La filière sucre valorise ses coproduits
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La filière sucre valorise ses coproduits
Te c h n i q u e Pulpes, mélasse, bagasse... La filière sucre valorise ses coproduits Si “canne” et “betterave” riment avant tout avec “sucre”, leur transformation génère également d’intéressants coproduits mis à profit tant par le monde agricole que par certaines activités agroalimentaires et industrielles. Tour d’horizon des applications complémentaires d’une filière décidément pleine de ressources. L a betterave sucrière a de quoi surprendre. Comment imaginer que cette plante dicotylédone issue de la famille des chénopodiacées, si familière, notamment dans les régions françaises situées au nord de la Loire, puisse receler autant de richesses et de propriétés aujourd’hui indispensables... La première, et non des moindres, étant de fournir, en France, près de 4,7 millions de tonnes de sucre par an* ! Mais ce n’est pas tout. Car la betterave possède en effet d’autres ressources intéressantes, sous la forme de coproduits issus du procédé d’extraction du sucre de la betterave. Principalement exploités sous forme de mélasse ou de pulpes, ces coproduits disposent l’un et l’autre de champs d’application variés. La campagne sucrière 2002-2003 aura permis de produire environ 700 000 tonnes de mélasse en Métropole. Mélange d’eau, de sucres et de non-sucres, la mélasse est le coproduit final (non cristallisable) de la cristallisation du sucre de betterave, et se présente sous la forme d’un liquide sirupeux, visqueux et très coloré. D’une teneur en matière sèche de l’ordre de 75 %, elle se compose encore et surtout de 45 à 50 % de saccharose, de 8 à 12 % de matières minérales (potassium, calcium, magnésium, sodium...) et d’à peu près autant de matières azotées. La betterave, premier producteur d’alcool d’origine agricole « Grâce à cette composition caractérisée par une haute teneur en sucre, la mélasse va, entre autres, pouvoir servir de support de fermentation pour la production de produits divers – alcool, levures, micro-nutriments utilisés en additif aux aliments pour animaux... – et même trouver des débouchés dans l’industrie chimique », explique Philippe Reiser, responsable du département Scientifique du Cedus. En tête de liste des utilisations, l’alcool accapare à lui seul 40 % des quantités de mélasse betteravière. Celle-ci sert ainsi de base pour la production d’alcool de bouche (apéritifs anisés, liqueurs, spiritueux...), de vinaigres, d’alcool de pharmacie, d’alcool de parfum ou encore de biocarburants. Alain d’Anselme, président-directeur général du Syndicat national des producteurs d’alcool agricole (SNPAA), y ajoute même certaines destinations De haut en bas : bagasse de canne à sucre, pulpe et mélasse de betterave. grain de sucre N°7 octobre 2004 13 Te c h n i q u e industrielles « comme des solvants, des encres, des vernis, des peintures, ainsi que des matières synthétiques provenant de l’industrie chimique. » D’un point de vue qualitatif, c’est en spécialiste qu’Alain d’Anselme souligne que « la mélasse de betterave reste une matière première de choix pour la distillerie alcoolique. Ses principaux avantages sont d’être assez facilement transformable, d’être disponible directement dans les sucreries et de très bien se conserver. » Complétée par l’alcool fabriqué directement à partir de la betterave (hors process sucrier), la mélasse contribue de manière significative à faire de cette plante le premier fournisseur d’alcool d’origine agricole du marché français, avec environ 4 millions d’hectolitres par an qui représentent plus de 50 % de la production totale d’alcool agricole. Alcool éthylique utilisations France 5% 2% 4% 32% ÉTHANOL BOISSONS NÉGOCE PARFUMERIE 14% 15% PHARMACIE VINAIGRE CHIMIE Source : SNPAA 28% Par sa capacité à favoriser la multiplication des micro-organismes, la mélasse est aussi très prisée pour la production de levures. Un quart des volumes de mélasse mis sur le marché français est destiné à cette utilisation. « Grâce à la présence, dans sa composition, de sucres, de non-sucres, de matières minérales, de matières organiques azotées ou non azotées, elle représente un bon substrat pour des fermentations classiques qui vont permettre la culture de levures, essentiellement des levures actives pour la boulangerie, précise Philippe Reiser. Ou bien encore des levures de bière pour la brasserie. » La société Bio Springer, filiale du groupe Lesaffre Frères spécialisée dans la fabrication de dérivés de levures sur 14 grain de sucre N°7 octobre 2004 mélasse, en est un important utilisateur. « Nous produisons et commercialisons des dérivés non actifs de levures de panification ou de brasserie, indique Karine Serrano, responsable du développement de marchés alimentaires chez Bio Springer, qui sont utilisés pour la formulation de produits de diététique, d’arômes salés, de sauces, bouillons et soupes déshydratées, ou encore d’agents appétents pour l’alimentation des animaux familiers. Ces produits trouvent également des applications dans les domaines de l’œnologie et des biotechnologies. » Les arômes et saveurs sucrés ne sont pas absents du champ d’application des levures. Ainsi que l’explique Karine Serrano, « des notes de cuisson, des notes grillées, ou des exhausteurs de goût sont obtenus naturellement à partir d’extraits de levures, notamment pour des usages dans le domaine de la confiserie et de la pâtisserie. Ces arômes permettent d’optimiser l’intensité aromatique de certains ingrédients comme le chocolat ou le café. » Enfin, d’autres types de fermentations peuvent être réalisés pour la fabrication du glutamate, un exhausteur du goût salé, et pour les besoins de l’industrie pharmaceutique. La culture de moisissures ou de champignons à partir de mélasse de betterave permet par exemple de produire un métabolite secondaire, du type vitamine, acide aminé ou acide organique, à l’image de l’acide citrique ou de la lysine, un acide aminé intéressant pour compléter les rations animales. Au service de l’élevage De fait, la mélasse constitue un ingrédient de choix pour le secteur de l’alimentation animale – notamment dans l’alimentation bovine. En servant de support à la réalisation d’aliments composés, elle offre, par sa richesse en sucre et en minéraux, un fort intérêt nutritionnel. En outre, elle peut agir comme liant pour les différents constituants de l’alimentation animale avant leur séchage (farines, algues marines, poudres et extraits de plantes, extraits protéiques, épices et aromates). Enfin, la mélasse augmente l’appétence et favorise la digestion. Dans le processus de valorisation des coproduits de la filière sucrière, l’utilisation de la mélasse est complétée par celle des pulpes de betterave, particulièrement utiles aux éleveurs. Les pulpes sont issues du dernier stade d’épuisement en sucre de la betterave par diffusion dans de l’eau chaude. Dites “fraîches”, ou “humides”, les pulpes sont rapidement employées par le monde agricole, principalement pour l’alimentation des ruminants. Dites “surpressées” (24 à 30 % de matière sèche), elles sont destinées à l’ensilage pour une conservation plus longue. Enfin, les pulpes déshydratées, ou pulpes sèches, c’est-à-dire totalement vidées de leur eau (90 % de matière sèche), sont transformées en bâtonnets ou granulés simples à manipuler et conditionnés en sacs, en big-bags ou en vrac. Elles pourront alors servir à une alimentation animale plus diversifiée : bovins, porcs, ovins, chèvres, lapins, chevaux, daims d’élevage... Particulièrement appréciées pour leurs qualités, leur praticité et leur aptitude à la conservation, les pulpes sèches représentent les deux tiers du marché. Le secteur de la pulpe est représenté en France par seize sociétés d’intérêt collectif agricole (Sica) regroupées au sein d’Usica par les sucreries coopératives, les coopératives de luzerne et quelques industriels privés qui transforment la pulpe à façon pour le compte des planteurs. Au plan commercial, deux groupes représentent 80 % du commerce des pulpes : Désialis et Tereos. « Le monde de l’élevage connaît bien les valeurs nutritionnelles de la pulpe de betterave dans l’alimentation des ruminants, confirme le responsable de la Recher- Te c h n i q u e La pulpe de betterave – qu’elle soit fraîche (à gauche), humide, ou déshydratée pour une plus longue conservation (au centre) – présente d’excellentes valeurs nutritionnelles pour l’alimentation animale, notamment pour les ruminants. Le poids des pulpes Poids en millions de tonnes 1,5 1.346.530 t 1.413.830 t 1,0 0,5 331.240 t 0 Pulpes fraîches Pulpes Pulpes surpressées déshydratées Part de matière sèche Les produits de la filière sucrière Une tonne de betterave (75% d'eau, 25% de matière sèche) donne* : 135 kg de sucre 500 kg de pulpe humide 38 kg de mélasses che et du Développement de l’entreprise leader européen de la pulpe et de la luzerne déshydratées. La pulpe de betterave déshydratée est un produit riche en parois très digestibles pour les ruminants (pectines, cellulose), et d’une valeur énergétique proche de celle des céréales. Aujourd’hui, la maîtrise industrielle de la filière permet de fournir aux ruminants une source d’énergie noble, pratique et offrant les meilleures garanties en termes de sécurité alimentaire. Les efforts déployés depuis plus d’une dizaine d’années ont ainsi permis de renforcer la qualité et la traçabilité des produits mis à disposition des éleveurs.» Outre la mélasse et les pulpes, le processus d’extraction du sucre de betterave permet d’obtenir un troisième coproduit, issu de la filtration du jus sucré : les écumes. « Ces écumes de carbonatation, précise Philippe Reiser, constituent un produit assez dense et compact, riche en carbonate de calcium. Elles sont utilisées comme amendements calciques par les agriculteurs, afin de bonifier la structure des sols, reformer leur complexe absorbant. » Un apport d’amendement dont, juste retour des choses, la culture de la betterave ne manque pas de profiter pour ses propres besoins. ■ * Campagne sucrière 2002-2003 Cedus, Philippe Reiser, responsable département Scientifique. Tél. : 01 44 05 39 91. E.mail : [email protected] Une tonne de canne à sucre (75% d'eau, 25% de matière sèche) donne* : SNPAA : [email protected] 120 kg de sucre 300 kg de bagasse * Il reste au final de l'eau et quelques déchets 30 kg de mélasses Deux sites d’information du secteur : www.labetterave.com et www.la-pulpe.com La sucrerie du Gol, île de La Réunion. Festival de canne Tout comme la betterave, la canne à sucre génère ses propres coproduits lors de sa transformation. Ainsi, la mélasse issue de la canne diffère sensiblement de la mélasse de betterave, avec une composition moyenne moins riche en saccharose (30 à 40 %) et plus forte en substances non-sucres (10 à 20 %) pour une teneur en matière sèche de 77 à 84 %. La mélasse est essentiellement utilisée par les distilleries pour la fabrication du rhum et en partie destinée à l’alimentation animale. Avec la bagasse, la filière trouve son principal coproduit, et l’économie locale un précieux allié. Résidu fibreux né du broyage des tiges de canne à sucre, cette bagasse sert essentiellement de combustible dans les centrales thermiques lors des campagnes sucrières, se substituant au traditionnel charbon. Ce combustible capable de fournir vapeur et énergie électrique est aujourd’hui utilisé dans les deux principales centrales thermiques de La Réunion pour alimenter le réseau EDF de l’île et les sucreries en campagne sucrière. La bagasse contribue ainsi à la production d’un quart de l’électricité totale de l’île*. Les cendres de bagasse sont utilisées comme amendement des sols avec un rôle d’aérateur et de détenteur d’eau. Enfin, les écumes sont épandues dans les champs et servent de fertilisant. Par ailleurs, de récentes études menées aux ÉtatsUnis ont montré que les cendres de bagasse pouvaient être utilisées pour purifier l’eau – par absorption des pesticides – ou encore pour nettoyer les matières textiles, les métaux lourds ou les substances aminées. * Voir également Grain de sucre n° 3, octobre 2002, “La campagne sucrière à La Réunion”. grain de sucre N°7 octobre 2004 15