Février 2012 - Education familiale
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Février 2012 - Education familiale
L'éducation sexuelle: pourquoi, comment? Pascale Coquoz, enseignante, éducatrice en santé sexuelle et affective Des ateliers pour réfléchir à l’éducation sexuelle des jeunes enfants Comment la sexualité s’exprime-t-elle chez les jeunes enfants? Comment intégrer le thème de la sexualité à l’éducation? Deux questions traitées dans des ateliers ouverts aux parents et aux professionnels. La sexualité concerne chacun et à tout âge. On vient au monde comme des êtres sexués. «C’est un garçon, c’est une fille» sont les premiers mots qui suivent une naissance. Dès le début, les parents intègrent donc la dimension sexuelle dans le quotidien de l’enfant. L’éducation sexuelle est avant tout l’affaire des familles; les enfants y vivent leurs premiers échanges affectifs et corporels. Ils y reçoivent leurs premières valeurs. Mais elle est aussi l’affaire de tous. L’enfant va, en effet, à la rencontre des autres. Il entre aussi en contact avec notre société «hypersexualisée». Afin de mettre en pratique la coéducation, les ateliers sont ouverts aux parents, aux professionnels et aux grandsparents. Il s’agit d’assurer la richesse des points de vue et des échanges. C’est un garçon, c’est une fille» sont les premiers mots qui suivent une naissance D ans le canton de Fribourg, l’Association pour l’éducation familiale propose des ateliers d’éducation sexuelle destinés aux parents de jeunes enfants. On y aborde tout ce qui a trait à la construction de l’identité et aux attitudes éducatives qui favorisent l’estime de soi. Pourquoi des ateliers au sujet de la sexualité? L’idée d’ateliers sur ce thème est venue des parents. En effet, ceux-ci expriment souvent leurs difficultés à s’engager dans l’éducation sexuelle de leurs enfants. Nombre d’entre eux se sentent démunis: «Dans mon enfance, personne ne m’avait jamais parlé de ça. Quand j’ai eu mes règles, je ne savais pas ce qui m’arrivait. J’aimerais transmettre à mes enfants quelque chose de plus positif.» 14 Quelles motivations pour les parents? De nombreux parents désirent accompagner leurs enfants dans la découverte positive de la sexualité. Ils viennent avec une multitude de questions, en lien avec leurs propres expériences. Certaines concernent le langage: «Comment appeler les choses par leur nom?» «Comment nommer le sexe?», «Que dire et à quel âge?», «Faut-il attendre les questions de nos enfants?» D’autres s’intéressent aux comportements sexualisés des enfants: «Mon enfant se masturbe fréquemment, que faire?», «Qu’est-ce qui est normal ou qui ne l’est pas, quand doit-on s’inquiéter?», «Mon enfant est «exhibitionniste», comment réagir?» Les questions en lien avec la vie sociale ou la vie familiale apparaissent également. Elles traitent souvent de la nudité et de l’intimité dans la famille, à la crèche ou chez l’assistante parentale. Du côté des notions: la curiosité sexuelle Les ateliers permettent d’acquérir des notions théoriques sur le développement psychosexuel des enfants. Les adultes ont ainsi des clés pour mieux com- Educateur 02.12 prendre les enfants et mieux répondre à leurs besoins. L’enfant est curieux par nature. Bébé, il regarde, observe, expérimente, part à la découverte de luimême, des autres et du monde. La curiosité sexuelle fait partie intégrante de cet élan vers la connaissance; elle se manifeste déjà durant les premiers mois. L’enfant découvre le monde à travers sa bouche, laquelle lui procure un certain plaisir: celui d’être comblé physiquement et affectivement. La puissance de l’énergie vitale se manifeste dans le corps du bébé et l’accompagne tout au long de sa vie. Etre porté, caressé, bercé va lui permettre d’expérimenter la sensualité du corps dans sa relation à l’autre: il peut vivre le plaisir et le bonheur partagés. Parallèlement, il découvre son corps: ses mains, ses pieds, ses organes génitaux et les sensations agréables qu’ils lui procurent: «Mon fils touche son zizi au moment du change, il a le piquet. » En effet, le bébé expérimente son corps et ses plaisirs, ce qui déclenche automatiquement une érection. Les garçons découvrent leur pénis par hasard vers l’âge de 6 à 7 mois; les filles leur vulve vers l’âge de 10 à 11 mois. L’affirmation et la découverte de soi Entre 15 et 30 mois, l’enfant s’affirme par l’apprentissage de la propreté. Il développe la capacité de contrôler ses sphincters et observe l’influence de ce nouveau comportement sur son entourage. L’apprentissage du langage lui permet aussi d’identifier le monde et, plus particulièrement, son corps. C’est la période des «c’est quoi?» et des comptines qui nomment les choses: les parties du corps, le monde, la nature, les relations humaines. A travers le langage, on peut mettre un accent particulier sur la valeur et la beauté du corps, sur le plaisir des touchers, sur la confiance et l’intimité. La période suivante dure jusque vers 6 à 7 ans. L’enfant s’intéresse à lui-même, à ce qui fait qu’il est garçon ou fille. Il observe son corps et celui des autres; il veut comprendre leur fonctionnement. Il peut traverser alors une période «exhibitionniste»: «Ma fille de 3 ans a débarqué un soir, toute nue, dans le salon. Elle a fait un petit tour en rigolant puis elle s’est éclipsée.» Cette enfant vient de découvrir sa génitalité; elle en est si fière qu’elle éprouve le besoin de le montrer à son entourage. «On fond de tendresse devant son petit corps; on a envie qu’elle s’y sente bien.» Si les parents reconnaissent chez leur fille ce désir d’exposer sa beauté et sa puissance physique, ce comportement cessera de lui-même. Cette période est aussi celle de l’auto-stimulation. Occasionnellement, la plupart des enfants touchent ou frottent leurs organes génitaux pour se procurer du plaisir ou pour se détendre… L’enfant apprivoise ainsi son corps et sa sensualité. Plus tard, s’il persévère, on lui expliquera les notions d’intimité, les interdits et les limites qui vont lui permettre de se situer et de se socialiser. Educateur 02.12 © Philippe Martin L'éducation sexuelle: pourquoi, comment? Quand vient la question «D’où je viens?», il est temps de raconter à l’enfant l’histoire des hommes et des femmes… et celle des bébés Les enfants de 6 à 7 ans s’intéressent aussi à leur histoire: «D’où je viens, où je vais?» Ils se préoccupent de leur origine, de leur naissance et de la longue chaîne des générations qui les précèdent. Il est alors temps de leur raconter leur histoire, celle des bébés, celle des hommes et des femmes, de la vie qui se déroule. A ce stade, les enfants imitent aussi les adultes, ils jouent et adoptent des rôles qui vont renforcer leur identité sexuelle. L’adulte doit reconnaître la curiosité sexuelle des enfants et s’en réjouir. Reste la question des applications éducatives qui en découlent. Echanger, développer ses compétences dans les ateliers Les ateliers offrent aux participants la possibilité de réfléchir, de discuter et de partager leurs expériences au sein de petits groupes de travail. Voici quelques exemples: Un père raconte avoir surpris sa fille Lalie de 5 ans observer consciencieusement sa vulve dans la salle de bains et en tirer visiblement du plaisir. Gêné, il sort discrètement. Il demande aux autres de réfléchir à cette situation et de l’aider. «J’ai été très surpris par le comportement de ma fille.» Plusieurs parents racontent qu’ils ont vécu des expériences semblables et qu’ils n’y étaient pas préparés: «On imagine tout ce que notre enfant va vivre; on réfléchit aux manières de le soutenir dans chaque étape de son développement. On pense au langage, à la marche, à l’entrée à l’école mais pas à ce qui a trait au sexe: là, on zappe.» Et le père d’ajouter: «Ma première réaction avait été d’imaginer qu’elle pensait déjà à ça.» Le «ça» se réfère à la sexualité adulte. «Maintenant je me dis qu’elle apprenait à découvrir son corps et ses réactions.» En effet, il est important de replacer ce comportement dans le monde de l’enfance. Lalie se pose des questions sur elle-même et elle a trouvé certaines straté- 15 L'éducation sexuelle: pourquoi, comment? © Philippe Martin Il s’avère en effet que ces jeux sont sans conséquences et font partie du développement normal des enfants s’ils sont spontanés et se déroulent entre enfants du même âge. Les adultes, témoins involontaires, doivent rappeler aux enfants les règles du respect de soi et de l’autre. Ces jeux cessent d’ailleurs lorsque les enfants ont des réponses à leurs questions. Comment répondre aux questions de nos enfants L'enfant se pose des questions de son âge. Pour y répondre, il faut tenter de regarder le monde avec ses yeux gies pour y répondre. Finalement, le père trouve une stratégie: «Je pourrais l’aider, regarder avec elle un livre qui parle des filles et des garçons. Je me rendrais ainsi mieux compte de ce qu’elle sait et je pourrais compléter ses connaissances si c’est nécessaire.» De l’importance des mots Dans un atelier, une maman déclare: «Je me rends compte que j’ai des tas de mots pour nommer le pénis mais aucun pour le sexe de ma fille.» Sans mot pour le désigner, un objet n’existe pas. Or comment bien grandir en tant que fille, avec une vulve qui procure des sensations réelles, si celle-ci ne porte aucun nom? «Ma fille dit qu’elle n’a rien lorsqu’elle se compare à son frère.» A l’âge où l’on nomme les choses, l’enfant apprend ce qu’on lui dit sans gêne ni honte. On peut lui parler de zizi, de robinet, de pénis, de vulve, de coquillage ou de petite fleur. Et un parent d’ajouter: «Nous pouvons trouver les mots qui nous plaisent et même en inventer.» C’est exact: l’essentiel est que le sexe porte un nom et que les parents se sentent à l’aise avec leur vocabulaire, qu’il soit poétique ou anatomique. A propos des jeux sexuels Un père raconte: «Un jour, je suis entré dans la chambre de mon fils de 6 ans qui avait invité un ami. Mon fils était nu et couché; l’autre enfant l’observait attentivement. J’ai été si surpris que j’ai refermé la porte.» Les jeunes enfants font usage du jeu pour trouver des réponses aux questions qu’ils se posent. Ils ont besoin de voir et de toucher afin de saisir les différences et les ressemblances. Si le père de cette histoire n’évoque pas ce qu’il a vu, il transmet l’idée d’un tabou, d’un jeu pas comme les autres. Il convient donc de parler avec son fils des circonstances de ce jeu, du climat dans lequel il s’est déroulé et des observations qu’il a faites. 16 Une mère évoque une situation: «Lors d’une fête de famille, dans un instant de silence, Antoine, 5 ans, demande: «Pierre et Sophie ont fait comment pour faire ce bébé?» J’ai dit à mon fils qu’on en reparlerait à la maison. J’étais démunie et gênée alors que sa question ne manquait pas de pertinence.» Il est en effet important de réfléchir à la question de l’enfant avant de lui répondre. Il faut aussi le laisser s’exprimer, prêter attention aux mots qu’il utilise, évaluer ses connaissances et son besoin d’information. Une réponse simple suffit souvent à satisfaire sa curiosité. On peut lui répondre: «Pour faire un bébé, il faut un homme et une femme qui s’aiment.» Cette information sera complétée au gré des questions suivantes et des besoins. En l’occurrence, si Antoine veut savoir comment le bébé est entré dans le ventre de Sophie, on peut ajouter: «L’homme donne une petite graine qui rencontre un petit œuf dans le ventre de la femme. Ensemble, cette graine et cet œuf deviennent un bébé et l’homme et la femme, un papa et une maman.» Il est donc important de parler de sexualité avec son enfant lorsqu’il en exprime le désir. Il s’agit alors de se mettre à sa place, de tenter de regarder le monde avec ses yeux et de ne pas l’exposer à la sexualité des adultes. L’enfant se pose des questions de son âge, à nous de lui apporter des réponses qui correspondent à son âge. Un espace pour élargir son regard En guise de conclusion, voici quelques témoignages de parents qui ont suivi les ateliers: – «Ces ateliers sont vraiment une excellente prise de conscience sur les tabous liés à la sexualité et l’impact qu’ils peuvent avoir sur l’éducation de nos enfants.» Catherine, mère d’un enfant de 5 ans et demi. – «Pour moi, c’est l’idée du plaisir qui a été centrale.» Solène, assistante parentale et mère de deux enfants de 3 ans et de 20 mois. – «Cela m’a permis de mettre des mots sur certaines situations et surtout de dédramatiser la sexualité des enfants.» Pierre, père de deux enfants de 4 ans et demi et de 9 mois. Finalement, un des buts des ateliers est atteint: celui de poser un regard positif sur la sexualité des enfants. De plus, une éducation sexuelle explicite et bien adaptée au développement affectif et cognitif des enfants contribue à stimuler l’estime qu’ils ont d’eux-mêmes. Un bagage sans conteste précieux pour toute leur vie. ● Educateur 02.12