Les étapes du chemin de Christian de Duve1.

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Les étapes du chemin de Christian de Duve1.
Revue des Questions Scientifiques, 2014, 185 (2) : 153-156
Les étapes du chemin de Christian de Duve1.
Béatrice Delvaux
Le Soir
1. Les années d’enfance (1917-1934).
Christian de Duve naît en Grande- Bretagne de parents belges, réfugiés
durant la Première Guerre mondiale. Son père, faute d’être notaire, devient
agent immobilier. Sa mère est d’une famille d’origine allemande. Le jeune
Christian, qui vivra sa jeunesse à Anvers, fera des immersions régulières en
Grande-Bretagne – dont il maîtrisera la culture et la langue, tant écrite que
parlée –, mais aussi en Allemagne, dans une famille qui comprend des pros et
des résistants aux nazis. L’élève est surdoué, il aime particulièrement le français et la philosophie, et pas du tout les sciences. Mais séduit par la blouse
blanche, il choisit de faire médecine. Sa famille est catholique mais sans obsession. Il dira qu’il a développé deux compartiments distincts dans son cerveau, séparés par une cloison presque étanche, l’un pour le français, l’autre
pour l’anglais. Il a deux frères et une sœur.
2. Les années d’apprentissage (1934-1947) jusqu’à la direction
de son équipe de recherche à l’Université catholique
de Louvain.
Le hasard, qu’il cite toujours comme son meilleur allié durant toute sa
vie, fait que son kot soit juste en face de l’Institut de physiologie de l’unif. Il y
1.
C. de Duve parle de « Sept vies en une » qui est le titre de l’ouvrage de ses mémoires
publié chez Odile Jacob en janvier 2013. Béatrice Delvaux en a fait ici une excellente et
brève récapitulation.
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prend ses quartiers : une décision qui exercera une influence déterminante sur
son avenir. Car le bridge et le poker qui l’occupent durant la première année
d’études céderont la place à son autre et unique passion désormais : la recherche. Il y travaille sa première grande quête, portant sur l’interaction de
l’insuline, l’hormone dont la déficience provoque le diabète, avec le foie. La
guerre se déclare et il reprend des études de chimie, inaugurant une discipline, nouvelle à l’époque, et qui sera la sienne pour toujours : la biochimie.
Ses convictions religieuses, comme il l’écrit, ne résistent pas à la nouvelle discipline intellectuelle qu’il vient de s’imposer.
C’est l’époque aussi où il rencontre sa future épouse, Janinne Herman,
dite Ninon, et qui lui donnera quatre enfants.
L’étranger a toujours exercé sur lui une attraction particulière : il part
pour la Suède en 1946, laissant pour quelques mois sa femme en Belgique avec
leur fils Thierry et sa future première fille, Anne. Ce sera le premier contact
avec la patrie du Nobel. Il fait ensuite avec son épouse un séjour aux EtatsUnis, pour y visiter les différents chercheurs spécialistes de l’insuline.
Il revient en Belgique pour y prendre en 1948 le poste de professeur de
chimie physiologique. Il hésite car l’université de Louvain le dérange, en tant
que bastion du catholicisme dogmatique et autoritaire. Mais scientifiquement, l’endroit est « au top ».
3. Les années d’or de la Dekenstraat (1948-1974).
Christian de Duve enseigne mais poursuit surtout ses recherches. Par un
vrai tour du destin, il va bifurquer de ce qu’il croit être le chemin de recherche
de sa carrière – l’insuline – vers ces fameuses cellules qui vont devenir son
univers. Il identifiera ainsi deux de leurs organes – peroxysomes et lysosomes
– qui lui vaudront en 1974, le prix Nobel de médecine partagé avec Albert
Claude et George Palade. Lors de son premier séjour en Suède, sa femme lui
avait dit en boutade que si un jour il décrochait le Nobel, elle aimerait un
manteau en fourrure. Il tiendra sa promesse.
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4. Rockefeller (1962-1987).
L’Institut Rockefeller à New York est l’un des plus prestigieux au monde,
fondé pour le bien du genre humain et avec pour mission de faire progresser
la médecine par la recherche fondamentale. Christian de Duve y dirigera un
laboratoire avec ses propres chercheurs (l’Institut comptait alors huit lauréats
du Nobel en ses rangs), tout en continuant à gérer celui de Louvain, spécialisé
en biochimie et biologie cellulaire.
5. L’aventure de l’ICP (1975-1985).
de Duve décide de rassembler en un seul lieu trois laboratoires belges: le
sien, de biochimie et biologie cellulaire, un institut d’immunologie et un laboratoire de pathologie générale. Ils seront regroupés à Woluwe avec l’intention d’en faire un mini Rockefeller sur sol belge, animé par la culture de
l’excellence. Il connaîtra de multiples péripéties, dans une Belgique peu habituée aux projets ambitieux, de Duve faisant l’expérience de la gestion. L’ICP
s’appelle aujourd’hui l’Institut de Duve.
6 et 7. Le temps de la réflexion (1985-2012) et le temps du
souvenir (2012-2013).
Les interrogations sur la cellule, l’origine de la vie, de l’humanité, le développement du cerveau sont au cœur de la sixième vie de Christian de Duve,
période de réflexion et d’écriture qui donnera naissance à des ouvrages évènements et de référence : « De Jésus à Jésus, en passant par Darwin », « Génétique du péché originel », « Singularités ». « Jalons sur les chemins de la vie » et
« À l’écoute du vivant » (tous publiés chez Odile Jacob).
Au terme de sa 7e vie, Christian de Duve évoque le temps du souvenir.
Avec une grande douceur, sérénité et lucidité, il parcourt ses ultimes étapes
entouré de ses enfants Thierry, historien et philosophe de l’art, Anne antiquaire, Françoise artiste peintre et Alain prof de… bridge.
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Remise du prix Nobel