Autobiographie de Malcolm X

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Autobiographie de Malcolm X
The autobiography of Malcolm X
Malcolm X & Alex Haley
(1964, réédition 1999 – Ballantine Books – New York)
Le superbe film de Spike Lee, Malcolm X (dans lequel Denzel Washington crève l’écran) m’a donné
envie de lire cet ouvrage. Quand j’ai voulu l’acheter, j’ai constaté qu’il était épuisé : je l’ai donc
commandé et lu en anglais. Toutefois, l’un de mes élèves à qui j’en faisais un éloge dithyrambique et
qui a eu envie de le lire à son tour a réussi à se le procurer en français, d’occasion, sur un site
internet. Ceux qui ont un bon niveau d’anglais pourront le lire dans la langue de Shakespeare, mais
ceux qui préfèrent la V.F. gardent donc toutes leurs chances.
La biographie de Malcolm X n’est pas seulement passionnante, elle est susceptible d’être très utile
aux élèves de Terminale. Plusieurs de mes étudiants ont eu à travailler sur le thème des droits civils,
dans le cadre du thème « Mythes et héros » de l’oral du Bac. « Hormis Martin Luther King,
connaissez-vous un grand leader noir du combat pour les droits civils ? » a demandé l’examinatrice à
l’élève qui s’est procuré le livre en français. « Malcolm X », a-t-il répondu. Il paraît qu’elle a paru
satisfaite.
Cet ouvrage est – déjà – un témoignage sur l’histoire nord-américaine et quand on a le baccalauréat
en ligne de mire, toutes les connaissances en lien avec le programme sont bonnes à prendre. En
l’occurrence, c’est vraiment joindre l’utile à l’agréable !
L’histoire commence en 1960, quand l’écrivain Alex Haley, qui a quitté la Marine et travaille comme
journaliste, propose au Reader’s Digest de réaliser une interview de Malcolm X afin de mieux
informer le public sur les Black Muslims. En 1962, il réalise une nouvelle interview, plus personnelle,
pour le magazine Playboy : sa lecture donne à un éditeur l’idée d’une autobiographie de Malcolm X.
En 1963, une fois obtenue l’autorisation de « l’honorable Elijah Muhammad », alors responsable des
Black Muslims, le travail commence. Il durera deux ans, jusqu’à l’assassinat de Malcolm, le 21 février
1965. Très méfiant au début (il considérait Alex Haley comme un suppôt des Blancs ayant intégré
leurs valeurs), Malcolm X accordera peu à peu sa confiance à son co-auteur et leurs relations, d’après
ce dernier, deviendront amicales. C’est ce qu’il écrit, en tous cas, dans la postface de l’ouvrage,
rédigée après l’assassinat du leader et qui fait office d’épilogue.
L’autobiographie de Malcolm X à proprement parler se divise en dix-neuf chapitres, organisés
chronologiquement. La version anglophone comporte aussi une préface d’Attallah Shabazz, sa fille
aînée, ainsi qu’un écrit de l’acteur Ossie Davis. Militant des droits civiques, il était proche de Jesse
Jackson, de Martin Luther King Jr et de Malcolm X, dont il a prononcé l’éloge funèbre. Je ne les ai
pas lus. Par contre, l’autobiographie est passionnante.
Deux éléments me paraissent particulièrement intéressants.
Tout d’abord, Malcolm X donne bien à voir comment pouvaient vivre les Noirs aux Etats-Unis pendant
son enfance, dans les années 30 : cela fait se dresser les cheveux sur la tête. Son père avait quatre
frères : seul l’un de ses oncles est mort dans son lit, les autres ont tous été assassinés ou lynchés. Le
père de Malcolm (dont l’attitude dépourvue de servilité et les convictions déplaisaient) a été tué
d’un coup à l’arrière de la tête, avant que son corps ne soit déposé sur une voie ferrée. Pire encore.
Il avait pris deux assurances-vie : quand sa veuve s’est présentée pour les toucher, l’un des courtiers
a refusé de la lui verser, prétendant que son mari s’était suicidé ! Naturellement, il s’agissait de la
plus importante des deux et la famille s’est retrouvée dans la pauvreté.
La pauvre femme a fait tout ce qu’elle a pu pour élever seule ses huit enfants. Les services sociaux
l’ont littéralement harcelée, jusqu’à réussir à placer les petits en famille d’accueil et à la faire
interner en hôpital psychiatrique – alors qu’elle n’était évidemment pas folle, simplement en
dépression (on le serait à moins). Ses enfants réussiront à la faire sortir de là plus d’une vingtaine
d’années plus tard.
Karin Lafont-Miranda - 2013
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Malcolm X est pourtant né dans le Nebraska, un Etat du Middle West qui n’a pas compté parmi les
Etats esclavagistes confédérés. Voilà qui laisse rêveur. Si les Noirs étaient traités pareillement dans
le Nebraska, ils devaient vivre un avant-goût de l’enfer en Caroline ou en Virginie.
Une anecdote est particulièrement affreuse. Seul élève noir dans une école de Blancs dont il est la
« mascotte » (on l’y traite comme un petit chien sympa et rigolo, malgré ses succès scolaires), un
professeur lui demande un jour quel métier il aimerait exercer plus tard. Le jeune Malcolm, qui n’a
encore jamais vraiment pensé à la question, réfléchit vite et répond : « Avocat ». L’enseignant, qui a
pourtant encouragé de moins bons élèves à essayer d’intégrer des écoles vétérinaires ou
d’ingénieurs, lui explique alors que c’est impossible, que les Noirs ne deviennent pas avocats et qu’il
ferait mieux de se diriger vers la profession de charpentier. Tout le monde l’aime bien et lui donnera
du travail, précise-t-il. Cette injustice va marquer un tournant dans la vie de l’adolescent et,
apparemment, décider en grande partie de la suite de son destin.
La liste des iniquités ordinaires des Blancs à l’égard des Noirs est telle qu’on est contraint de se
demander où le Révérend Martin Luther King a pu trouver les ressources intérieures pour combattre
pour les droits civils sans violence. La tentation devait être forte, pour une fraction de la population
noire, de passer à la lutte armée.
L’autre élément marquant réside dans la personnalité même de Malcolm X. Sa capacité de résilience
force l’admiration. La société dans laquelle il vit et le traitement infligé par les Blancs l’ont mené
très logiquement en prison. Condamné à dix ans de réclusion, il en fera sept qu’il mettra à profit
pour se constituer une impressionnante culture autodidacte. Devenu prêcheur du onzième temple de
la Nation of Islam, il consacre toute son énergie à cette organisation, avec le succès que l’on sait,
contribuant largement à son développement.
Dans les années 60, des tensions apparaissent avec Elijah Muhammad : d’abord à cause d’affaires de
mœurs (Muhammad qui prône une conduite irréprochable aux militants a eu des enfants hors
mariage). Ensuite, Malcolm X commence à s’intéresser à l’islam sunnite et découvre que ce que
prêche Muhammad en est, en réalité, très éloigné. Son pèlerinage à la Mecque, en avril 1964, finit de
lui ouvrir les yeux. Enfin, Muhammad commençait à prendre sérieusement ombrage du charisme de
Malcolm X.
Quoiqu’il en soit, la lecture de l’autobiographie montre de manière claire que Malcolm X avait des
ressources intérieures immenses : entré en prison avec un niveau d’études réduit, il a été capable de
se former intellectuellement, seul. Entré drogué, il en est sorti sain. Ancien délinquant, il a eu des
responsabilités politiques importantes.
Il est toujours resté d’une grande souplesse d’esprit, capable de prendre du recul, de se rendre
compte de ses erreurs et de les corriger : c’est ce qu’il a fait en quittant la Nation of Islam et en
fondant sa propre organisation. Ayant prêché des années avec Elijah Muhammad la ségrégation, il est
resté un nationaliste noir mais ne considérait plus tous les Blancs comme des démons en puissance et
a condamné le racisme anti-blanc. Bref, c’était une personne d’une grande force morale et en
permanente évolution – une personnalité hors du commun.
Spinoza a écrit que « les hommes se trompent en ce qu’ils pensent être libres », parce qu’ils ignorent
les causes qui les poussent à agir. Plus on avance dans la biographie de Malcolm X, plus on voit cet
homme se libérer, car devenant toujours plus conscient du monde qui l’entoure et, précisément, des
causes qui le poussent à agir. La description de ce processus permanent de libération force
l’admiration.
Enfin, last but not least, le style vivant d’Alex Haley contribue à rendre la lecture très agréable.
Voici pour finir quelques citations :
Hence I have no mercy or compassion in me for a society that will crush people, and then penalize
them for not being able to stand up under the weight. / Donc je ne ressens aucune clémence ni aucune
compassion pour une société qui écrase les gens et qui ensuite les pénalise pour n’avoir pas pu rester
debout sous le poids qu’elle leur a fait porter.
I am speaking from personal experience when I say of any black man who conks today, or any whitewigged black woman, that if they gave the brains in their heads just half as much attention as they do
their hair, they would be a thousand times better off. / Je parle d’expérience quand je dis de l’homme
noir qui se défrise ou de la femme noire qui porte une perruque blonde que s’ils consacraient seulement la
moitié de l’attention qu’ils portent à leurs cheveux au cerveau qui se trouve dans leur tête, ils s’en
porteraient mille fois mieux.
Karin Lafont-Miranda - 2013
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