La natation pour les handicapés physiques.

Transcription

La natation pour les handicapés physiques.
La natation pour
les handicapés physiques
par Jean Assimacopoulos
Nous poursuivons la publication de l’étude rédigée par Jean Assimacopoulos, la
première partie figure dans la précédente Revue Olympique de la page 140 à la
page 154.
Nos amis sportifs nous autorisent à reproduire leurs photographies dans I’espoir
d’être utiles à d’autres handicapés. Nous les remercions.
g) Les amputés
II y a malheureusement toutes sortes
d’amputations: bras, jambes, totales ou
partielles, de naissance, par suite
d’accident ou de maladie.
Les amputés des deux bras sont les
plus désavantagés pour la natation;
sans bras on peut tout de même arriver
à nager uniquement avec les jambes, il
faut le faire sur le dos, afin de pouvoir
respirer librement. Nous avons vu en
1966 une jolie fillette de 13 ans, née
avec deux tout petits bras atrophiés,
qui ne lui assuraient aucune propulsion
dans I’eau, nager 100 mètres sur le dos
dans un bassin olympique de 50 m.,
après trois leçons seulement. Pour être
à I’aise dans I’eau, il va sans dire que
ces handicapés devront apprendre à se
tourner sur le ventre et sur le dos avec
les jambes seulement. C’est là encore
un exercice que le moniteur devra
pouvoir démontrer.
Les amputés de tout ou partie d’un bras
seulement peuvent nager avec beaucoup plus de facilité. Ils peuvent pratiquer les 3 nages: crawl, dos et brasse,
mais I’over leur convient parfaitement,
ne serait-ce que parce qu’il rend leur
handicap pratiquement invisible.
Quant aux amputés des jambes leur
situation dans I’eau est bien différente,
ils peuvent nager avec beaucoup d’aisance et c’est vraiment le sport indiqué
pour eux.
Les amputés des deux jambes peuvent
nager sans difficultés les trois nages:
crawl, dos et brasse tandis que ceux
qui sont amputés d’une seule jambe
peuvent également nager le dauphin,
Plongeon de départ d’un amputé.
Une amputée (jambe gauche) nageant le crawl. Au fond des valides s’entraînent au waterpolo.
mais en général pas I’ancienne nage
papillon, pour la raison mentionnée
plus haut à propos des polios.
Dans son excellente brochure, Elisabeth C. Trussell écrit que les amputés
des deux jambes flottent et nagent debout, ce qui freine leur avance.8 Nous
pensons qu’il s’agit là d’une erreur. En
effet, les amputés des deux jambes
(partiellement ou totalement) que nous
avons vus flottent ou nagent horizontalement avec beaucoup de facilité.
Leur seul défaut de style, très petit
d’ailleurs, est que dans la nage sur le
dos (dos crawlé) le tronc tend à un
léger balancement latéral. Leur flottabilité horizontale est bien meilleure que
celle des valides.
Cela est aussi vrai, mais dans une mesure moindre pour les amputés d’une
seule jambe.
S’ils n’ont pas d’autres problèmes de
santé, les amputés d’une ou des deux
jambes sont à notre avis avantagés par
rapport aux valides lorsqu’il s’agit de
nager des longues distances.
En effet, si un nageur valide peut sprinter sur une courte distance en nageant
vigoureusement avec bras et jambes, il
en est tout autrement dès qu’il s’agit de
longues distances; car alors, il ne faut
pas que le battement des jambes retire
quoi que ce soit à la force des bras, il
se fatiguerait trop vite.9 La fonction des
jambes n’est plus alors la propulsion,
mais seulement la stabilisation du
corps horizontalement et dans la direction de la nage. 10
Les amputés des jambes, dont la flottabilité horizontale est facilitée, n’ont pas,
eux, à utiliser de force pour mouvoir
une ou deux jambes inexistantes. En
outre, leurs bras n’ont pas à tirer le
poids de ses jambes, d’où une double
économie d’énergie.
II faut citer à titre d’exemples le
Hongrois Halassy, déjà mentionné qui
fut champion d’Europe du 1500 mètres
en 1931, le cul de jatte américain qui
traversa la manche à la nage et le
nageur suisse uni-jambiste Hans
Schmidt, qui impressionna en 1971 par
ses traversées, des lacs de Zurich et de
Constance dans le sens de la longueur
(35 et 48 km.)!
Ces performances sont encore plus remarquables si I’on songe aux difficultés
physiques et psychologiques que les
amputés ont pour aller s’entraîner, ne
serait-ce que pour arriver jusqu’au bord
de I’eau en tenue de nageur.
8 Elisabeth C. Trussel, « Guide lines for teaching
the disabled to swim », publié par Swimming Teachers’ Association, Netherton Printers Ltd., Dudley, 1971, page 8.
9
François Oppenheim. « La Natation », op. cit.,
page 109.
1 0 James E. Counsilman, « The Science of Swimming », op. cit., page 28 à 30.
255
Ajoutons encore, pour montrer les possibilités des amputés dans I’eau, deux
exemples: celui d’un de nos amis
amputé à la fois du bras gauche et de
la jambe droite, qui nage régulièrement
chaque semaine 500 à 1000 mètres, et
celui de ce Français que nous avons vu
en 1968 à Lyon, amputé à la fois des
deux jambes et d’un bras au-dessus du
coude, nager avec un seul bras 50
mètres en une minute et 7 secondes.
II existe des prothèses spéciales pour
aller dans I’eau, qui sont très utiles sur
les plages, mais nous pensons que
I’amputé doit d’abord apprendre à
nager sans rien, et ne mettre une
prothèse de plage que lorsqu’il aura
acquis suffisamment d’aisance dans
I’eau; nous pensons de même pour les
amputés des bras qui désirent mettre
des palmes aux pieds pour compenser
la propulsion qu’ils ne peuvent effectuer avec les bras.
Un amputé (bras gauche et jambe droite)
à I’entraînement.
Un rhumatisant (maladie de Zechterew) à I’entraînement.
256
H) Les rhumatisants
On classe sous le nom de rhumatisme
plusieurs centaines de maladies qui,
pour la plupart, affectent les articulations. Pour certains, le mouvement est
recommandé, pour d’autres, il vaut
mieux laisser les articulations malades
au repos. Avant de se lancer dans la
natation, le rhumatisant devra demander conseil à son médecin. Le nageur
devra savoir lui-même ce qu’il peut
faire et ne doit pas faire, car dans certains cas, il devra éviter de « forcer »
ses articulations et même éviter la fatigue, dans d’autres cas, il devra au
contraire, faire fonctionner ses jointures au maximum.
Par exemple, dans de nombreux cas
d’arthrose des hanches, le rhumatisant
a des difficultés à marcher et surtout
cela lui occasionne des douleurs; la
marche peut être même à éviter, à
cause du poids du corps. Mais comme
ii faut maintenir le mouvement de la
hanche, la nage est particulièrement recommandée.
Nous connaissons une personne atteinte de Bechterew pour qui la natation a
vraiment été miraculeuse. Cette maladie est une sorte de rhumatisme entraînant une calcification progressive des
articulations directement attachées à la
colonne vertébrale, en commençant par
celles de la colonne elle-même.
Lorsqu’il a commencé la natation, toute
la colonne vertébrale de cet homme,
qui nous honore de son amitié, était
déjà complètement calcifiée, y compris
les hanches, au point qu’il ne pouvait
plus s’asseoir; ses épaules étaient partiellement prises. Grâce à sa volonté, sa
persévérance et son acharnement, il est
devenu malgré son handicap, un bon
nageur de longues distances, capable
de nager brasse, dos et crawl.
Voici les modifications des mouvements que nous avons progressivement
trouvées ensemble:
Brasse: Comme il ne peut pas écarter
les genoux, ses hanches étant bloquées, il exécute un battement simultané des deux jambes partant depuis les
genoux. C’est la nage avec laquelle il
avance le moins vite, car ne pouvant
lever la tête pour respirer (les vertèbres
cervicales étant également bloquées), il
est obligé de se mettre presque à
la verticale pour aspirer I’air. Entre
chaque brasse, il fait un long temps
d’arrêt en flèche qui lui permet de
reprendre la position horizontale, pendant lequel il avance en glissant dans
I’eau sans mouvement.
Crawl: La respiration latérale en faisant une rotation de tout le corps, Iui
permet de maintenir une position horizontale dans I’eau et ainsi une bonne
avance. Pour le mouvement des bras, il
combine la technique des bras ramenés
en avant tendus, assez bas, au-dessus
de la surface de I’eau, avec celle
de la rotation du corps mentionnées
plus haut à propos des paraplégiques.
Quant aux battements des jambes, il a
adopté un battement du vieux crawl
australien, partant depuis les genoux,
qu’il exécute à quatre temps.
Dos: C’est en dos crawlé qu’il a le plus
d’avance et qu’il glisse le mieux. Les
mains et les bras entrent dans I’eau peu
en arrière des épaules seulement, mais
effectuent le mouvement de traction
jusqu’à la cuisse très peu au-dessous
de la surface de I’eau. Quant aux
jambes, elles exécutent un battement
toujours à partir des genoux, assurant
une propulsion principale, pendant que
le pied remonte vers la surface, et une
propulsion secondaire avec la plante
du pied au moment où il commence à
redescendre.
Nous avons estimé utile d’exposer le
détail de ces modifications, car elles
peuvent être employées pour d’autres
handicaps. Les hanches bloquées,
notamment, ne sont pas rares et le
battement du vieux crawl australien est
tout indiqué, même pour une seule jambe, si une des hanches seulement est
inutilisable.
Les rhumatisants qui le peuvent, doivent s’entraîner au moins trois fois par
semaine pour récupérer et maintenir la
mobilité de leurs articulations, et conserver ainsi leurs possibilités de nager
en souplesse.
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I) Les aveugles
Les aveugles totaux ou partiels ont les
mêmes difficultés pour la natation que
pour leurs autres activités.
II faut avant tout s’assurer que celui
dont les yeux sont abîmés supporte le
désinfectant contenu dans I’eau des
piscines. II devra éventuellement consulter son médecin à ce sujet et, si
nécessaire, mettre des lunettes de nage
telles qu’il en existe depuis peu.
Avant de commencer I’adaptation à
I’eau, il faut que I’aveugle se familiarise
avec les abords du bassin pour qu’il les
mémorise. II devra également apprendre où se trouvent les différents accès,
rampes, escaliers, échelles etc., ainsi
que la forme et la dimension du bassin
en le parcourant. Les moniteurs devront
aussi apprendre à guider un aveugle.
L’adaptation à I’eau et I’apprentissage
des mouvements devront être très progressifs et suivre les mêmes principes
que pour les valides, mais il faudra se
rappeler sans cesse que I’élève ne voit
pas, et qu’il est inutile de faire des
gestes pour démontrer ce qu’on cherche à lui enseigner. Le moniteur devra
Iui décrire les mouvements, et s’il veut
lui faire des démonstrations, il devra
mettre les mains de son élève aveugle
sur ses propres membres, afin que
celui-ci puisse sentir au toucher les
mouvements.
Les aveugles peuvent nager les différents styles de nage et même faire de
la compétition.
Lorsqu’ils nagent en eau libre, dans un
lac ou dans la mer, ils doivent naturellement toujours être accompagnés; par
contre, dans les piscines, il faut leur
apprendre à suivre les « lignes d’eau »
flottantes qui séparent les couloirs de
nage lors des compétitions, et à compter leurs brasses ou mouvements, afin
de repérer où ils se trouvent par rapport à la longueur du bassin.
En nageant la brasse, pour suivre la
ligne d’eau, it suffit de I’effleurer avec
le bras, le coude ou I’épaule pendant le
mouvement de traction. Par contre,
pour le crawl et le dos, il est préférable
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de toucher la ligne d’eau avec la main,
au moment où cette dernière sort de
I’eau après le mouvement de propulsion. Si on essaie de repérer la ligne
d’eau, en avant de la tête, avec la main
au moment où cette dernière entre
dans I’eau, on risque de se faire mal
aux doigts, car la main et le bras sont,
à ce moment-là, tendus pour faire
I’effort de propulsion. Tandis que
lorsqu’elle sort de I’eau, la main ainsi
que le bras, sont décontractés et il est
alors possible, par un petit mouvement
latéral de la main au niveau de la
cuisse, de repérer sans douleur la ligne
d’eau.
On constate que sur le dos, il est
encore beaucoup plus difficile de nager
droit, car le corps humain est conçu
pour travailler devant lui et non dans
son dos!
Lorsqu’un aveugle s’entraîne à la nage
de compétition, ainsi que pendant la
compétition elle-même, le comptage
des mouvements ne suffit plus. II est
alors nécessaire que quelqu’un en qui il
a confiance, lui indique les mètres
restants: 5 m., 3 m., 2m., 1m., tant pour
les virages que pour I’arrivée. Cela est
particulièrement indispensable pour la
brasse, pour éviter de heurter I’extrémité du bassin avec la figure.
Les moniteurs doivent aussi, de temps
en temps, nager les yeux bandés ou
fermés, pour se rendre compte et se
rappeler à quel point il est difficile de
nager droit et de s’orienter lorsqu’on ne
voit pas!
Les autres nageurs doivent être prévenus lorsqu’un ou plusieurs aveugles
nagent également dans le bassin, afin
d’éviter les collisions.
II serait souhaitable qu’un bonnet avec
des couleurs spéciales, par exemple
jaune et noir, soit adopté comme signe
distinctif des nageurs aveugles, comme
cela existe pour les vestes des skieurs
aveugles. Un accord entre diverses
associations ou organisations d’aveugles et les fédérations sportives des
invalides serait très utile à ce sujet.
J) Les sourds
Les sourds ne sont pratiquement pas
handicapés pour la natation, c’est
même le sport dont la condition de
base les rapproche le plus des valides.
En effet, il suffit d’avoir les oreilles
dans I’eau pour n’entendre presque
plus rien!
Ils devront cependant s’assurer auprès
de leur médecin que leur surdité n’est
accompagnée d’aucun trouble d’équilibre, particulièrement si de I’eau pénètre dans leurs oreilles, et que la
natation n’est donc pas dangereuse
pour eux.
K) Les hémophiles
L’hémophilie est une maladie célèbre
souvent héréditaire se transmettant par
les femmes et affectant les hommes. Le
sang des hémophiles ne contient pas
les coagulants habituels, ils sont donc
sujets aux hémorragies, les hémorragies internes étant peut-être les plus
graves. On peut imaginer les précautions considérables que les hémophiles
doivent prendre dans toutes leurs activités quotidiennes.
Il est indispensable qu’un spécialiste
soit présent lorsqu’un ou plusieurs
hémophiles pratiquent la natation. Ce
spécialiste, infirmière ou parent, doit
savoir et pouvoir prendre les mesures
nécessaires en cas d’hémorragie, car
celle-ci peut se produire aussi dans
une articulation, à la suite d’un simple
mouvement trop brusque, même sans
aucun choc.
Il faut donc éviter tout mouvement trop
brusque, et la natation est, par conséquent, un des rares sports que les hémophiles peuvent pratiquer.
La nage rapide la moins propice pour
eux est la brasse, dont les mouvements
sont plus brusques que ceux du crawl
et du dos crawlé, spécialement pour les
genoux et les coudes. Les nages
dauphin et papillon sont aussi contreindiquées.
Les hémophiles doivent éviter de faire
des compétitions en sprint, mais ils
peuvent arriver à nager des distances
d’une certaine longueur en souplesse, à
une allure régulière, ceci après un entraînement très progressif.
V Perfectionnement et entraînement
La natation est un des sports où la
technique du mouvement juste est la
plus importante. En effet, cela ne sert à
rien d’être en bonne condition physique
et capable de développer la vitesse des
mouvements avec une grande force
musculaire, si on ne fait pas le mouvement le mieux adapté dans I’eau. Souvent même, la force ne sert à rien, ou
presque rien, et on peut bien lui appliquer I’expression du « coup d’épée
dans I’eau »!
Il est fréquent de voir de ces magnifiques athlètes et ces gymnastes aux
muscles saillants, qu’ils croient superbes et démontrant une force considérable, être largement distancés par des
enfants de 6 à 8 ans, qui n’ont encore
aucune force, mais qui nagent en souplesse avec les mouvements appropriés.
Il faut donc perfectionner les mouvements jusqu’à ce que chacun trouve le
mouvement juste qui lui convient, et
cela encore plus pour les handicapés
physiques.
Il faudra aussi toujours veiller à ce que
les mouvements soient effectués avec
souplesse.
Quant à I’entraînement des handicapés physiques, les principes sont les
mêmes que pour les valides, sauf pour
les exceptions que nous avons mentionnées plus haut (IMC, hémophiles etc.).
Il faut pousser les jeunes à la vitesse
après leur avoir fait nager des distances plus longues, 500 mètres et plus,
afin qu’ils acquièrent d’abord I’aisance
dans I’eau, I’automatisme des mouvements ainsi que I’endurance nécessaire.
A notre avis, pour devenir un champion
en natation, il faut trois conditions:
1. aimer I’eau,
2. beaucoup travailler, c’est-à-dire
s’entraîner énormément,
3 . avoir le don.
259
Cette troisième condition est de loin la
moins importante.
Cela est aussi vrai pour les handicapés
physiques que pour les valides.
Pour ceux qui ont dépassé I’âge de la
compétition, le mouvement juste qu’ils
auront acquis, leur donnera le loisir de
nager de longues distances sans se fatiguer, cela leur permettra de se maintenir ainsi en bonne condition physique
jusqu’à la fin de leur vie. La natation
pourra même remplacer la marche pour
certains.
Mais, que I’on ne s’y trompe pas, si la
natation est un sport agréable, c’est
aussi un sport difficile, qui exige une
pratique régulière et un entraînement
constant, car il fait appel à tous les
muscles du corps.
Si les circonstances ont obligé un handicapé ou un valide à interrompre la
pratique de la natation, il devra recommencer à s’entraîner très progressivement. II ne devra pas se laisser décourager en voyant à quel point il a perdu
ses capacités de nageur et par les
efforts qu’il devra faire pour les récupérer.
VI Organisation d’un cours de natation
A) Contrôle médical
II est indispensable que les handicapés
physiques qui désirent suivre un cours
de natation se soumettent à un contrôle
médical; cela leur permettra de savoir
si la natation n’a pas de contre-indication pour eux et de connaître les précautions éventuelles qu’ils doivent
prendre.
II faut que le moniteur ou le club organisateur du cours sache si I’handicapé
est autorisé ou non par le médecin à
participer à un cours ou un entraînement de natation, et le certificat médical semble la formule pratique.
Mais c’est surtout pour I’handicapé luimême que le contrôle médical est
important, car c’est à lui que le médecin devra indiquer la nature de son
260
handicap, ce qu’il peut faire et ce qu’il
ne doit pas faire.
C’est en général I’handicapé lui-même
(ou ses parents, s’il s’agit d’un enfant),
qui devra pouvoir le dire et même le
rappeler au moniteur, qui, lui, n’a que
peu ou pas de connaissances médicales, mais qui, sur des indications très
simples, doit savoir comment faire
« travailler » son élève dans I’eau.
B) Moniteurs
II faut avoir suffisamment de moniteurs
et d’aides. En effet, en plus des moniteurs connaissant bien la natation, il
faut des aides pour amener au bord de
I’eau ceux qui ne peuvent pas se déplacer seuls, car il est bien rare actuellement que les piscines soient conçues
de façon à permettre I’accès des bassins en fauteuil roulant. II faut aussi
pour certains handicapés des aides
dans les vestiaires, qui peuvent être
leurs parents ou amis.
Alors que beaucoup peuvent se « débrouiller » seuls, il faut souvent se
mettre à deux ou trois pour faire entrer
dans I’eau un grand handicapé ou pour
I’en sortir. Par contre, une fois dans
I’eau, s’il ne sait pas encore nager, un
seul moniteur suffit généralement pour
s’occuper de Iui. Tandis que pour ceux
qui savent déjà nager, un seul moniteur
peut surveiller et perfectionner plusieurs nageurs à la fois, comme pour
les valides.
C’est pour les débutants que les moniteurs doivent être les plus nombreux, à
cause des différences entre les handicaps, mais dès que cela est possible,
I’enseignement de la natation par petits
groupes est recommandé, car cela le
rend plus attrayant.
II est souhaitable que les moniteurs
restent en contact avec les clubs de natation des valides pour se tenir au courant de I’évolution des techniques. Cela
est aussi valable pour les moniteurs
des autres disciplines pratiquées par
les handicapés. Ils ne devront cependant pas simplement appliquer les
techniques des valides aux handicapés,
mais vérifier avec chacun de leurs
Au 1er plan: un groupe d’handicapés s’entraîne à un jeu inspiré du volleyball. A I’arrière
plan: des valides pratiquent le waterpolo.
élèves si elles sont praticables et
surtout savoir les adapter selon les
handicaps.
Les échanges d’expérience entre moniteurs de différents clubs ne peuvent être
que très profitables dans ce domaine.
Les moniteurs devront être très patients. Ils devront prendre les pércautions nécessaires contre les accidents.
Rappelons que dans I’eau, malgré I’opinion générale, les risques d’accidents
sont très restreints: il suffit de surveiller constamment le bassin, être prêt à
aider celui qui est en difficulté et ne
pas laisser un débutant s’aventurer seul
où il n’a pas « son fond », c’est-à-dire
où il ne peut se tenir valablement soit
sur ses pieds, soit sur ses mains.
Par contre, c’est aux abords du bassin
qu’il faut faire attention aux risques de
glissades et de chutes sur des sols
durs, rendus glissants par I’eau et les
pieds mouillés.
II faut faire particulièrement attention
aux chutes contre les bords, lors de
I’entrée et de la sortie de I’eau. II
faut apprendre aux handicapés comme
aux valides, en cas de glissade, sur
I’échelle par exemple, à se jeter loin du
bord pour tomber dans I’eau, au lieu
d’essayer de se retenir. On ne risque
rien à tomber dans I’eau profonde, par
contre, on risque de se blesser en tombant sur un bord de bassin en béton ou
en céramique.
C. Les bassins
L’idéal est de pouvoir utiliser deux
bassins différents: un petit pour les débutants et un grand pour ceux qui savent nager. Le passage du petit au
grand bassin, lorsque les progrès de
I’élève le permettent, est toujours très
encourageant.
II est préférable que ces bassins aient
un escalier pour permettre aux grands
handicapés d’entrer et de sortir de
I’eau par leurs propres moyens si possible.
Si le grand bassin est assez vaste, par
exemple un bassin olympique de 50 m.,
il n’est pas nécessaire que la totalité du
bassin soit réservée aux handicapés
lors de leur entraînement; cela dépend
de leur nombre.
II peut être partagé entre les valides et
les handicapés, la répartition des couloirs de nage du bassin devant être
faite au prorata du nombre des nageurs.
II n’est pas mauvais que les sportifs
handicapés soient dans la même
261
piscine que les autres clubs sportifs et
en même temps. Cela peut être bon au
point de vue intégration sociale non
seulement dans I’eau, mais aussi lors
de la rencontre dans les vestiaires, qui
est profitable à tous et permet d’augmenter la compréhension mutuelle.
On peut également apprendre à nager
aux handicapés en eau libre, lac ou
mer, mais il faut que I’eau y soit calme
et assez chaude.
D) Température de I’eau
II s’agit là d’un sujet controversé, où les
avis différents abondent.
Beaucoup demandent une eau plus
chaude pour les handicapés que pour
les valides.
Les normes de la Fédération Sportive
Suisse des lnvalides (FSSI) pour les
piscines indiquent:
« Pour les handicapés, la température
idéale de I’eau est entre 26 et 30 degrés
C . » 11
Elisabeth C, Trussel indique dans son
manuel les températures suivantes 12 :
bassin des débutants: environ 90
degrés Fahrenheit (32,2 degré Cent.),
grand bassin: environ 86 degrés
Fahrenheit (30,6 degrés Centigrade).
Monsieur MacMillan, créateur de la méthode Halliwick, questionné par un
membre de Sport Handicap Genève
à ce sujet, nous répondait il y a
quelques années: « La température
idéale de I’eau pour apprendre à nager
à un handicapé est la température de
I’eau que I’on a à sa disposition. A quoi
cela sert-il d’apprendre à nager à quelqu’un dans de l’eau chaude à 30
degrés, s’il n’aura jamais de I’eau
chaude à sa disposition pour nager? II
ne pourra jamais nager! C’est aussi
simple que ça! » Et Monsieur MacMillan ajoutait: « Nous avons même appris
à nager à des IMC dans de I’eau à 18
degrés centigrade, lorsque nous n’avions pas d’autres possibilités. »
Nous avons bien ri deux années plus
tard quand un moniteur d’un club de
Suisse Romande nous a dit: « Monsieur
MacMillan, lui, recommande que la tem262
pérature de I’eau pour les IMC soit de
18 degrés! » C’est probablement ainsi
que se forment les légendes!
Nous pensons que comme tout homme
normalement constitué, les handicapés
physiques n’aiment pas I’eau froide, et
c’est pourquoi nous avons parfois répondu dans le passé, à des sportifs
handicapés qui se plaignaient de la
température de I’eau de la piscine
municipale de Genève (environ 25
degrés): « Si vous voulez de I’eau
chaude comme dans une piscine
d’hôpital, allez dans un bassin de cure
thermale ou autre, ici, c’est une piscine
pour les sportifs et pour tout le monde,
où nous faisons du sport et de I’exercice pour le plaisir et non pas un traitement médical. »
A notre avis, demander une eau plus
chaude pour les handicapés a pour
effet d’ajouter un empêchement à leur
intégration sociale. En effet, les handicapés seront persuadés qu’ils ne
peuvent pas nager dans la même eau
que les valides. Comme, d’autre part,
on ne peut pas changer facilement la
température de I’eau dune piscine, il
faudra construire des piscines séparées pour les handicapés ils seront
ainsi à nouveau mis à part. La température de I’eau doit donc être la même
que pour les valides.
Pour les compétitions, voici ce que dit
le règlement de natation de la Fédération lnternationale de Natation Amateur
(FINA), règlement No. 63 chiffre 11: 13
« Température de I’eau
» +24° Centigrade. Minimum.
» +77° Fahrenheit. Minimum. »
« Sport-Handicap », organe officiel de la FSSI,
11e année, No 4, novembre 1972, page 19, chiffre 9.
1 2 Elisabeth C. Trussell, « Guide lines for teaching
the disabled to swim », op. cit. page 5.
1 3
Bulletin officiel de la FINA, No 39, décembre
1972, page 44. Cette règle, adoptée par le Congrès
de la FINA de 1972, est applicable depuis le 1er
mars 1973 (idem page 5).
L’ancien règlement, selon le manuel de la FINA
1969-1972, prévoyait, au règlemenl No 63, chiffre
11, une température de I’eau de 23 à 25° centigrade, de 74,4 à 78° Fahrenheit.
1 1
Rappelons que ce règlement est applicable à toutes les compétitions internationales officielles dans le monde entier.
Nous devons toutefois ajouter que les
valides, spécialement les petits enfants,
apprennent plus vite à nager dans I’eau
«chaude», car ils sont moins crispés
que dans I’eau «froide». Cela est
encore plus marqué chez les handicapés, c’est pourquoi il est souhaitable de
disposer de bassins un peu plus
chauds pour les débutants, mais si cela
n’est pas possible, il ne faut pas, pour
autant, renoncer à apprendre à nager.
Cependant, si le bassin des débutants
se trouve à côté du grand bassin moins
chaud de nageurs avancés, bon nombre d’élèves rechigneront à aller dans
le grand bassin, où I’on n’a pas son
fond, et leurs progrès seront beaucoup
plus lents.
Nous pensons que la plupart des handicapés, qui, au début, ont beaucoup de
peine à supporter I’eau «moins chaude» des piscines publiques, s’y habituent très bien après un entraînement
plus ou moins long. Nous avons été plusieurs fois étonnés à quel point certains
sportifs handicapés, même spastiques
ou rhumatisants, s’étaient aussi habitués sans mal à la température de I’eau
des lacs de I’Europe centrale, qui est
bien inférieure à celle des piscines.
Nous avons même vu un unijambiste
participer à la Coupe de Noël, qui a lieu
à Genève en décembre chaque année
dans I’eau du lac, qui n’a alors que trois
à six degrés centigrade.
Elisabeth C. Trussell écrit dans son
manuel que «la température de I’air devrait être légèrement inférieure à celle
de l’eau 14 »: nous pensons, au contraire,
Mise à I’eau d’un paraplégique par deux
anciens participants aux Jeux Olympiques
(waterpolo), à gauche: Benjamin Vessaz
(1936), à droite: Fernand Moret (1924 et
1928). Une fois dans I’eau (p. suiv.), le paraplégique nage le dos brassé sans aide.
Elisabeth C. TrusselI, «Guide lines for teaching
the disabled to swim», op. cit., page 5. dernière
ligne.
1 4
263
que I’air doit avoir au moins deux degrés centigrade de plus que I’eau,
sinon on a trop froid en sortant du bassin.
Enfin, nous recommandons toujours de
se doucher, non seulement avant
d’entrer dans I’eau, mais aussi de
prendre une bonne douche chaude
avant de se rhabiller. Cela provoque
une réaction, qui aide ceux qui manquent de mouvement, particulièrement
ceux qui sont en fauteuil roulant, à se
réchauffer.
E) Matériel
II faut disposer de fauteuils roulants et
de sièges pouvant être utilisés dans
les douches. Une douche devrait être
assez large, pour qu’un paraplégique
puisse se transférer du fauteuil roulant
au siège de douche, de même pour les
toilettes.
Les placets roulants sont très utiles
pour les amputés des deux jambes, car
ils leur permettent de se «débrouiller»
seuls.
II est souhaitable d’avoir un appareil
mécanique permettant de descendre
dans I’eau, et de les en sortir, ceux qui
sont en fauteuil roulant. Si I’on n’a pas
un tel appareil, il faut au moins disposer d’un matelas de caoutchouc, pour
pouvoir entrer et sortir de I’eau les
grands handicapés, notamment les
paraplégiques et les trétraplégiques; il
faut les faire glisser doucement sur le
matelas, en évitant ainsi que leur peau
si fragile soit abîmée par les bords durs
du bassin.
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«La joie de pouvoir faire aussi du sport.»
Pour le reste, on peut utiliser les
mêmes équipements que pour I’entraînement des valides: planches à battement, «pull-boys» etc.
VII Conclusion
Nous espérons que ces quelques pages
seront utiles aux moniteurs de natation
pour handicapés physiques et qu’elles
encourageront un plus grand nombre
de ces derniers à essayer les plaisirs
de la natation, ce sport qui, contrairement à beaucoup d’autres, est sans
risques à condition, toutefois, d’observer les règles d’une prudence élémentaire.
Ce sera peut-être I’exercice physique
qui leur permettra de devenir des sportifs comme tout le monde et même de
faire de la compétition.
Ils en retireront non seulement les bienfaits physiques de la pratique d’un
sport, mais surtout une satisfaction
morale causée par une assurance
nouvelle dans I’eau, cet élément où I’on
peut si bien s’amuser!
J.A.