Andréanne Gousse

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Andréanne Gousse
Andréanne Gousse
Association des Personnes Stomisés de l’Estrie
Programme Renaissance GREAT COMEBACKS 2015
Avant d’atteindre ma majorité, je n’ai pour ainsi dire jamais eu de problèmes de santé, je ne rencontrais que
très rarement mon médecin de famille et le simple fait de penser aux hôpitaux m’angoissait.
Lorsque j’avais 18 ans, les rares fois où je prenais de l’alcool, les symptômes se faisaient sentir peu à peu. Le
tout a véritablement commencé par des diarrhées régulières et le sang accompagnant mes selles s’est précipité
une semaine plus tard tout au plus. À ce moment-là, les tests n’ont révélé rien d’autre qu’un simple virus
passager. Toutefois, des maux de ventre légers et de la fatigue ont rapidement suivi.
J’ai été diagnostiquée d’une colite ulcéreuse en août 2010, soit un mois suivant le début des diarrhées
constantes. Ne connaissant alors pas réellement la nature de cette maladie, je n’étais pas du tout inquiète de
cette nouvelle vie qui commençait et de la médication assidue que l’on m’avait prescrite.
Suite à ce diagnostic, j’ai complété la dernière session de mes études collégiales. Le stress des examens finaux,
des travaux d’équipe et des présentations orales a alors eu pour effet de déclencher une crise qui s’est apaisée
par elle-même avec le début des vacances estivales.
Avant de commencer l’Université, comme je voulais mettre le plus de sous possible de coté, j’ai comblé mon
horaire d’été par deux emplois étudiants. L’anxiété générée par un nouvel emploi et le désir d’accomplir
chacune de mes tâches parfaitement ont alors ravivé la crise qui venait tout juste de s’estomper.
À ce moment-là, les diarrhées accompagnées de sang étaient de plus en plus fréquentes ce qui a généré chez
moi de l’anémie, de l’incontinence à plusieurs reprises ce qui me plongeait chaque fois dans un sentiment de
honte absolue, une perte de poids substantielle et une fatigue intense. Mes activités familiales, conjugales et
amicales étaient alors guidées par la maladie.
Près d’un an suivant mon diagnostic de colite ulcéreuse, mon côlon présentait de l’inflammation sur toute sa
longueur. Parmi mes nombreux séjours à l’hôpital, j’ai alors eu de nouvelles médications, pris de la cortisone à
profusion, reçu des traitements intraveineux, tenté Remicade, mais aucun n’a eu raison de la maladie. Mon
médecin a donc commencé à me parler du fait que je pourrais avoir une stomie, mais j’étais plutôt fermée face
à cette option et j’étais persuadée que la crise finirait par s’apaiser.
Cependant, la persistance de la maladie m’a contrainte à quitter mes emplois, puis à retarder mon entrée à
l’Université, car je n’étais plus en mesure de pourvoir à mes occupations. Le fait de quitter mes activités m’a
d’abord confrontée à un sentiment d’échec, mais m’a également fait prendre conscience que je ne pouvais plus
continuer ainsi et que je devais changer la situation. Je comprenais alors toute la sagesse des paroles qu’un
homme atteint du cancer m’avait partagées à l’hôpital : « Je ne laisserai pas la maladie contrôler ma vie; JE vais
contrôler ma maladie ».
J’ai obtenu l’avis d’un second spécialiste en gastroentérologie de Sherbrooke en septembre 2011. Celle-ci m’a
alors partagé qu’une stomie temporaire s’avérait être une bonne solution et m’a expliqué qu’il était
maintenant trop tard pour tenter de nouveaux traitements. À ce moment, j’avais déjà apprivoisé l’idée de la
stomie et je me sentais prête pour l’opération.
J’ai donc une iléostomie depuis le 25 septembre 2011, soit depuis l’âge de 19 ans. Au départ, celle-ci ne devait
être que temporaire, mais les biopsies de l’opération ont finalement révélé une colite indéterminée, donc une
possibilité que la maladie se déclenche à nouveau dans un cas de reconnexion. Pour l’instant, j’ai choisi de ne
pas considérer toute possibilité de reconnexion. Je me sens bien telle que je suis et je n’ai plus à me priver de
quoi que ce soit.
La première fois que j’ai vu ma stomie, je dois dire que puisque je m’étais bien préparée mentalement à cette
idée, cela s’est plutôt bien déroulé. En fait, ce qui m’a fait le plus peur, ce sont les 21 agrafes qui couvraient
une bonne partie de mon abdomen, mais elles allaient être enlevées très rapidement.
Dès le lendemain de mon opération, j’ai commencé à faire moi-même les soins de ma stomie. Je voulais déjà
commencer à apprivoiser cette nouvelle partie de moi et je souhaitais également faciliter mon retour à la
maison en acquérant quelques trucs et astuces de la part des infirmières et de ma stomothérapeute.
À l’hôpital, on m’avait préparée au pire en ce qui concerne ma relation avec mon copain. On m’a expliqué qu’il
était fréquent que les conjoints aient du mal à accepter cette nouvelle situation. J’étais donc très anxieuse à
l’idée de montrer mon nouveau corps à mon amoureux, mais lui également s’était fait à l’idée de la stomie et il
m’a tout de suite acceptée avec cette nouvelle partie de moi.
Dès mon retour à la maison, j’ai pu noter l’ampleur des bienfaits qu’une stomie avait sur moi. J’avais
maintenant la force de prendre une marche et je n’avais pas à m’inquiéter de m’échapper à tout moment. Je
pouvais enfin passer du bon temps avec mes amis, je mangeais tout ce qui me plaisait et j’ai repris tout le poids
perdu en très peu de temps. Je me sentais tellement bien et le simple fait de me remémorer certains moments
ayant précédé mon opération m’aidait à m’accepter davantage telle que j’étais désormais.
Quoiqu’il en soit, le secret de mon acceptation et de mon estime de moi-même réside, sans aucun doute, dans
le support et le soutien constant dont mes proches ont fait part à mon égard. À aucun moment que ce soit, je
ne me suis sentie seule. Je vivais des émotions fortes et souvent difficiles, mais cette vague d’amour qui
déferlait sur moi à tous les jours l’emportait largement sur tout. Je me sentais aimée et c’est ce qui me faisait le
plus grand bien.
Dès janvier 2012, j’ai entrepris le début de mon parcours universitaire qui s’est déroulé sans encombre et qui
s’est terminé trois ans plus tard. Au terme de mon baccalauréat en
administration des affaires (concentration comptabilité), mon copain Alexandre,
récent gradué de son baccalauréat en administration des affaires (concentration
management), et moi avaient décidé de mettre sur pied un projet d’ampleur,
soit celui de l’entreprise ANA.
L’idée d’ANA décolle des mille et un projets d’entrepreneuriat d’Alexandre,
président et directeur général de l’entreprise. À partir de cette épreuve que
nous avons vécue, il a voulu offrir une gamme de produits adaptés pour
personnes stomisées, mais surtout mettre de l’avant le bien-être, l’estime de soi
et la beauté de la femme. Suite à mon opération et suite à la demande de ma
gastroentérologue, j’avais eu la chance d’accompagner des personnes dans leur
processus décisionnel en vue d’avoir une stomie. Je trouvais que cela avait
impacté de manière positive sur mon acceptation de moi-même et il me
semblait que le projet ANA serait réellement bénéfique pour moi, mais aussi pour toutes les personnes vivant
une situation semblable.
ANA est une entreprise qui offrira sous peu des sous-vêtements esthétiques, confortables et féminins pour les
femmes stomisées. Dans sa deuxième phase de développement, elle offrira également des sous-vêtements
adaptés pour les hommes portant une stomie. Plus encore, ANA a mis sur pied le blogue ANA&MOI pour offrir
un soutien quotidien à toutes les personnes atteintes d’une maladie inflammatoire de l’intestin et pour
favoriser l’acceptation de soi avec une stomie. Par le biais de témoignages inspirants et de chroniques de
spécialistes présentés sur une base hebdomadaire, le blogue joue également un rôle important pour la
sensibilisation de la population face aux maladies inflammatoires de l’intestin. Jusqu’à présent, dix
collaborateurs du Québec font partie de l’équipe du blogue ANA&MOI et y partagent leurs histoires. Étant
initiatrice du blogue, j’y publie également la mienne.
À ce projet s’est fièrement jointe Marie-Noël ayant obtenu son diplôme de baccalauréat en administration des
affaires (concentration ressources humaines) quelques mois plus tôt et étant membre de l’Ordre des
conseillers en ressources humaines agréés. Cette dernière occupe le poste de directrice en conception et
développement d’ANA, apporte à notre équipe une excellente complémentarité, puis ajoute un point de vue
externe au couple que nous formons Alexandre et moi.
À ce jour, j’enchéris donc mes habiletés personnelles et professionnelles en m’investissant en tant que viceprésidente et directrice des finances dans le projet ANA, je termine mon troisième stage au sein du même
cabinet de comptables professionnels agréés et je suis sur le point de débuter la dernière étape de mon
parcours scolaire, soit celle du diplôme d’études supérieures spécialisées en vue d’obtenir mon titre de
comptable professionnelle agréée.
Ma renaissance est principalement survenue lorsque j’ai ressentie le bien-être qu’une stomie pouvait générer
chez moi. J’ai rapidement appris à m’adapter à cette nouvelle situation, mais aussi à m’accepter telle que
j’étais maintenant, malgré les changements. J’ai également appris à me sentir belle et à éprouver de la fierté
face à ce que mon corps était devenu parce qu’il porte les marques de la maladie, mais il porte également
toutes les marques d’amour et de soutien qui m’ont été données.
L’opération m’a fait vivre une renaissance, mais, plus encore, le projet ANA me fait grandir de jour en jour. Moi
qui suis tellement discrète, introvertie et qui reste souvent dans l’ombre des autres, j’ai choisi de m’ouvrir aux
autres et de me présenter à tous telle que je suis pour participer activement à la cause d’ANA. Je souhaite offrir
du soutien et du réconfort dans la maladie autant que j’en ai reçu, je désire aider les nouvelles personnes
stomisées à s’aimer malgré les changements, avec ou sans vêtements, et je souhaite de tout cœur jouer un rôle
au niveau de la conscientisation de la population face aux maladies inflammatoires de l’intestin et aux stomies.
J’ai regagné ma confiance en moi suite à l’opération, mais je me sens encore plus confiante de penser que je
peux faire la différence pour les autres personnes atteintes de la maladie ou qui doivent avoir une stomie.
Parce que les sentiments de bien-être, d’acceptation de soi et d’estime de soi nous apportent bien plus qu’une
renaissance, ils nous font grandir pour toujours.
Andréanne Gousse
Juillet 2015