Étude de 28 expertises d`abus sexuels sur mineurs
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Étude de 28 expertises d`abus sexuels sur mineurs
Disponible en ligne sur ScienceDirect www.sciencedirect.com Neuropsychiatrie de l’enfance et de l’adolescence 62 (2014) 287–292 Article original Étude de 28 expertises d’abus sexuels sur mineurs Study of 28 expertises of sexual abuse on minors L. Robbana ∗ , A. Belhadj , F. Charfi , S. Othmen , S. Halayem , A. Bouden Service de pédopsychiatrie, hôpital Razi, Manouba, Tunisie Résumé Prérequis. – Les agressions et les abus sexuels commis sur les enfants ont longtemps été considérés comme un sujet tabou. Ces derniers temps, nous avons noté une augmentation considérable des signalements au judiciaire et une demande accrue d’examens médico-légaux et en particulier des expertises psychiatriques. Objectif du travail. – Dégager le profil des enfants victimes d’abus sexuels examinés lors d’une expertise médicale, décrire la symptomatologie clinique de ces enfants et décrire les difficultés rencontrées au cours de ces expertises. Méthodes. – Étude rétrospective et descriptive de 28 expertises d’abus sexuels sur enfants et adolescents adressés au service de pédopsychiatrie de l’hôpital Razi. Résultats. – L’âge moyen des mineurs expertisés était de 8,70 ans. Le sex-ratio était de 1. Quatre-vingt-six pour cent des victimes vivaient en milieu urbain. Tous les abuseurs étaient de sexe masculin et étaient une personne familière à l’enfant. Le délai séparant l’expertise et le début des faits était de 1 an et 8 mois. Au cours de l’abus sexuel, 10 mineurs ont été victimes de violence. La symptomatologie relevée chez les abusés était à type de difficultés scolaires, troubles du sommeil, alimentaire, somatique, comportementaux, des conduites sociales, sphinctériens, sexuels, anxieux. Le psychiatre expert n’a pas pu répondre à toutes les demandes formulées par le juge notamment en matière de crédibilité. Conclusion. – Le retentissement psychologique de l’abus sexuel sur le mineur dépend des supports socio-familiaux qui l’entourent. Il est indispensable de former les différents professionnels afin de savoir gérer ces situations. © 2014 Publié par Elsevier Masson SAS. Mots clés : Abus sexuel ; Enfant ; Expertise Abstract Introduction. – Sexual abuses committed on children were considered for a long time as a taboo subject. In Tunisia, in the last decades, we noted an increase of the complaints and a greater request of juridical examinations and in particular psychiatric examinations. Aim of the study. – Clear profile of the children victims of sexual abuses examined on expertises and their abuser describe the clinical symptomatology of these children and the difficulties met during the expertises of children and teenagers. Methods. – Retrospective and descriptive study of 28 expertises of sexual abuses on children and teenagers addressed to the department of child psychiatry of Razi Hospital. Results. – The average age of the minors was of 8.70 years. The sex ratio was 1. Eighty-six percent of the victims lived in urban zones. All the abusers were male and were familiar to the child. The period separating the expertise and the beginning of the facts is about 1 year and 8 months. During the sexual abuse, 10 minors were victims of violence. The symptomatology found in abused children is school difficulties, sleeping disorders, food disorders, somatic disorders, behavioural disorders, social problems, sexual disorders and anxiety. We noted that the expert psychiatrist did not answer to all the requests formulated by the judge especially for the credibility of the child. Conclusion. – The psychological effects of abuse on the minor depend closely on the socio-familial relationship. It is necessary to form all specialists to manage this kind of situations. © 2014 Published by Elsevier Masson SAS. Keywords: Sexual abuse; Child; Expert ∗ Auteur correspondant. Adresse e-mail : [email protected] (L. Robbana). http://dx.doi.org/10.1016/j.neurenf.2014.04.007 0222-9617/© 2014 Publié par Elsevier Masson SAS. 288 L. Robbana et al. / Neuropsychiatrie de l’enfance et de l’adolescence 62 (2014) 287–292 1. Introduction Du fait de l’horreur qu’ils suscitent, les abus sexuels commis sur les enfants ont longtemps été considérés comme un sujet tabou et on en a même souvent nié l’existence. La reconnaissance internationale des droits de l’enfant tels que stipulés dans la Convention internationale des droits de l’enfant (ratifiée par la Tunisie dès 1994) a permis une prise de conscience de la gravité des différentes formes de maltraitance et abus subis par les mineurs. En Tunisie, et avec la liberté de la presse reconquise depuis janvier 2011, le débat public autour de la question est devenu possible au risque d’une sur-médiatisation de certaines victimes. Ainsi, on a noté ces dernières années, malgré l’absence de campagne de prévention, une augmentation considérable des signalements au judiciaire avec pour corollaire une demande accrue d’examens médico-légaux, en particulier des expertises psychiatriques. L’enfant est, historiquement, « celui qui ne parle pas », locution qui a longtemps illustré à la fois son manque de compétence à parler et l’absence de crédit accordé à son discours. Le Code tunisien de la protection de l’enfant (1995) a défini l’enfant de la façon suivante : « est enfant [. . .] toute personne humaine âgée de moins de dix-huit ans et qui n’a pas encore atteint l’âge de la majorité par dispositions spéciales ». Nous adoptons dans le cadre de ce travail la définition de l’OMS (1986) : « L’exploitation sexuelle d’un enfant implique que celui-ci est victime d’un adulte ou d’une personne sensiblement plus âgée que lui, aux fins de la satisfaction sexuelle de celui-ci. Le délit peut prendre plusieurs formes : appels téléphoniques obscènes, outrage à la pudeur, voyeurisme, viol, inceste, prostitution des mineurs, etc. » Sur le plan de la juridiction pénale, le Code pénal tunisien distingue dans la rubrique « Attentats aux mœurs » deux types d’agressions sexuelles : outrage publique à la pudeur (article 226) et attentat à la pudeur (articles 227–230). Ces articles définissent les sanctions encourues suite à un attentat à la pudeur « constitue une circonstance aggravante la qualité de la victime (mineur de moins de 18 ans) et la qualité de l’auteur (ascendant ou personne ayant autorité) ». Les termes de pédophilie, d’inceste ne sont pas utilisés et définis par le Code pénal tunisien. En Tunisie, la demande d’expertise pédopsychiatrique peut émaner de toute juridiction d’instruction et de jugement selon le texte de loi no 93-61 du 23 juin 1993 du Code de procédure pénale qui ne prévoit aucune modalité spéciale pour la psychiatrie et encore moins pour les modalités d’expertise ou d’évaluation des mineurs victimes. Mais aussi du délégué à la protection de l’enfance en sa qualité d’officier de police judiciaire (Code à la protection de l’enfance 1995). Plusieurs publications et revues internationales ont souligné différents types de difficultés des expertises psychiatriques des enfants suite à des abus sexuels [1–4] dont nous citerons trois grands types. La première difficulté est inhérente à la mission d’expertise. En effet, le cadre légal de l’expertise, aussi bien les conditions physiques et temporelles de cette dernière que la question de la crédibilité, pour laquelle l’expert est interrogé, posent les questions de sa faisabilité et de sa pertinence. La deuxième difficulté tient à la fonction d’expert, qui bien que formé à la technique de l’entretien doit résister à toute suggestivité et être conscient des facteurs qui peuvent influencer ses doutes comme sa certitude. Enfin, les facteurs spécifiques à l’enfant, du fait de son âge, de son immaturité affective et cognitive, de sa dépendance à l’adulte sont déterminants dans le déroulement des expertises. Plusieurs facteurs personnels et environnementaux peuvent déterminer les fausses allégations chez l’enfant. Enfin, la sémiologie des enfants abusés est caractérisée par sa diversité, sa non-spécificité et la diversité de son évolution en fonction de l’âge et du parcours psycho-social de l’enfant tout au long de la procédure judiciaire. Les objectifs de notre travail étaient de : • décrire le profil socio-familial des enfants victimes d’abus sexuel et pour qui une expertise a été réalisée ; • décrire les données concernant les circonstances et la nature de l’abus sexuel ; • dégager la symptomatologie clinique de ces enfants ; • relater et discuter les difficultés rencontrées au cours de ces expertises. 2. Patients et méthodes Dans le cadre d’une étude rétrospective descriptive, nous avons étudié 29 expertises d’abus sexuels sur enfants et adolescents, pratiquées par cinq pédopsychiatres expérimentés au service de pédopsychiatrie de l’hôpital Razi durant la période allant de janvier 2008 à décembre 2011. Nous avons inclus tous les enfants dont l’âge était inférieur à 18 ans au moment de l’expertise sans limite inférieure et exclu une expertise où la conclusion de l’expert n’était pas encore établie. Le recueil des données s’est fait à partir du dossier clinique et judiciaire disponible et complété auprès du pédopsychiatre expert mandaté selon deux fiches : • une fiche épidémiologique : décrivant l’âge, le sexe, le profil familial et socio-culturel de l’enfant ; • une fiche contenant des paramètres recueillis à partir des expertises : des informations concernant la famille de l’enfant abusé (la situation familiale, notion de violence familiale et l’identité du premier confident), l’abuseur (son sexe, son lien de parenté avec l’enfant abusé), l’abus sexuel (nature, fréquence, l’éventuelle existence d’une violence associée), la symptomatologie clinique et l’expertise en elle-même (les demandes du juge, les réponses de l’expert et les difficultés rencontrées au cours de l’expertise). Les diagnostics cliniques ont été retenus selon les critères du DSM-IV. L’analyse statistique s’est faite avec le logiciel SPSS dans sa 15e version. Nous n’avons pas recherché de corrélations en raison de la taille réduite de l’échantillon. L. Robbana et al. / Neuropsychiatrie de l’enfance et de l’adolescence 62 (2014) 287–292 Tableau 1 Les différents types de sévices. 289 Tableau 2 La symptomatologie relevée chez les mineurs. Type d’abus Nombre de garçons Nombre de filles Nombre total des victimes Attouchement Pénétration anale Pénétration vaginale Exhibitionnisme Attouchement et fellation 6 8 – 0 0 6 2 3 2 1 12 10 3 2 1 3. Résultats 3.1. Le profil sociodémographique de la population étudiée L’âge moyen des mineurs expertisés était de 8,7 ans avec un âge minimum de 3 ans et 6 mois et un âge maximum de 16 ans. L’âge moyen des filles était de 9,28 ans et celui des garçons de 8,15 ans. À noter que sur les 13 filles victimes d’abus sexuel, 7 étaient pubères ou avaient des signes pré-pubères. L’âge des mineurs de sexe masculin au moment de l’agression était inférieur à 12 ans. Le sex-ratio était de 1,15 garçon pour une fille. La grande majorité de l’échantillon soit 86 % vivaient en milieu urbain. La moitié des parents des enfants et des adolescents étaient divorcés. Chez 7 familles, la notion de violences conjugales a été rapportée. Tous les abuseurs étaient de sexe masculin et tous étaient une personne familière à l’enfant. Dans 26 cas (92,8 %), l’abus était intrafamilial (dans 16 cas, c’était le père, dans 3 cas, le grandpère, dans 2 cas, le demi-frère, dans 3 cas, un cousin et dans 2 cas, un oncle). 3.2. L’abus sexuel : nature et contexte Les différents types de sévices sont illustrés dans le Tableau 1. Au cours de l’abus sexuel, 10 mineurs ont été victimes de violence physique ou morale (humiliation, menaces). Le recours à la violence physique au cours de l’abus sexuel est prédominant chez les adolescents à partir de l’âge de 13 ans. La violence morale (l’utilisation de la menace essentiellement) est notée à partir de l’âge de 5 ans. La peur ressentie envers son abuseur a été relevée chez 17 mineurs. Par contre, des rapports plus complexes ont été observés chez 5 mineurs où séduction, ambivalence, voire complicité, se conjuguent : ils étaient âgés de 4, 11, 12, 15 et 16 ans. L’identité du premier adulte confident a été mentionnée dans 24 expertises : la mère du mineur dans 17 cas, les grands-parents dans 4 cas, l’instituteur dans 2 cas et le père dans 1 cas. 3.3. Symptomatologie clinique Quant à la symptomatologie relevée au cours des expertises, nous avons noté plus d’un symptôme chez 20 mineurs. Le Tableau 2 illustre cette symptomatologie. Des entités nosographiques bien définies ont été retenues : un état de stress post-traumatique dans 3 cas, trouble de l’adaptation Trouble du sommeil Humeur dépressive ou équivalent Difficultés scolaires Trouble du comportement Trouble alimentaire Trouble sphinctérien Trouble des conduites sexuelles Trouble anxieux Trouble somatique Trouble des conduites sociales 14 13 13 10 5 4 3 2 1 1 avec humeur dépressive dans 13 cas, alors que dans 10 cas la symptomatologie était non spécifique d’un trouble caractérisé. Chez deux patients, aucun symptôme clinique n’a été mis en évidence. 3.4. Les données de l’expertise L’étude des expertises a montré qu’il s’agissait d’une première procédure dans 23 cas. La demande d’expertise émanait d’un juge dans 19 cas et d’un délégué à la protection de l’enfance dans 9 cas. L’intervalle moyen séparant le début des faits et la date de l’expertise était de 1 an et 8 mois. La liste des questions posées par le juge est rapportée dans le Tableau 3. Dans la totalité des cas, le juge a nommé un seul pédopsychiatre expert. L’expertise s’est déroulée au service de pédopsychiatrie en une ou plusieurs séances. L’agresseur présumé n’est pas rencontré lors de ces expertises. Le recours à l’avis d’un psychologue pour un bilan de personnalité ou d’efficience intellectuelle est effectué en cas de décision de l’expert. Le médecin expert n’a pas répondu à toutes les demandes formulées par le juge surtout quand les questions posées concernaient les faits de l’interrogatoire. La nécessité d’un suivi ultérieur de l’enfant par un spécialiste a été demandée par 4 juges mais le psychiatre expert a préconisé un suivi de l’enfant dans toutes les expertises. 4. Discussion Selon diverses études, la révélation des abus se faisait dans moins de 40 % des cas [5]. Il n’y a d’intervention de l’autorité Tableau 3 Les différentes demandes formulées par le juge. Réaliser un examen psychiatrique Préciser la crédibilité des dires de l’enfant en rapport avec son état mental Préciser l’identité de l’abuseur Décrire l’acte sexuel subi Préciser l’état psychologique et mental de l’enfant et les répercussions Préciser la nécessité d’un suivi ultérieur La nécessité d’un placement 28 expertises 12 expertises 3 expertises 2 expertises 15 expertises 4 expertises 1 expertise 290 L. Robbana et al. / Neuropsychiatrie de l’enfance et de l’adolescence 62 (2014) 287–292 médicosociale ou judiciaire que dans une proportion d’un cas sur 10 et est encore moindre pour les abus sexuels intrafamiliaux [6]. Dans notre étude, le sex-ratio était de 1,15. Ce résultat ne concorde pas avec les données de la littérature qui s’accordent sur la prépondérance féminine [7]. Une étude rétrospective réalisée à partir des registres juridiques des affaires d’agressions sexuelles commises dans une région du Centre-Est tunisien jugées de 1993 à 1998 a révélé que 629 affaires ont été recensées, correspondant à une incidence de 14,7 victimes pour 100 000 habitants par an, 81 % des victimes étaient mineures et 58 % de sexe féminin. De même, selon une thèse de doctorat en médecine réalisée par Ben Yedder en 2012 [18], 74 % des victimes ayant bénéficié d’une expertise médicolégale étaient de sexe féminin. La prédominance des victimes du sexe masculin dans notre étude ne reflète pas la prévalence en population générale et pourrait être liée au fait que les garçons seraient plus souvent amenés à des expertises psychiatriques à la recherche d’éventuelles répercussions psychologiques de l’abus alors que les filles bénéficieraient plutôt d’une expertise médico-légale afin de s’assurer de leur virginité. Ceci peut être aussi expliqué par nos tabous socio-culturels ; en effet, l’abus sur le sexe féminin mineur est plus rarement dénoncé car dans notre culture (comme en Espagne, en Corse ou en Sicile), la femme et plus particulièrement la fille doit être préservée jusqu’au mariage et une telle dénonciation pourrait engendrer des répercussions néfastes aussi bien au sein de la famille que pour l’avenir de la fille. Quant aux données socio-géographiques, nous avons relevé que 86 % des mineurs qui ont été expertisés vivaient dans un milieu urbain. Ce chiffre peut être expliqué par la difficulté d’accessibilité des régions rurales à la justice et les longues procédures contraignantes que ces habitants peuvent rencontrer mais aussi que ce sujet reste encore tabou dans ces régions. La littérature ne fournit pas de chiffres à ce sujet. Par ailleurs, selon les différentes études et conformément à notre travail, l’abus survient, dans la majorité des cas, soit avant l’âge de 8 ans, soit à la puberté pour la fille (70 % des filles sont pubères) [8]. Dans ce travail, seulement 7 filles sur 13 étaient pubères. Il est acquis en effet que certains enfants peuvent discerner précocement, autour de 30 mois, la qualité inacceptable de la relation d’intrusion initiée par l’adulte [1]. Corrélée au jugement moral, l’intuition leur permet de percevoir un hiatus entre le côté étrange, inhabituel de ce qui est agi et l’ensemble des discours et des attitudes porteuses de valeurs morales dont il bénéficie à d’autres moments. Dans notre étude, trois enfants étaient âgés de moins de 4 ans. Ces tout-petits ont rapporté les faits spontanément. Seul l’un d’eux a subi une violence physique associée à l’abus sexuel. L’utilisation de la violence physique et/ou morale au cours de l’abus sexuel varie largement en fonction de l’âge de la victime. Avec les tout-petits [9], plutôt que rechercher à faire peur, l’abuseur le fait d’une façon « soft », en les séduisant, en leur présentant l’abus comme un jeu. L’agresseur essaie ainsi également d’imposer le secret. Par contre, la violence physique et morale, associée à l’abus sexuel, est plus fréquente quand les enfants sont plus âgés. Avec les plus grands, l’abuseur cherche à faire peur. En s’intéressant au lien de parenté de la victime avec son abuseur dans notre étude, nous relevons que 93 % des abus sexuels expertisés sont intrafamiliaux et seulement 7 % sont extrafamiliaux (un directeur d’école dans un cas et un instituteur dans l’autre) ; ceci ne concorde pas avec les résultats d’une étude menée sur les agressions sexuelles chez l’enfant du grand Tunis menée au service de médecine légale de l’hôpital Charles-Nicolle de Tunis où 61 % des agresseurs sont extrafamiliaux. Mais nos résultats sont conformes aux données de la littérature. En effet, il est rapporté que l’abus sexuel est intrafamilial dans 75 à 78 % des cas et extrafamilial dans 22 à 25 % des cas (les agresseurs sont souvent des proches de la famille ou des personnes ayant autorité sur l’enfant) [7]. Notre étude ne nous permet pas de décrire un profil des agresseurs puisqu’ils sont rarement rencontrés au cours de la procédure d’expertise. Plusieurs auteurs se sont intéressés à la situation d’expertise qui confronte le pédopsychiatre expert à plusieurs types de difficultés inhérentes à l’enfant expertisé, à l’expert lui-même et au cadre de l’expertise. Pour les difficultés inhérentes à l’enfant, on relève en premier la variabilité de l’expression de leur souffrance, il n’existe pas de modèle linéaire de cause à effet qui reprendrait tous les symptômes et qu’il suffirait d’appliquer comme simple grille de décodage [1–3]. En effet, la majorité des enfants et certainement les plus jeunes ne peuvent exprimer leur souffrance par la parole. Parfois leur seul moyen d’expression est leurs corps [6]. Leur mal-être peut se manifester par différents symptômes : troubles de l’alimentation, troubles du sommeil, fléchissement des résultats scolaires, trouble somatique, trouble sphinctérien, tristesse, comportement sexualisé. Certains auteurs considèrent le comportement sexuel, symptôme souvent relevé chez les mineurs victimes d’abus sexuel, comme seul révélateur de l’abus sexuel [10]. Dans notre étude, la variabilité de l’expression clinique a été la règle, 3 enfants uniquement ont présenté un trouble du comportement sexuel considéré hautement significatif avec deux situations où l’examen ne relève aucun symptôme patent. L’autre difficulté avec l’enfant abusé est en rapport avec les compétences cognitives de l’enfant et qui influencent son récit. Ils tiennent autant aux capacités mnésiques de ce dernier qu’aux difficultés à sélectionner les faits importants de ceux qui apparaissent comme secondaires au regard des adultes, et il a une façon particulière de percevoir l’espace et le temps [19]. En effet le mineur a souvent un rapport particulier avec le temps [11] : un espace temporel qui peut sembler court à un adulte représente « un siècle » pour un enfant. Pour un enfant, la mémoire des évènements durant la période séparant les faits et l’expertise qui est souvent longue (18,64 mois dans notre étude) fait place à un récit reconstruit à travers les remémorations parfois nombreuses qui ont été imposées. De même chez l’adolescent, l’intensité des réaménagements corporels et psychologiques est telle que le sujet ne se reconnaît plus dans ce qu’il était, parfois même dans un passé objectivement récent pour les adultes qui l’entourent. Nous citerons en dernier le rôle de la suggestibilité qui peut être double, induite par le parent comme induite par l’examinateur comme cela a été démontré par les expériences de Ceci et al. en 1987 [20] et par King et Yuille la même année. L. Robbana et al. / Neuropsychiatrie de l’enfance et de l’adolescence 62 (2014) 287–292 Quant aux difficultés inhérentes à la fonction d’expert, la recherche de la vérité psychique de l’enfant dépendra de l’expérience clinique de l’expert et de ses techniques propres à sa pratique habituelle [4]. En Tunisie et malgré l’existence d’une liste officielle d’expert nécessitant une demande préalable de la part de l’expert et d’avoir prêté serment, il est fréquent de voir des pédopsychiatres non inscrits sur ces listes et mandatés par les juges. Mention spéciale aux difficultés éthiques ; les pédopsychiatres chargés de ces expertises ont mentionné le fait qu’ils se sont souvent trouvé tiraillés entre leur rôle d’expert, leur rôle de thérapeute ainsi que par la nécessité de transgresser le secret médical inhérent à la situation d’expertise. La prière dramatique du mineur, après confidence, de ne pas être « trahi », surtout lorsque les parents sont impliqués dans la responsabilité des faits dont il est victime, et l’obligation de l’expert de conduire son expertise en obligation de sincérité représentent des processus complexes de liens à l’enfant dont la gestion peut être éprouvante pour l’expert. Le troisième type de difficultés est en rapport avec la mission d’expertise. En France, la loi du 17 juin 1998 précise les conditions dans lesquelles le mineur victime peut faire l’objet d’une expertise médico-psychologique, dont le but est d’apprécier le retentissement des faits sur l’état de santé psychique et la personnalité de la victime et de préciser si son état relève d’un éventuel traitement alors qu’en Tunisie aucun texte de loi ne définit les questions qui peuvent être posées à l’expert ni l’obligation de ce dernier de répondre à toutes les questions posées. Les questions sont laissées à l’appréciation personnelle de chaque juge, elles ont souvent été de deux ordres : les unes visent à apprécier la nature et l’importance du traumatisme subi et les autres à préciser la valeur que l’on peut apporter aux propos de l’enfant [12]. Dans notre étude, l’expert s’est trouvé confronté à des demandes du juge qui dépassaient parfois son rôle d’expert notamment les questions « décrire l’acte d’abus » ou « préciser l’identité de l’agresseur ». Il n’a pas de ce fait répondu à toutes les questions qui relèvent de l’instruction et non de l’expert. En effet, la réponse à certaines questions peut conditionner les poursuites de l’auteur présumé de l’agression sexuelle [13]. Par contre, l’expert a répondu à une question qui n’a pas été posée par le juge dans 24 cas sur les 28 ; effectivement dans 4 cas uniquement le juge a demandé un avis sur la nécessité d’un suivi alors que l’expert a conclu à la nécessité d’un suivi psychologique dans les 28 expertises. Quant à la question de crédibilité qui a été posée dans 12 cas dans notre étude, elle reste toujours complexe et problématique surtout que l’expertise de crédibilité n’est pas toujours entendu au sens psychiatrique à « déterminer la présence ou l’absence de pathologie de type délire, mythomanie, affabulation, insuffisance intellectuelle, conviction passionnelle. . . En l’absence de ces facteurs pathologiques, la victime présumée est crédible au sens médico-légal » alors que l’attente du juge est la vérité judiciaire : si l’enfant ment ou pas, s’il est sous l’influence de la suggestion ou pas et en définitive si les allégations sont véridiques ou pas. D’autre part, plusieurs auteurs ont relevé le fait qu’on ne peut pas écouter l’enfant en ayant comme objectif de savoir si ses propos correspondent à des faits réellement vécus 291 ou non [14] et que cette attitude biaise la situation d’examen clinique. Le dernier point concernant les conditions d’expertise intéresse l’intervalle séparant les faits de l’expertise. Les auteurs s’accordent pour dire plus on s’éloigne du temps zéro, plus ce que l’enfant va redire perd en fiabilité [15]. Aussi la répétition des témoignages et l’effet de suggestion que peut avoir les différents intervenants peuvent modifier les propos de l’enfant [16,17]. Dans notre étude, le délai moyen entre les faits et l’expertise était de 18,6 mois ce qui correspond à des délais habituels bien que particulièrement long pour des petits enfants. Mais ce sont les procédures qui sont parfois vécus comme étant particulièrement traumatisantes partant des conditions de l’interrogatoire, des répétitions des témoignages et surtout l’absence d’une juridiction spécialisée de l’enfant victime. 5. Conclusion L’agression sexuelle sur mineur est une forme grave de maltraitance touchant tous les niveaux sociaux. Ce crime est très souvent vécu par l’enfant dans le silence et le secret. L’abuseur est le plus souvent une personne « connue » et familière à l’enfant. La symptomatologie relevée chez ces victimes est souvent riche et exprimée de différentes manières : il n’existe pas de modèle linéaire exprimant leurs souffrances. Le retentissement psychologique de l’abus sexuel sur le mineur dépend aussi des supports socio-familiaux qui l’entourent mais aussi du processus judiciaire de la reconnaissance de l’abus. À partir de notre travail, nous avons pu constater qu’en Tunisie, du dévoilement au jugement, le parcours de l’enfant victime d’abus sexuel est long et éprouvant. La parole dite en confidence devient objet d’interrogatoires successifs, d’expertises médicales et psychiatriques, de confrontations multiples, justifiés par la recherche des preuves. Partant du fait que la rencontre du mineur avec l’expert peut renforcer l’impact traumatique ou au contraire revêtir une dimension thérapeutique, il est indispensable de former les différents professionnels en contact avec l’enfant victime d’abus sexuel et de favoriser les conditions des procédures judicaires. Déclaration d’intérêts Les auteurs déclarent ne pas avoir de conflits d’intérêts en relation avec cet article. Références [1] Becker E. 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