade arrière. L’espace
libre entre l’édifice et la RN6 se remplit
de petites échoppes. Sa situation centrale est attractive sur le marché foncier
et laisse présager une destruction rapide
qui n’a été empêchée que par faute d’entente entre tous les propriétaires.
Parmi les divers édifices de l’hôpital
provincial, un bâtiment est représentatif
des prescriptions hygiénistes amorcées
durant le protectorat. Son orientation
selon les vents dominants, sa galerie
ouverte sur les deux façades, ses ouvertures supérieures entre les chambres alignées assurent à l’édifice une ventilation
« hygiénique », qui renforce la protection
contre l’humidité tout en s’intégrant
dans son environnement paysager et
fonctionnel. Ici encore, le bâtiment est en
sursis, l’ensemble de cet hôpital risquant
Un des édifices de l’hôpital
(A. Hétreau-Pottier, 2007).
Le second exemple, situé à proximité de
la rivière, sur la route nationale 6 était
à l’origine destiné aux fonctionnaires.
Il est dans la logique de la ville ouverte.
Implanté en retrait, construit perpendiculairement à la parcelle, il offre une
23
Rénovation et reconversion
Avec la réouverture du pays, Siem Reap
est naturellement redevenue la porte
d’entrée du prestigieux site d’Angkor.
La ville possédait certains atouts pour
mener à bien les mutations rendues
nécessaires par l’accroissement des flux
touristiques. Cette mutation semblait
pouvoir se faire en harmonie avec son
histoire et son paysage, en évitant les
diverses « erreurs » de développements
régionaux voisins. Ceci passait entre
autres par la compréhension et la prise
en considération de son héritage propre, non monumental et fragile. Face
au grand héritage que représentent
les temples angkoriens labellisés patrimoine mondial, la place était réduite
mais réelle pour valoriser en contrepoint le patrimoine culturel, religieux et
naturel de cette petite ville.
Si les monuments d’Angkor, symboles
identitaires nationaux autant qu’icônes
patrimoniales internationales, ont bénéficié d’une mobilisation générale, les
menaces qui pèsent sur le patrimoine
plus modeste de Siem Reap sont réelles.
Elles sont d’autant plus fortes qu’il est
resté méconnu, sinon communément
ignoré au profit d’autres intérêts économiques, d’un développement touristique
non contrôlé et d’un urbanisme non planifié. Il est vrai que, au fil de son histoire,
Siem Reap n’a pas produit de monument
spectaculaire ni de véritable ensemble
patrimonial fort et facilement identifiable
en dehors peut-être de son vieux marché.
Elle est constituée d’un ensemble d’édifices de styles variés et d’époques différentes, inscrits dans des milieux et des tissus
divers : marchand, administratif et résidentiel. Dès 1992, une part importante de
la ville avait été identifiée et incluse dans
une zone de protection dite de « paysage
culturel » (zone 3). Faute d’actions, le
patrimoine architectural et paysager de
la ville demeure plus que jamais en péril.
Il n’est que rarement inscrit à l’ordre du
jour des réunions internationales patrimoniales ou dans l’agenda des diverses
études de schémas directeurs urbains qui
se succèdent. Lorsque le patrimoine de
Siem Reap est évoqué dans les discours
Le grand café,
Vieux Marché
(A. Hétreau-Pottier,
2007).
et les rapports d’experts, c’est essentiellement pour véhiculer une vision réduite
à l’image touristique d’une promenade
sur les berges ombragées de la rivière
entre le Grand Hôtel et le Vieux Marché
abusivement qualifié de « colonial ». Le
patrimoine urbain n’est considéré que
sous un angle touristique réducteur.
Ignorés et délaissés, les monastères
constituent pourtant un patrimoine réel
dont le potentiel touristique est à l’échelle
de son authenticité « khmère » et de sa
représentativité de la culture contemporaine. Si certains sanctuaires principaux
semblent pour l’instant préservés de la
destruction comme ceux de Vat Bo, Vat
Atvhear et Vat Damnak, nombre d’autres
moins centraux, comme celui de Vat
Aranh Sakor, s’altèrent progressivement.
C’est souvent dans l’attente d’être remplacés par une rutilante masse de béton
de proportions « modernes » ornemen-
Logement des Bonzes au monastère Vat Bo
(A. Hétreau-Pottier, 2007).
24
tée de motifs angkoriens comme dans le
monastère Vat Po Banthey Chey. Au sein
de leurs enceintes, l’environnement des
monastères se transforme aussi profondément avec le regain de religiosité que
connaît le pays. Des bâtiments secondaires, très spécifiques de l’architecture des
monastères comme les logements des
bonzes disparaissent au profit de la multiplication de nouvelles constructions
peu « en harmonie » avec les anciens
édifices.
Le patrimoine séculier domestique est
encore moins bien protégé : les maisons
en bois, implantées le long de la rivière
et dans les villages disparaissent régulièrement. Leur conservation semble plus
souvent liée à l’incapacité d’engager des
transformations (manque de moyens
ou conflit de propriété) qu’à une réelle
volonté de les préserver. Quelques cas
de rénovation et de reconversion font
parfois exception dans les zones résidentielles illustrant bien les possibilités
d’adaptation aux nouveaux besoins de
« modernisation ». Dans le centre ville
quelques maisons ont été aménagées en
guesthouse ou en restaurant comme le
Café Indochine.
Monastère Vat Damnak (A. Hétreau-Pottier, 2007).
Mais ces exemples sont rares et témoignent de l’absence d’une vision d’ensemble pour appréhender la conservation
d’un patrimoine épars et varié.
Ce phénomène touche de même manière
les édifices singuliers, sinon remarquables, des diverses périodes de l’histoire
récente. À l’échelle de la ville, destructions, transformations et altérations sont
le fait d’une spéculation qui ignore le
potentiel que peuvent représenter des
édifices de qualité.
Quelques rares rénovations ont pourtant
été réalisées par des architectes, souvent
à l’instigation d’investisseurs étrangers
sensibles à la valeur spécifique que peuvent revêtir ces édifices. C’est le cas par
exemple de la rénovation du Grand Hôtel
(1997), de la Villa princière devenue l’hôtel Amansara (2003) offrant de nouvelles
extensions en adéquation avec les édifices d’origine.
pour le patrimoine demeurent encore
des valeurs qui ne sont pas prises en
compte ni par les autorités nationales,
ni par la majorité des acteurs du développement. L’aspect culturel de la ville
apparaît comme un sujet secondaire et
négligeable, même si quelques contreexemples démontrent comment la mise
en valeur d’édifices anciens constitue un
atout important au sein d’une production de masse médiocre, et comment un
traitement de qualité de ces bâtiments
peut aboutir à l’image valorisante d’une
nouvelle modernité. Ces exemples sont
souvent à l’initiative d’investisseurs
étrangers.
C’est aussi le cas d’édifices moins prestigieux, de quelques « villas compartiments », réaménagées en bureaux par la
compagnie Forte Assurance, en agence
de voyage avec « Peace Tour », en Centre
culturel français (2006) ou encore en restaurant avec l’Alliance café. Il est tentant
de considérer ces quelques cas comme
des précurseurs de rénovations, mais ils
demeurent encore peu suivis et représentent une approche marginale.
La revitalisation du quartier du Vieux
Marché est en ce sens la partie la plus visible. Ses compartiments offrent un cadre
suffisamment flexible pour être rapidement et sans trop de frais reconvertis.
Parmi les nombreux cas de rénovation,
on citera celui de la galerie Mac Dermoth,
associée au singulier « One Hôtel » (2006,
Asma Architectes) : les dépendances et
l’espace de la courette, ancien dispositif
de ventilation et desserte, ont été réinvestis avec finesse. Notons aussi la rénovation du Grand Café, il a su garder un
des plus anciens compartiments d’angle
du marché. La conservation de l’existant
s’est prolongée par un mimétisme, ou
plus exactement par un « façadisme »,
sur les parcelles qui étaient encore libres.
Celle-ci reste toutefois très localisée et,
non loin de là, la densification et la surélévation des nouvelles constructions sans
caractère reprennent.
Les qualités architecturales et urbaines,
leurs bénéfices potentiels et l’intérêt
One Hôtel, ASMA Architectes
(ASMA Architectes, 2006).
Ces reconversions préservent et souvent
renforcent les qualités architecturales
existantes. Les extensions s’intègrent ou
jouent des langages architecturaux d’origine tout en s’adaptant aux nouveaux
usages et aux contraintes économiques
du marché foncier. Fortes d’une réflexion
sur l’environnement initial, ces reconversions intègrent alors certaines singularités de Siem Reap comme ses qualités
urbaines de « ville-jardin » : un traitement attentif des clôtures marquant la
limite entre privé et public, la conservation et le développement du cadre végétal ou encore le respect des gabarits et
des retraits. La rénovation d’un modeste
édifice transformé en hôtel, le Foreign
Correspondant Club, est à ce titre exemplaire. Le bâtiment existant a été maintenu et mis en valeur au sein d’une série
de nouveaux édifices qui ont densifié la
parcelle toute en conservant une continuité visuelle, théâtralisant les qualités
spatiales du lieu.
L’Amansara constitue une opération
similaire mais moins ostentatoire. Aussi
discret et plus modeste, le cas du Viroth
Hotel présente une rénovation sensible
où une maison de la même période a été
transformée en hôtel « design » aux lignes
modernes qui jouent du style des années
60 et de des qualités architecturales
intrinsèques de cette période. Malgré la
petite surface du terrain et la promiscuité d’un voisinage dense, une relation
introvertie mais équilibrée a été atteinte
entre l’architecture et ses extérieurs.
Ces opérations particulièrement réussies
illustrent comment la restauration et la
reconversion du bâti existant peuvent
s’affranchir d’une attitude strictement
passive, considérée comme antagonique
au développement, et comment éviter
que ces démarches ne tombent dans
une « citation historique » simpliste. Ne
se cantonnant pas à la conservation d’un
objet désormais inadapté, les « héritages »
liés à l’édifice et à son environnement
sont alors pris en compte pour générer
une nouvelle qualité du cadre bâti. Celleci préserve l’histoire de la ville tout en la
revitalisant. Ces reconversions exemplaires sont toutefois exceptionnelles face à
la production commune actuelle à Siem
Reap. Elles sont d’autant plus remarquables qu’il n’y a pas de volonté publique
de valorisation, comme le prouve la
disparition de certains édifices publics.
Mais, même si ces quelques opérations
concernent à l’évidence une clientèle et
un public minoritaires, elles s’inscrivent
dans la même logique de rentabilité que
d’autres investissements touristiques
et sont viables. À défaut de générer une
prise de conscience rapide du potentiel
patrimonial auprès d’autres acteurs du
développement, ces opérations constituent pour l’instant l’une des rares possibilités de sauvegarde des diverses architectures en péril.
Aline Hétreau-Pottier
25
26
adaptation Aline Hétreau Pottier
© JICA, APSARA, 2005, échelle originale 1:25000e,
Plan de la ville de Siem Reap,
,
Le temps et l espace
Histoire et évolution urbaine
27
Recherches
Cartes et plans
Les représentations cartographiques de
Siem Reap et de sa région constituent
une des sources disponibles pour analyser la fabrication et les transformations
urbaines de la ville. L’analyse des cartes se
fait par l’étude des documents iconographiques et des photographies aériennes
et satellitaires. Elle permet, en remontant
dans le temps, de suivre le parcours historique et urbanistique et d’identifier les éléments constitutifs tant à l’échelle urbaine,
architecturale que territoriale.
Ces cartes offrent le support à une série
de recherches relatives aux relations
qu’entretiennent les représentations
cartographiques avec la fabrication
urbaine (sources mais aussi vecteurs des
transformations), au statut et au pouvoir des cartes, à l’évolution des enjeux
de la région, l’étude cartographique
montre comment la ville a été, et est
encore perçue, représentée et souvent
occultée dans son rapport avec Angkor.
À ce jour le corpus comporte des plans
« constats » représentant la réalité ou
un de ses aspects, des plans « projets »
illustrant un projet au regard d’une situation existante, des cartes « produits » de
consommation touristique, des plans
analytiques, des photographies aériennes verticales et obliques, des images
satellitaires et des plans provenant des
plateformes informatiques.
La cartographie de Siem Reap est ainsi
caractérisée par une dichotomie entre
Siem Reap et Angkor, entre les différents
acteurs mais aussi dans le temps marqué
entre un « avant » et un « après » 1992, suite
Les ruines d’Angkor Siem-réap Cambodge Siamois,
M. E. Doudart de Lagrée, 1865.
politiques, économiques et stratégiques,
aux divers acteurs et à leurs actions,
ainsi qu’aux différents modèles, locaux
ou exogènes qu’ils véhiculent. Ce travail
révèle par ailleurs les sorts divers réservés au patrimoine de la ville à travers la
permanence, la mutation, voire la disparition des agencements et des diverses
architectures (traditionnelles, « coloniales » et post-indépendance). À l’échelle
1 Le recensement de ces cartes et plans est
effectué dans le cadre de lObservatoire (banque de données de lIPRAUS) et de notre thèse
(fonds et archives privés).
28
aux accords de paix et au classement du
site au Patrimoine mondial.
La première période illustre la lente genèse
d’une ville provinciale où les « plans projets » sont rares mais dont les « cartes
constats » permettent de suivre l’évolution.
À l’inverse, la seconde période s’illustre par
l’explosion rapide et complexe de l’agglomération, une abondance de plans d’analyses et de plans projets issus des schémas
directeurs successifs. Ceux-ci demeurent
inopérants face à une réalité en pleine
mutation et dont on suit en partie le dynamisme grâce à de nouvelles cartographies.
Le corpus documentaire rassemblé à ce
jour couvre une centaine de représentations cartographiques, allant du XVII siècle jusqu’à nos jours. Il présente des lacunes, les documents se répétant et restant
essentiellement basés sur des fonds de
référence limités. Leur nature est assez
hétéroclite ; les échelles, les sujets et les
informations varient suivant les périodes. Ils nous renseignent sur les cadrages retenus (régionaux ou urbains), sur
l’organisation territoriale, les moyens et
les personnalités des acteurs, leurs usages et désormais les outils informatiques
utilisés. Les documents relatifs à la ville
même sont nettement plus rares. Cette
quasi-absence reflète une vision que
nous développerons plus bas. Malgré ce
handicap, la diversité du langage carto-
The East part of India,
P. Ganges, Londres, 1729
graphique utilisé dans ce corpus (termes,
symboles, couleurs…) et le recoupement
avec certains plans existants témoignent
néanmoins des éléments constituants
et signifiants de la géographie physique
et historique des lieux, de la perception
des réseaux, des espaces naturels et des
lieux d’histoire. Enfin, le corpus a été
élargi aux prises de vues aériennes qui
furent introduites dès les années vingt
à Angkor et régulièrement utilisées jusqu’à nos jours. Ces documents aériens se
révèlent particulièrement intéressants,
Détail de la carte d’Angkor, service géographique de l’Indochine 1915, 1/100 000 .
en partie pour la période de 1945 à 1970
car les plans conservés sur la ville sont
très rares, probablement en raison des
conflits qui ont suivi.
Plusieurs cartes illustrent cette partie
d’Asie du Sud-Est dès le XVII siècle. Elles
mentionnent le Royaume du Cambodge
et le cours du Mékong, mais ignorent le
lac Tonlé Sap et Angkor, bien qu’ils soient
fréquentés par plusieurs Occidentaux
(Portugais) puis quelques missionnaires, sans compter les nombreux pèlerins bouddhistes et les Cambodgiens
eux-mêmes. Les plus anciens documents
signalant Siem Reap semblent être à ce
jour trois cartes retrouvées récemment
au Palais Royal de Bangkok : datées globalement de la première moitié du XIX
siècle, ces cartes reflètent les objectifs
stratégiques des forces siamoises qui
occupaient les provinces cambodgiennes depuis 1794. Si l’emprise siamoise
dure jusqu’en 1907, nombre de missions exploratoires se succèdent à Siem
Reap dans la seconde moitié du XIX
siècle, produisant des cartes axées sur
la « découverte » d’Angkor. Elles sont
influencées par les visées coloniales en
Indochine ou directement motivées par
des études stratégiques, par exemple sur
la navigabilité des réseaux hydrauliques
liés au Mékong ou sur les délimitations
des frontières avec le Siam. Dans le sillage
de l’implication occidentale, essentielle-
ment française, est introduit un nouveau
mode de représentation cartographique
qui produit une série de cartes planimétriquement plus précises mais encore
approximatives. Montrant les éléments
principaux de la géographie physique
et historique et autres indications, elles
dessinent la silhouette d’un territoire et
de la « bourgade » de Siem Reap autour
de quelques éléments naturels ou anthropiques marquants. Nombre de ceux-ci
se retrouvaient déjà, malgré des standards cartographiques différents, dans
les cartes siamoises qui enregistraient
assez similairement les quelques éléments forts de Siem Reap : citadelle,
rivière, Angkor Vat, Phnom Krom.
Siem Reap et sa province sont rétrocédées
au Cambodge en 1907 et rejoignent alors
le giron et l’administration du Protectorat
français installé dans ce pays depuis
1863. Les territoires sont alors couverts
par les travaux du Service de Géographie
de l’Indochine, qui y réalise une série
de cartes d’État-Major au 1/100 000
périodiquement remises à jour de 1915
à 1952. Celles-ci, malgré leur échelle peu
précise, offrent une représentation assez
détaillée des structures existantes et un
remarquable témoignage de l’évolution
de la ville et de son environnement. Dans
la continuité des explorateurs et des
marins, les topographes puis les archéologues auront à cœur d’enregistrer
l’existant sans pour autant plaquer leurs
référents occidentaux autres que topographiques. Cet esprit de recensement
« objectif » influence le contenu des cartes qui enregistrent alors le terrain sans
trop d’interprétation. À Siem Reap, devenue chef-lieu provincial, elles témoignent
des structures anciennes, des temples,
des réseaux viaires locaux, signalant,
codifiant et nommant les éléments structurants tels la citadelle, les monastères,
l’emprise des villages, le marché.
Bien que le Cambodge n’ait pas eu un intérêt économique primordial dans la politique coloniale, la région de Siem Reap a
fait l’objet d’une attention particulière en
raison de sa valeur symbolique, touristique et archéologique jusqu’en 1970. À
ce titre, les travaux réalisés par l’École
française d’Extrême-Orient sur Angkor
contribuent aussi à renseigner Siem
Reap et sa région ; les recherches visent
à intégrer les temples dans leur environnement territorial. Il est significatif que
la première carte du groupe d’Angkor
dressée par la mission de Lunet de la
Jonquière en 1909 ne signale la ville que
de façon anecdotique, à l’extrême sud du
cadrage retenu. Ce n’est que trente ans
plus tard qu’une nouvelle cartographie
d’Angkor s’étendra plus au sud, jusqu’au
lac Tonlé Sap, et intègrera alors la ville.
29
Siemréap, Defense Mapping Agency Washington,
Service géographique des F.A.R.K., 1971, 1/50 000e.
Elle reflète l’importance croissante de
cette dernière, désormais suffisante pour
être liée à Angkor. Ce cadrage heptagénaire
et la représentation même de la ville n’ont
guère changé depuis et sont encore en
vigueur dans la majorité des cartes touristiques que l’on nommera « produits » destinées aux « consommateurs » d’Angkor.
La réalisation d’une topographie détaillée
par l’IGN en 1962 sur l’ensemble de cette
zone, incluant la ville, constitue aussi une
contribution importante. Dressées en vue
de la réalisation d’un atlas archéologique
de la région qui demeurera à l’état de
projet, ces cartes IGN resteront inédites
trente ans.
L’indépendance du pays en 1953 s’accompagne d’un changement d’acteurs, dont
les répercussions sont modérées par la
continuité de l’aide technique française
à la nouvelle administration locale. Il faut
attendre la collaboration de l’armée américaine avec le Service géographique des
FARK (forces armées royales khmères) au
milieu des années soixante pour voir les
cartes d’État-major passer du 1/100 000
au 1/50 000 . La compréhension du site et
de la ville reste globalement inchangée et
les diverses versions qui seront réalisées
montrent une fiabilité toute relative à la
réalité. On peut douter de l’existence de
réels « plans projets » durant les périodes
dramatiques qui ont suivi, lorsque la ville
était encerclée par les Khmers Rouges
puis lorsqu’elle fut vidée de ses habitants
en 1975. Mais les services géographiques et cadastraux sont reconstitués dès
1980 avec la collaboration vietnamienne.
Si la production locale se cantonne à
reprendre les cartes américaines, celles
réalisées avec le support technique vietnamien montrent l’intérêt apporté aux
modifications d’ordre stratégique qui
sont accomplies sur la ville. Nous y avons
notamment retrouvé une carte « constat »
détaillée au 1/10 000 , couvrant la ville
et une partie de sa périphérie dont l’aéroport et Angkor Vat en suivant le nouveau
système défensif qui aboutit au sud du
temple. Cette carte constitue par ailleurs
l’une des rares représentations centrées
sur la ville.
La colonisation française a produit dès
le début du siècle nombre de plans de
villes en Indochine, au fur et à mesure
Topographic Map for Angkor Archeological
Area In Siem Reap region of
the Kingdom of Cambodia,
Japan International Cooperation Agency,
1998, 1/50 000e.
30
qu’elles rejoignaient le système administratif, mais Siem Reap ne semble pas
avoir été l’objet de tels travaux. Il est vrai
qu’au début du XX siècle, elle ne présentait guère de caractère urbain, mais
un schéma spatial traditionnel et villageois ancré sur des traces d’installations
angkoriennes et dont n’émergeait qu’une
citadelle. Ce n’est qu’à partir des années
vingt qu’une volonté urbaine est affichée
pour ce chef-lieu provincial et qu’un « centre urbain » est initié, générant quelques
« plans projets ». Ceux que nous avons
retrouvés furent élaborés par le Service
du Cadastre. Ils restent focalisés sur le
projet même et ne s’étendent jamais au
contexte environnemental.
La rareté de documents graphiques
détaillés sur la ville, tant pour la période
du protectorat qu’après l’Indépendance,
tient à plusieurs raisons. D’une part,
selon les accords bilatéraux préliminaires à l’Indépendance, les documents
administratifs et les plans cadastraux
des archives coloniales sont restés sur
place. Ils ont presque tous disparu lors
des conflits ultérieurs et, avec eux, ceux
produits depuis l’Indépendance. D’autre
part, Siem Reap est demeurée une ville
secondaire : étrangère à des intérêts commerciaux majeurs avant que le tourisme
ne prenne son essor, elle n’a jamais fait
l’objet de grands projets. Les quelques
cartes constats retrouvées (l’une probablement d’après-guerre, l’autre de 1962)
montrent une ville de faible importance
où les extensions et les densifications
poursuivent lentement l’impulsion donnée dans les années vingt, mais sans
réelle modification de fond. Même durant
le gouvernement du Sangkum, Siem Reap
semble ne pas avoir été concernée par
la campagne de développement des villes secondaires qui est alors engagée au
Cambodge. Seuls quelques plans projets
apparaissent à la fin des années soixante,
avec la volonté d’orienter et de développer Siem Reap vers Angkor. Mais ces
projets papiers se sont aussi volatilisés
et les quelques réalisations engagées ont
été depuis détruites. Enfin, un dernier
facteur peut expliquer le manque d’informations précises sur la ville. Il tient
à la vaste étendue linéaire et à la spécificité du tissu villageois et urbain de Siem
Reap, peu propice à une représentation
à grande échelle. Alors que les limites de
ce tissu peu dense sont indiquées sur les
cartes générales dès la fin du XIX siècle,
sa représentation fidèle semble avoir été
négligée au point qu’il finira par la suite
par disparaître complètement. Ceci est
vrai aussi à des échelles plus détaillées et
dans les cartes récentes.
Depuis la réouverture du pays en 1992,
l’inscription d’Angkor sur la liste du
Patrimoine mondial et sur la carte du tourisme mondial contemporain, les temples
et leur région ont bénéficié d’une série
d’aides internationales qui ont généré
de nouvelles représentations de la ville.
En particulier, Siem Reap a été l’objet
d’une succession d’études urbaines et
de propositions diverses. De multiples
expertises étrangères se sont régulièrement attachées à produire des schémas
directeurs. Complémentaires et parfois
redondants, aucun d’eux n’a cependant
dépassé le stade de l’étude ni n’a été ratifié par le gouvernement. Et nombre d’entre eux se sont confrontés à la difficulté
de saisir la réalité du terrain, tant dans sa
globalité que dans son détail.
Dès 1992, le premier plan de zonage et
de gestion d’Angkor, le ZEMP, a soulevé
l’ampleur du problème documentaire
lorsqu’il a été contraint de réaliser un
recollement des cartes « constats » disponibles, se basant essentiellement sur
les cartes américaines des années 70 et
une nouvelle couverture de photographies aériennes allant du plateau du
Kulen jusqu’au Tonlé Sap (Finmap, 1992,
1/25 000 ). Le contrôle d’un développement cohérent de Siem Reap étant alors
reconnu comme une condition nécessaire pour la bonne conservation du site
archéologique, une nouvelle carte topographique de la ville fut produite pour
fournir à l’autorité nationale APSARA un
outil de planification. Son cadrage restrictif s’arrêtait cependant rapidement
au Nord, sans permettre de lien avec le
parc archéologique, sans offrir de vision
globale, (IGN, 1994, 1/10 000 ). Une
seconde carte topographique fut réalisée
en 1997 sur le parc (JICA, 1/10 000 ).
Complémentaires dans le principe, les
deux cartes ne seront pourtant que très
rarement réunies et il faudra attendre
huit ans, soit quarante ans après les cartes topographiques de 1962, pour qu’une
carte topographique couvre enfin la ville
et les temples et en offre une vision générale homogène (JICA, 2005, 1/10 000 ).
Cependant, ces plans constats semblent
avoir été inégalement intégrés en tant
qu’outils par les acteurs institutionnels
impliqués dans l’aménagement du territoire. Nombre d’utilisateurs ont recours
à des montages de cartes de formats
distincts et de périodes différentes pour
appréhender la globalité du site. Cette
différence de cadrage des cartes provenait en partie de la dichotomie qui existe
entre la ville et le parc mais elle contribuait aussi largement à la perpétuer.
Elles permettent toutefois de suivre le
dynamisme du développement urbain,
même si ce dernier reste plus rapide que
la réactualisation ou le renouvellement
des cartes.
Depuis 1992, la région de Siem Reap a
donc atteint un niveau inégalé dans la
connaissance cartographique grâce aux
travaux topographiques et aux couvertures aériennes et satellitaires détaillées.
Mais si les détails de la réalité géographique et du bâti y sont fidèlement enregistrés, leur « objectivité » pâtit du manque
de qualité des informations de terrain
(toponymes, réseaux informels…) qui
enrichissaient les cartes du début du
siècle. Cette lacune doit être corrigée
par l’introduction puis la généralisation
du système d’information géographique
auprès des autorités qui accumulent des
données sur la ville et le site d’Angkor.
Ces plateformes devraient constituer
désormais une aide pour appréhender
assez fidèlement la réalité physique de la
fabrication urbaine et de son évolution,
mais il est encore difficile d’évaluer à
quel point elles servent en tant qu’outil
de contrôle de l’espace. Leur production
et leur existence même restent confidentielles. Il est significatif que tous les
documents collectés à ce jour demeurent
muets sur les informations cadastrales,
et donc foncières. Cause ou conséquence,
malgré les enjeux du foncier et la rapidité
du développement depuis dix ans, aucun
plan précis sur l’ensemble de la ville n’a
été commandé et donc produit à grande
échelle (1/2000 ou 1/5000 )!
D’autres cartes et plans ont enfin été
recensés en parallèle dans le corpus, produits par l’administration et les acteurs
liés au tourisme depuis les années 90.
Alors que Siem Reap est en plein bouleversement, le reflet que ces documents
renvoient semble curieusement figé aux
limites de la ville des années 60 et, audelà, à un environnement rural idyllique.
Loin des cartes constats, distinctes des
cartes projets, on pourrait les qualifier
de cartes produits, tant l’industrie touristique qui les génère s’inscrit dans une
stratégie consumériste. Ces cartes ne
cherchent plus à représenter le terrain,
elles deviennent média. Depuis 1992,
elles présentent d’ailleurs continuellement les deux mêmes images : la carte
d’Angkor ne montre de la ville qu’un petit
rectangle à la croisée de ses deux axes
viaires, et la carte de Siem Reap donne
une image digne des années 30 où les
seules mentions des environs suivent
l’extension des hôtels le long de la RN6.
Aline Hétreau-Pottier
31
Recherches
Formes architecturales et urbaines
Adèle Esposito
Compositions urbaines
Ville végétale
Établissement informel le long de la rivière Siem Reap, (A. Esposito, 2008).
Les villages, s’égrenant le long de la
rivière, sont à l’origine de Siem Reap. Ils
constituaient une bande peu épaisse de
maisons immergées dans la végétation,
en relation avec l’eau et les champs, desservies par des chemins. Nous appelons
« ville végétale » ces établissements à la
végétation dense, où l’eau est omniprésente, à l’habitat en matériaux naturels,
aux chemins en terre, comprenant des
infrastructures hydrauliques anciennes.
Progressivement absorbés par le développement urbain au XX siècle, ils ont
laissé des traces toujours perceptibles
dans la ville, notamment autour des
pagodes : leurs complexes, entourés par
des enclos et incluant souvent des écoles,
ponctuent le paysage de la rivière.
Aujourd’hui la persistance de ces formes
est mise en danger par le développement
urbain, par la faiblesse du régime de protection et par la disponibilité de terrains
dans ces aires encore peu denses.
Si on suit le cours de la rivière, on reconnaît plusieurs séquences formelles selon
l’homogénéité des tissus et la persistance
des éléments constitutifs des villages.
Au sud de la RN6, ceux-ci ont été effacés ou profondément transformés par
la ville coloniale. Toutefois, on retrouve
quelques agglomérations de maisons. Le
tracé de la rue Vat Bo a également suscité
l’absorption du tissu villageois dans des
compositions nouvelles ; en s’éloignant
d’une cinquantaine de mètres on retrouve
cependant les basses densités, la richesse
végétale et les champs cultivés.
Au sud du marché, la rive ouest est bordée par une route goudronnée qui descend au Phnom Krom. Ici, le tissu végétal
est réduit par la minéralisation du bâti
à proximité du centre ville, où plusieurs
infrastructures touristiques sont implantées. Du côté de la rive est, les formes
traditionnelles sont prégnantes. L’habitat
se déploie le long d’une piste en terre, la
Vat Athvear (A. Pégaz-Fiornet, 2005)
32
végétation est dense. Vers la rivière, les
maisons en matériaux végétaux occupent des petites parcelles et plongent
leurs pilotis dans l’eau. De l’autre côté, on
trouve tant des maisons en bois que des
villas récentes, qui respectent la trame de
vastes parcelles clôturées avec accès sur
la piste. Quelques chemins emmènent
vers l’est, où le tissu se fait de moins en
moins dense.
Au nord de la RN6, des établissements
informels sont venus s’installer le long de
la rivière. Ils emploient certains éléments
caractéristiques des formes villageoises
dans la construction et l’organisation
spatiale mais sont construits sans permis
sur de toutes petites parcelles, emploient
des matériaux de fortune. Cela suscite
l’opposition des autorités, qui, ne les
reconnaissant pas comme des « villages
traditionnels », voudraient les reloger et
aménager la rivière comme promenade.
Par contre, à l’arrière, la rive est montre
encore des caractères villageois. La densification du centre, le développement
urbain partant des principaux axes sont
parmi les facteurs qui risquent de faire
perdre à Siem Reap ce passage progressif
de la ville végétale vers la campagne qui
la caractérisait. D’abord, par la transformation des aires proches de la rivière,
ensuite, par l’urbanisation non planifiée
des terres qui demeuraient rurales, où les
bâtiments en durs s’élèvent aujourd’hui à
un rythme soutenu.
Noria (A. Hétreau-Pottier, 1994)
Compositions urbaines
Vieux Marché
Le quartier vu d’en haut, (A. Hétreau-Pottier, 2007).
Le protectorat français est à l’origine
du premier centre urbain moderneϋ de
Siem Reap. Situé à l’ouest de la rivière,
il est constitué, au sud par le quartier
marchand du Psar Chas, au nord par un
quartier administratif. Ainsi, les deux
fonctions sont-elles séparées, situées
dans deux secteurs contigus. Le premier
acte de planification est le remblaiement de la zone occupée par le centre et
le tracé des rues qui le délimitent (19201930). Malgré leur petite échelle, comparée aux autres villes coloniales d’Asie
du Sud-Est, on peut reconnaître dans les
quartiers « coloniaux » de Siem Reap,
certaines conceptions et formes, propres
à la planification de ces villes : spécialisation fonctionnelle, hiérarchisation des
réseaux, plan en damier, quartiers aux
vastes parcelles plantées, ponctuées de
bâtiments administratifs et emploi d’un
vocabulaire néoclassiqueό.
L’urbanisation du quartier du Vieux
Marché a suivi la réalisation du réseau
viaire secondaire qui définit des îlots
compacts, édifiés de compartiments . Ce
terme désigne un type de construction,
décrit comme le « modèle urbain dominant d’agrégation urbaine dans toutes les
villes d’Asie du Sud-Est » (Viaro, 1992).
Ce type, malgré des variantes liées aux
matériaux, aux techniques employés et
aux modes d’occupation de l’espace, présente des caractères qui lui sont spécifiques, présents au Vieux Marché : parcelle
oblongue et mitoyenne, façade étroite
orientée vers la rue, mixité des fonctions,
commerce au rez-de-chaussée et habitat
à l’étage. Ici, leur construction a été progressive et s’est poursuivie bien au-delà
1 Les explorateurs des XIXe-XXe siècles
décrivent Siem Reap comme « La neuve, le
chef-lieu moderne ». La réalisation des quartiers « coloniaux » a eu la portée dune nouvelle fondation pour cette petite bourgade
de maisons sur pilotis. Cf. Mouhot, H. (1863);
de la domination française. Les compartiments ont donc des formes hétérogènes, mais respectent les alignements, le
découpage foncier, conférant une cohérence à l’ensemble. Ceux qui entourent
la halle du marché emploient un langage
néoclassique et possèdent au rez-dechaussée une galerie qui unifie l’ensemble des façades. En général, les compartiments de ce quartier sont constitués de
plusieurs parties se développant dans la
profondeur de la parcelle : la première,
publique et commerciale, orientée vers
la rue, est constituée par la boutique dont
les étales se prolongent souvent sur le
trottoir ; la seconde est dévolue au service ou à la vie familiale.
Ces deux parties sont souvent séparées
par une cour intermédiaire, indispensable à l’aération du compartiment. Cette
cour est parfois couverte pour obtenir
un espace de vie supplémentaire, causant des problèmes de climatisation.
La boutique se prolonge souvent sur
le trottoir par des vérandas, étales de
marchandises ; l’espace public ainsi
approprié est délimité par des plantes,
des enseignes ou des bancs. Le trottoir
est également utilisé comme parking à
vélos et motos. L’étage, desservi par un
escalier interne, est traditionnellement
résidentiel, habitat de la famille exerçant
le commerce. Selon la surface disponible,
il est constitué d’un seul espace de sommeil ou réparti en plusieurs chambres,
desservies par un couloir. S’adjoignent
toujours des espaces de service, cuisine
et/ou toilettes.
Le développement du quartier a été
interrompu sous les Khmers Rouges et
le gouvernement pro vietnamien, périodes pendant lesquelles le Vieux Marché
est abandonné : il retrouvera sa fonction
durant les années 1990. La halle du marché est alors réhabilitée, le quartier tout
entier rénové et reconverti au commerce
touristique, devenant à Siem Reap le principal site visité par les touristes. Par le
décor, les aménagements internes et les
trottoirs, mais parfois aussi les modifications de la structure et de la répartition
interne, les compartiments sont adaptés à
une nouvelle pratique commerciale. Ainsi
une promenade touristique et commerçante est-elle créée et profite-t-elle de la
cohérence de la composition uniforme de
la « façade commerciale ». Dans certains
cas, les résidants demeurent, exacerbant
l’opposition entre espaces publics et
privés : à deux mètres des boutiques, les
ruelles sont appropriées pour les fonctions ménagères et de sociabilité, les édifices sont surélevés. Dans d’autres cas, les
transformations fonctionnelles liées au
tourisme dénaturent l’occupation traditionnelle des compartiments. L’étage est
alors transformé en restaurant, magasin
ou loué. Ainsi, ce quartier s’est-il adapté
du fait des aménagements liés au tourisme : cela se manifeste dans la flexibilité
de ses formes, mais suscite également
des questions sur la prise en compte de
l’héritage bâti par le tourisme.
Compartiment autour de la halle avant
la reconversion (P. Clément, 1994)
Compartiment autour de la halle
(A. Hétreau-Pottier, 2007)
Bouillevaux, C.E. (1874). 2 Sur les villes dAsie
du Sud-Est à lépoque coloniale, voir Culot, M.
et Thieveaud, J.M (1995).Architectures françaises Outre Mer, Liège, Margada.
3 À propos
des compartiments, voir Goldblum, C. (1985),
Capitales d’Asie du Sud-Est Stratégies urbaines
et politiques du logement, Paris, GRASE, 365
p. ; Viaro. A (1992), « Le compartiment chinois
est-il chinois? » in Les cahiers de la recherche
architecturale, n. 27/28/1992, pp. 139-150.
33
Compositions urbaines
Psar Leu
rue Vat Bo
Psar Leu
À gauche : rue commerçante. (K. Tan, 2005)
Après la chute des Khmers Rouges et
le retour des habitants dans les villes,
à Siem Reap, le Psar Chas reste inutilisé pendant toute l’occupation vietnamienne, tandis que de nouveaux marchés se constituent à la périphérie de la
ville : le Psar Leu à l’est, le long de la
route nationale 6, et le Psar Krom au
sud.
Au Psar Leu, une première implantation
spontanée de marchands est suivie par la
construction d’une halle en 1985, à l’initiative des autorités, reconstruite à la fin
des années 1990. La présence du marché
a poussé les habitants à l’auto promotion
d’un quartier qui s’est branché au tissu
en voie de constitution le long de la route
nationale 6. Une première bande de
compartiments en bois, disposée en couronne autour de la halle, en constitue le
noyau. Ils créent un front cohérent par le
respect de l’alignement à la rue commerçante bordant le marché, la similarité des
caractères architecturaux et des organisations des façades (largeur du front vers
la rue d’environ 4m), les toitures communes, le parcellaire en peigne (profondeur
de la parcelle environ 18m), l’aménagement des espaces internes et externes.
Au rez-de-chaussée, une grande pièce
sert de boutique. À l’arrière, se trouvent
les espaces de service et parfois une cour
clôturée. La famille dort à l’étage, généralement dans une grande pièce où les
divisions sont créées par des rideaux. Ces
Ville de Siem Reap, d’après © JICA, 2005.
compartiments sont donc caractérisés
par la multifonctionnalité des espaces
et la flexibilité des séparations ; l’espace
commerçant est également celui de la
vie quotidienne, les divisions spatiales,
déterminées par le mobilier, ne sont pas
figées.
Au-delà de la première bande commerçante, formée pendant les années 1980,
le développement du quartier se fait surtout dans la décennie suivante et gagne
progressivement les champs vers le sud.
À proximité de la halle, quelques rangées
de maisons continuent à s’organiser le
long de rues parallèles à la « couronne »
de compartiments. Toutefois le bâti est
mixte et le parcellaire en peigne a une
fonction uniquement résidentielle. Les
rues deviennent ensuite sinueuses et les
impasses nombreuses. Le tissu est constitué par des types et des formes d’organisations spatiales variés : maisons en bois,
logements collectifs, édifices en brique,
paillotes, logements précaires en tôle,
disposés le long de chemins, autour de
cours, d’espaces végétaux et de bassins.
Il montre depuis peu une tendance à la
densification.
Dans le processus d’urbanisation du
quartier, on remarque d’une part un
développement concentrique autour de
la halle, d’autre part un développement
linéaire le long des rues. Par ce double
mouvement, la ville s’étend par la constitution d’établissements denses dont la
limite avec la campagne se meut vers le
sud. Les abords de l’aire urbanisée sont
« flous », dans le sens où le tissu est désagrégé, souvent dégradé, des populations
défavorisées vivent dans des bâtiments
collectifs en tôle ou en paille. Au Psar Leu,
la rue et la halle s’affirment donc comme
des éléments structurants de l’espace
urbain et stimulent son développement.
Ces formes d’organisation, typiquement
urbaines, coexistent avec d’autres, issues
du milieu rural. Cette hybridation tient à
l’origine du quartier : les nouveaux habitants, originaires des campagnes, arrivent en ville attirés par son potentiel économique. Ainsi, tout en s’établissant dans
un milieu urbain et commerçant, ils se
réfèrent à l’univers rural pour construire
leurs habitations. Ne disposant pas de
larges parcelles et ayant intérêt à s’établir
à proximité du marché, l’établissement
qui en résulte est compact. La densité ne
cesse d’augmenter rendant les conditions
de vie précaires : l’habitat étant souvent
de médiocre qualité et les infrastructures de base insuffisantes. L’urbanisation
dépend fortement du réseau viaire, se
déployant le long des principaux axes.
De plus, la minéralisation du bâti fixe ces
établissements, alors que les villages ont
traditionnellement une flexibilité d’implantation. Cela correspond à une perte
des valeurs symboliques et sociales propre à l’habitat en milieu villageois, en
faveur d’une hybridation des formes .
1 C. Goldblum a étudié un processus similaire, dans les grandes villes dAsie du SudEst, de reflux des formes dhabitations issues
des systèmes villageois vers la ville, et quil a
nommé « village urbain ». Bien que le contexte
soit différent, sa recherche constitue notre
référent théorique pour lanalyse du quartier
du Psar Leu (cf. Goldblum, C. (1987), Métropoles
dAsie du Sud-Est Stratégies urbaines et politiques du logement, Paris, LHarmattan.
Compartiments en bois au Psar Leu (A. Esposito et K. Tan, atelier 2005).
34
Compositions urbaines
La rue Vat Bo a été tracée à l’époque
coloniale sur un site auparavant villageois. Le quartier prend le nom de la
pagode qui se trouve à l’est : cet emplacement religieux est ancien et, même si
on n’a pas d’informations sur la date
de sa fondation, on peut affirmer qu’il
remonte bien au-delà du XIXe siècle.
Une trame de ruelles transversales se
branche à la rue pour rejoindre celle-ci
à l’ouest et se perdre dans les champs
à l’est, en dessinant des parcelles où le
bâti est peu dense et conserve ses caractères villageois.
petits restaurants et commerces touristiques. Dans une première phase, ce sont
les maisons privées qui s’ouvrent à la
location de chambres pour les touristes.
Ensuite, des acteurs locaux, propriétaires de maisons ou petits investisseurs se
lancent dans l’édification de bâtiments
destinés spécifiquement à cette fonction d’accueil. À partir de la rue Vat Bo,
ces infrastructures se diffusent dans
les ruelles et s’implantent dans un tissu
qui est encore très végétal, souvent en
réhabilitant d’anciennes maisons ou villas. Ces modes d’occupation génèrent de
nouvelles formes de coexistence entre
l’habitat et les bâtiments du tourisme, où
ce dernier s’adapte au système de ruelles et cours qui caractérise ce quartier.
Toutefois, quelques bâtiments récents
– hôtels, guest houses – en dur, de taille
supérieure, dont les parcelles n’incluent
presque pas d’espaces végétalisés,
détonnent avec les qualités spatiales et
architecturales qui ont caractérisé Vat Bo
jusqu’à présent.
Le quartier peut être divisé en trois parties selon les types et l’origine du bâti : au
sud, le bâti des années 1960 ; au centre,
Pendant les années 1960, des équipements administratifs, symboles du
Cambodge indépendant, sont édifiés
dans cette rue surtout dans le secteur sud.
À cette époque, le tissu est aussi caractérisé par des maisons en bois, situées dans
de vastes parcelles, des compartiments et
petites échoppes implantés sur des îlots
en lanière, des villas entourées par une
végétation dense et des clôtures vers la
rue.
Par la suite, avec le développement du
tourisme, la rue devient un des premiers
axes de développement des guest houses,
0
Vat Bo
300 m
0
Repérage des maisons en bois
(M. Cabouat-Martel, atelier 2004/2005)
Repérage des infrastructures touristiques :
Hôtels, guest houses, commerces
et restaurants touristiques,
(A. Esposito, 2007, fond de plan © JICA,
2005, échelle originale 1:5000).
les commerces de proximité et les bâtiments résidentiels qui se développent
à proximité de la pagode ; au nord, les
infrastructures touristiques profitant de
la proximité de la RN6 sont particulièrement denses. Toutefois, celles-ci ont
aujourd’hui tendance à se diffuser de
plus en plus au sud.
À proximité de la rue, le tissu devient
typiquement villageois, s’organise en
cercle autour de bassins d’eau, et l’activité principale est l’élevage des vaches :
les fonctions urbaines et rurales coexistent à Vat Bo.
La rue est aussi caractérisée par une occupation diversifiée de l’espace public qui
varie en dimensions et fonctions entre la
rue et le bâti. Parkings, plantations, petits
commerces, panneaux publicitaires et
pots empiètent sur les trottoirs, démontrant la capacité des habitants à s’approprier et à organiser l’espace public.
300 m
Repérage du bâti des années 1960
(M. Cabouat-Martel, atelier 2004/2005)
1
2
1 - Appropriation des trottoirs
par les commerces,
(M. Cabouat-Martel, atelier 2004/2005).
2- Compartiments,
(M. Cabouat-Martel, atelier 2004/2005).
35
Compositions urbaines
Rue Sivatha
RN6
Élévation le long de Sivatha, côté ouest, secteur du Vieux Marché. (H. Glowinski et W. Yato, atelier 2004/2005)
Rue Sivatha
Ville de Siem Reap, d’après © JICA, 2005.
Tracée à l’époque coloniale en bordure
des quartiers du Vieux Marché et administratif, la rue Sivatha relie la RN6 à la
rivière et, par son orientation diagonale
par rapport au Psar Chas, rompt avec
la continuité des îlots en damier. Elle
sépare la ville « coloniale », remblayée,
de celle des populations locales, périodiquement inondée.
Les formes architecturales et urbaines qui
s’implantent à ses abords sont hétérogènes : à l’est, son urbanisation s’organise
selon la trame de quartiers coloniaux ;
à l’ouest, par contre, la rue est bordée
d’établissements différents : tissu mixte
s’implantant le long de la rue et chemins
en terre aboutissant dans les champs.
Ainsi, la rue Sivatha peut-elle être perçue
à la fois comme frontière entre deux formes d’organisations spatiales et comme
« trait d’union » entre celles-ci, grâce à
la commune fonction commerçante des
bâtiments qui la bordent et à l’emploi du
module du compartiment, qui se décline
à Sivatha dans des formes très variées.
À la hauteur du quartier administratif,
le tissu fait aujourd’hui l’objet de transformations intenses dues au tourisme :
auparavant peu denses et désagrégées,
ses parcelles ont attiré les investisseurs
de par leur proximité avec le centre ville
et la route des temples. Ainsi, des complexes hôteliers et commerciaux ont-ils
été récemment construits, se substituant parfois à des équipements publics,
comme le lycée, déplacé pour laisser
la place à une opération immobilière à
grande échelle.
36
Rue Sivatha côté ouest, (A. Esposito, 2006).
Le long de la rue, à la limite entre les
quartiers administratif et du marché, les
transformations récentes ont généré un
véritable « nœud » urbain, concentration
d’activités touristiques et commerciales :
l’Hôtel de la Paix (construit à l’emplacement de l’ancien hôtel de la poste) n’est
pas qu’un lieu d’hébergement mais aussi
un équipement urbain, « manifeste » de
la modernité, et lieu de rencontre des
milieux expatriés ; la construction du
Psar Kandal, nouveau marché touristique, a suscité le développement récent
de nouvelles formes commerciales à
l’entour.
Plus au sud, à côté du marché, les compartiments, dont nombre date de l’époque coloniale, s’adaptent aux îlots trapézoïdaux en laissant des larges trottoirs,
appropriés par les boutiques.
Du côté opposé, Sivatha est caractérisée
par un bâti dense et mixte, où le compartiment toutefois domine. Au cours des
dernières années, des formes commerciales et des équipements hôteliers et
touristiques se sont diffusés aux ruelles
transversales.
Ce quartier, aux formes plus typiquement
villageoises, est aujourd’hui en train d’acquérir un statut urbain et la rue Sivatha,
commerçante depuis son origine, catalyse les activités et contribue au développement de la ville. Avec le tourisme, ses
formes commerçantes se transforment :
les boutiques de compartiments coexistent avec les supermarchés, les bars à
touristes, les maisons traditionnelles
rénovées, transformées en restaurants.
Séquence de façades
(H. Glowinski et W. Yato, atelier 2004/2005).
Compositions urbaines
La route nationale 6, tracée à l’époque coloniale, contourne le lac et relie
Siem Reap avec la Thaïlande à l’ouest et
Phnom Penh à l’est. En franchissant la
rivière, elle confère à la ville une forme
de croix. Au cours du XXƉ siècle, elle a
déterminé une urbanisation linéaire,
peu dense et épaisse, qui a connu différentes phases.
Entre 1940 et 1970, s’amorce un timide
processus, les villages se rapprochent
des grands axes de communication, se
concentrant en noyaux à proximité de
la rivière. Le bâti est alors constitué
par des maisons en bois, implantées
en retrait par rapport à l’axe, reliées à
celui-ci par des chemins en terre.
Après la chute du régime Khmer Rouge, le
Psar Leu s’installe le long de la RN6, à la
périphérie est de la ville. Cette section est
prend alors une fonction commerçante ;
le bâti se densifie et s’en rapproche
progressivement. La petite échelle des
interventions, initiative des habitants, et
leur étalement dans le temps ont généré
un tissu très varié en hauteurs, alignements, matériaux, aux fonctions à la fois
résidentielle et commerciale dont le bâti,
dans la majorité des cas, suit le type du
compartiment. Ce tissu forme une bande
orientée vers la route ; à l’arrière, quelques rangées de maisons desservies
par des impasses dissimulent les terres
agricoles.
Cette morphologie se poursuit jusqu’au
Psar Leu : plus à l’est, le tissu, moins
dense, est constitué surtout de compartiments en bois ou de petites échoppes
en tôle, jusqu’à un lotissement nouveau,
en cours de construction. Cette opération immobilière de grande envergure
(sa superficie est supérieure à celle du
centre colonial de Siem Reap), reliée
à la nationale, se développe selon une
maille orthogonale, construite de com-
partiments. Le lotissement est doté d’un
marché, d’une université privée, d’infrastructures touristiques : il témoigne de la
tendance actuelle à la création de nouveaux quartiers autonomes, d’initiative
privée, reliés aux principaux axes.
À partir des années 1990, cette section est
accueille quelques infrastructures touristiques. De fait, son tissu, assez dense,
laisse peu de parcelles disponibles. Des
hôtels et guest houses s’insèrent cependant dans le tissu des compartiments ;
quelques larges parcelles sont libérées
pour laisser place à des hôtels de grande
taille. En même temps, l’urbanisation, à la
fois résidentielle, commerciale et touristique s’étend en direction du nord et du
sud à partir de la nationale : les impasses
sont prolongées, les hôtels s’implantent
dans cette nouvelle trame tout en signalant leur présence le long de la route. Elle
devient un catalyseur de l’urbanisation
en direction des terres agricoles.
À l’ouest, la présence de l’aéroport, ainsi
que l’embranchement avec la route des
temples, qui mène directement au parc
d’Angkor, a rendu cette section de la
RN6 particulièrement attractive pour les
infrastructures touristiques. Si on ajoute
à cela une urbanisation préexistante
(avant 1990) constituée d’un tissu peu
développé et de constructions en matériaux naturels, on saisit le potentiel de
cet axe.
Cette section comporte plusieurs séquences : la première, bordant le quartier
administratif, est composée par le Grand
Hôtel (1929) et les bâtiments royaux. À
proximité de la rue Sivatha, un tissu de
compartiments cède assez tôt la place
aux larges parcelles des hôtels. Dans les
interstices de ce tissu récent, des maisons
en bois et quelques compartiments résistent avec leur boeung (bassins), progressivement remblayé. Ces hôtels ont com-
Route nationale 6
mencé à s’implanter au cours des années
1990 mais ont connu un véritable essor
à partir de 2000. Le tissu est composé
de nos jours par la juxtaposition d’hôtels
occupant des larges parcelles. Ceux-ci
sont généralement constitués par des
barres en forme de L ou de U, contenant
une cour intérieure et une piscine. Leur
architecture est massive. Seuls les toitures et les accès se réfèrent à l’architecture
khmère – les temples et les pagodes – en
stylisant certains éléments typiques dans
les décors de façade.
Cette route soutient une urbanisation
spécialisée où chaque hôtel profite de la
relation avec un axe au statut essentiellement de desserte et de liaison territoriale. À l’arrière, ces grands hôtels laissent place à des champs et des maisons
en bois dispersées, territoires gagnés
progressivement par l’urbanisation ces
dernières années. Au sud, les chemins,
partant de la nationale, ont commencé
à s’affirmer comme rues urbaines avec
la multiplication des commerces, guest
houses et hôtels qui absorbent et insèrent dans des compositions nouvelles le
bâti préexistant. Un nouveau réseau de
voirie est en train de se former qui s’appuie sur des voies existantes. Au nord,
si le réseau se développe, l’urbanisation
reste moins dense.
À la périphérie, le Cambodian Cultural
Village s’est installé en 2003. Parc à
thème qui entend reproduire les types
de villages et les principaux monuments
du pays, il occupe une surface de 21ha,
supérieure à celle du centre historique
de Siem Reap.
Façades le long de la RN6 vers Psar Leu
(Aurore Pegaz-Fiornet, 2005).
37
Formes architecturales
1
2
1- Plan de situation, d’après © JICA, 2005.
2 - Plan du rez-de-chaussée et
du premier étage.
Façade principale et coupe transversale.
Maison du médecin
La maison se trouve le long de la rivière,
au nord de la pagode Mondol, cachée par
des ateliers d’artisanat. Elle est implantée sur une petite parcelle car le bâti s’est
densifié de tous côtés. Le rez-de-chaussée, sous pilotis en bois, a une largeur
de portée d’environ 4m pour le noyau
central, de 2 pour les espaces périphériques. L’espace ouvert est utilisé pour les
activités ménagères. Une chambre a été
créée à ce niveau avec des murs en dur.
L’étage, auquel on accède par deux escaliers, l’un principal, l’autre de service, est
doté d’une vaste véranda, espace de la
vie quotidienne. Il est divisé en plusieurs
chambres à coucher et de séjour. Le toit
est constitué par deux charpentes en bois
et une couverture en tuiles. Cette maison
est destinée à une famille relativement
aisée.
0
5
15 m
Relevés et photographie H. Glowinski et W. Yato, (Atelier 2004/2005)
Maison en bois
1
2
1- Plan de situation, d’après JICA ©, 2005.
2 - Plans du rez-de-chaussée
et du premier étage
3 - Façades latérale et principale
La maison est située le long de la rivière,
à proximité du Vat Polanka. Elle est
implantée sur une vaste parcelle, délimitée par une clôture et des plantations, qui
inclut un espace non bâti à l’avant et un
espace planté à l’arrière. Elle se trouve
au milieu d’établissements traditionnels.
Trois ménages y cohabitent pour un total
de onze habitants. Le rez-de-chaussée
est utilisé pour la vie quotidienne. Il
comprend un garage, réalisé en fermant
partiellement l’espace sous pilotis, une
annexe de la cuisine, un espace de vie
pendant la journée. À l’étage, se trouvent
les chambres à coucher et un séjour.
Relevés et photographie A. Pegaz-Fiornet et M. Cabouat-Martel, 2005, (Atelier 2004/2005)
38
Villa de la Croix-Rouge
Relevés et photographie A. Pegaz-Fiornet et M. Cabouat-Martel, 2005, (Atelier 2004/2005).
Cette villa se trouve dans une vaste parcelle plantée, intégrée au quadrillage du
quartier administratif. Elle est implantée
en biais par rapport à l’alignement des
rues, avec un accès principal orienté
au sud-est. L’espace non bâti de la parcelle est partiellement occupé par des
constructions faisant fonction de dépôt
et parking. Elle est constituée de trois
niveaux, dont un étage semi-enterré,
occupés par le siège de la Croix-Rouge.
La villa est représentative du langage
architectural à l’époque du protectorat
et rappelle les expériences européennes
contemporaines de pavillons dans les
« cités jardin ».
Façade / Plans du rez-de-chaussée
et du premier étage.
Église catholique
Relevés et photographie W. Punto et H. Min,
(Atelier 2004/2005)
L’enclos de l’église comprend une villa,
datant des années 1960, achetée par
l’Église qui y a installé son siège et un bâtiment pour le culte, construction en dur au
rez-de-chaussée, en bois à l’étage. La villa
a été transformée en guest house et une
extension réalisée à l’arrière : bâtiment en
dur, à un étage, couvert d’un enduit blanc,
avec une terrasse couverte en tôle. Ainsi
la grande parcelle, est-elle occupée par
ces deux bâtiments et des espaces utilisés
pour le jeu des enfants, les activités quotidiennes et l’enseignement de la danse.
Le rez-de-chaussée comporte un hall, une
véranda et des chambres ; le premier, des
chambres, desservies par un couloir et un
grand balcon. La structure est constituée
par des poteaux/poutres avec une largeur
de portée d’environ 4 m.
Plan du rez-de-chaussée
et façades
39
Formes architecturales
Façades vers la rue et vers la rivière /
Façade latérale/ Schémas des pratiques des espaces
Bâti informel le long de la rivière.
Habitat informel sur l’eau
Cette maison fait partie des établissements informels le long de la rivière.
Elle a une surface de moins de 30m² et
abrite huit personnes : deux sœurs et
leurs enfants respectifs. La famille paie
un loyer de 20$/mois. Étant données
les dimensions réduites du logement, la
vie quotidienne se déroule principalement à l’extérieur, tandis que l’intérieur,
composé d’une chambre, d’une cuisine
et d’un espace de séjour, est utilisé pour
les fonctions ménagères et pour dormir.
La rue qui longe la rivière devient ainsi
un espace commercial, d’activités quotidiennes et de sociabilité.
Le bâtiment est construit sur pilotis,
qui le protègent des crues de la rivière.
Il est constitué par une structure simple
poteaux/poutre en bois, aux parois en
matériaux hétérogènes et au toit en tôle.
Relevés et photographie M. Camps et J. Thibault (Atelier 2004/2005).
Habitat informel
1
2
La maison, en bois et tôle, est habitée par
deux frères et une sœur. Située à l’entrée
du Vat Enkosa, elle dispose d’un commerce au rez-de-chaussée. Bien qu’elle
soit considérée comme « informelle »,
car elle fait partie des établissements
irréguliers le long de la rivière, on remarque une conception assez ingénieuse du
bâtiment. Celui-ci présente de multiples
ouvertures favorisant une ventilation
naturelle et sélective selon les exigences
et le rapport avec l’espace extérieur, primordial pour la boutique qui se trouve
au rez-de-chaussée ; la surface réduite
est soigneusement exploitée pour les
fonctions commerciales et ménagères.
L’espace du rez-de-chaussée est multifonctionnel : commerce de jour et chambre pour les frères la nuit ; le premier
étage est réservé à la sœur.
1- Plan-masse
2- Plans / façades nord et est
Relevés et photographie M. Camps
et J. Thibault (Atelier 2004/2005)
40
Vieux Marché
Compartiment en dur
Le bâtiment fait partie de la « couronne »
de compartiments, entourant le Vieux
Marché et date de l’époque coloniale.
L’îlot, où il se situe, est composé de plusieurs modules à peigne similaires avec
deux orientations principales - la rue
commerçante et la rivière – délimité sur
ses autres façades par des ruelles. La
toiture est commune à l’ensemble des
compartiments, à double pente et en
tuile. Le bâtiment relevé est composé de
plusieurs blocs en dur, séparés par une
cour intermédiaire, qui a été couverte.
La façade est composée d’une galerie au
rez-de-chaussée et de loggias à l’étage. Le
rez-de-chaussée est divisé entre les espaces publics du restaurant et ceux de la
vie quotidienne, se déployant à l’arrière.
Il est doté d’une cuisine indépendante.
L’étage est composé de plusieurs chambres et d’une terrasse, transformée en
cuisine.
1
2
1- Plan de situation, d’après © JICA, 2005.
2 - Coupe longitudinale / façade vers la rue
/ Plans du rez-de-chaussée et de l’étage.
Relevés et photographie M. Camps
et J. Thibault (Atelier 2004/2005).
Compartiment en bois
Plan de situation
La rue vue de l’intérieur d’un compartiment.
Coupe longitudinale
Plans du rez-de-chaussée
et de l’étage.
Il fait partie de la bande de compartiments qui entoure le Psar Leu. Il a été
construit il y a environ vingt ans par le
père de la famille qui y habite encore. Il
s’insère dans le parcellaire à peigne, ses
dimensions sont d’environ 4x20m. Il est
orienté vers la rue marchande qui longe
le marché mais « étouffé » à l’arrière par
l’expansion urbaine qui bloque l’aération
et le passage. La charpente et les murs
sont en bois, les espaces de service sont
par contre réalisés avec des matériaux de
fortune. La grande salle du rez-de-chaussée est un restaurant, mais sert aussi
d’espace de vie pour la famille. Les toilettes et la cuisine se trouvent dans la cour
arrière. À l’étage, un grand espace, divisé
par des rideaux, sert de chambre aux neuf
habitants (le père et ses enfants). Vers la
rue, une véranda, couverte de tôle, tient
lieu d’espace de vie durant les heures les
plus chaudes.
Relevés et photographie par A. Esposito
et K. Tan (Atelier 2004/2005).
41
Enseignement
Atelier d’architecture de Siem Reap / Angkor
Cyril Ros, architecte et enseignant ENSAPB
Dans le prolongement des enseignements réalisés à Phnom Penh et à Siem Reap de
1991 à 1994, un atelier du DPEA MAP a été organisé à Siem Reap/Angkor en 20042005. Il a procédé d’une coopération avec l’Autorité pour la Protection du Site et
l’Aménagement de la Région d’Angkor (APSARA), l’École française d’Extrême-Orient
(EFEO) et a bénéϔicié du soutien moral de l’UNESCO et de l’Association des Amis
d’Angkor. Il est reconduit depuis 2006/07, sous la forme d’un studio de master de
l’ENSA de Paris-Belleville.
Siem Reap / Angkor
Patrimoine/tourisme, contemporanéité/développement
Pierre Clément, Cyril Ros, Inès Gaulis, Nathalie Lancret,
Aline Hétreau-Pottier, Lisa Ros, Adèle Esposito.
Latelier est composé de deux parties complémentaires,
latelier Plan de Ville et latelier Projet.
Latelier Plan de Ville consiste en une approche de la ville, fondée sur une analyse cartographique. Il vise au décryptage dinformations, à lacquisition dun savoir sur la ville à partir de la
compréhension de cartes et de plans allant de léchelle du territoire à celle du quartier.
Latelier Projet privilégie la démarche et lapproche personnelles de létudiant. Il comporte trois
phases : le travail à Paris dans un premier temps (la trame), la confrontation avec le lieu, le
terrain, (séjour à Siem Reap), puis la finalisation par un projet architectural (le projet).
1
2
La trame L’étudiant doit d’abord
comprendre et diagnostiquer les enjeux,
les pathologies, les besoins d’une ville
confrontée à un tourisme au développement rapide.
L’objectif est d’utiliser la « non connaissance » du lieu comme moteur de
réflexion. Pour cela, l’exercice a un point
de départ : la réflexion sur les anciens
canaux angkoriens et les points d’eau parsemant la ville, souvent mis à mal par les
développements actuels.
Puis, vient s’y superposer la trame, point
d’entrée de l’étudiant dans une réalité imaginée, soulevant des questions
comme les modes d’habiter, le développement urbain, la traversée de la ville
et les séquences qu’elle propose. Cette
trame doit être conçue de sorte à faire
support à de la ville et doit être envisagée
comme un moyen de produire de la ville
dans une optique d’incitation.
Le terrain
Le terrain, lieu d’intervention et d’expérimentation, est une
étape fondamentale du travail de projet, poursuivant en cela les expériences
précédentes. L’étudiant est alors amené
à confronter l’hypothétique et le réel
dans une approche critique. Il choisit un
site, un sujet, inclus dans sa trame pour
établir un programme, se fondant sur
des recherches, analyses et relevés de
terrain.
Le projet
Cette dernière phase
consiste en la finalisation du travail de
terrain. L’accent est mis sur la pertinence
de l’insertion urbaine, l’adaptation au climat, à la lumière, l’utilisation des matériaux, la gestion de l’espace, la structure
et les modes de représentation.
Exposition
des travaux d'étudiants
1- Plan du canal, d’après JICA © 2005.
Cartes par D. Munoz, M.I. Costa, M. Fernandez, P. Gonzalez Valcarcel, 2006
2 - Le canal, vu du Nord (A. Hétreau-Pottier, 2007)
42
Les travaux des étudiants font chaque année l’objet d’une exposition au
Cambodge, à Siem Reap, accueillie jusqu’à
présent, dans les locaux du Centre culturel français. Cette exposition permet une
présentation des problématiques identifiées par les étudiants, des diagnostics et
des solutions qu’ils proposent.
Intervention au Vieux Marché
Marine Camps, Justine Thibault (2004/2005)
Plan général du projet
Vue à partir des halles
Mise en situation du marché
avec un système de ventilation naturelle
On s’est ici intéressé à la rivière, à son rôle
de limite et au potentiel d’exploitation
des espaces libres le long de ses berges.
On choisit d’intervenir dans le secteur du
Vieux Marché, à la fois cœur historique
et touristique de la ville. Sur la rive est,
on propose d’établir une relation entre
le Vat Damnak (monastère) et la rivière
grâce à une rue qui la franchit au moyen
d’un pont routier, piéton et commercial,
générant ainsi un espace ouvert, place à
la fois pour le Vat et pour le marché car
on y déplace le Psar Chas. On définit un
module d’implantation spatial (stand) et
quelques cheminements : la végétation
délimite les espaces non constructibles ;
on aménage des endroits stratégiques,
tout en laissant la liberté d’établissement
et de densification dans le temps. Sur
l’autre rive, un jardin public, généré par
le déplacement du marché, accueille un
centre culturel et un auditorium.
Articulation de la place du Vat et du pont
Coupe de principe révélant le dénivelé créé
avec un fond sur le pont et
la stratification des espaces
43
Aménagement urbain au Psar Leu
Adèle Esposito, Kanitha Tan (2004/2005)
Aire d’expansion urbaine potentielle prise en compte par le projet.
Constatant l’extension actuelle de la
ville vers le sud à partir du Psar Leu, on
propose un aménagement de ses abords,
afin de guider le développement urbain.
Pour faciliter l’accès au marché, on ouvre
des routes vers le sud et on crée une voie
de contournement est/ouest. Ces routes
deviennent les éléments structurants de
l’urbanisation, auxquels se branchent des
« pôles » d’activités – commerces, équipements – qui la stimulent grâce aussi à
la mise en place d’une voirie secondaire.
On se concentre ensuite sur les abords
de l’aire urbanisée où l’on propose une
expansion urbaine commerciale et résidentielle pour le relogement des ménages
précaires et l’installation de nouveaux
résidants. Le bâti s’organise aujourd’hui
autour d’espaces vides, dépôts d’ordures,
envahis par la végétation, qu’on valorise,
en créant une place végétale, avec échoppes, terrain de sport, école. On laisse aux
habitants une liberté d’auto-construction mais on leur donne des indications :
l’urbanisation se fera autour de bassins
qui drainent l’eau de pluie et structurent les entités spatiales entourées de
végétation, où l’on détermine les parcelles, bâtissables selon un règlement de
construction. L’urbanisation se déploiera
également le long de rues commerçantes
bâties de compartiments, dont on définit
les gabarits.
Simulation d’occupation spatiale d’un îlot.
Coupe sur le tissu décousu et mixte aux abords du Psar Leu.
44
Plan-masse : implantation des bassins
0
50m
Développement urbain, trame hydraulique et auto-construction
Miriam Fernandez Ruiz (2006/2007)
Ce projet propose un développement
urbain suscité à partir de la trame hydraulique de la ville et d’un système constructif.
En partant de bassins ou de la rivière, on
organise le développement urbain sur la
base de deux zones que l’on établit dans le
pourtour de l’élément hydraulique considéré : la première, inondable, est déclarée
inconstructible ; la seconde, zone à bâtir.
On a ensuite imaginé un développement
urbain fondé sur une double circulation,
commerciale et domestique et joué sur
différentes dispositions des habitations,
permettant des densités plus ou moins
grandes.
L’urbanisation est fondée sur un système
mixte d’auto-construction. En premier
lieu, vient la trame, découpage du terrain en bandes de 2 x 1 m, disposées en
quinconce, sur lesquelles vient se placer
une plate-forme puis un noyau en dur,
contenant salle d’eau, cuisine et escalier. L’habitation, sur pilotis, se trouve à
l’étage ; son aménagement est abandonné
à l’initiative des habitants.
Exemple d’implantation urbaine autour d’un bassin.
Coupe et plan : implantation des maisons le long de la rivière.
Plan : exemple de disposition des habitations et leur rapport à l’espace urbain
Maquettes : différents exemples d’implantations et de développement de la maison à
partir du noyau central.
Maquette : auto construction - chaque famille
va effectuer elle-même la construction des
murs au moyen de matériaux comme le bambou. L’orientation des pièces à l’étage est aussi
laissée à l’initiative du propriétaire.
45
Centre d’agriculture expérimental
Pablo Valcarcel (2006/2007)
Il s’agit d’implanter un centre d’agriculture
sur des terrains partiellement occupés par
des bassins artificiels, créés par l’excavation d’anciennes rizières pour fournir de
la terre de remblai. L’emplacement choisi
est situé à l’ouest du stung Siem Reap. Une
première délimitation du terrain englobe
une zone de 56ha, avec une extension possible de 27ha.
Un réseau hydraulique stratifié permet une optimisation de la production.
L´eau superficielle est nécessaire en toutes saisons.
La station de compostage : une maille de bambou articulée
permet de contenir la matière organique en décomposition.
Cette solution donne de très bonnes conditions de ventilation, indispensable aux premières phases du processus. De
plus elle sert de barrière visuelle. Les propriétés physiques
du bambou, flexibilité et légéreté, lui donnent une très bonne
résistance à la traction et une mise en œuvre aisée.
Trois types de construction trouvent
place dans ce centre :
- une station de compostage, formée
d’une maille de bambou articulée.
- Un poste de repos, élément léger et
mobile.
- le bâtiment principal, implanté au
croisement de l’accès principal avec une
route est-ouest au milieu du terrain.
Plan d’implantation du centre.
Satellite : c’est un poste de repos, élément indispensable dans un parc de plus de 50 ha. Léger,
il est capable de protéger un individu du soleil
comme de la pluie. Élément mobile, sa localisation n´est pas constante. Il doit donc être facilement transportable.
Vues intérieures du centre : l´occupation du
centre s´effectue au moyen d’éléments mobiles.
L´espace intérieur mute en fonction des besoins
de la recherche scientifique et des événements
publics.
Ce bâtiment est construit à partir d’un
seul élément, réalisé selon trois portées
différentes. Cette cote est standardisée
et reproduite plusieurs fois pour générer
une peau structurelle, composée d’éléments verticaux.
Le volume général du bâtiment est
constitué de l’addition de volumes primi-
46
tifs. Cette addition est conditionnée par
le programme, la fluidité des circulations
et les directions principales du vent.
Le résultat est un élément dynamique,
construit à partir d’éléments statiques.
La peau structurelle, grâce aux variations
du rythme vertical, transcrit les différents
moments de l’espace intérieur.
Pour répondre aux conditions climatiques du Cambodge, on propose de
conserver la ventilation naturelle du
bâtiment dont on protégera l’intérieur
des insectes par la création d’un treillage
anti-moustiques.
Coupe longitudinale du bâtiment principal
Extension de l’école de Phum Thmey
Maria Inès Costa (2006/2007)
Plan de situation
0
500
Le site des écoles est divisé en deux
terrains : celui du sud accueille l’école
primaire, composée de six bâtiments disposés en U ; celui du nord, sur lequel on
a choisi de travailler, accueille le lycée,
constitué de trois bâtiments qui s’organisent en L autour d’une cour.
1500m
La capacité d’accueil actuelle est nettement insuffisante, l’augmentation de la
superficie disponible de l’école est l’objectif principal, suivi par une mise en
relation plus directe avec le canal et le
quartier environnant. On propose donc
l’occupation du terrain qui se trouve de
l’autre côté du canal par de nouveaux
bâtiments.
La décision d’ouvrir l’école au canal
nécessite la « destruction » d’un des bâtiments existants auquel on substitue un
édifice d’exception, sur pilotis, qui fonctionne comme le cœur de l’école, une
articulation entre les anciens bâtiments
et les nouveaux qui vont s’implanter de
l’autre côté du canal. Ce nouveau terrain,
dévolu à l’école, est caractérisé par une
zone d’inondation du canal qui va déterminer l’implantation des nouvelles salles
des cours.
L’organisation de l’ensemble génère deux
cours, la cour existante et la nouvelle,
la cour « végétale » et la cour « d’eau ».
L’entrée de l’école sera déplacée à proximité du canal, permettant aux gens de
traverser l’école comme cela se fait dans
l’espace d’une pagode. Les nouvelles
salles de cours s’organisent en trois bâtiments, connectés par une galerie continue, chacune d’entre elles dispose d’une
petite cour située entre le bâtiment et
le mur de clôture. Les matériaux choisis
sont le béton, la brique et le bois.
Élevations et coupes
En haut : bâtiment central
En bas : coupe générale du projet
47
Ensemble de logements
Coralie Buchart (2006/2007)
Schéma de la végétation et des chemins ;
chemin des poteaux structurant l’ensemble.
Maquette
Coupe d’un ensemble de bâtiments.
Le projet consiste en l’implantation d’un
ensemble de logements le long du canal,
au sud de la RN6. L’objectif étant de donner aux habitants une certaine liberté
d’aménagement de leur habitation, le
bâtiment leur est livré comme un « squelette » comprenant la structure, les murs
de cloisonnement, la toiture, ainsi que
les arrivées d’eau et de gaz. Le cloisonnement et l’habillage sont laissés à leur
initiative. Chaque bâtiment comporte
deux appartements, un au rez-de-chaussée et un à l’étage. À l’échelle urbaine, les
bâtiments s’organisent en groupes de
trois, reliés entre eux par une passerelle,
s’élargissant aux abords des logements
pour devenir espace de rencontre. Ils
partagent également une tour, réservoir
pour l’eau de pluie qui descend dans des
conduits en sous-face des passerelles et
arrive ainsi dans chaque logement.
Plans de l’étage et du rez-de-chaussée
et coupe type.
Plan d’un groupe de trois bâtiments.
48
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culture nationale, APSARA, Royaume du
Cambodge, novembre 1994.
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49
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à Siem Reap-Angkor. Tourisme, patrimoine et développement dans un milieu
régi par la logique de l’eau, DESS d’Urbanisme et d’Aménagement, Institut
français d’Urbanisme, Université Paris
VIII, juin 2005, 81p.
CHMIELCZYK Katia, Aménagement territorial de la zone de développement Run
Ta Ek : métissage des formes. Entre cité
rurale et ville végétale, PFE, École nationale supérieure d’Architecture de Nancy,
Marie-José Canonica, Emmanuel Cerise
(dir.), soutenance septembre 2008.
COUËRO Adeline, HAMON Anthony, Kok
Thlok, Histoire au pays de l’eau, Bourse de
la fondation EDF, cession 2006-2008, Juin
2008.
ESPOSITO Adèle, Formes architecturales
et urbaines du commerce, mémoire de 5e
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du Psar Leu, École nationale supérieure
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Shin (dir.), décembre 2007, XXp.
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une région du Nord-Cambodge en voie de
mutation, Coll. Mémoires et documents de
l’UMR Prodig, Paris, 1998, 152p.
BOISSELET Aurélie, L’accès à l’eau dans la
ville de Siem Reap au Cambodge: demande
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MORIN A. et LENOIR V, Un musée comme
amorce d’un nouvel élan touristique et
urbain dans le centre ville de Siem Reap
au Cambodge, PFE, École nationale supérieure d’Architecture de Paris Versailles,
Gérard Cladel (dir.), 2005.
Activités
Journée d’études
« Patrimoine mondial et grands sites :
Asie et Europe en miroir »
Le 26 octobre 2007, à l’ENSA de ParisBelleville, était organisée une journée
d’études consacrée aux sites du patrimoine mondial et aux grands sites en
général, à savoir exceptionnels soit par
leurs dimensions soit par leur importance, mesurée par leur valeur symbolique et le public nombreux qu’en conséquence ils attirent. Ces caractéristiques
ne sont pas sans poser des questions de
gestion complexes.
Cette journée, à travers l’invitation faite à
des acteurs – architectes concepteurs de
plan de gestion – et experts de présenter
leur travail, a donc été l’occasion de lancer des pistes de ré lexion sur la gestion
d’une part de la protection, d’autre part
des lux croissants des visiteurs.
Elle a aussi été l’occasion d’une sorte de
confrontation entre l’Asie et l’Europe. En
Asie émerge actuellement une demande
d’expertise dans le domaine du patrimoine comme aussi un public croissant.
L’Europe, elle, est la région du monde où
est née la notion de patrimoine, où celle-
ci s’est progressivement constituée. C’est
aussi la région qui a exporté cette même
notion et le regard particulier sur le
passé que celle-ci implique à l’ensemble
du monde. Pourtant Asie comme Europe
sont désormais confrontées, dans ce
domaine singulier du patrimoine, à l’essor de l’industrie mondiale du tourisme,
laquelle suppose la mise au point d’outils
de gestion de plus en plus complexes.
Cette journée nous a aussi permis d’approfondir une coopération déjà ancienne
avec le Cambodge, grâce à l’intervention
d’un ancien Ministre d’État, Monsieur
Vann Molyvann, et à celle d’Adèle Esposito
qui entreprend une thèse sur le tourisme
à Siem Reap/Angkor ; de lancer une coopération nouvelle, au titre de la recherche comme à celui de l’enseignement,
notamment avec l’Université La Sapienza
de Rome, à travers le professeur Paola
Falini, experte auprès de l’UNESCO, pour
l’élaboration de plans de gestion de sites
patrimoniaux italiens.
L’équipe
de l’Observatoire
participera,
en octobre 2008 à Siem Reap,
à une table ronde sur le développement
actuel de la ville et ses implications/interactions avec le site archéologique, organisée par le Centre d’Études khmères
(CKS), avec le Bureau des Affaires urbaines d’Apsara, le Getty Conservation
Institute, et le Pacific Rim Council for
Urban Development (PRCUD).
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