La glycémie moyenne estimée, un nouveau paramètre

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La glycémie moyenne estimée, un nouveau paramètre
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THEME
La glycémie moyenne estimée,
un nouveau paramètre bienvenu
en diabétologie
Michel F. Rossier
Résumé
Le taux d’hémoglobine glyquée
(HbA1c) est devenu un outil indispensable dans le suivi thérapeutique du
patient diabétique. Récemment, la
relation existant entre l’HbA1c et la glycémie moyenne des trois derniers
mois a été clairement établie, permettant ainsi d’exprimer ce paramètre
dans les mêmes termes que les glycémies mesurées par le patient lui-même
lors de son autocontrôle. Cette information présente dès lors une opportunité nouvelle pour le médecin de
consolider l’éducation de son patient
afin d’améliorer son contrôle glycémique.
Utilité et limitation de l’hémoglobine glyquée
La mesure de l’hémoglobine glyquée,
et plus spécifiquement de l’hémoglobine A1c (HbA1c), est devenue pratique courante dans le suivi du patient
diabétique et une aide à l’ajustement
de son traitement. En effet, le glucose
sanguin est connu pour laisser son empreinte moléculaire sur les protéines
avec lesquelles il entre en contact, en
se fixant sur celles-ci de façon covalente et irréversible mais de manière
non enzymatique. Cette dernière propriété est particulièrement importante
puisque, contrairement à la glycosylation qui est sous le contrôle de différents complexes enzymatiques et donc
finement régulée, le taux de glycation
d’une protéine dépend essentiellement
de la concentration du glucose ambiant et de son temps d’exposition.
La glycation de l’hémoglobine s’est
rapidement imposée comme le paramètre de choix pour évaluer la glycémie moyenne des derniers deux à trois
mois pour deux raisons: 1) La concen-
tration de glucose à l’intérieur des érythrocytes est quasiment identique à
celle du milieu extracellulaire, mais
surtout 2) parce que l’hémoglobine
présente un turnover constant directement lié à l’espérance de vie des érythrocytes (soit environ 120 jours).
Différentes formes de glycation existent
naturellement sur l’hémoglobine A,
correspondant à des sites spécifiques
de glycation sur la protéine, mais la
forme prédominante qui est augmentée dans le diabète est la forme A1c,
comme cela a été démontré déjà dans
les années 70 [1]. Avec l’intérêt croissant des diabétologues pour l’HbA1c,
plusieurs méthodes de dosage se sont
alors développées, basées sur diverses
technologies telles que la chromatographie échangeuse d’ions, la chromatographie d’affinité, l’électrophorèse
ou encore différents immunodosages.
Malheureusement, en absence d’une
méthode de référence commune et
d’essais standardisés, les résultats variaient considérablement d’un laboratoire à l’autre, probablement en grande
partie à cause de la présence d’autres
formes d’hémoglobine glyquée ou de
substances interférentes dans l’échantillon. Cette variabilité fut considérée
comme un frein important à l’établissement de recommandations thérapeutiques basées sur les valeurs
d’HbA1c, et pour pallier cette difficulté, les investigateurs du «Diabetes
Control and Complications Trial
(DCCT)» – une large étude visant à évaluer objectivement les risques de complication et le bénéfice d’un contrôle
stricte de la glycémie lors de l’évolution du diabète – décidèrent qu’il était
opportun de centraliser les mesures
d’HbA1c dans leur étude pour réduire
les effets de la variabilité interlaboratoires [2]. Quelque temps plus tard, un
groupe de travail fut chargé de mettre
en place un programme de normalisation de la mesure de l’HbA1c, appelé
«National Glycohemoglobin Standardization Program (NGSP)», et il choisit tout naturellement comme méthode de référence celle qui prévalut
dans l’étude DCCT, soit une méthode
d’HPLC échangeuse d’anions. Dès lors,
les utilisateurs d’autres méthodes
d’analyse furent invités à aligner leurs
résultats sur la méthode de référence
afin de pouvoir bénéficier des recommandations issues de l’étude DCCT, et
les compagnies fournissant des instruments de mesures calibrés sur la méthode HPLC reçurent la fameuse certification NGSP. Ceci eut pour effet
d’améliorer de façon remarquable la
précision et la reproductibilité du test
qui put alors faire son entrée dans la
pratique clinique.
Malheureusement, la méthode de référence elle-même s’avéra inexacte, surévaluant sensiblement la forme A1c
(définie de manière très précise par
la présence d’une glycation de l’extrémité N-terminale de la sous-unité bêta
de l’hémoglobine A1), et sous l’impulsion de la fédération internationale de
chimie clinique (IFCC), une nouvelle
méthode de référence plus spécifique,
faisant intervenir une analyse par
spectrométrie de masse, vit le jour avec
des critères «métrologiques» plus acceptables. S’ensuivit une véritable polémique pour savoir s’il fallait ou non
modifier les recommandations en
usage pour tenir compte des valeurs
exactes d’HbA1c (dites IFCC) qu’on
était maintenant capable de mesurer
grâce à de nouvelles solutions de calibration disponibles sur le marché (voir
l’article de P. Diem en juin 2004 dans
pipette). Presque unanimement, les
sociétés médicales reconnurent l’avantage de mesurer plus spécifiquement la
molécule cible dans le dosage de
l’HbA1c, mais recommandèrent tout
de même de transformer le résultat
exact obtenu sur l’instrument par un
facteur arithmétique afin d’assurer la
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traçabilité des nouveaux résultats avec
les données de l’étude DCCT. Un peu
comme si on avait appris à mesurer la
position exacte du soleil mais qu’on ait
décidé de maintenir des horloges qui
avancent systématiquement pour ne
pas changer les habitudes des praticiens. On a alors clairement favorisé
l’utilité d’un test par rapport à son
exactitude afin d’éviter le risque de voir
des patients diabétiques mal contrôlés
par leur médecin.
Un argument souvent avancé à cette
époque par les défenseurs du maintien
des valeurs NGSP était que l’HbA1c
n’était de toute façon qu’un marqueur
indirect des valeurs moyennes de glycémie, le seul paramètre véritablement
pertinent dans la prévention des complications du diabète et qu’à moyen
terme l’HbA1c serait remplacée par la
glycémie moyenne estimée, pour autant qu’on puisse démontrer de manière irréfutable la relation existant
entre ces deux variables. Cette étape
importante vient d’être franchie avec
la publication l’année passée d’une
étude qui fera date dans l’histoire de la
prise en charge du diabète [3].
Relation entre HbA1c et glycémie
moyenne
L’aspect d’éducation du patient est extrêmement important dans le suivi des
maladies chroniques, et tout particulièrement dans le cadre du diabète où
celui-ci est amené à contrôler régulièrement sa glycémie pour ajuster sa
prise alimentaire, son activité et parfois ses injections d’insuline. Le fait
que la glycémie moyenne soit mesurée
par le médecin en analysant une forme
particulière d’hémoglobine, de plus exprimée en pourcentage, est clairement
source de confusion pour le patient
selon de nombreux professionnels. Si
le contrôle métabolique évalué par le
médecin pouvait être rapporté en
termes de glycémie moyenne plutôt
qu’en pourcents d’HbA1c, et dans les
mêmes unités que les glycémies ponctuelles mesurées par le patient luimême, la compréhension en serait largement facilitée et l’aspect didactique
renforcé. Plusieurs tentatives d’établir
la relation existante entre la glycémie
moyenne sur une période de 5 à 12 semaines et les valeurs d’HbA1c ont vu le
jour très tôt (par exemple [4, 5]), mais
ces études sont restées peu convaincantes à cause du nombre assez limité
de patients et de mesures de glycémie
par individu.
C’est dans ce contexte qu’une étude
multicentrique internationale a été
menée entre avril 2006 et août 2007
afin d’établir de façon précise la relation existant entre la valeur d’HbA1c et
la glycémie moyenne au cours des trois
mois précédents [3]. Un soin tout particulier a été porté dans cette étude à la
détermination de la glycémie moyenne
puisque chaque participant, en plus de
mesurer régulièrement sa glycémie capillaire à raison de sept mesures par
jour, au moins trois jours par semaine
pendant trois mois, a fait l’objet à quatre reprises pendant cette même période, d’une mesure continue (en fait
toutes les 5 minutes) de sa glycémie
pendant 48h. Au total, ce sont plus de
2 700 tests de glycémie par individu qui
ont été combinés pour établir la valeur
moyenne sur cette période de trois
mois. L’HbA1c, quant à elle, a été
déterminée à la fin des trois mois,
centralement dans un laboratoire de
référence utilisant quatre techniques
différentes, toutes alignées sur les valeurs DCCT et présentant des coefficients de variation intra- et interessais
inférieurs à 2,5%. Les taux d’HbA1c
ont également été mesurés chez
chaque participant au début et deux
fois en cours de protocole afin d’exclure les individus particulièrement
fluctuants (moins de 4% des individus
fluctuaient de plus d’un point [en %]
leur HbA1C au cours de l’étude). Après
exclusion de ces patients ainsi que de
quelques autres pour des raisons techniques ou la présence d’hémoglobinopathies, 507 individus, recrutés dans
une dizaine de centres et incluant des
patients diabétiques de type I ou II,
ainsi que des personnes non diabétiques, ont été retenus pour établir la
relation entre l’HbA1C et la glycémie
moyenne mesurée. Ceci permit de couvrir un large domaine de valeurs
d’HbA1c, allant de 5 à 13% et avec un
collectif bien plus important que dans
les études précédentes.
De façon assez étonnante, cette relation
peut être décrite par une simple régression linéaire (fig. 1), selon l’équation:
eGM (en mmol/l) = 1,59 × HbA1c – 2,59
(R2 = 0,84, p <0,0001), avec eGM = glycémie moyenne estimée et HbA1C =
taux d’hémoglobine A1c, exprimé en %
et calibré NGSP.
Le coefficient de corrélation obtenu révèle une certaine dispersion des résul-
Figure 1.
Relation entre le taux d’HbA1c et la glycémie moyenne des trois derniers
mois. La relation résulte de la régression linéaire effectuée sur les données enregistrées pendant une période de trois mois chez 507 individus,
diabétiques et non diabétiques. Les lignes hachurées montrent l’intervalle
de confiance à 95% de l’estimation de la glycémie moyenne en fonction
de l’HbA1c. Figure adaptée de la référence [3].
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tats, correspondant à une variation résiduelle sans doute attribuable aux
contraintes méthodologiques (incertitude de mesure des glycémies et de
l’HbA1c). On constate par exemple
qu’une valeur d’HbA1c de 7% (souvent
considérée comme cible thérapeutique) correspond à une glycémie
moyenne estimée de 8,6 mmol/l avec
un intervalle de confiance à 95% entre
6,8 et 10,3 mmol/l.
La relation entre ces deux paramètres
était identique chez les patients diabétiques et les non diabétiques, excluant
ainsi la possibilité qu’un facteur métabolique puisse affecter cette relation
dans un groupe particulier de patients.
En outre, aucune influence du sexe ou
de l’âge des patients n’a pu être mise en
évidence, suggérant la nature «universelle» de cette relation.
Cependant, l’étude présente certaines
limitations, d’ailleurs relevées par les
auteurs eux-mêmes. En effet, bien
qu’aucune influence de l’ethnicité sur
la relation entre HbA1C et glycémie
moyenne n’ait pu être clairement démontrée, certains groupes ethniques
sont nettement sous-représentés, et
particulièrement les Asiatiques. En
outre, les Afro-Américains semblent
présenter une relation légèrement différente, de sorte que la glycémie
moyenne est sensiblement plus basse
pour chaque valeur donnée d’HbA1c
dans ce groupe, sans toutefois que
cette différence soit statistiquement significative (p = 0,07, n = 38). Les enfants et les femmes enceintes ont également été volontairement exclus de
l’étude; des données supplémentaires
seront donc nécessaires pour déterminer si la même relation s’applique également à ces groupes particuliers où la
variabilité interindividuelle est souvent plus importante.
Perspectives
Un des buts clairement annoncé de
cette étude était de démontrer qu’il est
possible de traduire les valeurs
d’HbA1c, index reconnu de la glycémie
chronique, en concentrations de glycémie moyenne estimée et de les rapporter dans les mêmes unités que celles
utilisées quotidiennement lors de l’autocontrôle glycémique effectué directement par le patient. Ce but semble atteint, puisque plusieurs associations
professionnelles (ADA, EASD, IFCC,
IDF) ont rapidement recommandé de
rapporter les valeurs de glycémie
moyenne estimée dès qu’elles seraient
disponibles [6], et que, sur la base de
l’étude publiée en 2008, certains laboratoires suivent déjà ces recommandations, apparemment à la pleine satisfaction des cliniciens qui prescrivent
des dosages d’HbA1c. Cette interprétation des valeurs d’HbA1c est d’ailleurs
considérée par les auteurs de cette
étude comme une aide importante au
clinicien, de manière tout à fait analogue à l’évaluation du taux de filtration glomérulaire calculé à partir des
valeurs de créatinine sérique. En tout
cas, cette information supplémentaire
devrait grandement faciliter le rôle
éducatif du médecin qui pourra ainsi
rappeler à son patient l’importance du
contrôle glycémique sur la base de sa
glycémie moyenne des trois derniers
mois et non seulement sur les valeurs
de glycémie, souvent très fluctuantes,
mesurées à son domicile.
Références
Correspondance:
Michel F. Rossier
Privat Docent
Service de Médecine de Laboratoire et
Service d’Endocrinologie & Diabétologie
Hôpitaux Universitaires de Genève
4 rue Gabrielle-Perret-Gentil
CH-1211 Genève 14
[email protected]
Référence
1 Bunn HF, Haney DN, Kamin S, Gabbay KH,
Gallop PM. The biosynthesis of human hemoglobin A1c. Slow glycosylation of hemoglobin in vivo. J Clin Invest. 1976;57:1652–9.
2 The DCCT Research Group. Feasibility of
centralized measurements of glycated hemoglobin in the Diabetes Control and Complications Trial: a multicenter study. Clin Chem.
1987;33:2267–71.
3 Nathan DM, Kuenen J, Borg R, Zheng H,
Schoenfeld D, Heine RJ. Translating the A1C
assay into estimated average glucose values.
Diabetes Care. 2008;31:1473–8.
4 Koenig RJ, Peterson CM, Jones RL, Saudek
C, Lehrman M, Cerami A. Correlation of glucose regulation and hemoglobin AIc in diabetes mellitus. N Engl J Med. 1976;295:417–
20.
5 Svendsen PA, Lauritzen T, Soegaard U,
Nerup J. Glycosylated haemoglobin and
steady-state mean blood glucose concentration in Type 1 (insulin-dependent) diabetes.
Diabetologia. 1982;23:403–5.
6 Consensus statement on the worldwide
standardization of the hemoglobin A1C measurement: the American Diabetes Association, European Association for the Study of
Diabetes, International Federation of Clinical
Chemistry and Laboratory Medicine, and the
International Diabetes Federation. Diabetes
Care. 2007;30:2399–400.
«Green-Star-Award» ging an Labor Spiez
Das Labor Spiez wurde als «erstklassige Adresse für ABCSchutz» in der ersten Ausgabe der «pipette» im März 2005 gebührend gewürdigt (Seiten 24–26). Die «pipette» darf sich deshalb
umso mehr in die Gratulantenschar des Labors Spiez einreihen,
denn diesem Kompetenzzentrum für alle Fragen rund um die
ABC-Bedrohungen und -Gefahren ist unlängst ein wichtiger Preis
verliehen worden.
Das UNO-Umweltprogramm UNEP, das UN-Büro für die Koordination Humanitärer Angelegenheiten OCHA sowie Green Cross
International haben am 7. Mai 2009 in Brüssel erstmals gemeinsam den «Green Star Award» verliehen. Diese neue Auszeichnung
geht an Individuen, Organisationen und Regierungen, die sich um
die Vermeidung oder Bewältigung von Umweltkatastrophen verdient gemacht haben.
Zu den Gewinnern des Preises gehören das Labor Spiez, das brasilianische Center for Scientific Support in Disaster Situations
(CENACID), die Regierungen Schwedens und der Niederlande
sowie der britische Umweltexperte Mike Cowing. Das gesamte
Redaktionsteam der «pipette» und mit ihm die zahlreiche Leserschaft gratuliert dem Labor Spiez für diese ehrenvolle Würdigung
seiner Tätigkeit.
Urs Nydegger