séance n° 5 - FSJP - Université Cheikh Anta Diop de Dakar

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séance n° 5 - FSJP - Université Cheikh Anta Diop de Dakar
Université Cheikh Anta Diop de Dakar
Mbaye
Cours magistral du Professeur Mayata Ndiaye
Faculté des Sciences Juridiques et Politiques
Licence II Droit – Semestre III
Droit des obligations – Contrat
Année académique 2011-2012
Séance n° 5
Thème : L’exécution du contrat
Sous-thème : les groupes de contrats
Exercice : commentaire d’arrêts
Bibliographie :
1- Voir les ouvrages généraux relatifs au droit des obligations
2- Articles
Christophe Jamin
Une restauration de l'effet relatif du contrat
(à propos de l'arrêt de l'Assemblée plénière du 12 juill. 1991, Besse) (1)
Recueil Dalloz 1991 p. 257
Pascal Puig, Professeur à l'Université d'Avignon
Faut-il supprimer l'action directe dans les chaînes de contrats ?
Publication
: Mélanges Calais-Auloy 2004, p. 913
Type de document : Article de mélanges
CONTRAT ET OBLIGATIONS1.Groupe de contrats
Jean-Baptiste Seube, « L’indivisibilité et les actes juridiques », Litec, 1999, n° 66.
Amrani-Mekki, Soraya, « Indivisibilité et ensembles contractuels ; l’anéantissement
“en cascade” des contrats », Defrenois 2002, 355
RTD Civ. 2007 p. 833
Sébastien PELLÉ, La notion d'interdépendance contractuelle. Contribution à l'étude
des ensembles de contrats.
J. Mestre, obs. in RTD civ. 1997, p. 116 « la dimension économique » dans les groupes
de contrats
Groupes de Mardi
Arrêt — Ass. plén. 12 juillet 1991
Besse c/ Protois
La Cour ;
Sur le moyen unique : — Vu l'article 1165 du Code civil ;
Attendu que les conventions n'ont d'effet qu'entre les parties contractantes ; — Attendu,
selon l'arrêt attaqué, que plus de dix années après la réception de l'immeuble d'habitation,
dont il avait confié la construction à M. Alhada, entrepreneur principal, et dans lequel, en
qualité de sous-traitant, M. Protois avait exécuté divers travaux de plomberie, qui se sont
révélés défectueux, M. Besse les a assignés, l'un et l'autre, en réparation du préjudice subi ;
Attendu que, pour déclarer irrecevables les demandes formées contre le sous-traitant,
l'arrêt retient que, dans le cas où le débiteur d'une obligation contractuelle a chargé une
autre personne de l'exécution de cette obligation, le créancier ne dispose contre cette
dernière que d'une action nécessairement contractuelle, dans la limite de ses droits et de
l'engagement du débiteur substitué ; qu'il en déduit que M. Protois peut opposer à M. Besse
tous les moyens de défense tirés du contrat de construction conclu entre ce dernier et
l'entrepreneur principal, ainsi que des dispositions légales qui le régissent, en particulier la
forclusion décennale ;
Attendu qu'en statuant ainsi, alors que le sous-traitant n'est pas contractuellement lié au
maître de l'ouvrage, la cour d'appel a violé le texte sus-visé ;
Par ces motifs, casse et annule, mais seulement en ce qu'il a déclaré irrecevable la demande
dirigée contre M. Protois, l'arrêt rendu le 16 janvier 1990, entre les parties, par la cour
d'appel de Nancy...
Groupes du Mercredi
12 juillet 2011
La cour,
Sur le moyen unique :
Attendu, selon l'arrêt attaqué (Caen, 12 mai 2010), que la société S. a conclu le 28
septembre 1994 avec la société P., aux droits de laquelle vient la société C. proximité France,
un contrat de franchise d'une durée de sept ans, pour l'exploitation d'un supermarché sous
l'enseigne Sh. ainsi qu'un contrat d'approvisionnement d'une durée de cinq ans ; que la
société S. ayant, le 29 mars 1999, notifié le non renouvellement du contrat
d'approvisionnement et déposé en octobre 1999 l'enseigne Sh., a mis en œuvre la procédure
arbitrale contractuellement prévue ; que la sentence arbitrale a été annulée par la cour
d'appel qui a statué en application de l'article 1485 du code de procédure civile ;
Attendu que la société P. fait grief à l'arrêt de l'avoir déboutée de toutes ses demandes
relatives à la violation par la société S. d'un contrat de franchise, alors, selon le moyen :
1°/ que deux contrats ne forment un tout indivisible que lorsque l'exécution de l'un devient
impossible sans l'exécution de l'autre ; qu'il résulte des constatations de l'arrêt que le
contrat de franchise n'imposait au franchisé qu'une obligation d'assortiment minimum ;
qu'en revanche, il ne contenait aucune mention du caractère obligatoire de l'exécution d'un
contrat d'approvisionnement ; que dès lors, en retenant pour considérer que les contrats de
franchise et d'approvisionnement étaient indivisibles, que la stratégie de la société P. était
de conditionner l'exécution du contrat de franchise à celle du contrat d'approvisionnement,
la cour d'appel a dénaturé ledit contrat de franchise et, partant, violé l'article 1134 du code
civil ;
2°/ que la cour d'appel, qui n'a pas recherché, comme elle y était invitée, si le contrat de
franchise n'était pas exécutable en l'absence du contrat d'approvisionnement, a privé son
arrêt de base légale au regard de l'article 1134 du code civil ;
Mais attendu que l'arrêt constate que les deux contrats ont été signés le même jour entre
les mêmes parties ; qu'il relève que la société P. propose des tarifs de vente à la fois en
qualité de fournisseur et de franchiseur ; qu'il retient qu'aux termes des contrats de
franchise et d'approvisionnement, d'une part, le contrôle par le franchiseur de la publicité
suppose que les produits distribués par le franchisé lui soient fournis par le franchiseur ou
une société qu'il contrôle et, d'autre part, les commandes pour l'assortiment général du
magasin doivent être effectuées auprès du fournisseur agréé par le franchiseur ; qu'en l'état
de ces constatations et appréciations, exemptes de dénaturation, c'est dans l'exercice de son
pouvoir souverain que la cour d'appel a retenu, sans avoir à faire la recherche dès lors
inopérante visée par la seconde branche, l'intention commune des parties de rendre leurs
conventions indivisibles ; que le moyen n'est pas fondé ;
PAR CES MOTIFS :
REJETTE le pourvoi
Document n° 1
Recueil Dalloz 1991 p. 257
Une restauration de l'effet relatif du contrat
(à propos de l'arrêt de l'Assemblée plénière du 12 juill. 1991, Besse) (1)
Christophe Jamin
1. - Alors qu'une large fraction de la doctrine contemporaine s'accorde pour ne plus voir
dans l'art. 1165 c. civ. que l'expression d'un prétendu principe de l'effet relatif du
contrat (2), l'Assemblée plénière de la Cour de cassation vient d'en restaurer la portée dans
des termes dont les jurisconsultes du XIXe siècle n'auraient pas renié le classicisme.
Excluant toute solution de compromis, l'arrêt du 12 juill. 1991 tranche un conflit opposant la
première à la troisième Chambre civile pour consacrer la jurisprudence établie par cette
dernière. Sous l'unique visa de l'art. 1165 c. civ. et après avoir relevé que « les conventions
n'ont d'effet qu'entre les parties contractantes », elle sanctionne les juges du fond qui
avaient retenu la responsabilité contractuelle d'un sous-traitant, ayant effectué divers
travaux de plomberie s'étant révélés défectueux, à l'égard du maître de l'ouvrage, au motif
que le premier n'était pas contractuellement lié au second. Au-delà, c'est un puissant
courant doctrinal inauguré en 1975 par la thèse du professeur Teyssié (3) que l'Assemblée
plénière
conteste.
2. - Une telle contestation ne peut être comprise qu'en rappelant brièvement les termes
d'un
débat
s'inscrivant
largement
dans
le
passé.
En effet, la Cour de cassation, constatant les injustices auxquelles aboutissait une application
trop stricte de l'art. 1165 c. civ., avait jugé dès la fin du siècle dernier que le tiers qui
subissait un dommage du fait de l'exécution d'un contrat pouvait agir en responsabilité
délictuelle à l'encontre de l'une des parties (4). Parallèlement elle revenait sur le principe
romain d'intransmissibilité des droits en dehors d'un accord de volontés pour admettre
l'action oblique du sous-acquéreur à l'encontre d'un vendeur antérieur puis, devant les
protestations de la doctrine, une action directe en garantie qui permettait au sousacquéreur contre un vendeur antérieur (5) et à l'acquéreur d'un immeuble contre les
constructeurs de l'ouvrage (6), de recueillir le bénéfice de leur action directement du
patrimoine du sous-débiteur en évitant le concours des autres créanciers de leur
cocontractant.
Ce double mouvement ne fut guère discuté jusqu'au moment où une doctrine convergente
vînt
en
critiquer
les
prémisses.
Un premier courant, après avoir contesté la notion d'accessoire qui constitue le fondement
le plus classique de la transmission de l'action en garantie au profit du sous-acquéreur et de
l'acquéreur d'un immeuble, estimait que l'admission jurisprudentielle des actions directes en
garantie révélait la création de rapports authentiquement contractuels dans les groupes de
contrats, ceux-ci justifiant en outre l'essor de la responsabilité contractuelle de droit
commun
en
leur
sein (7).
Un second courant plus radical, s'appuyant non point sur l'évolution du droit des contrats
mais sur celle de la responsabilité civile, retenait qu'il fallait substituer au critère subjectif de
détermination du domaine de la responsabilité contractuelle fondé sur la volonté des
contractants, un critère objectif qui permettrait en particulier aux tiers de s'en prévaloir dès
lors que le dommage trouverait son origine dans la mauvaise exécution du contrat (8).
Dans l'un et l'autre cas c'était remettre en cause le dogme juridique de l'autonomie de la
volonté en déniant aux parties le pouvoir de fixer le domaine des effets du contrat.
Probablement influencée par la pertinence des arguments avancés pour justifier l'une et
l'autre propositions, la première Chambre civile, choisissant une voie médiane, finissait par
accorder au concept de groupe contractuel sa portée dans le domaine de la responsabilité
civile
à
l'issue
d'une
évolution
jurisprudentielle
désormais
connue (9).
Dans un premier temps, la Cour de cassation retenait que l'action directe en garantie dont
dispose le sous-acquéreur en matière de ventes successives « est nécessairement de nature
contractuelle » (10), restaurant ainsi la règle du non-cumul des deux ordres de
responsabilité qu'elle transgressait auparavant en permettant au sous-acquéreur d'agir, s'il
le préférait, sur le fondement de la responsabilité délictuelle (11). Parallèlement la
première Chambre civile jugeait que l'action en responsabilité de droit commun, fondée sur
l'inexécution de délivrer un produit conforme, était transmise au sous-acquéreur (12).
Dans une seconde étape, cette même Chambre admettait que le maître de l'ouvrage pût
exercer une action directe à l'encontre d'un fabricant de matériaux « pour la garantie du vice
caché affectant la chose vendue dès sa fabrication, laquelle action est nécessairement de
nature contractuelle » (13). Entérinant cette analyse l'Assemblée plénière en élargissait la
portée en permettant au maître de l'ouvrage d'exercer à l'encontre du fabricant une action
directe en responsabilité de droit commun fondée sur la non-conformité de la chose
livrée (14). Cette solution, qui a finalement emporté les suffrages de la troisième Chambre
civile (15), ne marquait point le terme d'une évolution jurisprudentielle qui allait connaître
son
aboutissement
dans
deux
arrêts
aux
motivations
novatrices.
Le 8 mars 1988 la première Chambre civile, sans en justifier le fondement, accordait au
maître de l'ouvrage le bénéfice d'une action en responsabilité contractuelle de droit
commun à l'encontre du sous-traitant ayant effectué une prestation de services en relevant,
dans des termes généraux, « que dans le cas où le débiteur d'une obligation contractuelle a
chargé une autre personne de l'exécution de cette obligation, le créancier ne dispose contre
cette personne que d'une action de nature nécessairement contractuelle qu'il peut exercer
directement dans la double limite de ses droits et de l'étendue de l'engagement du débiteur
substitué » (16). Cet arrêt marquait une incontestable rupture avec les précédentes
décisions. En effet, l'action en responsabilité contractuelle du maître de l'ouvrage contre le
fabricant, qu'elle soit fondée sur la non-conformité ou le vice caché de la chose, pouvait
encore se justifier, selon la doctrine dominante, en recourant à la notion d'accessoire, le
contrat d'entreprise n'interdisant pas le transfert de la chose qui avait été vendue à
l'entrepreneur (17). Désormais le recours à cette notion devenait impossible dans la
mesure où le sous-traitant se bornait à exécuter une prestation de services.
Sous l'autorité du président Ponsard, la première Chambre dénouait peu après la difficulté
en jugeant, à propos d'un contrat d'assistance aéroportuaire, que « dans un groupe de
contrats, la responsabilité contractuelle régit nécessairement la demande en réparation de
tous ceux qui n'ont souffert du dommage que parce qu'ils avaient un lien avec le contrat
initial ; qu'en effet, dans ce cas, le débiteur ayant dû prévoir les conséquences de sa
défaillance selon les règles contractuelles applicables en la matière, la victime ne peut
disposer contre lui que d'une action de nature contractuelle, même en l'absence de contrats
entre
eux
» (18).
Le recours au concept doctrinal de groupe contractuel n'entraîna pas la conviction de la
troisième Chambre civile qui, dans le domaine immobilier, continuait à soutenir qu'en raison
de sa qualité de tiers aux « rapports contractuels et personnels » existant entre
l'entrepreneur principal et le sous-traitant, le maître de l'ouvrage ne pouvait agir qu'en
responsabilité
délictuelle
à
l'encontre
de
ce
dernier (19).
3. - Une lecture inattentive de l'arrêt du 12 juill. 1991 permettrait de penser que l'Assemblée
plénière a dépassé les espérances de la troisième Chambre civile. En effet dans la rigueur de
sa motivation (20), la décision rendue ne laisse apparemment aucune place à une
quelconque action en responsabilité au profit des tiers, restaurant ainsi un strict principe de
l'effet relatif (21). Mais ce principe est issu d'un passé trop lointain et les mots, fussent-ils
identiques, changent de sens (22). Aussi les conditions de sa saisine permettent de retenir
avec certitude que l'Assemblée plénière autorise l'action en responsabilité délictuelle du
maître de l'ouvrage, qui peut d'ailleurs espérer voir déclarer son action recevable par la
juridiction de renvoi dans la mesure où les points de départ des délais de prescription, à
défaut des durées, sont distincts en matière de garantie décennale et de responsabilité
délictuelle (23).
Une même lecture pourrait encore laisser accroire qu'aucune forme d'action «
nécessairement contractuelle » n'est désormais plus permise en dehors du cercle étroit des
personnes qui ont participé à la formation du contrat. Cependant les termes du conflit entre
la première et la troisième Chambre civile qu'elle avait à résoudre permettent a priori de
supposer que l'Assemblée plénière n'a pas entendu revenir sur la jurisprudence qu'elle avait
dégagée à l'issue de son arrêt du 7 févr. 1986 (24). On est d'ailleurs d'autant plus enclin à le
penser que l'hypothèse visée par ce dernier arrêt ne heurte pas le rigoureux art. 1165 c. civ.
en permettant que s'établisse, selon une figure classique, un lien de droit entre le créancier
et
le
sous-débiteur
par
le
biais
de
la
notion
d'accessoire.
Dès lors les tiers ne pourraient aujourd'hui exercer une action en responsabilité de nature
nécessairement contractuelle que si les droits et les actions dont ils se prévalent sont
attachés à la chose dont leur auteur leur a transmis la propriété. Il en est ainsi en matière de
ventes successives s'agissant de la non-conformité et des garanties d'éviction (25) et des
vices cachés. Il en est de même au sein de certaines chaînes hétérogènes de contrats (26).
D'une part, le maître de l'ouvrage puis ceux qui acquièrent ultérieurement la chose peuvent
exercer une action contractuelle en garantie ou en responsabilité de droit commun fondée
sur la non-conformité contre le fabricant. D'autre part, l'acquéreur et les sous-acquéreurs
successifs d'un immeuble peuvent exercer les actions prévues aux art. 1792 et 1792-4 c. civ.
à
l'encontre
des
constructeurs.
Ainsi, en rejetant le concept de groupe contractuel, l'arrêt de l'Assemblée plénière, tel
qu'interprété à l'aune du conflit jurisprudentiel tranché, lui substitue implicitement celui
d'accessoire pour distribuer les domaines respectifs des responsabilités contractuelle et
délictuelle. On peut s'interroger sur la pertinence d'une telle analyse occultant un passé qui
en constitue pourtant une authentique physique expérimentale au profit de considérations
techniques qui ne sont peut-être pas décisives.
I. - La pertinence d'une césure implicite.
4. - A. - Pour comprendre le critère actuel de répartition entre les actions délictuelle et
contractuelle,
il
convient
de
remonter
à
sa
source.
Il semble que ce soit en 1884 que la Cour de cassation a pour la première fois autorisé le
sous-acquéreur à exercer une authentique action directe en garantie des vices cachés à
l'encontre d'un vendeur antérieur avec lequel il n'avait pourtant pas contracté (27). L'arrêt
constitue à l'époque une innovation qu'encourageait la doctrine. En effet les premiers
commentateurs du Code civil, ayant à départager les auteurs anciens dont certains
admettaient qu'il fallait revenir sur le principe romain d'intransmissibilité des droits en
dehors de toute volonté (28), avaient retenu que l'art. 1166 c. civ. refoulait les dernières
réticences d'un attachement aux principes classiques, le codificateur permettant au
créancier de faire valoir tous les droits de son débiteur « à l'exception de ceux qui sont
exclusivement attachés à la personne » (29). Cependant, l'exercice de l'action oblique
pouvait aboutir à de fâcheuses conséquences que la doctrine ne manqua pas de dénoncer.
D'une part, le sous-acquéreur « ne pouvait exercer la garantie de son vendeur, dans le cas où
il ne lui en serait pas dû à lui-même » (30), en particulier lorsqu'une clause exclusive de
garantie était incluse dans le second contrat. D'autre part, le bénéfice de l'action exercée par
le sous-acquéreur devait transiter par le patrimoine de son auteur. Si ce dernier était en
déconfiture ou en faillite, le sous-acquéreur subissait la loi du concours et pouvait ne pas
recevoir d'indemnité ce qui apparut contraire au sens commun de l'équité, la garantie étant
« établie uniquement dans l'intérêt de l'acquéreur » (31). Dès lors nombre d'auteurs
défendirent le principe d'une action directe et personnelle au profit du sous-acquéreur sur le
fondement d'un transfert de la chose cum omnia sùa causà, c'est-à-dire avec tous ses
accessoires (32), principe et fondement que vînt consacrer la Cour de cassation (33).
Ce bref rappel historique est riche d'enseignements. D'une part, il apprend qu'à l'époque
l'action directe en garantie s'est imposée, non au détriment d'une action délictuelle qui
n'était pas encore admise au profit des tiers (34), mais par exception au droit commun de
l'action oblique. D'autre part, il révèle qu'action oblique et action directe en garantie
disposaient d'un fondement juridique commun, à savoir la notion d'accessoire. Néanmoins,
celle-ci ne permettant pas de distinguer entre ces deux mécanismes, c'est ailleurs qu'il
convient de chercher la justification de l'action directe en garantie.
5. - Sa détermination exige un nouveau détour qui éloigne, mais en apparence seulement, de
l'arrêt de l'Assemblée plénière. L'admission d'une action directe en garantie malgré les
termes de l'art. 1166 c. civ. incite à effectuer un rapprochement avec un autre mécanisme
dont
l'origine
est
identique,
l'action
directe
en
paiement.
L'opinion dominante les distingue parce qu'elle réserve un fondement particulièrement
étroit au second. En effet l'action directe en paiement est aujourd'hui perçue comme une
exception aux principes de relativité du contrat et d'égalité des créanciers qui doit dès lors
disposer d'un fondement exclusivement légal (35). Cette analyse n'est cependant apparue
qu'au cours du premier tiers du XXe siècle pour des raisons qu'il est possible d'expliquer.
Tout au long du siècle précédent, la doctrine s'était émue de la rigueur de l'art. 1165 c. civ.
dans quelques situations particulières. Ainsi Demolombe, dont l'argumentation n'est
d'ailleurs pas dénuée d'une certaine imprécision, prétendait qu'il eût été injuste de ne pas
désintéresser l'ouvrier par préférence aux autres créanciers de l'entrepreneur dans la
mesure où, en participant par son travail à la réalisation d'un ouvrage au profit du maître, il
avait enrichi le patrimoine de son cocontractant ou encore le bailleur qui, en permettant la
sous-location, avait été le créateur d'une valeur mise dans le patrimoine du preneur (36).
C'est ainsi que l'éminent juriste justifiait en équité l'admission d'une clause de préférence au
profit du bailleur et de l'ouvrier, respectivement sur le fondement des art. 1753 et 1798 c.
civ. qui leur aurait accordé une action directe en paiement à l'encontre du sous-locataire et
du maître (37). Mais citer ces articles ne suffisait pas à rendre l'explication juridique,
l'autorité du législateur n'étant à l'époque nullement décisive. En droit, poursuivait
Demolombe, la gestion d'affaires explique le lien juridique qui unit l'ouvrier et le maître et
permet l'exercice de l'action directe alors que c'est l'occupation des lieux loués qui fonde
celui qui relie le bailleur au sous-locataire : dès lors il convient de mettre ces créanciers
préférables que sont le bailleur et l'ouvrier « directement en face » de leurs vrais débiteurs «
dont
ils
sont
eux-mêmes,
en
effet,
les
vrais
créanciers
» (38).
Peu importe la valeur de cette explication, seule la méthode présente aujourd'hui un intérêt.
Elle est commune aux juristes du XIXe siècle. A titre d'exemple, la doctrine tente d'accorder
à la victime une action directe en paiement à l'encontre de l'assureur dans les différentes
formes d'assurances de responsabilité pratiquées avant les réformes de 1913 et de 1930 en
usant d'un procédé identique : les auteurs commencent par s'insurger contre le fait que
l'assuré et ses créanciers puissent éventuellement s'enrichir du dommage subi par la victime
alors que l'indemnité versée par l'assureur doit d'abord avoir pour effet de la désintéresser ;
puis ils tentent d'établir un lien de droit entre l'assureur et la victime pour que celle-ci exerce
une action directe en paiement contre celui-là sans heurter le dispositif de l'art. 1165 c.
civ. (39).
Dans un tel système, la jurisprudence peut être légitimement à l'origine de l'admission d'une
action directe dès lors qu'elle opère cette double opération. Ainsi l'action directe en garantie
ne se distingue pas de l'action directe en paiement : fondée en équité sur le fait que la
garantie d'éviction, des vices cachés ou décennale doit profiter à celui qui est propriétaire de
la chose, elle s'explique juridiquement par la notion d'accessoire qui institue le lien de droit
unissant le sous-acquéreur au vendeur antérieur et l'acquéreur au constructeur (40).
C'est approximativement entre 1880 et 1920 qu'une telle méthode d'analyse disparaît (41)
pour laisser place à une nouvelle figure théorique. En effet, aucune des nombreuses
justifications qui ont été avancées au cours du XIXe siècle pour fonder le lien de droit qui
doit exister entre le créancier et le sous-débiteur, pour permettre l'exercice d'une action
directe en paiement, ne sont apparues satisfaisantes. Ainsi, la jurisprudence admet
l'existence d'un tel mécanisme dans de nombreuses situations sans plus pouvoir
juridiquement l'expliquer. Le principe fixé à l'art. 1165 c. civ. devrait dès lors s'imposer si
l'époque n'avait pas changé. Alors qu'un des derniers jurisconsultes du siècle passé écrit à
propos de l'art. 1753 c. civ. qu' « il serait vraiment arbitraire de faire sortir de cet article le
principe d'une action directe qui aurait uniquement son fondement dans le vouloir du
législateur », un jeune docteur lui répond que « le texte de la loi (vient) donc organiser une
obligation que ne justifieraient pas les seuls principes juridiques » (42). Désormais le seul
verbe de la loi permet d'expliquer - ou, plus exactement, d'imposer - l'admission des actions
directes. Bien plus, elle pourrait seule en justifier puisque celles-ci constituent des
exceptions
aux
art.
1165
et
2092
c.
civ.
Actions directes en paiement et en garantie, malgré leur origine commune, sont désormais
juridiquement distinctes. En effet, la notion d'accessoire, qui permet d'expliquer le lien de
droit qui unit l'acquéreur ou le sous-acquéreur au constructeur ou au vendeur antérieur,
n'est jamais remise en cause par la Cour de cassation malgré certaines critiques doctrinales.
Dès lors, « le fondement conventionnel du recours du sous-acquéreur contre le vendeur
initial interdit-il tout rapprochement avec les actions directes véritables » (43).
6. - B. - Pourtant ce rapprochement devrait être à nouveau possible car la notion
d'accessoire n'est pas juridiquement fondée et ne correspond plus à l'état du droit positif.
Elle est critiquable en droit parce qu'elle ne permet pas de distinguer entre l'action oblique
et l'action directe dans la mesure où, nous l'avons vu (44), elle a permis de justifier
successivement l'une et l'autre. Bien plus, on peut légitimement penser que l'adage
accessorum principale sequitur n'autorise que la transmission de l'action dont disposait le
débiteur intermédiaire - la chose étant transmise à l'acquéreur ou au sous-acquéreur,
l'action en garantie qui suit la chose est elle aussi transmise - et non l'exercice d'une action
personnelle
que
paraît
exprimer
la
jurisprudence.
En effet, la Cour de cassation adopte des solutions qui sont incompatibles avec une
quelconque
transmission.
Elle réserve d'abord la faculté au vendeur intermédiaire ou au maître de l'ouvrage qui ont
cédé la propriété du produit mobilier ou immobilier d'exercer l'action en garantie, qui est en
principe transmise, si elle présente pour eux un intérêt direct et certain (45).
Contrairement à ce qu'a pu écrire le Professeur Malinvaud, cette formule ne masquait pas
une action subrogatoire (46), un arrêt au moins rendu postérieurement à la publication de
son étude ayant repris la formule alors que le vendeur intermédiaire avait été simplement
assigné
par
son
ayant
cause (47).
En outre, l'action étant transmise à l'acquéreur ou au sous-acquéreur, celui-ci ne devrait pas
disposer de plus de droits que son auteur. Or la Chambre commerciale a récemment jugé
que le sous-acquéreur disposant d'une action contractuelle directe à l'encontre du vendeur
antérieur, il n'y avait pas lieu de rechercher si le vice était caché pour le vendeur
intermédiaire (48).
Enfin on a déjà relevé que les solutions auxquelles aboutit un système fondé sur la
transmission de l'action peuvent être, dans certaines hypothèses, contraires à une
jurisprudence qui valide les clauses limitatives de garantie entre les seuls professionnels de
même spécialité (49), voire à l'art. 2 du décret du 24 mars 1978 qui interdit comme
abusives les clauses limitant ou supprimant le droit à réparation du consommateur ou du
non-professionnel à l'égard du professionnel dans les contrats de vente (50).
7. - Le partage implicite qu'opère l'Assemblée plénière entre les domaines respectifs des
actions en responsabilité contractuelle et délictuelle est donc fondé sur un critère
juridiquement
contestable (51).
Est-ce à dire qu'il faut interpréter plus restrictivement l'arrêt du 12 juill. 1991 et n'accorder
aux tiers à la formation du contrat - à tous les tiers - que l'exercice d'une action en
responsabilité délictuelle ? Ce serait ignorer la portée du rapprochement que nous avons
tenté d'opérer entre les actions directes en garantie et celles en paiement qui recoupe
partiellement le concept de groupe de contrats contre lequel la Cour de cassation émet
pourtant une critique radicale.
II. - La portée d'une critique radicale.
A. - La critique qu'exprime l'arrêt du 12 juill. 1991 en revenant à un principe de
responsabilité délictuelle entre membres d'un possible groupe contractuel apparaît
partiellement
fondée.
La théorie dite des « groupes de contrats », esthétiquement séduisante (52), reposerait sur
une prise en compte de la réalité économique dont la complexité croissante nécessiterait
une traduction juridique (53). Or on peut s'étonner non seulement de cette volonté
mythique d'adapter le droit aux faits (54), mais aussi douter de la concordance objective
entre le droit et la réalité car, parler de « groupes de contrats », c'est déjà procéder à son
interprétation (55).
Pour se borner à l'application de la théorie dans le domaine de la responsabilité il est aisé de
relever, d'une part, que la réalité économique n'implique pas nécessairement la
reconnaissance d'un lien juridique entre le créancier et le débiteur de son débiteur en
dehors d'une série d'actions récursoires et, d'autre part, qu'il n'est pas inconcevable
d'estimer que les juristes ont depuis fort longtemps pris en compte cette réalité en
permettant au créancier, dès 1897 et plus certainement en 1931 (56), d'agir en
responsabilité délictuelle à l'encontre du sous-débiteur. Peut-on d'ailleurs parler d'une
complexité économique croissante alors qu'en matière immobilière, en particulier,
l'intervention de multiples corps de métiers est permanente ? (57).
Bien plus, sous couvert d'une telle prise en compte, le concept de groupe de contrats a pour
but - ou pour effet - de favoriser le sous-débiteur au détriment du créancier au nom de la
prévisibilité contractuelle (58). On ne peut donc parler d'objectivité, non seulement parce
que la mesure de la réparation obtenue par la victime dépend de la volonté du sousdébiteur, un tel système ne limitant pas l'étendue de la responsabilité de ce dernier en
fonction de ce qu'il a pu prévoir mais de ce qu'il a effectivement prévu avec l'accord de son
cocontractant (59), mais surtout parce que la faveur accordée par ce biais au sous-débiteur
opère un renversement de perspective par rapport à l'objectif ayant sous-tendu l'admission
jurisprudentielle d'une action directe en garantie. Alors que celle-ci visait à favoriser
l'acquéreur et le sous-acquéreur qui, sans un tel mécanisme, n'auraient disposé d'aucune
forme d'indemnisation, l'action en responsabilité délictuelle n'étant admise
qu'ultérieurement (60), aujourd'hui c'est le trop grand avantage conféré par l'action
délictuelle (61) qui, par réaction, a permis l'admission d'une action en responsabilité «
nécessairement
contractuelle
».
D'ailleurs, s'il s'agit de favoriser la prévisibilité, le concept de groupe contractuel est
partiellement inopérant car il repousse la question plus qu'il ne la résout, la prévisibilité
étant de toute façon sacrifiée au profit de l'intérêt de la victime extérieure au groupe qui
peut toujours agir contre le sous-débiteur en responsabilité délictuelle.
9. - En dehors de ces généralités concernant le prétendu réalisme économique de la théorie
des « groupes de contrats », il est certainement deux arguments plus immédiats, mais tout
aussi essentiels, qui ont pu emporter la conviction de l'Assemblée plénière. Ils sont d'ailleurs
moins liés au concept de groupe contractuel, dont l'énoncé n'implique pas l'adoption d'un
régime juridique spécifique, qu'à sa perception par la première Chambre civile qui, dans son
arrêt du 8 mars 1988 (62), a retenu que le sous-débiteur pouvait opposer au créancier tant
les termes de son propre contrat que ceux du contrat conclu entre ce dernier et le débiteur
intermédiaire.
Dans le domaine immobilier, le système apparaît contraire au vœux du législateur. En effet,
le sous-traitant est explicitement exclu du dispositif de la loi du 4 janv. 1978, dite loi «
Spinetta », relative à la responsabilité des constructeurs, sauf dans l'hypothèse visée à l'art.
1792-4 c. civ. où le sous-traitant est aussi un fabricant de composants. Dès lors, permettre à
celui-ci de se prévaloir du contrat conclu entre le maître de l'ouvrage et l'entrepreneur
principal, ce dernier y étant soumis, reviendrait à le réintégrer indirectement dans le champ
d'application du texte et, dans l'hypothèse où il est aussi un fabricant de composants, à
rendre sans objet l'art. 1792-4 qui n'applique à ce dernier que la responsabilité mise « à la
charge du locateur d'ouvrage qui a mis en oeuvre, sans modification (...) l'ouvrage, la partie
d'ouvrage
ou
élément
d'équipement
».
Bien plus, le système peut engendrer d'importantes difficultés. En matière immobilière, le
maître de l'ouvrage, agissant dans la limite de ses droits, peut invoquer les termes de la
garantie légale mise à la charge de son constructeur alors que le sous-traitant, qui lui oppose
l'étendue de son engagement, peut lui rétorquer qu'il n'est point soumis à ce régime (63).
Au-delà, on peut s'interroger sur la solution qu'il convient de retenir lorsque le sous-débiteur
est tenu d'une obligation de moyens et le débiteur intermédiaire d'une obligation de
résultat, lorsque le premier contrat contient une clause limitative de responsabilité alors que
le second n'en contient pas ou encore lorsque les délais de prescription sont distincts (64).
Ce dernier argument a une portée relative. En effet, les incertitudes d'un régime juridique ne
doivent pas constituer un obstacle majeur car c'est le propre d'une jurisprudence que de
s'établir par retouches successives si tant est qu'un principe de solution soit admis (65). En
revanche, le premier dispose d'un poids plus important compte tenu de la subordination de
la jurisprudence à la loi (66). Mais il pourrait n'avoir qu'une portée restreinte au droit
immobilier et ne point fonder une affirmation aussi générale que celle énoncée par
l'Assemblée plénière. En outre, l'un et l'autre arguments reposent moins sur une
appréciation du concept général de groupe contractuel que sur la façon dont son régime a
été perçu par la première Chambre civile. Si l'on retient, par exemple, que le sous-débiteur
ne peut opposer au créancier que les termes du contrat qu'il a conclu, les dispositions
spéciales à la responsabilité des constructeurs ne lui seront plus applicables alors que
s'estomperont les questions relatives à l'intensité de son obligation, aux clauses limitatives
de responsabilité ou aux délais de prescription. Une telle solution est-elle admissible ? Estelle
souhaitable
?
10. - B. - Au premier abord, elle ne peut être admise dans la mesure où elle nécessite qu'au
préalable un lien juridique soit établi entre le créancier et le sous-débiteur qui permette au
premier d'agir en responsabilité contractuelle à l'encontre du second, ce qu'interdirait la
critique du concept de groupe contractuel. Cependant, elle peut le devenir si l'on admet
qu'eu égard à l'évolution jurisprudentielle que nous avons tracée (67), l'action en
responsabilité contractuelle de droit commun est étroitement liée, par un insensible
glissement de la sanction des vices cachés à celle de la non-conformité, à l'action directe en
garantie dont l'origine est commune avec les actions directes en paiement (68).
Les unes et les autres reposent en effet sur la constatation par la doctrine du XIXe
siècle (69) du caractère inéquitable du principe de l'effet relatif du contrat dans certaines
hypothèses. Labbé en a tenté la systématisation dans un article fameux publié en
1876 (70). L'auteur préfère user du terme de privilège sur créance plutôt que de celui
d'action directe pour caractériser les situations factuelles qu'il étudie, simplement parce qu'il
n'est pas convaincu par l'explication juridique que donne Demolombe des actions en
paiement exercées par le bailleur et l'ouvrier. Mais il affirme ne point être attaché aux
mots (71), d'où l'on peut déduire que l'explication qu'il avance vaut pour l'un et l'autre
mécanisme. Pour Labbé, il convient grossièrement d'admettre l'existence d'un privilège sur
créance dès l'instant où le créancier, soit fournit les éléments avec lesquels se forme
l'obligation du sous-débiteur à l'égard du débiteur intermédiaire, soit dispose d'une action
personnelle à l'encontre de son débiteur qui peut dès lors exercer un recours contre un tiers
dont le résultat ne doit cependant bénéficier qu'à celui qui en a été à l'origine (72). La
première situation caractérise les rapports qui existent entre le bailleur et le sous-locataire
ou entre l'ouvrier (ou le sous-traitant) et le maître de l'ouvrage ; la seconde, ceux qui
unissent le sous-acquéreur au vendeur antérieur ou encore la victime à l'assureur du
responsable. Doctrine et jurisprudence ont unanimement répudié, non point l'analyse, mais
la conséquence qu'en tirait l'auteur en raison de l'impossibilité d'admettre un privilège en
dehors d'un texte légal. Si elles n'ont point refoulé la reconnaissance d'une action directe,
c'est probablement parce que les critères avancés par l'auteur suggèrent l'existence d'un lien
entre le créancier et le sous-débiteur. Une lecture plus fine de l'article démontre en effet
que Labbé suggère dans le premier cas un lien de nature économique entre le créancier et le
sous-débiteur - l'ouvrier a très étroitement (73) participé à la réalisation de l'ouvrage du
maître (74) - alors que c'est la finalité de la garantie qui justifie l'existence d'une action
directe
dans
le
second (75).
Cette perception des rapports qui peuvent unir le créancier au sous-débiteur est d'une
importance majeure car elle opère la synthèse d'un sentiment plus diffus qui domine
l'analyse doctrinale à l'époque (76). On en retrouve d'ailleurs parfois la trace au fil d'écrits
plus récents. Ainsi le professeur Bénabent écrivait, à propos de la loi du 31 déc. 1975
instituant une action directe en paiement au profit des sous-traitants, que « la faveur » faite
par la loi au sous-traitant repose sur l'idée qu'il a fourni une valeur dans le patrimoine du
maître de l'ouvrage et il serait injuste qu'il subisse le concours d'autres créanciers de
l'entrepreneur principal en « faillite » sur le prix de cette valeur (77).
11. - Ce transfert de valeur, joint à la connexité entre l'objet des prestations effectuées par
l'ouvrier ou le sous-traitant et celles exécutées par l'entrepreneur principal (78), opère la
jonction entre action directe et groupe de contrats (79). Les deux notions ne doivent pas
être systématiquement opposées l'une à l'autre, car elles reprennent en des termes
différents cette lancinante critique des juristes contre une conception du contrat, née d'une
philosophie de la modernité, qui voit dans la seule volonté le critère de sa formation. Dès
lors, elles révèlent l'impossibilité de se dégager totalement d'une conception, à certains
égards plus classique, qui insiste davantage sur la fonction d'échange du contrat par un
déplacement réciproque de valeur d'un patrimoine à un autre (80).
Cependant, l'action directe dispose d'un avantage sur le concept de groupe contractuel : sa
plus grande juridicité. Théorisée depuis le milieu du XIXe siècle, elle est désormais intégrée
au système juridique, alors que le concept de groupe en est encore à devoir y affirmer sa
légitimité (81). A ce titre, l'action directe ne doit pas se heurter aux critiques issues du
principe de l'effet relatif du contrat, fût-il lié à celui de sa force obligatoire affirmé à l'art.
1134 c. civ. En effet, elle apparaît plutôt constituer un mécanisme technique qui s'est
imposé, en dehors de toute autorisation légale, aux fins de corriger, pour des motifs
d'équité, les excès que peut engendrer la rigueur, née d'une trop grande généralité, de l'art.
1165 c. civ. Dès lors, elle en constitue, non point une exception, mais un complément
nécessaire (82). En outre, l'action directe dispose de critères de détermination et d'un
régime juridique relativement élaboré, au contraire du concept de groupe qui recherche
encore ses conditions d'admissibilité (83). L'exercice de l'action directe en responsabilité légale ou de droit commun - doit s'inspirer de deux idées directrices. La première est issue
du passé : l'action directe en garantie s'étant imposée à l'encontre des clauses limitatives
incluses dans les contrats conclus entre créanciers et débiteurs intermédiaires (84), son
régime postule, non l'existence d'une « double limite » (85), mais d'une « simple limite »
circonscrite aux seules clauses du contrat liant le débiteur intermédiaire et le sous-débiteur.
La seconde résulte d'une comparaison, certes limitée mais possible, avec les actions directes
en paiement (86). Celles-ci ne sont, entre autres, pas gouvernées par un principe général
d'inopposabilité des exceptions, celui-ci étant normalement cantonné aux exceptions qui
sont nées après la formation de la créance ou l'exercice de l'action, ce qui devrait impliquer,
en matière de responsabilité, que la quasi-totalité des clauses contenues dans le contrat
conclu entre le sous-débiteur et le débiteur intermédiaire devraient être opposables au
créancier (87), en dehors des hypothèses générales d'inopposabilité des clauses limitatives
de
responsabilité.
12. - Est-ce à dire que les faits ayant donné lieu à l'arrêt de l'Assemblée plénière auraient dû
engendrer une action directe en responsabilité dont la nature est nécessairement
contractuelle (88) ? On pourrait a priori le soutenir dans la mesure où les deux critères
d'admission d'une action directe étaient incontestablement réunis en l'espèce. D'une part, le
maître avait transmis une valeur dans le patrimoine du sous-traitant en lui permettant de
participer à la réalisation de l'ouvrage et, d'autre part, la connexité des obligations de
l'entrepreneur et du sous-traitant était caractérisée, ce dernier exécutant une partie de la
prestation
promise
par
le
premier (89).
Cependant, il ne faudrait pas oublier que l'action directe correspond, du moins dans son
développement historique (90), à un avantage conféré au créancier. Or, l'évolution tant
légale que jurisprudentielle ne permet plus de distinguer avec une suffisante netteté entre
les responsabilités contractuelle et délictuelle. A l'époque où l'action directe en garantie a
été admise, elle favorisait incontestablement son titulaire dans la mesure où celui-ci pouvait
uniquement se prévaloir du droit commun de l'art. 1166 c. civ. (91). Depuis que le recours à
la responsabilité délictuelle a été admis, les hésitations sont permises. En matière de soustraitance immobilière, le maître est d'un côté avantagé par l'octroi d'une action directe en
responsabilité contractuelle à l'encontre du sous-traitant prestataire de services dans la
mesure où, d'une part, et contrairement à la responsabilité délictuelle mais à la condition
que le dommage ne soit pas dû au fait de la chose dont ce dernier serait le gardien, il n'a pas
à prouver la faute du sous-traitant a priori tenu d'une obligation de résultat et où, d'autre
part, le délai de prescription applicable, étant celui qui s'impose dans les rapports du soustraitant et de l'entrepreneur principal, est de trente et non point de dix ans. D'un autre côté,
il est désavantagé en raison, d'une part, de l'applicabilité des dispositions de l'art. 1150 c.
civ. et, d'autre part, de la possibilité offerte au sous-traitant de lui opposer la quasi-totalité
des exceptions qu'il aurait pu invoquer à l'encontre de son propre cocontractant.
On serait dès lors tenté d'approuver l'arrêt de l'Assemblée plénière qui aurait entériné la
disparition de la justification de l'action directe, du moins dans les domaines de la
garantie (92) et de la responsabilité. Cependant lui préférer la responsabilité délictuelle
n'en restaure pas l'esprit dans la mesure où l'avantage qui en résulte pour le créancier est
incertain. En outre transfert de valeur et connexité des obligations créent un lien original
entre le sous-débiteur et le créancier qui distingue ce dernier de penitus extraneus et mérite
d'être pris en compte car, dépassant tout jugement d'équité qui pouvait le fonder, il institue
« un perfectionnement technique de l'analyse contractuelle » (93). Il doit d'ailleurs l'être
d'autant plus qu'en rétablissant un strict principe de la relativité du contrat dont l'effet est
limité aux parties contractantes, l'arrêt du 12 juill. 1991, sous couvert de simplicité
réductrice d'incertitudes, n'en évitera pas certaines lorsque plusieurs contrats seront
imbriqués
les
uns
aux
autres (94).
13. - On peut ainsi regretter le caractère abrupt de la solution retenue par l'Assemblée
plénière. Certes, le concept doctrinal de groupe de contrats n'est point paré de toutes les
vertus. Mais il a au moins le mérite de répéter, sous une forme renouvelée, que la volonté
ne fait pas tout le contrat, celui-ci étant aussi « l'indiscutable traduction juridique de
l'échange économique » (95). Au tout incertain qu'aurait pourtant constitué sa
consécration, l'arrêt du 12 juill. 1991 lui préfère un rien réducteur de la notion de contrat,
alors qu'il était un concept un peu plus ancien, parfois réduit à n'être plus qu'une
sûreté (96), qui pouvait concilier les intérêts tout aussi légitimes du créancier (son besoin
d'indemnisation) et du sous-débiteur (son souci de prévision) : l'action directe qui constitue
avant
tout
une
vision
originale
du
contrat (97).
Dès lors, il est permis de suggérer à la jurisprudence d'adopter la voie médiane qu'elle trace.
L'affirmation par l'Assemblée plénière du principe général de relativité des conventions n'en
souffrirait point. L'action directe, inventée par ceux-là mêmes qui défendaient la primauté
d'un tel principe (98), n'est en effet qu'un correctif de cette (trop grande ?) généralité qui,
loin de la contredire, lui permet d'atteindre sa complétude juridique.
Document 2
Publication
: Mélanges Calais-Auloy 2004, p. 913
Type de document : Article de mélanges
CONTRAT ET OBLIGATIONS1.Groupe de contrats
.Action directe
Faut-il supprimer l'action directe dans les chaînes de contrats ?
Pascal Puig, Professeur à l'Université d'Avignon
« Absurdité1 », « incohérence2 » ou « grand désordre3 », les raisons ne manquent pas de
s'interroger sur la pertinence et l'avenir de l'action directe dans les chaînes de contrats tant
les critiques dont elle est l'objet ne cessent de fragiliser une construction jurisprudentielle
qui peine à trouver son équilibre. Son fondement serait insuffisant, facteur d'inconstance,
ses résultats seraient injustes, voire indécents. Son salut viendra-t-il d'une inspiration
transnationale ? L'espoir est vain sitôt que l'on observe son rejet dans l'ordre international4
et le refus de la plupart des droits voisins de la reconnaître5.
Cette spécificité française survivra-t-elle au vent d'harmonisation qui s'est levé sur le droit
des contrats ? La question mérite d'être posée tant les bases juridiques de cette action de
nature contractuelle paraissent fragiles et sa réception communautaire faible. La réponse
intéresse le consommateur, ultime maillon faible d'une chaîne de contrats, dont l'action en
responsabilité, délivrance ou garantie, gagne souvent à être exercée directement contre le
fabricant, fournisseur ou prestataire originaires. À la fois plus simple en ce qu'elle évite une
cascade de recours et plus protectrice puisqu'elle permet de choisir le débiteur le plus
solvable6, cette action directe risque toutefois d'être tenue en échec par les stipulations,
fussent-elles abusives, du contrat initial que le demandeur n'a pourtant pas conclu7.
Encore faut-il, au préalable, que soit admise l'existence d'un lien de nature contractuelle
entre les contractants extrêmes, faute de quoi le demandeur sera qualifié de tiers et devra
agir sur le terrain délictuel8. Les travaux accomplis par la doctrine depuis 1975 ont permis
d'harmoniser la plupart des décisions jurisprudentielles en dégageant des distinctions
cohérentes. L'action est de nature nécessairement contractuelle dans les chaînes
translatives de propriété, homogènes (vente + vente) ou hétérogènes (vente + entreprise),
tandis qu'elle demeure de nature
extra-contractuelle en l'absence d'effet acquisitif de propriété (chaînes non translatives et
ensembles contractuels). Ce clivage est commandé par le fondement intuitu rei de la
transmission :
« Le maître de l'ouvrage comme le sous-acquéreur jouit de tous les droits et actions attachés
à la chose qui appartenait à son auteur »
Il s'ensuit qu'il exerce, non un droit propre, mais un droit dérivé, celui que lui a transmis son
cocontractant à titre d'accessoire de la chose. Le sous-acquéreur exerce ainsi l'action « de
son auteur, c'est-à-dire celle du vendeur intermédiaire contre le vendeur originaire11 ».
C'est pourquoi ce dernier « est en droit d'opposer au sous-acquéreur tous les moyens de
défense qu'il peut opposer à son propre cocontractant » et ne peut être tenu, en cas
d'action rédhibitoire, « de restituer davantage qu'il n'a reçu ».
Mais si ces solutions paraissent désormais acquises, elles laissent dans l'ombre un certain
nombre de problèmes délicats que le droit positif ne règle pas toujours de manière
satisfaisante. L'examen de quelques arrêts récents suffit à s'en convaincre. Ils révèlent en
effet qu'une action de nature contractuelle peut être exercée par le sous-acquéreur comme
par le maître de l'ouvrage contre un entrepreneur, mais non contre le sous-traitant de celuici... à moins qu'il ne ressemble à un vendeur ; qu'elle est en principe recevable contre le
fabricant de matériaux mais cesse de l'être si celui-ci est le fournisseur, non de
l'entrepreneur principal, mais du sous-traitant... sauf si l'affaire est jugée par la cour d'appel
de Paris.
Le domaine de l'action directe demeure nimbé d'une brume que la jurisprudence ne
parvient guère à dissiper et dans laquelle la doctrine finit par perdre les repères qu'elle avait
si minutieusement dégagés.
Comment expliquer qu'une action directe soit refusée entre cocontractants extrêmes au seul
prétexte que l'un des maillons de la chaîne est un sous-traitant alors que la présence d'un
entrepreneur est par ailleurs indifférente ? Comment convaincre qu'il n'est pas absurde de
reconnaître une action directe dans des chaînes homogènes de ventes ainsi que dans des
chaînes hétérogènes mêlant entreprise et vente mais qu'il faut l'exclure lorsque la chaîne
est exclusivement composée de contrats d'entreprise ? Peut-on évaluer les chances de
succès d'une action en responsabilité contractuelle exercée par le propriétaire d'un bien
contre le prestataire à l'origine d'une réparation défectueuse lorsque celle-ci a été effectuée
à la demande du précédent propriétaire ? Quelle valeur est-on encore en mesure d'attribuer
au fondement intuitu rei lorsqu'il est admis que l'ignorance raisonnable de l'existence d'une
clause suffit à en empêcher la transmission ? Comment expliquer que des droits et actions
puissent être transmis à titre d'accessoires d'une chose dont la propriété est acquise selon
un mode originaire ? Comment expliquer que le revendeur conserve le droit d'agir contre
son auteur s'il justifie d'un intérêt direct et certain malgré la transmission des droits et
actions à son ayant cause ? Est-il raisonnable d'opposer au sous-acquéreur, même
consommateur, la clause limitative - et abusive de responsabilité stipulée dans le contrat
originaire qu'il n'a pas conclu alors qu'un tiers peut désormais invoquer tout manquement
contractuel pour obtenir réparation du préjudice en résultant sans risquer de se heurter à la
moindre stipulation ?
Devant tant d'incertitudes et d'incohérences, il n'est guère étonnant que le modèle du droit
français des contrats ne parvienne à s'imposer sur la scène européenne et à convaincre les
acteurs de l'harmonisation engagée de la pertinence d'une action de nature contractuelle
entre participants à une chaîne de contrats. Bien que son déclin soit d'ores et déjà annoncé,
parfois même souhaité, la menace ne vient pas de l'extérieur. Ni le projet de transposition
de la directive du 25 mai 1999 sur certains aspects de la vente et des garanties des biens de
consommation25, ni les principes du droit européen du contrat destinés à servir de modèle
au futur et controversé « code européen des obligations » n'y font allusion. Il est probable
que les juges français conservent encore longtemps la liberté de consacrer des actions
directes contractuelles au sein des chaînes de contrats, du moins tant que la Cour de justice
des Communautés européennes ne condamne pas la France pour protection excessive du
consommateur26... Le danger provient plutôt des vices internes d'une construction qui ne
parvient pas à trouver « un point d'équilibre parfaitement satisfaisant27 » et de la tentation
légitime qu'il pourrait y avoir de l'abandonner. C'est peut-être déjà la voie suivie par la
troisième chambre civile de la Cour de cassation qui, dans un récent arrêt, semble rompre
avec les principes de raisonnement les mieux acquis en la matière. Si ces lignes dédiées à
l'un des grands maîtres du droit de la consommation n'ont pas la prétention de lever le voile
sur l'ensemble des difficultés soulevées par l'action directe dans les chaînes de contrats,
elles portent le modeste espoir de leur auteur d'éclairer certaines zones d'ombres et de
contribuer ainsi à la défense d'un mécanisme original et protecteur que nos voisins
européens gagneraient à emprunter.
Née en 1820 au profit du sous-acquéreur d'un bien affecté d'un vice caché, l'action directe
en garantie exercée contre un vendeur antérieur ne permettait à l'origine que l'obtention de
dommages-intérêts29. Reconnue dans l'intérêt exclusif de son titulaire, elle ne faisait pas
obstacle à l'exercice parallèle d'une action en responsabilité civile délictuelle, consacrant
ainsi une entorse au principe de non-cumul des responsabilités délictuelle et contractuelle.
L'action directe fut ensuite étendue à l'action rédhibitoire30, à celle en responsabilité pour
défaut de conformité31 puis à l'ensemble des obligations du vendeur32. Afin d'assurer le
respect des prévisions contractuelles du débiteur originaire, la jurisprudence supprima
l'option jusque-là réservée au sous-acquéreur en décidant que l'action exercée contre le
fabricant ou un vendeur intermédiaire « est nécessairement de nature contractuelle33 ». En
matière de construction immobilière, l'action directe fut d'abord admise en jurisprudence au
profit des acquéreurs successifs d'un immeuble invoquant la garantie décennale34avant
d'être expressément consacrée par le législateur35.
Le débat s'est ensuite cristallisé sur l'action exercée par un maître de l'ouvrage contre le
vendeur ou fabricant de matériaux incorporés dans l'immeuble par l'entrepreneur. Après la
vive opposition des première et troisième chambres civiles de la Cour de cassation, on sait
que l'Assemblée plénière s'est prononcée en faveur de l'application des règles de la
responsabilité contractuelle consacrant ainsi le fondement de la transmission intuitu rei :
« Le maître de l'ouvrage, comme le sous-acquéreur, jouit de tous les droits et actions
attachés à la chose qui appartenait à son auteur36. »
L'action directe n'est donc admise que dans les chaînes acquisitives de propriété, celles dans
lesquelles une chose est successivement transmise, avec ses accessoires, d'auteur à ayant
cause particulier.
Malgré les audacieuses tentatives de la première chambre civile pour dépasser ce
fondement et étendre l'action directe aux relations nées d'un sous-contrat37 et d'un
ensemble contractuel38, le coup d'arrêt marqué par l'Assemblée plénière dans l'arrêt
Besse impose de s'en tenir à la théorie de l'accessoire inspirée d'Aubry et Rau :
« Le successeur particulier jouit de tous les droits et actions que son auteur avait acquis dans
l'intérêt direct de la chose, corporelle ou incorporelle, à laquelle il a succédé, c'est-à-dire des
droits et actions qui se sont identifiés avec cette chose, comme qualités actives, ou qui en
sont devenus des accessoires39. »
Ce fondement est aujourd'hui souvent critiqué en doctrine, les uns le qualifiant
d'insuffisant40, les autres n'hésitant pas dénoncer son « illogisme41 ». Nous ne partageons
pas ces appréciations négatives et estimons au contraire que la plupart des critiques qui lui
sont adressées sont vaines. Son imprécision serait tout d'abord à l'origine des incertitudes
relevées en jurisprudence sur le domaine de l'action directe.
Sa logique conduirait ensuite à des solutions critiquables, voire injustes. Mais ni
l'inconstance observée (I), ni l'indécence dénoncée (II) ne paraissent dirimantes.
I. - De l'inconstance de l'action directe
Le sous-acquéreur et le maître de l'ouvrage jouissent de tous les droits et actions attachés à
la chose qui appartenait à leur auteur. À force de déduire de cette proposition l'exigence
d'une chaîne translative de propriété, de présenter dans un but pédagogique louable des
distinctions tranchées destinées à rendre compte le moins mal possible d'une jurisprudence
incertaine42, il semble que l'on ait fini par perdre de vue l'origine des droits transmis et par
confondre le contrat qui leur donne naissance avec celui ou ceux qui en assurent la
transmission aux ayants cause. En réduisant à quelques « équations simplistes43 » le
phénomène complexe de l'action directe, on a malencontreusement omis de distinguer
entre les droits transmis (A) et le mécanisme de leur transmission (B), omission dont les
conséquences méritent d'être mesurées.
A. - Les droits transmis
L'idée qu'un droit puisse être rattaché à une chose a pu paraître « monstrueuse » à un
auteur considérant que la chose, au sens notamment où l'entend l'article 1615 du
Code civil, doit se comprendre dans sa matérialité et que ses accessoires doivent
nécessairement emprunter la même nature : un cheval est vendu avec son harnachement,
une maison avec les objets qui la meublent, une automobile avec les outils qui garnissent
son coffre, mais un droit ne peut être attaché qu'à une personne, non à une chose44. La
critique devait toutefois faire long feu devant la démonstration que les droits et actions
doivent être considérés comme les accessoires, non de la chose elle-même, mais du droit de
propriété portant sur elle45, analyse que la Cour de cassation a faite sienne en justifiant la
transmission de la garantie décennale au sous-acquéreur par l'idée d'une « protection légale
attachée à la propriété46 ». Il en résulte que doivent être considérés comme des accessoires
de la chose et transmis avec elle les droits, ainsi que l'action qui les sanctionne, qui
préservent la valeur et accroissent l'utilité de la chose pour leur propriétaire. Il n'est donc
pas étonnant que l'ensemble des obligations du vendeur soit concerné puisqu'elles visent à
offrir à l'acheteur la meilleure utilité possible du bien acquis.
Il est pourtant souvent reproché à la théorie de l'accessoire de ne fournir qu'une explication
après coup du domaine de l'action directe sans offrir de critère pertinent de nature à faire le
départ entre les droits transmis et ceux qui ne le sont pas.
Selon des auteurs favorables au fondement intuitu rei, doivent être transmises les créances
« indissociables » de la chose, c'est-à-dire celles qui n'offrent d'intérêt que pour le
propriétaire de celle-ci et ne sont même susceptibles d'être exercées que par
lui47. L'analyse est exacte en ce qu'elle permet d'éviter que le débiteur de ces obligations ne
soit libéré sans raison du seul fait que le bien a été revendu48. Mais elle est trop restrictive
en ce qu'elle exclut la transmission dès lors que l'auteur conserve, malgré l'aliénation, «
intérêt à user de ces droits et possibilité de les faire valoir49 ».
D'un point de vue fondamental, tout d'abord, cette restriction n'est pas justifiée par la
théorie de l'accessoire. Grâce au lien d'affectation tendu entre la créance accessoire et la
chose principale, l'utilité de celle-ci est accrue du « potentiel de services » que représente
celle-là50. Il n'est donc pas nécessaire que la créance affectée ait perdu tout intérêt pour
l'auteur ; il suffit qu'elle en présente un pour l'ayant cause. Du point de vue du droit positif,
ensuite, cette proposition ne permet pas d'expliquer comment le revendeur intermédiaire
peut conserver un intérêt à agir contre son propre auteur après avoir transmis à son ayant
cause les droits attachés à la chose, ce que la jurisprudence, pourtant, admet. Il est
préférable de considérer que sont transmis avec la propriété de la chose les droits et actions
qui sont destinés à en garantir l'usage et la jouissance paisible au nouveau maître sans que,
pour autant, le précédent propriétaire perde systématiquement intérêt à s'en prévaloir.
Cette proposition appelle deux observations, l'une relative à son étendue, l'autre suggérant
certaines difficultés d'application.
1° S'agissant de l'étendue de la transmission intuitu rei, réserve doit être faite des droits et
actions qui auraient été ouverts à l'auteur avant la revente du bien suite, par exemple, à la
découverte d'un défaut par le revendeur. Il convient alors de distinguer selon que la cession
de la chose tient compte ou non du désordre
constaté51. De deux choses l'une, en effet : ou bien la chose est revendue à un prix qui ne
tient pas compte de la perte de valeur du bien et il est naturel que le sous-acquéreur puisse
agir contre le vendeur initial pour obtenir, par le biais d'une indemnisation, l'équivalent
d'une réduction de prix ; ou bien la chose a été revendue à bas prix, impliquant pour le
revendeur de conserver le droit d'agir contre son auteur pour obtenir la réparation du
préjudice résultant du manque à gagner52.
Ce clivage, que suggère la Cour de cassation sans le consacrer53, peut conduire à deux
analyses théoriques très différentes. Selon la première, le revendeur qui conserve un intérêt
à agir contre son auteur n'a pas transmis l'action correspondante à son ayant cause, ce qui
conduit à injecter une dose de subjectivité dans la détermination normalement objective des
accessoires de la chose. Selon une seconde explication, les droits et actions accessoires de la
chose demeurent transmis au sous-acquéreur mais celui-ci se retrouve sans intérêt à agir
dès l'instant que le préjudice dont il demande réparation a été supporté par son auteur.
Cette dernière analyse nous paraît préférable pour au moins deux raisons. D'une part, elle
permet de réserver à l'ayant cause le droit d'agir directement en garantie contre le premier
vendeur dès lors qu'il invoque un vice autre que celui pris en compte lors de la revente ou
qu'il demande la réparation d'un préjudice personnel distinct de celui supporté par le
revendeur. Comment en effet pourrait-il agir en garantie si cette action ne lui a pas été
transmise ? D'autre part, cette explication autorise, seule, auteur et ayant cause à agir
simultanément contre le vendeur originaire lorsqu'il aura été convenu entre eux de se
répartir le poids économique de la défectuosité en convenant d'un prix intermédiaire lors de
la revente, ni aussi élevé que celui correspondant à une chose en bon état ni aussi faible que
celui que la gravité du défaut aurait justifié.
2° S'agissant de la mise en oeuvre du critère de l'intuitus rei, des difficultés surgissent du fait
de la présence dans la chaîne d'un ou plusieurs contrats d'entreprise. Contrairement à la
synthèse qui est généralement présentée en doctrine, il n'est pas indifférent de savoir si le
contrat d'entreprise s'inscrit en début ou en fin de chaîne. Le binôme [Vente + Entreprise]
n'est absolument pas l'équivalent de son reflet symétrique [Entreprise + Vente] pour la
simple raison que, dans la première combinaison, ce sont les droits et actions nés de la vente
qui sont transmis par l'effet du contrat d'entreprise tandis que, dans la seconde, ce sont ceux
découlant du contrat d'entreprise qui sont transmis par l'effet de la vente54. S'il existe bien
dans les deux cas une chaîne de contrats, ce n'est pas en vertu de celle-ci que s'opère la
transmission des droits et actions. Ceux-ci prennent d'abord naissance dans un contrat, dont
la nature est indifférente, avant d'être transmis à l'ayant cause par l'effet nécessairement
translatif d'un autre contrat, vente ou entreprise. Il importe de soigneusement distinguer le
contrat d'où proviennent les droits et actions de celui ou ceux qui en opèrent la transmission
aux ayants cause. Ne pas y prendre garde expose à des confusions regrettables.
Voici, par exemple, un garagiste qui procède à une réparation sur un véhicule en remplaçant
certaines pièces endommagées. Le propriétaire le revend ensuite à un particulier qui subit
un préjudice du fait de la mauvaise exécution des réparations.
L'acquéreur du véhicule peut-il agir directement en responsabilité contractuelle contre le
garagiste ?
Une lecture attentive des mécanismes régissant l'action directe semble conduire à distinguer
selon que le désordre provient du travail accompli par le garagiste ou d'une défectuosité de
la pièce qu'il a changée. Dans le premier cas, l'absence de transfert de propriété entre le
garagiste et le premier propriétaire invite à retenir le fondement délictuel. Une action
directe contractuelle serait en revanche admise dans le second, la chaîne étant devenue
translative : la propriété de la pièce a été transmise du garagiste au vendeur puis, avec
l'ensemble du véhicule, à l'acquéreur. Dans le prolongement, il serait même permis au
nouveau propriétaire d'agir directement contre le fabricant de la pièce défectueuse qui l'a
livrée au garagiste.
Mais cette analyse n'emporte pas la conviction car elle procède d'une confusion entre les
droits à transmettre et leur transmission. Nul doute que le propriétaire du véhicule qui en a
confié la réparation au garagiste dispose contre ce dernier d'actions en responsabilité et
garantie contre d'éventuelles malfaçons, quelle qu'en soit l'origine : travail mal exécuté ou
pièce défectueuse. Pourquoi ces actions ne seraient-elles pas transmises, sans distinction, au
nouveau propriétaire ? Point n'est besoin de solliciter la théorie des chaînes de contrats :
l'action a pris naissance dans le contrat conclu avec le garagiste et elle a été transmise avec
le véhicule lors d'une vente isolée. Peu importe l'origine des désordres, il suffit que des
droits et actions puissent être rattachés à la propriété d'une chose pour que la transmission
de celle-ci s'accompagne de ses accessoires juridiques.
Il est heureux que la jurisprudence sache ne pas s'encombrer de raisonnements et
distinctions inutiles et admette avec justesse que l'acquéreur, jouissant de tous les droits et
actions attachés à la chose qui appartenait à son auteur, dispose d'une action contractuelle
directe contre le réparateur fondée sur l'inexécution d'une obligation de
celui-ci55. Il serait plus heureux encore que la doctrine, dans le rôle de synthèse qui est le
sien, parvienne à éviter le piège d'une systématisation excessive et évite d'analyser en
termes de chaîne de contrats ce qui ne constitue souvent qu'une transmission isolée.
Il ne peut y avoir de transmission le long d'une chaîne contractuelle qu'à partir du moment
où celle-ci compte au moins trois contrats, le premier donnant simplement naissance aux
droits et actions que les autres transmettront. Si le sous-traitant n'est
pas
contractuellement lié au maître de l'ouvrage dans l'arrêt Besse, ce n'est pas parce que l'un
des deux contrats n'est pas translatif mais seulement parce que les travaux de plomberie
réalisés par le sous-traitant ne s'appliquent pas à une chose appartenant à l'entrepreneur
que celui-ci aurait pu, par la suite, transmettre au maître de l'ouvrage avec les garanties y
afférant. Les travaux se sont directement incorporés à l'immeuble appartenant à M. Besse.
Autrement dit, si l'action reste délictuelle c'est tout simplement parce qu'il n'y a aucun droit
ni action à transmettre. Ce n'est donc pas un problème de transmission de l'action mais de
détermination des accessoires juridiques d'une chose.
Le problème demeure en revanche entier de savoir comment une créance accessoire à une
chose peut être transmise au maître de l'ouvrage en vertu d'un contrat d'entreprise
traditionnellement dépourvu de tout caractère translatif. La question concerne alors
spécifiquement le mécanisme de transmission.
B. - La transmission des droits
À lire les propos généralement tenus sur la transmission des droits et actions attachés à la
chose, il semble que trois difficultés majeures se dégagent. Il s'agirait, tout d'abord, d'une
transmission de plein droit à laquelle l'intention des parties pourrait pourtant faire obstacle
(1°). Il s'agirait, ensuite, d'une transmission sans véritable cession puisque le prétendu «
cédant » conserve dans certains cas la faculté d'exercer les droits qu'il a transmis (2°). Il
s'agirait, enfin, d'une transmission sans transfert faute de contrats véritablement translatifs
de propriété (3°). Au terme de ces réflexions, on se demandera à la lumière d'un arrêt
récent si le principe même de cette transmission n'est pas aujourd'hui menacé (4°).
1° Une transmission de plein droit ?
L'intérêt de l'intuitus rei sur les autres fondements naguère avancés (stipulation pour autrui,
cession de créance tacite, délégation...) tient à son caractère objectif, dépourvu de toute
recherche d'intention dont le caractère artificiel n'est plus à démontrer. La transmission
s'opère automatiquement, sans aucune manifestation de volonté, ni expresse ni tacite,
autre que celle nécessaire au transfert de la propriété de la chose.
Un arrêt récent vient pourtant bouleverser ce principe de solution en décidant que
l'ignorance raisonnable d'une clause peut constituer un obstacle à sa transmission56.
La décision a certes été rendue à propos d'une clause d'arbitrage international dont on sait
qu'elle bénéficie d'une autonomie certaine, quoique limitée57. Mais le raisonnement serait
susceptible de s'appliquer mutatis mutandis à la transmission des clauses attributives de
compétence territoriale58 ainsi que limitatives de responsabilité ou de garantie, c'est-à-dire
de toutes les clauses ayant pour objet de préciser l'étendue ou les modalités d'exercice des
droits et actions transmis avec la chose.
Il est en effet significatif d'observer que ces stipulations ne constituent pas en elles-mêmes
des accessoires de la chose mais qu'elles se rattachent aux droits et actions qui, eux, en sont
les véritables accessoires59. Serait-ce en raison de ce lien plus ténu, sorte de rapport
d'accessoire à principal de second rang, que les volontés individuelles retrouvent ici
l'influence dont elles sont ordinairement privées par la mise en oeuvre du critère objectif de
l'intuitus rei ? Faute de connaissance raisonnable de la clause, donc de son acceptation au
moins tacite, celle-ci ne serait pas transmise au
sous-acquéreur60. Voilà qui expliquerait la décision rendue autrement que par les besoins
spécifiques du commerce international : l'intuitus rei ne concernant que les droits et actions
directement accessoires à la chose, la transmission des autres stipulations, plus secondaires,
dépend de la volonté des parties. Voilà également qui ouvrirait un cortège de solutions
insoupçonnées. En particulier, il conviendrait d'admettre que la clause limitative ou
exonératoire insérée dans le contrat originaire n'est pas « transmise » au sous-acquéreur,
notamment consommateur, qui en a légitimement ignoré l'existence.
Mais il est douteux qu'un tel raisonnement puisse emporter la conviction.
Considérer la clause compromissoire comme un accessoire de l'action contractuelle, ellemême accessoire de la chose transmise, est non seulement un excès de subtilité61 mais
également une vue de l'esprit qui ne résiste pas à l'analyse. En réalité, la clause est
indissociable de l'action dont elle précise seulement les modalités d'exercice en imposant
certaines restrictions. Il est en effet raisonnable de considérer que les droits et actions ne
peuvent être transmis qu'assortis de leurs éventuelles limitations, y compris celle de ne pas
agir devant une juridiction étatique. Admettre le contraire heurterait l'exigence de sécurité
juridique et de prévisibilité contractuelle.
Ce n'est donc pas de transmission qu'il s'agit mais d'opposabilité au
sous-acquéreur62. Et sur ce point, il ne nous paraît pas souhaitable de reconnaître aux
volontés individuelles, en particulier à celle de l'ayant cause, le pouvoir de séparer les droits
transmis de leurs éventuelles limitations ou exclusions63.
2° Une transmission sans cession ?
« Si l'action en garantie se transmet en principe avec la chose vendue au sous-acquéreur, le
vendeur intermédiaire ne perd pas la faculté de l'exercer quand elle présente pour lui un
intérêt direct et certain64. »
Cette règle, admise de longue date en matière immobilière65, semble contredire la
transmission au sous-acquéreur des droits et actions accessoirement à la chose.
Comment, en effet, le revendeur peut-il se prévaloir de droits qu'il a, par hypothèse,
transmis à son ayant cause ?
Bien que la solution soit approuvée, en particulier lorsque les désordres ont conduit le
revendeur à accepter un prix de vente moins élevé, elle est jugée incompatible avec le
fondement intuitu rei66 dont elle révèle, selon un auteur, « l'illogisme67 ». Il paraît en effet
difficile de concilier la nécessaire transmission au sous-acquéreur, sans laquelle celui-ci serait
privé de toute action directe, et la conservation tout aussi nécessaire par le vendeur
intermédiaire de cette même action.
Transmettre et retenir ne vaut, en quelque sorte.
Il a été proposé de justifier la conservation de l'action par le recours ingénieux mais
complexe au mécanisme de la subrogation68. Plus simplement, il a été suggéré de «
considérer que l'action contractuelle est, à la fois transmise tout au long de la chaîne de
ventes, et conservée en tant que de besoin par chacun des propriétaires successifs, comme
une trace de la propriété69 ». Cette proposition, particulièrement convaincante, peut
s'appuyer selon nous sur un fondement technique tiré de la non-rétroactivité des effets
attachés à la cession. La revente de la chose n'ayant d'effet que pour l'avenir, elle ne saurait
effacer le temps durant lequel le revendeur a eu la qualité de propriétaire. Que cette qualité
disparaisse suite à la revente ne la fait pas disparaître pour le passé, si bien qu'il conserve
encore un titre à agir, celui d'un propriétaire temporaire. Reste alors à démontrer qu'il a
toujours un intérêt direct et certain à cette action, condition expressément posée par la Cour
de cassation. Tel est le cas lorsque, bien que n'étant plus propriétaire, il a dû céder sa chose
moyennant un faible prix ou a été appelé en garantie par son acheteur et entend se
retourner à son tour contre son vendeur.
Cette analyse serait à même d'expliquer que la transmission des droits et actions attachés à
la chose opère moins une cession intégrale qu'une division de ceux-ci entre les propriétaires
successifs. Leur exercice a donc vocation à être partagé entre le maître du moment et les
maîtres du passé même si, le cas échéant, priorité doit naturellement être accordée à celui
qui bénéficie d'un titre actuel.
3° Une transmission sans transfert ?
Il est presque unanimement reproché au mécanisme de la transmission intuitu rei son
impuissance à expliquer de manière convaincante l'acquisition par le maître de l'ouvrage des
droits et actions attachés à la chose70. Lorsqu'un contrat d'entreprise s'inscrit dans la série
contractuelle censée opérer transfert de la chose et de ses accessoires, l'explication devient
très embarrassée.
Après avoir rappelé que, dans un contrat d'entreprise, l'acquisition de la propriété par le
maître de l'ouvrage se réalise grâce au jeu de l'accession, mobilière ou immobilière, on
précise à juste titre que ce mode d'acquisition originaire ne permet d'acquérir qu'un « droit
nouveau, pur de toute charge, mais aussi dépouillé de toute prérogative accessoire71 » y
compris, donc, une quelconque action directe. Pour sortir de cette impasse théorique,
certains invoquent l'idée d'un animus transferendi grâce auquel l'action serait transmise
malgré l'absence de véritable transfert de propriété72tandis que d'autres insistent sur l'effet
acquisitif de propriété indépendamment du mécanisme technique permettant de
l'assurer73.
Mais il serait infiniment plus simple et plus convaincant d'expliquer l'acquisitiondes droits et
actions par l'effet translatif de propriété attaché au contrat d'entreprise,ce que la Cour de
cassation semble désormais admettre74 et que la transposition prochaine de la directive du
25 mai 1999 imposera de reconnaître75. Sans reprendre une démonstration qui n'a pas ici sa
place, nous pensons qu'il est de la nature du contrat d'entreprise d'emporter un tel effet, au
même titre que la vente, dès l'instant que son exécution implique un transfert de propriété :
soit parce que l'ouvrage commandé et achevé ne peut être transmis au maître que par cette
voie, soit parce que la fourniture du service requiert le transfert d'un bien76. D'une part, la
théorie de l'accession s'avère largement impuissante à expliquer tous les cas d'acquisition de
propriété par le maître de l'ouvrage, d'autre part, l'obstacle conceptuel qui interdit de voir
dans le louage d'ouvrage un contrat translatif de propriété est inopérant depuis que cette
forme de louage a disparu... en 180477. Le transfert de la propriété n'est donc pas
seulement un effet accessoire du contrat d'entreprise78, il participe de sa structure au
même titre que les obligations de l'entrepreneur. Débiteur d'une obligation de faire (au sens
de facere), celui-ci crée toujours la valeur qu'il transmet. À la fourniture d'un travail succède
la fourniture du résultat de ce travail ; création d'une valeur puis transfert de la valeur créée.
Lorsque cette valeur est un bien, elle a vocation à être transmise au maître par le seul effet
du contrat d'entreprise devenu naturellement translatif de propriété.
Il est donc temps de renvoyer au Panthéon de la pensée juridique la fameuse distinction
entre chaînes homogènes et hétérogènes de contrats...
4° Une transmission menacée ?
Il est des signes qui invitent à se demander si la troisième chambre civile de la
Cour de cassation ne manifeste pas quelque velléité d'abandon d'une théorie doctrinale et
jurisprudentielle à laquelle elle s'est toujours ralliée à reculons.
Raisonnons à partir d'un cas dont elle a eu à connaître. Voici un maître d'ouvrage qui
commande à un entrepreneur la réalisation de certains travaux, lequel en confie l'exécution
à un sous-traitant qui, pour accomplir sa mission, fournit à la fois son travail et certains biens
qu'il se procure auprès d'un fournisseur. Constatant des défectuosités après réception des
travaux, le maître engage une action contre le fournisseur du sous-traitant. Sur quelle
responsabilité doit-il fonder son action ?
Pour la clarté du raisonnement, supposons tout d'abord que l'action soit dirigée contre le
sous-traitant et non contre son fournisseur. L'application mécanique de l'arrêt Besse conduit
à privilégier un fondement délictuel :
« Le sous-traitant n'est pas contractuellement lié au maître de l'ouvrage. »
On peut difficilement être plus clair ! Pourtant, une lecture moins étriquée de cet arrêt et de
la jurisprudence qui l'a précédé conduit à opérer une distinction selon que les désordres
proviennent du travail accompli par le sous-traitant ou de la matière fournie par lui79. Dans
le premier cas, la situation est identique à celle ayant donné lieu à l'arrêt Besse : suite à des
travaux défectueux de plomberie, l'action exercée par le maître de l'ouvrage contre le soustraitant est de nature nécessairement délictuelle.
Dans le second cas, en revanche, la transmission du bien défectueux le long de la chaîne de
contrats devrait imposer de se placer sur le terrain contractuel. Rien, en effet, ne distingue la
situation du sous-traitant de celle d'un fournisseur de matériaux contre lequel le maître de
l'ouvrage dispose « d'une action contractuelle directe80 », si ce n'est la nature du contrat qui
les relie à la chaîne, entreprise pour l'un, vente pour l'autre. Mais là n'est pas le problème.
Celui-ci réside dans la difficulté que paraît avoir la Cour de cassation, spécialement la
troisième chambre civile, à admettre un tel raisonnement et à en faire une exacte
application.
En décidant que « le sous-traitant, engageant sa responsabilité vis-à-vis du maître de
l'ouvrage sur le fondement délictuel, le fournisseur de ce sous-traitant doit, à l'égard du
maître de l'ouvrage, répondre de ses actes sur le même fondement81 », elle rompt avec les
principes de raisonnement jusque-là admis en ne distinguant pas là où l'arrêt Besse aurait
dû distinguer. Deux interprétations sont concevables de cette étrange décision : soit elle
repose sur une erreur flagrante de raisonnement, soit elle constitue une provocation
destinée à suggérer l'abandon de l'action directe dans les groupes de contrats.
* En supposant que la Cour ait voulu fonder son raisonnement sur l'intuitus rei, il aurait pu
prendre la forme du syllogisme suivant : les droits et actions attachés à la chose ne peuvent
être transmis que par voie contractuelle ; or, depuis 1991, il n'existe aucun lien contractuel
entre le sous-traitant et le maître de l'ouvrage ; donc les droits et actions n'ont pas pu être
transmis.
Pareil raisonnement aurait eu l'insigne mérite de distinguer entre le contrat de fourniture,
d'où naissent les droits et actions, et les autres contrats dont la chaîne aurait pu assurer la
transmission. Mais il n'est pas nécessaire de se livrer à de longs développements pour
démontrer le vice sur lequel il repose. Contrairement à ce que suggère la solution, les droits
et actions ne sont pas transmis grâce à l'éventuelle action directe du maître contre le soustraitant mais par la succession chronologique de contrats translatifs du sous-traitant
jusqu'au maître, c'est-à-dire selon un cheminement inverse. Or, à la différence des faits à
l'origine de l'arrêt d'Assemblée plénière de 1991, le désordre trouvait ici sa cause dans un
défaut de la chose vendue (corrosion et perforation de bacs en acier destinés à la couverture
métallique à un bâtiment) ce qui invitait à retenir une action directe de nature contractuelle.
Il est cependant peu probable que la Cour ait commis une erreur d'analyse aussi grossière.
C'est pourquoi une autre explication doit être avancée.
* Il semble que la Haute Juridiction ait plutôt tenu un raisonnement simpliste fondé sur un
argument a fortiori des plus contestables : puisqu'il n'y a pas de lien contractuel entre le
sous-traitant et le maître de l'ouvrage (arrêt Besse), a fortiori n'y en a-t-il pas entre des
contractants plus éloignés, ce qui est le cas lorsque s'ajoute aux maillons de la chaîne le
fournisseur du sous-traitant. Mais en prenant ainsi au pied de la lettre la solution sans
nuance de l'arrêt Besse et en l'étendant au cas où un bien a été transmis entre les
cocontractants extrêmes, l'arrêt remet en cause le fondement intuitu rei et condamne du
même coup l'ensemble des actions directes dans les chaînes de contrats.
Rien ne permet sans doute de prêter à la Cour de cassation une intention aussi forte82 mais
il n'est pas sûr qu'elle n'ait pas mesuré l'exacte portée de la solution qu'elle rendait.
Comment ne pas voir, en effet, qu'en témoignant une fidélité aveugle à l'arrêt Besse, elle
procédait implicitement83 au revirement de la jurisprudence de
1986 ? Quel argument pourrait en effet justifier que l'action du maître de l'ouvrage soit
d'une nature différente selon qu'elle est exercée contre le fournisseur de l'entrepreneur
(nature contractuelle) ou contre celui du sous-traitant auquel l'entrepreneur a eu recours
(nature délictuelle) dès l'instant que, dans les deux cas, une chose viciée est bien passée du
patrimoine du fournisseur à celui du maître de l'ouvrage ?
À bien y regarder, l'on peut douter que la présence d'un sous-traitant au sein de la chaîne
modifie la manière dont la propriété est transmise au maître de l'ouvrage.
Lorsqu'un entrepreneur se procure auprès d'un fournisseur des matériaux qu'il incorpore à
l'ouvrage destiné au maître, la propriété de ceux-ci est transférée par l'effet du contrat
d'entreprise. Lorsqu'un sous-traitant se substitue partiellement à l'entrepreneur dans
l'exécution du contrat principal, qu'il se procure les mêmes matériaux, les incorpore à
l'ouvrage en intervenant sur le site de la construction85, leur propriété est transmise de la
même manière sans transiter par le patrimoine de l'entrepreneur principal86.Les droits et
actions attachés à la chose sont donc transmis au maître de l'ouvrage tantôt par l'effet d'un
contrat d'entreprise, tantôt par celui d'un contrat de sous-traitance lequel est aussi un
contrat d'entreprise. L'hypothèse serait différente si le sous-traitant était chargé de
fabriquer un ouvrage mobilier87 destiné à entrer dans la réalisation de l'ouvrage commandé
à l'entrepreneur principal. Dans ce cas, le bien spécifique fourni par le sous-traitant serait
d'abord transmis à l'entrepreneur avant d'être cédé à nouveau au maître avec l'ouvrage
global dans lequel il s'inscrit. Mais la présence d'un maillon supplémentaire à la chaîne
contractuelle ne changerait rien à son caractère translatif de propriété et appellerait la
même action directe au profit du maître de l'ouvrage. On ne voit pas, en effet, pourquoi la
responsabilité du fournisseur devrait être différente selon qu'il a livré l'entrepreneur
principal ou le sous-traitant de celui-ci.
Aussi faut-il souhaiter que les autres chambres ainsi que les juges du fond refusent de suivre
la voie ouverte par la troisième chambre civile et rétablissent vite une cohérence dont la
théorie des chaînes de contrats a grand besoin. On se rassurera donc à la lecture d'un arrêt
de la cour d'appel de Paris qui, en des circonstances similaires, a décidé que le fournisseur
d'un produit au sous-traitant est tenu d'une responsabilité contractuelle à l'égard du maître
de l'ouvrage88. Puissent les magistrats parisiens être entendus... La constance et l'avenir de
l'action directe en dépendent.
II. - De l'indécence de l'action directe
Au cours de la tentative d'extension de l'action directe en dehors des chaînes translatives de
propriété, la première chambre civile avait décidé que le titulaire d'une action directe ne
pouvait l'exercer que « dans la double limite de ses droits et de l'étendue de l'engagement
du débiteur substitué89 ». Cette règle dite de la « double limite » avait été jugée sévère par
une partie de la doctrine puisqu'elle imposait la limitation la plus grande aux droits du
demandeur. Soumis à un double maximum, les droits du bénéficiaire de l'action directe
étaient réduits par référence non seulement au contrat conclu directement avec son
cocontractant mais également au contrat passé par celui-ci avec le débiteur originel.
Cette double référence paraît en revanche exclue dès lors que l'action directe repose sur sa
transmission à titre d'accessoire de la chose. L'ayant cause exerçant les droits et actions dont
son auteur était lui-même investi contre le débiteur originaire, c'est du contrat passé par ce
dernier que dépend exclusivement l'étendue des prérogatives transmises. L'action directe ne
peut donc être exercée que dans la limite des obligations du débiteur (A), ce qu'une partie
de la doctrine désapprouve fermement. De manière symétrique, il conviendra de se
demander s'il est raisonnable d'admettre que l'ayant cause puisse avoir plus de droits contre
le débiteur originaire qu'il n'en a contre son cocontractant direct (B).
A. - La limite des obligations du débiteur
Le sous-acquéreur exerçant l'action « de son auteur, c'est-à-dire celle du vendeur
intermédiaire contre le vendeur originaire90 », ce dernier ne peut être tenu, en cas d'action
rédhibitoire, « de restituer davantage qu'il n'a reçu91 ». Il s'ensuit logiquement qu'il ne peut
être tenu d'aucune restitution s'il n'a pas été payé par son
acheteur92. Ces solutions méritent d'être approuvées tant il serait indécent d'exiger du
vendeur originel qu'il restitue, non la somme qu'il a effectivement reçue, mais celle plus
élevée que le sous-acquéreur a déboursée. Si ce dernier souhaite obtenir la restitution
intégrale de ce qu'il a versé, il lui suffit d'agir contre son cocontractant.
Davantage controversé est le sort des clauses limitatives ou élusives figurant dans le contrat
originaire. La Cour de cassation décide que « le fabricant de la chose vendue est en droit
d'opposer au sous-acquéreur tous les moyens de défense qu'il peut opposer à son propre
cocontractant93 ». Cette solution oppose irréductiblement les défenseurs du consommateur
et ceux de la prévisibilité contractuelle. Les premiers s'insurgent contre l'opposabilité au
consommateur d'une clause, de surcroît abusive, au prétexte spécieux qu'il n'a pas participé
à la conclusion du contrat dans lequel elle s'inscrit. Fondée sur l'intuitus rei et la règle nemo
plus juris..., cette solution reposerait sur un véritable « abus de technique juridique94 ». Les
seconds font au contraire observer que l'ayant cause consommateur ne peut avoir plus de
droits que son auteur professionnel et que les prévisions sur la base desquelles le contrat
initial a été négocié et conclu doivent être respectées95. Si le fournisseur s'est valablement
engagé en considération d'une responsabilité conventionnellement limitée, l'équilibre du
contrat ne doit pas être remis en cause par la présence d'un consommateur qui ne l'a pas
conclu. Certains n'ont pas manqué d'objecter qu'il n'est pas étranger aux prévisions d'un
fabricant d'envisager que le produit qu'il livre à un grossiste soit un jour acquis par un
consommateur. Mais n'est-ce point justement pour cette raison qu'il prend la peine
d'aménager le régime de sa responsabilité en en transférant totalement ou partiellement la
charge à son cocontractant96 ? La prévision que réalise le contrat97 ne se rapporte pas à la
qualité de l'acquéreur final, laquelle est au fond indifférente, mais à la charge de
responsabilité ou de garantie. Dès lors que le premier acquéreur, par hypothèse
professionnel, s'engage à l'assumer à la place de son fournisseur, rien n'autorise à ne pas
respecter cet accord.
La question décisive est seulement de savoir si la faculté peut être reconnue au vendeur
originaire - comme à l'un quelconque des revendeurs ou entrepreneurs intermédiaires - de
s'exonérer de sa responsabilité et d'en déplacer ainsi la charge sur les maillons ultérieurs de
la chaîne, jusqu'au cocontractant direct du consommateur qui ne pourra s'y soustraire. La
réponse est relativement simple lorsqu'elle est envisagée dans le cadre des relations
bilatérales instaurées à chaque nouvelle mutation. La clause exonératoire de responsabilité
est en principe valable à l'égard du cocontractant professionnel tandis que celle relative à la
garantie des vices cachés ne l'est qu'entre professionnels de même spécialité.
La solution devient en revanche plus délicate lorsqu'elle est recherchée dans les liens issus
de l'action directe parce que ceux-ci ne sont contractuels que par ricochet.
L'ayant cause final se retrouve, en effet, dans une situation hybride à l'égard du
cocontractant initial. Il apparaît tout d'abord comme un tiers au contrat originaire puisqu'il
ne l'a pas conclu. De cette qualité est tenté de se prévaloir celui qui, à l'origine, a
valablement stipulé une clause limitative ou exonératoire dans ses relations avec son
partenaire contractuel direct. Efficace à l'encontre de celui-ci, la stipulation doit également
l'être à l'égard des ayants cause successifs, quelle que soit leur qualité, sous peine de ruiner
la prévisibilité contractuelle. Leur éventuel statut protecteur ne saurait autoriser la remise
en cause rétroactive d'une clause qui, au moment où elle a été convenue, était pleinement
valable. Mais par le jeu de la transmission intuitu reides droits et actions, l'ayant cause final
devient ensuite partie au contrat initial dans la mesure où il peut se prévaloir de ses effets et
de son régime de responsabilité.
Naturelle est alors sa prétention d'obtenir l'éradication des clauses abusives figurant dans ce
contrat, comme s'il l'avait lui-même conclu. Cette double qualité de tiers et de partie
successivement mise en avant renvoie ainsi dos à dos partisans de la prévisibilité du contrat
et défenseurs du consommateur sans qu'aucun argument ne permette de donner la
préférence à l'une ou à l'autre des solutions. Elle justifie aussi que l'on envisage les limites
susceptibles d'être apportées à l'action directe de l'ayant cause à l'aune de la situation
respective des parties (1°) et des tiers (2°).
1° Au regard de la situation des partiesAfin de sortir de l'impasse, il ne serait pas inutile de
formuler le problème différemment. Laissons de côté l'opposition stérile entre le contrat et
le statut du consommateur ainsi que l'argument textuel peu convaincant qui aboutit à
exclure le jeu de l'article L. 132-1 du Code de la consommation au motif formel que le
contrat contenant la clause litigieuse n'a pas été « conclu » par le consommateur98. Ce qui
est en cause ici n'est pas tant le statut du consommateur que celui du vendeur ou, plus
exactement, la question de savoir si l'obligation de garantie, de délivrance, de conseil... pèse
sur lui en sa qualité de contractant ou à raison d'un statut dont la portée dépasse les limites
du contrat.
L'opposition ne doit certes pas être exagérée : le statut du vendeur découle nécessairement
du contrat de vente, celui de l'entrepreneur du contrat d'entreprise, de la même façon que
le statut du consommateur prend appui sur les contrats passés avec un professionnel. Mais
la reconnaissance d'un statut suggère un régime juridique autonome susceptible de
s'appliquer à la fois dans le silence du contrat, contre d'éventuels aménagements de celui-ci
et au-delà de son champ obligatoire. La perspective est riche de conséquences.
Admettre que les droits et actions de nature contractuelle dont est investi l'ayant cause
procèdent moins du contrat originaire que du statut de celui qui l'a passé conduit à
relativiser la portée des clauses limitatives ou élusives qui y figurent.
Efficaces à certaines conditions dans les relations nouées avec le partenaire direct, elles
seraient privées d'effet à l'égard de ceux qui ne les ont pas acceptées. Faute de contrat «
conclu » entre les cocontractants extrêmes d'une chaîne contractuelle prévoyant un
aménagement du régime de responsabilité ou de garantie, le statut du débiteur initial serait
seul applicable. La garantie serait due, la responsabilité susceptible d'être engagée sans
limitation particulière.
Cette analyse présenterait l'insigne mérite de dépasser l'obstacle résultant de la maxime
nemo plus juris... Dès l'instant, en effet, que l'ayant cause intermédiaire est privé
conventionnellement du droit d'agir contre son cocontractant, il est difficile d'admettre, sur
le fondement intuitu rei, qu'il puisse transmettre ce droit à son propre ayant cause, celui-ci
se retrouvant investi de prérogatives que son auteur n'avait pas.
Tel est bien le raisonnement que tient la Cour de cassation pour permettre au vendeur
originaire d'opposer au sous-acquéreur tous les moyens de défense qu'il peut opposer à son
propre cocontractant, y compris la connaissance du vice99. L'obstacle tombe si l'on
considère que l'ayant cause tient ses droits, non de son auteur qui les lui a transmis, mais
directement du vendeur initial dont le statut impose le respect à son endroit de certaines
obligations.
Accréditant l'idée parfois soutenue que la théorie de l'accessoire « n'a pas de véritable
valeur explicative », qu'elle fournit sans doute « un modèle connu sur lequel calquer le
régime de l'action directe » mais « n'indique pas la raison de l'apparition de cette action100
», l'analyse fondée sur le statut du débiteur permettrait de remettre en cause le fondement
contesté de l'intuitus rei sans pour autant revenir à l'interprétation condamnée d'un effet
relatif reconstruit autour de la notion d'ensemble contractuel.
L'existence d'un tel statut a été défendue en doctrine. Un auteur a fait observer que la
transmission intuitu rei de l'action en garantie des vices cachés et de celle en résolution
pour défaut de délivrance conforme ne relève pas davantage du droit du contrat de vente
que l'obligation de sécurité vis-à-vis des tiers et qu'il « s'agit bien plutôt d'un statut qui
découle de la position de vendeur101 ». L'affirmation mérite d'être nuancée. Sans doute la
loi du 19 mai 19 relative à la responsabilité, ni contractuelle ni délictuelle, du fait des
produits défectueux milite-t-elle en faveur d'un statut du vendeur professionnel, souvent
identifié - mais pas toujours - au producteur.
Mais depuis que le dédicataire de ces lignes nous a lumineusement appris à ne plus
mélanger conformité et sécurité102, tout rapprochement doit être soigneusement mesuré.
La conformité - lato sensu, c'est-à-dire incluant les vices cachés - « c'est l'aptitude à l'emploi
» tandis que « la sécurité, c'est l'absence de danger » ; or, « il peut se faire que les produits
ou les services mis sur le marché causent des dommages à des tiers » si bien qu'il faut
admettre « que la sécurité est due à toute personne, contractante ou non. La responsabilité
pour défaut de sécurité se distingue par là de la responsabilité pour défaut de conformité,
qui, elle, est vraiment de nature
contractuelle103 ». Le statut légal du producteur professionnel appelé à garantir la sécurité
de ses produits à l'égard de toute personne peut donc difficilement servir de modèle à un
éventuel statut du vendeur dont les obligations découlent avant tout du contrat de vente.
Mais l'argument avancé n'interdit pas de considérer que la garantie, la conformité et
l'information sont dues, non seulement à l'acquéreur immédiat, mais également à tous les
propriétaires successifs de la chose, qu'ils soient sous-acquéreurs, maîtres d'ouvrage ou
même possesseurs de bonne foi. Le statut du vendeur n'aurait donc pas le même
rayonnement que celui du producteur mais lui imposerait néanmoins des obligations à
l'égard de personnes avec qui il n'a pas directement contracté.
L'admission d'un tel raisonnement appelle plusieurs réserves.
Nous avons déjà vu qu'il aurait pour effet de tenir en échec les aménagements
conventionnels destinés à réduire l'engagement du débiteur à l'égard des ayants cause
successifs. Mais la solution vaudrait quelle que soit la qualité de ceux-ci. Qu'ils soient
professionnels, non-professionnels ou consommateurs, la clause limitative ou élusive leur
sera inopposable parce qu'elle s'inscrit dans un contrat auxquels ils sont étrangers et qu'ils
tiennent leurs droits directement du statut légal de leur débiteur. Or il est permis de ne pas
être convaincu de l'opportunité de protéger ainsi tous les acquéreurs et maîtres d'ouvrage
au prétexte d'assurer la protection du seul consommateur. Si le droit commun devient aussi
protecteur - ou presque104 - que le droit de la consommation, comment va-t-on demain
protéger - surprotéger ? - le consommateur
? Quelle que soit l'influence105 ou l'attraction106 que peut exercer le droit de la
consommation sur le droit civil des contrats, sa spécificité doit être maintenue sous peine de
saper son propre fondement107.
L'on observera également que cette protection peut se retourner contre celui enfaveur de
qui elle aura été instituée. Voici un particulier qui vend « en l'état et sans garantie » un
véhicule d'occasion à un autre, lequel le revend ensuite à un garagiste.
Stipulée par un vendeur occasionnel, la clause est assurément valable108. En revanche, son
efficacité se limitera aux seuls rapports noués avec le cocontractant direct. Contrairement à
la solution dictée par la transmission intuitu rei, la clause devrait être déclarée inopposable
au garagiste. Faudrait-il, afin d'éviter cet effet pervers, réserver le statut de vendeur ou
d'entrepreneur aux seuls professionnels et maintenir à l'égard des autres la transmission
intuitu rei des droits et actions ? Malgré le facteur de complexité qu'une telle distinction ne
manquerait pas d'entraîner, l'idée pourrait séduire. Il est cependant douteux qu'elle puisse
voir le jour sans une intervention législative. En l'état actuel des textes, on voit mal en effet
la jurisprudence accepter de faire le départ entre les contractants professionnels et ceux qui
ne le sont pas pour imposer aux premiers un statut - légal ? - qu'elle épargnerait aux
seconds.
Plus fondamentalement, enfin, la reconnaissance d'un tel statut aurait pour effet de vider le
contrat de vente de sa substance en « décontractualisant » les principales obligations du
vendeur. Si la délivrance conforme, la garantie des vices cachés et le devoir de conseil
découlent d'un statut légal du vendeur et non du contrat de vente, l'objet de ce dernier se
réduit à une peau de chagrin. Par ailleurs, il ne serait pas sans paradoxe de traiter la
délivrance conforme indépendamment du contrat alors que la conformité s'apprécie
justement au regard de celui-ci.
La proposition d'un statut du vendeur rayonnant au-delà du contrat dans lequel il prend sa
source doit être abandonnée. Le prétendu statut n'est rien d'autre que la combinaison des
obligations découlant de la vente elle-même, dont certaines ont vocation à être transmises
aux propriétaires successifs de la chose dans la limite irréductible de l'étendue de
l'engagement initial. Cette défense de la prévisibilité contractuelle constitue-t-elle le «
traquenard » pour le consommateur que certains y ont parfois décelé109 ? Comme le doyen
Carbonnier l'a écrit à un autre sujet, « l'outrance peut perdre une idée juste110 ». Le
consommateur à qui est opposée une clause limitative ou élusive figurant dans le contrat
originaire n'est pas sacrifié sur l'autel du contrat. Le seul effet de cette opposabilité est de
diminuer la protection supplémentaire que l'action directe avait pu lui accorder comme à
n'importe quel sous-acquéreur ou maître de l'ouvrage, professionnel ou consommateur. Il
perd simplement le bénéfice d'une action de droit commun sans que le statut protecteur
découlant du droit de la consommation n'en soit affecté. En d'autres termes, s'il ne gagne
pas une protection supplémentaire, il n'en perd pas non plus111.
La décision de protéger spécialement le consommateur en pareille hypothèse relève d'un
choix de politique juridique. Or le législateur a manifestement fait le choix inverse en ne
retenant pas les propositions pour un Code de la consommation qui prévoyaient de réputer
non écrites les clauses ayant pour objet ou pour effet de supprimer ou de réduire les droits
que le consommateur peut exercer directement contre le fabricant ou l'un quelconque des
vendeurs successifs d'un bien non
conforme112.
2° Au regard de la situation des tiers
Autant l'on peut admettre, compte tenu du raisonnement qui précède, que l'ayant cause ait
moins de droits que s'il avait été le cocontractant direct du défendeur, autant il nous paraît
contestable qu'il soit plus sévèrement traité qu'un véritable tiers. Or tel est bien le résultat
auquel pourrait conduire l'application d'une jurisprudence récente en vertu de laquelle « les
tiers à un contrat sont fondés à invoquer tout manquement du débiteur contractuel lorsque
ce manquement leur a causé un dommage, sans avoir à rapporter d'autre preuve113 ». En
niant l'autonomie de la faute délictuelle qu'elle assimile à la défaillance contractuelle, cette
solution autorise un tiers à se prévaloir d'un contrat auquel il est étranger pour obtenir
réparation du préjudice, même imprévisible, résultant de l'inexécution d'une obligation dont
il n'est pas créancier sans que le débiteur puisse lui opposer la moindre clause limitative de
responsabilité. Le contrat peut donc être opposé par les tiers aux parties mais celles-ci ne
peuvent s'en prévaloir en retour pour faire valoir leur éventuelle limitation de
responsabilité.
Si la solution peut se justifier lorsque l'obligation méconnue traduit un devoir de portée
générale qui, à l'instar de la prudence et la sécurité, s'impose aussi bien entre les parties
qu'à l'égard des tiers, son éventuelle généralisation à toutes les obligations contractuelles
soulève de vives réticences. Elle conduirait tout d'abord à bafouer le principe de relativité
des conventions en permettant à un tiers d'obtenir à son profit l'exécution par équivalent
d'une obligation qui ne lui a pas été consentie. Elle consacrerait ensuite une responsabilité
sans faute, ni prouvée ni même présumée, sur le fondement de l'article 1382 du Code civil,
siège de la responsabilité pour faute ! Il est en effet précisé dans l'arrêt que la faute
délictuelle découle nécessairement, non de la faute contractuelle, mais de tout
manquement du débiteur contractuel. Lorsque l'on sait que l'obligation de sécurité
transgressée était de résultat, on comprend que la référence à la faute ait été
soigneusement évitée. Non seulement il semble difficile d'admettre que la violation d'une
obligation de résultat puisse caractériser une faute au sens de l'article 1382 du Code civil114
mais il a été démontré de manière générale que l'inexécution contractuelle est étrangère à
l'idée de faute115. La méconnaissance d'une obligation contractuelle est donc susceptible
d'engager la responsabilité civile délictuelle du débiteur non fautif... sur le fondement de
l'article 1382 du Code civil.
Instruits de cette avancée scientifique remarquable, imaginons une vente entre deux
professionnels de même spécialité, contenant une clause élusive de responsabilité, suivie
d'une revente à un particulier qui consent un prêt ou une location sur le bien acquis.
Supposons celui-ci atteint d'un vice caché dont la manifestation cause un préjudice à la fois
au propriétaire du bien et à son détenteur.
En tant que tiers au contrat de vente, ce dernier ne saurait invoquer le bénéfice de la
garantie des vices cachés et doit donc agir sur le terrain délictuel. S'appuyant sur la
jurisprudence précédente, il lui suffit de démontrer que le vendeur initial et le revendeur ont
méconnu leur obligation de délivrer une chose non viciée pour obtenir la réparation
intégrale de son préjudice sans risquer de se voir opposer la moindre clause contractuelle. La
position du sous-acquéreur propriétaire est en revanche moins enviable. S'il peut agir en
garantie contre son auteur et obtenir l'allocation de
dommages-intérêts sur le fondement de l'article 1645 du Code civil, l'action directe exercée
contre le vendeur initial paraît moins prometteuse. Se heurtant à la clause exonératoire de
responsabilité, il triomphera peut-être en s'appuyant sur un récent arrêt ayant admis
l'inopposabilité d'une clause limitative de responsabilité au sous-acquéreur exerçant une
action en indemnisation fondée sur la garantie des vices
cachés116. Si l'on peut discuter de la subtile distinction entre garantie et
responsabilité117, force est de constater que la solution favorise l'ayant cause malheureux.
Mais supposons que le vendeur originaire, particulièrement avisé, ait également songé à
insérer une clause de non-garantie. À la supposer valable, elle sera opposable au sousacquéreur alors qu'elle restera dépourvue d'effet à l'égard du locataire ou de l'emprunteur.
Il en résulte que le propriétaire de la chose, créancier de garantie, est moins bien protégé
que le simple détenteur.
Cette solution paradoxale, qui n'est pas sans rappeler celles retenues à propos de
l'obligation de sécurité, ne saurait être approuvée. De deux choses l'une, en effet : ou bien
l'assimilation de la faute délictuelle au manquement contractuel se limite aux seuls cas de
violation d'un devoir général de sécurité ce qui impose au tiers, dans les autres cas,
d'apporter la preuve d'une faute délictuelle autonome, « envisagée en elle-même » et «
indépendamment de tout point de vue contractuel » ; ou bien il convient d'aligner la
situation de l'ayant cause sur celle plus favorable du tiers en considérant que la réparation
d'un préjudice n'entre pas dans la fonction de la responsabilité contractuelle118 mais relève
de la seule responsabilité délictuelle, ce qui conduit à limiter sensiblement le domaine et
l'intérêt de l'action directe dans les chaînes de contrats. Dans tous les cas, il faut à la fois
veiller à empêcher un tiers d'obtenir, sous couvert de responsabilité délictuelle, l'exécution
d'une obligation qui ne lui est pas destinée et assurer à son créancier une protection au
moins équivalente à celle dont bénéficie le tiers. Compte tenu de la jurisprudence évoquée,
il n'est pas certain que cet équilibre soit atteint.
B. - La limite des droits du créancier
Le créancier, bénéficiaire de l'action directe, peut-il se prévaloir contre le débiteur originaire
de droits plus étendus que ceux dont il est titulaire à l'égard de son cocontractant direct ?
Nous pensons que la réponse à cette question devrait varier selon que l'action vise à la
restitution ou à l'obtention de dommages-intérêts.
S'agissant de la restitution, le parallélisme des solutions s'impose. Il est naturel que le
vendeur initial ne puisse être tenu de restituer davantage que ce qu'il a reçu et il apparaît
tout aussi naturel que l'acquéreur final ne puisse obtenir davantage, au titre des restitutions,
que ce qu'il a versé119. Il serait injuste de lui permettre de réaliser un bénéfice au prétexte
d'obtenir l'anéantissement rétroactif de l'acte. Le mécanisme des restitutions ayant pour
finalité de remettre les choses dans l'état où elles se trouvaient lors de la formation de
l'acte, il s'oppose à ce que l'un des contractants réalise un quelconque profit par son
intermédiaire. Cette seule observation devrait suffire à paralyser toute velléité du sousacquéreur d'obtenir davantage que ce qu'il a versé au motif qu'il exerce l'action de son
auteur120. Au-delà de l'enrichissement injuste que consacrerait la solution inverse, il faut
sans doute admettre que l'action directe n'est transmise que dans son principe, son
quantum étant susceptible de varier en fonction des intérêts personnels et légitimes de son
titulaire. Il n'est donc pas tout à fait exact d'affirmer, comme le fait la jurisprudence, que
l'ayant cause exerce l'action de son auteur. Il serait plus juste de dire qu'il exerce l'action
que lui a transmise son auteur,suggérant que les intérêts qu'il sera amené à défendre en
l'exerçant puissent être différents de ceux de son auteur. C'est là une différence majeure
avec l'action oblique.
Le même raisonnement a vocation à s'appliquer à l'action en responsabilité contractuelle
exercée directement contre le débiteur originel. Le préjudice ne doit pas s'apprécier en la
personne de l'auteur, lequel n'exerce pas lui-même l'action, mais de l'ayant cause qui s'en
prévaut121. En revanche, il est permis de s'interroger sur le sort d'une clause limitative ou
exonératoire stipulée dans le contrat liant l'auteur à l'ayant cause bénéficiaire de l'action
directe. Celui-ci peut-il avoir plus de droits contre le responsable originel qu'il ne peut en
exercer contre son cocontractant ? Ou faut-il considérer par un parallélisme douteux de la
règle nemo plus juris que l'auteur de peut transmettre à son ayant cause plus de droits
contre un tiers qu'il n'en consent contre lui-même ?
Contrairement à la solution qui aurait prévalu si l'action directe avait perduré dans les
ensembles contractuels, le mécanisme de la transmission intuitu rei invite à décider que les
limitations apportées à la responsabilité du contractant intermédiaire n'ont aucun effet sur
l'étendue des droits transmis contre le cocontractant originaire. D'une part, en effet, il serait
paradoxal d'exonérer le fournisseur de tout ou partie de sa responsabilité en s'appuyant sur
une clause qu'il n'a même pas pris la peine d'insérer dans son contrat. D'autre part, il serait
inopportun de bloquer l'action contre le fabricant alors que la logique du système est de
faire peser sur lui la charge définitive de la responsabilité, soit par le jeu de recours en
cascade, soit plus simplement par la mise en oeuvre de l'action directe.
On ne pourra donc qu'approuver la Cour de cassation d'avoir récemment décidé que le soustraitant - également vendeur - contre qui est exercée une action directe de nature
contractuelle, ne peut invoquer les limitations éventuellement prévues dans le contrat
principal passé entre le maître de l'ouvrage et l'entrepreneur principal122.
***
Au terme de ce survol du domaine, du fondement et du régime de l'action directe dans les
chaînes de contrats, bien des questions demeurent sans réponse, bien des arguments
restent inexploités. Nous formons toutefois le vœux que ceux exprimés dans ces lignes
participent à l'effort de clarification, précision et promotion d'un mécanisme complexe
qu'aucun grief ni d'inconstance ni d'indécence n'autoriserait à supprimer. Puisse également
cette étude contribuer modestement à l'hommage que l'ouvrage dans lequel elle s'inscrit
rend si justement à un grand maître.
Document 3
RTD Civ. 2002 p. 96
Jacques Mestre, Doyen de la Faculté de droit et de science politique d'Aix-Marseille
Bertrand Fages, Professeur à l'Université Paris-Val-de-Marne (Paris XII)
Les groupes de contrats
Même s'il tend à s'effacer derrière les notions d'indivisibilité ou d'interdépendance, qui
constituent incontestablement ici de nouvelles grilles juridiques de lecture, le phénomène
des groupes de contrats n'en continue pas moins d'alimenter le contentieux. Et ceci, il est
frappant de le constater, dans tous les domaines de la vie contractuelle. Ainsi pourra-t-on
brièvement signaler, en droit des assurances, cet arrêt de la première chambre civile du 3
juillet 2001 qui, non seulement, témoigne de l'existence d'un groupe formé par quatre
polices d'assurances, mais encore censure pour dénaturation un arrêt de cour d'appel qui
n'avait pas tenu compte de l'indivisibilité qui résultait, entre deux d'entre elles, d'un renvoi
opéré en texte dactylographié, de façon claire et précise, par les conditions particulières de
l'une des polices (en l'occurrence, une police « sécurité conducteur » qui stipulait que « le
présent contrat a pour objet de garantir les conducteurs de l'ensemble des véhicules
garantis par le contrat n° 333000477318 », lequel avait été antérieurement résilié). Où l'on
voit que la Cour de cassation, qui n'a pas hésité dans le passé à approuver la mise à l'écart de
certaines clauses de divisibilité, pourtant claires et précises, au motif qu'elles contrariaient
l'économie générale du groupe (Civ. 1re, 15 févr. 2000, RTD civ. 2000.325 ), sait encore
utiliser le grief de dénaturation lorsqu'il s'agit de sanctionner le refus d'application par les
tribunaux
des
clauses
d'indivisibilité.
Dans un tout autre domaine, cette fois-ci plus artistique..., une mention particulière doit être
décernée à un arrêt de la première chambre civile du 3 avril 2001 qui illustre
l'interdépendance, en matière d'édition de chansons, entre les contrats conclus par le
compositeur (M. Polnareff) et le parolier (M. Dabadie), tous deux « coauteurs pour
l'exploitation d'oeuvres communes qui, à la fois par leur nature et par la volonté des parties,
étaient indivisibles, paroles et musique étant indissociables ». En l'occurrence, la cour
d'appel « en a déduit à bon droit que la résiliation des contrats conclus par M. Polnareff
devait entraîner ceux conclus par son coauteur, M. Dabadie ». Cette solution est conforme à
l'article L. 113-2 du code de la propriété intellectuelle et au principe de copropriété des
coauteurs sur l'oeuvre de collaboration. Ajoutons que du point de vue du droit commun des
contrats, une telle résiliation en chaîne n'a pas non plus de quoi surprenante. On connaît la
chanson.
Un autre concert, si l'on ose dire, était au centre d'un troisième arrêt rendu par la chambre
commerciale le 12 juin 2001 : celui existant entre deux sociétés, ayant la même gérante, afin
de réaliser une opération unique. En l'espèce, une société Minnesota avait cédé à des époux
Millet le droit au bail portant sur un local commercial destiné à une activité de confection et
les avait autorisés à entrer dans les lieux le jour même. Concomitamment, une société
Quinte Floche avait vendu à Mme Millet un certain nombre de vêtements destinés à être
revendus dans le local dont le bail lui avait été cédé. Ces deux sociétés avaient une
dénommée Mme Groc comme gérante. Et quatre mois après la conclusion de ces deux
contrats, un jugement définitif du tribunal de commerce annulait la cession du bail
commercial. Au vu de ces éléments, une cour d'appel (Toulouse, 2e ch., 2e sect., 7 mai 1998)
prononça alors la résolution de la vente. Elle est aujourd'hui approuvée par la Cour de
cassation : « en l'état de ces constatations d'où il résulte un concert entre les sociétés
Minnesota et Quinte Floche pour réaliser une opération unique, la cour d'appel a pu en
déduire que les deux contrats étaient indépendants et que l'annulation de la cession du droit
au bail entraînait la résolution de la vente des marchandises ». Là encore, un tel recours à
l'interdépendance des contrats n'est pas nouveau et ce n'est pas non plus la première fois
que des juges la déduisent de l'action de deux sociétés agissant de concert (V. notamment
Com. 28 mai 1996, RTD civ. 1996.908). Tout au plus fera-t-on remarquer, dans cette affaire,
que la motivation de la cour d'appel n'était pas des plus étoffées, ce qui est regrettable en
présence de contrats qui auraient pu fort bien être considérés comme objectivement
indépendants (V. sur cette exigence d'une motivation « pertinente », Ph. le Tourneau et L.
Cadiet, Droit de la responsabilité et des contrats, Dalloz, 2000, n° 926). Peut-être cela
explique-t-il, d'ailleurs, que les deux contrats litigieux n'aient pas connu ici le même sort :
l'annulation de l'un ayant seulement entraîné la résolution de l'autre (V. sur cette «
dissymétrie des sanctions », J.-B. Seube, L'indivisibilité et les actes juridiques, Litec, 1999,
préf.
M.
Cabrillac,
n°
370
et
s.).
Dernier groupe de contrats à figurer parmi ce rapide tour d'horizon : celui regroupant
l'ensemble des prestations contractuelles fournies par une agence matrimoniale. Dans un
arrêt du 20 mars 2001, en effet, la chambre criminelle a approuvé une cour d'appel d'avoir
considéré que « l'offre de rencontres en vue de la réalisation d'un mariage ou d'une union
stable comprend nécessairement l'ensemble des prestations fournies par le professionnel »,
et en particulier le contrat d'analyse « graphomorphopsychologique » proposé au client.
Résultat : ce contrat est également soumis à la loi n° 89-421 du 23 juin 1989 et à
l'interdiction qui est faite à l'agence, sous peine d'une contravention de 5e classe, de recevoir
un paiement avant l'expiration du délai de renonciation de 7 jours.
Document n° 4
RTD Civ. 2007 p. 833
Sébastien PELLÉ, La notion d'interdépendance contractuelle. Contribution à l'étude des
ensembles de contrats.
On imagine que l'épistémologue qui étudiera un jour, avec le recul dont nous manquons, les
thème récurrents de la pensée juridique française à la fin du 20e et au début du 21e siècle,
sera frappé par la récurrence du thème des ensembles contractuels, plus largement, des
opérations contractuelles complexes, plus largement encore, de la dialectique de l'un et du
multiple dans la littérature juridique consacrée aux contrats (V. pour un exemple topique :
J.-M. Marmayou, L'unité et la pluralité contractuelle entre les mêmes parties (méthode de
distinction), préface J. Mestre, PUAM, 2002). Peut-être alors certaines constantes des
théories juridiques apparaîtront-elles, disons qu'on verra peut-être que le discours
juridique, quel qu'en soit l'objet, présente des caractéristiques communes, au moins à
l'intérieur
d'un
même
système
ou
d'une
même
culture.
Par exemple, les difficultés pratiques, même importantes, ont tendance à ne pas avoir de
commune mesure avec les constructions doctrinales... Le risque d'anéantissement en
cascade des contrats interdépendants est, aux yeux de M. Pellé, le point de départ des
efforts théoriques visant à appréhender le phénomène d'imbrication des relations
contractuelles. Or, si grave que soit ce risque, ni la consultation des revues de jurisprudence,
ni le recours aux bases de données, ni le peu que nous savons de la pratique contentieuse
(dont nous ne sommes tout de même pas complètement ignorant, n'en déplaise à
d'aucuns...) ne nous convainc que le contentieux de l'anéantissement en cascade soit le pain
quotidien du juge ! Si M. Pellé était parti de la question des actions directes dans les
groupes de contrats, qui a fait couler tant d'encre, on observerait que, même une fois la
question évacuée du contentieux, le foisonnement théorique est loin d'avoir cessé. Ce n'est
pas seulement parce que la théorie juridique a une propension à se nourrir d'elle-même, ce
que les praticiens reprochent (ils n'ont pas toujours tort) aux faiseurs de systèmes.
A la vérité, la pensée civiliste rencontre surtout un certain nombre de « buttoirs » lorsque,
comme elle le fait avec insistance en ce domaine, elle essaye de ne pas emprisonner la
technique juridique dans ses catégories, certes vénérables, éprouvées par l'usage, mais qui
ne supportent la « courbure » que jusqu'à un certain point et ne se laissent pas facilement
réinventer. La thèse de M. Pellé en est révélatrice. Il montre l'insuffisance de toutes les
tentatives d'explications plus ou moins « classiques », telles que la connexité, la condition,
l'indivisibilité. Il montre bien sûr l'insuffisance de la théorie de la cause. Mais il montre aussi
à quel point la pensée juridique française répugne à la méthode de la « table rase » (ce qui
conduirait à se demander si la pensée juridique française ne serait pas, au fond, « anticartésienne », mais cela nous conduirait trop loin). Autrement dit, une fois inventoriées les
insuffisances des explications existantes, la doctrine civiliste préfère, plutôt que d'en
inventer une entièrement nouvelle, en réinventer une ancienne : rien ne se crée, tout se
transforme, et l'économie du contrat devient le nouveau paradigme de la théorie de la
cause. Quant au régime juridique dont la notion d'interdépendance va se trouver dotée, la
tendance à ne pas vouloir perdre le bénéfice des techniques éprouvées se traduit, après
apaisement des turbulences, par le choix de la solution qui violente le moins l'effet relatif du
contrat et utilise plutôt son opposabilité, d'où l'abandon des actions de « nature
nécessairement
contractuelle
»
dans
les
groupes
de
contrats.
Enfin, M. Pellé est un auteur tout à fait significatif du courant de pensée qui privilégie une
conception avant tout téléologique, finaliste, opératoire, des théories juridiques et des
notions auxquelles elles donnent naissance : la qualité principale d'une notion juridique est
sa conformité à l'usage auquel on la destine (n° 561, conclusion de la thèse). Ce que l'on
attend d'un énoncé juridique diront ceux qui n'aiment pas les juristes, ce n'est pas que « ce
soit vrai », mais que « cela marche ». On reconnaît un bon énoncé juridique à ceci
répondront ceux qui aiment les juristes : cela marche, dont cela a suffisamment de chances
d'être vrai pour qu'on y souscrive, jusqu'au prochain ajustement de l'énoncé...
Document n° 5
Recueil Dalloz 2011 p. 566
Groupes de contrats : liberté contractuelle et réalité économique
Denis Mazeaud, Professeur à l'Université Panthéon-Assas (Paris II)
1- L'appartenance d'un contrat à un groupe produit, en droit positif, des effets sur sa
validité, son efficacité et sa pérennité (1). Pour l'essentiel, l'existence d'un groupe de
contrats translatifs de propriété se traduit par un effet attractif, qui emporte une identité
de nature des actions exercées en son sein (2), tandis que celle d'un groupe de contrats
économiquement interdépendants emporte un effet extinctif, en ce sens que la disparition
d'un
des
contrats
rejaillit
sur
la
pérennité
de
l'autre
(3).
2 - Si on s'en tient au seul effet extinctif du groupe de contrats , on sait qu'au terme d'une
séquence jurisprudentielle, désormais solidement établie, il est acquis que lorsque deux
contrats sont économiquement interdépendants, dans la mesure où ils poursuivent le
même but et n'ont aucun sens, ni aucun intérêt, indépendamment l'un de l'autre, la
résiliation de l'un des contrats entraîne la caducité de l'autre et libère le débiteur des
obligations que ce dernier contrat avait engendrées (4). En clair, la disparition d'un des
contrats du groupe provoque celle de l'autre contrat et un tiers au contrat initialement
résilié peut donc voir son propre contrat disparaître par ricochet, si l'on peut dire, solution
qui va à l'encontre de l'idée classique « que chaque contrat noué avec un contractant
différent
constitue
un
organisme
autonome
»
(5).
3 - Une telle solution perturbe fatalement le tracé des frontières contractuelles, tel qu'il est
traditionnellement envisagé. En effet, les suites de la résiliation d'un des contrats
interdépendants vont se propager au-delà du cercle étroit de ceux qui l'ont conclu ;
concrètement, l'extinction d'un des contrats va bouleverser les prévisions d'un tiers, partie
à un autre contrat, parce que la raison d'être de son contrat, son intérêt, reposaient sur
l'existence, l'exécution et la pérennité du premier contrat, désormais disparu. Et ce tiers va
finalement supporter le risque de la résiliation d'un contrat auquel il n'était pas, par
hypothèse, partie. Raison pour laquelle, pour se prémunir contre un tel risque, la stipulation
d'une clause de divisibilité permet, a priori, en modifiant la répartition des risques,
d'assurer la sécurité du tiers au contrat résilié, dont le contrat, dans lequel la clause a été
stipulée, continuera de produire ses effets en dépit du lien d'interdépendance économique
qui
l'unissait
au
contrat
résilié.
C'est sur la portée d'une telle clause que l'arrêt rendu par la première chambre civile de la
Cour de cassation, le 28 octobre 2010 (6), présente, peut-être, un intérêt.
4 - Pour financer un contrat de prestations informatiques, un particulier a conclu un contrat
de location financière. Au cours de l'exécution de ces contrats, le prestataire informatique a
fait l'objet d'une procédure collective et a cessé de payer ses obligations. Son cocontractant
a arrêté, à son tour, de payer les obligations souscrites en faveur de la société de location
financière, qui a agi en paiement des loyers ; reconventionnellement, le locataire a
demandé la nullité du contrat de financement pour absence de cause, en clair en raison de
la
résiliation
du
contrat
financé.
Les juges du fond ont favorablement accueilli l'action en paiement de la société de location
financière. Le pourvoi formé contre leur décision s'articulait autour de l'idée que le contrat
financé et le contrat de financement formaient un ensemble contractuel indivisible et que
les clauses qui, dans le contrat de financement, emportaient la divisibilité des deux
contrats, étaient dépourvues d'effet parce qu'elles étaient en contradiction avec l'économie
générale de l'opération en vue de laquelle les contrats avaient été conclus.
La première chambre civile a rejeté le pourvoi au motif que de l'examen des clauses du
contrat de location financière la cour d'appel avait « souverainement déduit que la
commune intention des parties avait été de rendre divisibles les deux conventions, de sorte
que la disparition de l'une ne pouvait priver de cause les obligations nées de l'autre ».
5 - L'arrêt invite à apprécier la portée de la liberté contractuelle quand elle se déploie dans
un groupe de contrats économiquement interdépendants et de la sécurité juridique des
membres d'un tel groupe lorsque l'un des contrats qui le compose est anéanti. Dans ce
double perspectif, après l'appréciation de la force de la clause de divisibilité (I), on
reviendra sur la question classique du critère de l'indivisibilité contractuelle, en vue de
déterminer son régime en l'absence de clause (II) de divisibilité.
I - La force de la clause de divisibilité
6 - L'arrêt commenté paraît exprimer un retour en force de la liberté contractuelle et, du
même coup, de la sécurité du tiers au contrat financé et résilié, via la reconnaissance de
l'efficacité de clauses stipulées dans le contrat de financement qui emportent la divisibilité
des contrats du groupe, en dépit de la contradiction qu'elles emportent avec l'économie
générale de l'opération qu'incarnaient précisément ces contrats interdépendants.
En effet, jusqu'alors, la Cour de cassation avait rendu plusieurs arrêts dans lesquels elle
faisait très clairement primer la réalité économique sur la liberté contractuelle dans le
contexte d'un groupe de contrats économiquement interdépendants, composé notamment
d'un contrat d'entreprise financé par un contrat de crédit-bail ou de location financière. La
clause, dont l'effet était de faire reposer exclusivement les risques de la résiliation du
contrat d'entreprise sur le maître de l'ouvrage, et d'exclure leur prise en charge par
l'établissement financier, avait été privée d'effet au moins à deux reprises par la Cour de
cassation, parce qu'elle était en contradiction avec l'économie générale de l'opération dont
le
groupe
de
contrats
constituait
le
support
(7).
Ainsi, dans l'arrêt rendu le 24 avril 2007, la chambre commerciale, pour censurer la décision
des juges du fond qui avait donné effet à une clause de divisibilité, avait affirmé qu'« en se
déterminant ainsi, sans rechercher s'il existait une indivisibilité » entre les contrats du
groupe « au regard de l'économie générale de l'opération pour laquelle ces deux contrats
avaient été conclus et si, en conséquence, le texte de la clause n'était pas en contradiction
avec la finalité de cette opération, telle que résultant de la commune intention des parties »,
la
cour
n'avait
pas
donné
de
base
légale
à
sa
décision.
7 - Alors qu'au regard de ces arrêts rendus par la chambre commerciale il semblait donc
qu'une clause de divisibilité, bien que claire et précise, était dépourvue d'effet lorsqu'elle
avait été stipulée en contradiction avec l'économie générale de l'opération qu'exprimait
l'interdépendance économique des contrats du groupe, la première chambre civile de la
Cour de cassation paraît beaucoup plus favorable à la liberté contractuelle et soucieuse de
la sécurité du tiers au contrat d'entreprise résilié, partie au contrat de financement. En
effet, elle donne son aval à la cour d'appel qui avait souverainement déduit de l'analyse des
clauses du contrat de location financière que, dans la commune intention des parties, les
contrats,
quoiqu'économiquement
interdépendants,
étaient
divisibles.
8 - Si l'examen de la jurisprudence de la chambre commerciale sur ce point particulier avait
permis à deux orfèvres du droit des contrats d'affirmer que « l'indivisibilité conventionnelle
tacite peut l'emporter sur la clause de divisibilité expresse » (8), l'analyse de l'arrêt rendu
par la première chambre civile donne plutôt à penser que désormais la liberté contractuelle
peut déployer ses ailes dans le contexte spécifique des groupes de contrats
économiquement interdépendants. En effet, en l'espèce, aucune clause de divisibilité
expresse n'avait été stipulée dans le contrat de financement. Les juges du fond avaient
induit la commune intention des parties de clauses qui prévoyaient le régime des recours
exercés contre le fournisseur, qui façonnaient la responsabilité du loueur et qui
déterminaient l'influence de l'inexécution temporaire du contrat d'entreprise sur le
quantum des obligations engendrées par le contrat de financement à la charge du locataire.
Tant et si bien que si la divisibilité peut procéder de simples clauses qui l'expriment
simplement tacitement, elle devrait logiquement et nécessairement résulter, désormais,
d'une
clause
de
divisibilité
expresse.
Autrement dit, il semble possible d'analyser cet arrêt comme constituant un revirement de
jurisprudence, à moins qu'il constitue le ferment d'une divergence entre la chambre
commerciale et la première chambre civile de la Cour de cassation sur le point précis de la
vitalité d'une clause de divisibilité stipulée au sein d'un groupe de contrats
économiquement interdépendants. La chambre commerciale paraît sensible à la réalité
économique que traduit l'interdépendance des contrats et qu'incarne leur indivisibilité,
tandis que la première chambre civile semble plus respectueuse de la liberté contractuelle
et soucieuse de l'intérêt du contractant, partie au contrat de financement et tiers au
contrat financé et résilié. La vitalité des clauses expresses ou tacites de divisibilité offre, en
effet, à ce dernier la possibilité de gérer au plus près la répartition des risques inhérents à la
résiliation du contrat financé, au mieux de ses intérêts légitimes.
II - Le régime de l'indivisibilité contractuelle en l'absence de clause
9 - Comme la plupart des autres arrêts rendus sur l'indivisibilité des contrats, l'arrêt
commenté invite à réfléchir sur le support conceptuel de cette théorie et précisément sur le
point de savoir si la cause peut être celui-ci. La première chambre civile affirme, en effet,
que la cour d'appel avait souverainement déduit de l'analyse de la commune intention des
parties que les conventions étaient divisibles, « de sorte que la disparition de l'une ne
pouvait
priver
de
cause
les
obligations
del'autre
».
Ce n'est pas, loin s'en faut, la première fois que la cause est convoquée dans la motivation
(9) ou le visa (10) des arrêts de la Cour de cassation rendus sur l'indivisibilité contractuelle.
Pourtant, la doctrine reste assez partagée. Plusieurs auteurs considèrent que cette notion
est « au coeur de la solution » (11). Ainsi, MM. Terré, Lequette et Simler affirment que « la
cause est alors sous-jacente à la notion d'indivisibilité ou d'interdépendance (...) » (12).
Quant à M. Bénabent, il écrit que, si « l'anéantissement d'un des contrats ne permet pas de
maintenir l'autre », c'est parce que « les contrats interdépendants se servent mutuellement
de cause » (13). D'autres, au contraire, dans le sillage de M. Ghestin, dénient à la cause le
moindre
rôle
dans
ce
domaine
(14).
Même si l'arrêt commenté semble bien, comme la lettre de sa motivation l'indique, fonder
l'indivisibilité sur l'idée que chaque contrat indivisible constitue la raison d'être, la cause de
l'autre contrat avec lequel il constitue un groupe, et que, par conséquent, sauf clause
contraire, la disparition de l'un emporte celle de l'autre qui devient alors privé de cause lors
de son exécution, on n'alimentera pas la controverse doctrinale qui semble quelque peu
figée. Sauf à préciser, tout de même, que si la Cour de cassation décide désormais que la
résiliation d'un des contrats du groupe emporte la caducité de l'autre (15), c'est bien parce
que la cause est « au coeur de la solution », pour reprendre une nouvelle fois à notre
compte
l'expression
très
juste
de
Rémy
Libchaber.
10 - Si en doctrine, donc, s'affrontent les partisans de la conception subjective, selon
lesquels l'interdépendance économique qui unit plusieurs contrats ne peut se prolonger par
une indivisibilité juridique qu'à la condition que la volonté des parties à cet ensemble
contractuel se soit manifestée expressément ou tacitement en ce sens (16), et les tenants
de la conception objective, pour lesquels le critère de l'indivisibilité réside dans le seul
constat de l'unité de but économique poursuivi par les contrats du groupe (17), la Cour de
cassation, dans les arrêts qu'elle a rendus sur ce point, est animée par des considérations
beaucoup
plus
pragmatiques.
En effet, à l'examen de sa jurisprudence, il semble bien qu'elle mêle les différents critères
proposés en doctrine pour encadrer l'effet extinctif du groupe de contrat et protéger, en
l'absence de toute clause emportant la divisibilité des contrats du groupe, les intérêts
légitimes du tiers au contrat initial résilié qui pourrait voir ses intérêts légitimes bouleversés
par
la
caducité
du
contrat
auquel
il
est
partie.
11 - Sauf à se tromper, la Cour de cassation paraît désormais opérer une distinction selon
que le contractant susceptible de voir le contrat qu'il a conclu affecté par l'effet extinctif du
groupe de contrats est partie à tous les contrats du groupe, ou au seul contrat menacé de
caducité du fait de la résiliation du contrat qui en constituait la cause (18). Dans le premier
cas de figure, lorsqu'il a conclu l'ensemble des contrats du groupe, il est présumé informé
de l'interdépendance des contrats et du risque qui en résulte (19) ; dans le second, en
revanche, lorsqu'il n'a pas conclu le contrat dont la résiliation risque de provoquer la
caducité de celui auquel il est partie, il est légitime d'exiger que le contractant qui prétend
être libéré de ses obligations en invoquant la caducité du contrat apporte la preuve que son
partenaire avait été informé de l'interdépendance des deux contrats (20).
Document n° 6
Recueil Dalloz 2000 p. 363
L'effet extinctif du groupe de contrats
Denis Mazeaud, Professeur à l'Université de Paris II
On a sans doute, à la suite des spectaculaires revers qu'elle a essuyés, enterré un peu vite
la théorie des groupes de contrats. Même si, à la suite de l'arrêt Besse, l'existence d'un
groupe ne permet plus de soumettre à une identité de régime juridique contractuel les
parties aux différents contrats qui le composent, en dépit du dessein économique unique
poursuivi par ceux-ci, il n'en reste pas moins que l'anéantissement d'un contrat exerce
parfois une influence sur la vitalité des autres conventions avec lesquelles il forme un
ensemble
contractuel.
Ainsi, pour l'ensemble formé d'un prêt et d'une vente, si la Cour de cassation, lorsqu'elle
applique le droit commun, n'admet que très exceptionnellement, en raison d'un respect
révérentiel pour la théorie de la cause, que l'anéantissement de la vente puisse emporter la
disparition du prêt destiné à la financer (en ce sens, V. Cass. 1re civ., 1er juill. 1997, D.
1998, Somm. p. 110, obs. D. Mazeaud et Jur. p. 32, note L. Aynès ; Defrénois 1997, p. 1251,
note L. Aynès), elle se montre autrement plus accueillante pour une telle solution quand
elle
statue
sur
le
fondement
de
l'art.
L.
312-12
c.
consom.
Par ailleurs, ces dernières années, la jurisprudence a, dans des hypothèses variées, conféré
un effet extinctif au groupe de contrats. Ainsi, les juges du fond et la Cour de cassation ont
décidé qu'en raison de l'indivisibilité existant entre un contrat de location d'un matériel
informatique et un contrat de maintenance (CA Paris, 19 mars 1993, RTD civ. 1995, p. 363,
obs. J. Mestr), l'anéantissement d'un contrat de l'ensemble précipitait dans sa chute le
groupe
dans
son
entier.
La Chambre commerciale de la Cour de cassation, par un arrêt du 15 juin 1999, a rendu une
solution identique à propos d'un groupe de contrats constitué par un contrat de régie
publicitaire et un contrat de crédit-bail de matériel. Des pharmaciens avaient conclu avec
une société de télécommunication, un contrat de régie publicitaire en vertu duquel des
messages d'information et de publicité seraient diffusés dans leurs officines. De plus, les
pharmaciens avaient conclu avec une société de crédit-bail, un contrat en vue de se
procurer le matériel nécessaire à la réception des messages. A la suite de la mise en
liquidation judiciaire de la société de télécommunication, les pharmaciens, confrontés à
l'inexécution des obligations souscrites par celle-ci, avaient interrompu l'exécution des
obligations qui les liaient à la société de crédit-bail. Assignés en paiement par cette
dernière, les pharmaciens furent libérés de tous leurs engagements contractuels par les
juges du fond qui prononcèrent la résiliation des différents contrats composant le groupe
contractuel. La société de crédit-bail se prévalait, dans son pourvoi, de l'autonomie des
contrats qu'elle avait conclus par rapport aux contrats de location de matériel passés entre
ses cocontractants, les pharmaciens, et la société de télécommunication. La Chambre
commerciale a rejetté ce pourvoi car les juges du fond avaient déduit de leurs
constatations suffisamment d'éléments leur permettant de déduire un lien d'« indivisibilité
» entre les différents contrats conclus par les pharmaciens tant avec la société de
télécommunication
qu'avec
la
société
de
crédit-bail.
Cet arrêt, comme la jurisprudence qui l'a précédé, invite nécessairement à réfléchir sur les
conditions dans lesquelles l'anéantissement d'un contrat de l'ensemble rejaillit-il sur le
groupe au point de l'entraîner dans sa chute ? Sur ce point, c'est-à-dire, au fond sur les
critères de l'indivisibilité (sur cette notion, V. J.-B. Seube, op. cit.), les opinions divergent en
doctrine. Pour Laurent Aynès (eod. loc.), « parce que chaque contrat noué avec un
contractant différent constitue un organisme autonome », et en dépit de l'unicité de
l'opération économique dont il constitue le support avec les autres contrats qui composent
le groupe, l'indivisibilité entre ces contrats repose nécessairement sur « la volonté des
parties : leur participation consciente et volontaire à une opération d'ensemble ». Dans
cette conception, l'effet extinctif du groupe de contrat est irréductiblement lié à
l'expression de la volonté, expresse ou tacite, des parties au contrat anéanti « de lier le sort
de celui-ci au sort de tous les autres contrats de l'ensemble ».
Dans une perception plus objective du contrat, dans laquelle le rôle de la volonté est plus
atténué, on reconnaîtra à l'existence d'un groupe de contrats un effet extinctif
indépendant de la volonté des parties aux contrats qui le composent. Dès lors, on admettra
qu'il suffit de constater objectivement que des contrats sont économiquement
indissociables, et il en ira ainsi lorsque l'un des contrats du groupe n'aura été conclu qu'en
contemplation de l'existence d'autres contrats, pour que l'anéantissement de l'un
provoque la disparition du groupe. Au fond, l'interdépendance économique des contrats
composant un groupe doit l'emporter sur l'autonomie juridique de chaque contrat
considéré
isolément.
Sur cette question des critères de l'indivisibilité et de la portée de l'effet extinctif du groupe
de contrats, il faut bien concéder que l'examen attentif de la jurisprudence précitée ne
permet pas de trancher nettement en faveur de l'une ou l'autre de ces conceptions.
Certains arrêts s'attachent plus ou moins explicitement à la volonté des parties (Cass. com.,
4 avr. 1995, préc.), alors que d'autres privilégient le seul lien économique des contrats qui
composent le groupe. Ainsi, dans l'arrêt commenté, la Chambre commerciale de la Cour de
cassation paraît s'être fondée sur un critère d'ordre objectif et économique pour assigner
aux contrats du groupe un destin juridique commun. Pour critiquer la solution des juges du
fond, la société de crédit-bail soutenait que « la volonté des parties était de conclure une
convention de crédit-bail parfaitement autonome par rapport au but recherché par ailleurs
par le locataire et qui n'était pas précisé ». Ce faisant, elle prétendait donc que les contrats
de régie publicitaire et de crédit-bail ne pouvaient donc pas, faute de volonté exprimée en
ce sens, constituer un groupe de contrats soumis à un régime juridique unique.
L'indivisibilité des contrats était exclue faute de volonté des contractants de consacrer
juridiquement
leur
interdépendance
économique.
Or, si la Chambre commerciale a rejeté leur pourvoi, c'est parce que les différents contrats
avaient été « signés dans le même temps, pour une durée identique » et parce que « les
contrats de crédit-bail, dont le coût [...] était calqué sur celui des redevances versées (en
exécution du contrat de régie publicitaire), n'ont été conclus qu'en considération de la
gratuité de l'accès au réseau télématique » engendrée par le contrat de régie publicitaire.
Aussi, peut-on légitimement déduire de cet arrêt que la Cour de cassation fait reposer
l'indivisibilité des contrats sur un critère purement objectif et économique. Mieux encore,
elle semble se fonder sur la notion de cause entendue pragmatiquement comme le but
contractuel commun aux parties, l'intérêt poursuivi par les contractants au stade de la
conclusion des contrats en question. Solution qui vient renforcer « la dimension
économique » (J. Mestre, obs. in RTD civ. 1997, p. 116) de la cause et qui contribue au
remarquable mouvement jurisprudentiel de rénovation de ce concept.