La Centralisation aux Etats-Unis
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La Centralisation aux Etats-Unis
LEFEBVRE Charlotte LEHALLE Alexis MAQUINGHEN Arnaud Conférence d’Histoire de M. David COLON Plan de dissertation La Centralisation aux Etats-Unis Parler de centralisation aux Etats-Unis peut sembler paradoxal si l’on entend, par centralisation, un système d’organisation d’un pays, dans lequel la totalité des tâches administratives et politiques, qui sont à gérer sur toute l’étendue du territoire, est réunie sous la compétence des organes centraux de ce pays. En effet on retient souvent des Etats-Unis la définition de l’Etat fédéral, où une partie du pouvoir s’exerce au niveau des Etats. Pourtant, les jeunes Etats-Unis de la fin du 18e siècle doivent se poser la question de l’organisation d’un pays neuf, vierge, et jusqu’alors sous tutelle. La peur bien connue des Américains d’un Etat tyrannique, monarchique et archi-centralisateur n’empêche pas les Pères Fondateurs de faire preuve de pragmatisme, dans la mesure où un minimum de centralisation s’avère nécessaire pour assurer une gestion efficace. Sans remettre en question cet impératif, les partisans d’une autonomie importante des Etats, qui contestent la construction d’un Etat central fort, influent sur les décisions prises. A l’inverse d’un Etat européen où la personne royale a longtemps imposé sa volonté à ses sujets, les Etats-Unis reposent sur un consensus général et un respect des opinions : l’antagonisme entre défenseurs du pouvoir central et défenseurs des prérogatives des Etats donne lieu à un débat réel et acharné. La question est bien évidemment centrale dans toute l’Histoire des Etats-Unis, mais elle est d’autant plus fondamentale à la fin du 18e siècle et au début du 19e qu’il s’agit d’un moment important de construction de la nation et de l’Etat américains. C’est pourquoi nous nous intéresserons à la période 1781-1837, entre l’entrée en vigueur des Articles de Confédération, et la fin de la présidence jacksonienne. C’est durant cette période que sont mises à l’épreuve les idées de chacun ; par la suite il s’agira essentiellement de réinterprétation, d’adaptation de ces « expériences » au contexte. La question se pose également en termes de thématique : que recouvre précisément la centralisation ? En nous basant sur l’analyse de Tocqueville (De la Démocratie en Amérique), nous nous concentrerons sur la centralisation qu’il appelle « gouvernementale », relative aux « intérêts communs à toutes les parties de la nation. (…) Aux Etats-Unis, la centralisation gouvernementale existe au plus haut point » (chapitre V de la première partie). En quoi la forme prise par la centralisation aux Etats-Unis durant cette période traduit-elle la nécessité d’un compromis entre deux courants ayant une conception différente de la construction de l’Etat ? Nous verrons que la centralisation apparaît comme un « mal nécessaire » pour permettre l’organisation des Etats-Unis, mais qu’elle est un mécanisme controversé, contraint à des concessions. I) Il existe une volonté centralisatrice indéniable, liée aux évolutions historiques et politiques des Etats-Unis A ) La Confédération esquisse une forme d’union autour du Congrès des Etats-Unis 1. Le Congrès a été clairement institué pour répondre aux problèmes d’organisation auxquels étaient confrontés les 13 colonies. > Il prend ainsi en charge l’effort de guerre des colonies dès 1776, confie le commandement à Washington, ordonne l’action des milices… > Il négocie par ailleurs la paix avec la Grande-Bretagne en 1783. 2. Le champ d’action du Congrès s’étend à la fonction législative après 1781. > Le Congrès rédige par exemple la législation sur le commerce intérieur et extérieur, sur les tarifs douaniers. 3. Les Articles de Confédération servent de « laboratoire » à l’Union, ils sont loin encore de la perfection. > Le Congrès n’a aucun pouvoir de coercition et il éprouve des difficultés à gérer les révoltes intérieures qui menacent l’union : ainsi la révolte des Shays conduite par Daniel Shays dans le Massachusetts (1786). B) La Constitution représente une réponse aux limites des Articles de Confédération 1. Les Pères Fondateurs prennent conscience des problèmes de la Confédération liés à la faiblesse du pouvoir central. > Ainsi la Convention de 1787 est soigneusement préparée à travers différentes réunions, dont les principales sont celles de Mount Vernon en 1785 (Washington) et celle de Annapolis en 1786 (Washington, Hamilton, Madison). 2. Le pouvoir central, à travers la Constitution, est renforcé par plusieurs mesures. > L’article VI de la Constitution garantit la suprématie de la loi nationale sur la loi des Etats : « This Constitution, and the laws of the United States which shall be made in Pursuance thereof ; and all Treaties made, or which shall be made, under the authority of the United States, shall be the supreme law of the Land (…)» > L’exécutif central créé est symbolisé par la figure du « Président monarchique » (représentant de la nation et en charge de l’application des lois) C ) Les premiers cabinets des Etats-Unis approfondissent ce mouvement centralisateur 1. L’approfondissement se fait au niveau économique et financier. > Hamilton crée la Banque Centrale en 1790 pour assainir la situation financière et honorer les dettes des Etats-Unis, et institue le dollar, monnaie unique, en 1792. 2. L’approfondissement se fait au niveau judiciaire. > L’arrêt Marbury contre Madison (1803) institue une forme de concentration du contrôle de constitutionnalité, qui en dernier recours, revient à la Cour Suprême. 3. L’approfondissement se fait au niveau politique. > Pendant la guerre de 1812, le pouvoir prend en charge les opérations militaires. > L’expansion à l’Ouest nécessite une centralisation politique, puisque 11 Etats nouveaux sont admis jusqu’en 1829. 4. L’approfondissement se fait au niveau symbolique. > La création d’une nouvelle capitale, Washington (1797), rassemblant tous les bâtiments officiels de la fédération (par exemple la Maison Blanche ou le Capitole), marque la volonté de rendre visible les organes centraux de l’Union. II) Cependant, la centralisation aux Etats-Unis se fait dans le contexte particulier d’un Etat fédéral A) La construction américaine s’est faite en réaction au pouvoir centralisé britannique 1. Les colonies ne supportaient pas l’hégémonie de la métropole. > Le pouvoir du roi britannique Georges III sur les colonies était perçu comme tyrannique. > Les lois sur le thé et le papier de 1767 étaient qualifiées d’« intolérables »(Townshend Acts) 2. La construction américaine repose sur l’idée d’une union suffisamment respectueuse de l’autonomie des Etats. > Elle repose en grande partie sur les thèses de Locke (Second Treatise of Civil Government, 1690), qui défendait l’idée d’un consentement mutuel qu’on peut rompre. B) Le mouvement de centralisation rencontre une opposition active 1. Plusieurs courants de pensée s’opposent à la centralisation politique. > Jefferson et ses partisans souhaitent en 1792 une « interprétation stricte » de la Constitution, qui garantirait leur pleine souveraineté aux Etats membres de l’Union. 2. L’opposition se cristallise entre les Etats. > On oppose traditionnellement le Nord et le Sud, marqué par une structure aristocratique qui entre en conflit avec la centralisation au niveau fédéral. La crise de la nullification illustre particulièrement bien ce phénomène. > Les petits Etats (Rhode Island) veulent une représentation suffisante pour éviter une concentration du pouvoir aux mains des Grands Etats. C) Cette confrontation de deux visions conduit à une évolution chaotique de la centralisation 1. Elle ne se fait pas de manière linéaire, mais on observe des dynamiques inverses. > Ainsi en 1832, Jackson oppose son veto au renouvellement de la Banque centrale, dont le monopole d’émission des billets et de centralisation des dépôts gouvernementaux arrivait à terme. > Les banques locales (« pet banks ») prolifèrent sous sa présidence ; elles reçoivent les dépôts du gouvernement. 2. La centralisation a du mal à s’imposer dans certains domaines > Au niveau politique, la volonté de l’Etat fédéral n’est pas toujours en accord avec les volontés particulières, particulièrement sur la question de l’esclavagisme. > L’action économique est peu soumise au contrôle central de l’Etat : on observe ainsi dans la première moitié du 19e siècle un essor du capitalisme sauvage (industries textiles). Cette période de l’Histoire des Etats-Unis fixe donc un cadre aux formes et aux aspects très particuliers de la centralisation dans le pays. L’intérêt de Tocqueville pour cette caractéristique de la culture américaine est donc bien compréhensible de la part d’un Européen : la centralisation américaine ne s’analyse pas à travers des grilles de lecture européennes ! Elle est l’expression d’un certain pragmatisme en même temps que l’expression d’un compromis entre des thèses divergentes : la recherche de la juste mesure semble avoir animé les Pères Fondateurs. Il fallait construire un Etat central suffisamment fort capable de gouverner le pays tout en assurant les prérogatives des Etats. Cependant, l’évolution de la centralisation ne s’arrête pas avec la Présidence Jackson ; des tensions subsistent, de plus en plus affirmées, de plus en plus « explosives ». Elles s’expriment pleinement lors de la Guerre de Sécession en 1861. Les Sudistes mènent en partie une guerre contre la volonté centralisatrice et homogénéisatrice du Nord, qui se cristallise sur la question de l’esclavage. Et au-delà même de cette guerre, on observe plusieurs étapes nouvelles dans la centralisation, qui s’étendent jusqu’à aujourd’hui : le New Deal de F.D. Roosevelt, par exemple, constitue une forme d’organisation centrale de l’aide sociale, tandis que la Guerre Froide renforce la centralisation politique… Bibliographie Ouvrages généraux : ARTAUD Denise et KASPI André, Histoire des Etats-Unis, Paris : A. Colin, collection U, 1983 LACROIX Jean-Michel, Histoire des Etats-Unis, Paris : PUF, collection Premier Cycle, 2001 (1996) REMOND René, Histoire des Etats-Unis, Paris : PUF, collection Que sais-je, 1992 (1959) Ouvrages spécialisés : FOHLEN Claude, Thomas Jefferson, Nancy : PUN, 1992 GREENE Jack Philip, Encyclopedia of American political history : studies of the principal movements and ideas, New York : Scribner’s, 1984 NOUAILHAT Yves Henri, Histoire des doctrines politiques aux Etats-Unis, Paris : PUF, collection Que sais-je, 1969 REMINI Robert, Andrew Jackson, New-York : , 1977-1984 Documents : TOCQUEVILLE Alexis de, De la Démocratie en Amérique, Paris : Gallimard, collection la Pléiade, 1992 (1986)