Mécanique du conte - esad
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Mécanique du conte Projet de diplôme ᴥ Mélissa Batty-Milhas Le conte est depuis de nombreuses années l’objet d’études issues d’horizons divers : ceux de la psychanalyse (Bettelheim), de l’anthropologie ( J. G. Frazer), de la littérature (Greimas), etc. De multiples aspects ont été étudiés. À partir d’un corpus d’une centaine de textes, Vladimir Propp, folkloriste russe du début du XX e siècle, développe, dans son livre Morphologie du conte 1, l’idée que des contes merveilleux russes peuvent être réduits à une trentaine d’éléments invariants (l’ouverture du récit, le méfait, etc.) qu’il nomme « fonctions ». Sur celles-ci viennent se greffer des éléments variables (l’identité du héros : un prince, un pauvre, un enfant ; le lieu, le but de la quête : une fiancée, un royaume, un oiseau magique, etc.). Toutes ces fonctions ne sont pas forcément présentes en même temps dans tous les contes, un petit nombre suffit. Elles sont pour lui des éléments permettant la catégorisation des contes ainsi qu’un outil d’analyse de ces récits. La mise en avant de la structure du conte merveilleux permet une meilleure compréhension de sa mécanique. Cela ouvre également la voie à la modification et à la création de contes. Des projets ont été menés dans ce sens en reprenant des études de narratologie : Gianni Rodari 2 réutilise les fonctions sous forme de cartes stimulant l’imagination de groupes d’enfants dans le cadre d’ateliers. Le but est d’inventer des histoires en suivant les contraintes d’un tirage au sort de cartes. Le Tarot des contes de Francis Debyser poursuit le même but, il se base sur le jeu du tarot en remplaçant les figures traditionnelles par des images évocatrices, appartenant à neuf catégories distinctes (les aides, les épreuves, les ennemis, les taches difficiles, etc.). La décomposition de récits selon ce schéma peut également permettre de dégager les différences et les ressemblances au sein d’un corpus de textes. Les versions de Disney se sont imposées comme les uniques versions de ces histoires. Mais les contes sont issus de la tradition orale, les histoires circulaient, se modifiaient, s’adaptaient aux lieux et aux époques. Prenant en compte la fragilité et le caractère changeant de ces récits de tradition orale, des folkloristes sont partis à la collecte de toutes ces histoires3. La plupart de ces livres s’adressent à des chercheurs : ils se présentent comme des listes de versions, de dates, parfois ordonnés selon la classification internationale des contes populaires Aarne-Thompson. À propos de cet aspect variable, Tolkien parle du « chaudron des contes » 4 dans lequel motifs et structures mijotent. Et au fil du temps, des ingrédients se rajoutent, comme des éléments religieux, historiques etc., qui forment autant de « soupes » différentes. L’aspect variable des contes fait aujourd’hui écho aux possibilités offertes d’écrire, de réécrire, de collaborer à un texte, de consulter toutes modifications, qui sont aujourd’hui possibles grâce à des outils comme les Wiki. Le propos de mon projet de diplôme est didactique, je cherche à faire comprendre et à transmettre les structures et mécaniques du conte, en me basant sur le travail de Propp tout en prenant compte des critiques formulées à l’égard de ses hypothèses par divers spécialistes. L’acquisition de ces structures permet aux enfants de percevoir un récit comme un tout cohérent, d’en comprendre l’enchaînement logique, de mieux l’assimiler. Il leur permet également de formuler leurs propres récits 5. La transmission de ce savoir nécessite des outils ou des interfaces adaptés. La question est ici de concevoir, par les moyens du design graphique, des objets de compréhension et d’appropriation. Les projets que j’ai évoqué plus haut (Rodari, Debyser et Mille Ans de contes) se situent plutôt dans le domaine de l’imprimé. Ils ont également en commun le fait d’être conçus pour être utilisés à plusieurs (dans une relation de collaboration pour les jeux de carte, où chacun participe ; ou dans une relation acteur-spectateur pour les livres Mille ans de contes, conçu comme « livres à lire » à des enfants). Cet aspect est important, et pose également question dans mon projet. Le système de Propp contient une forte dimension combinatoire qui m’a conduit à réfléchir sur les possibilités numériques. Je me suis d’abord interrogé sur la pertinence et les conditions d’utilisation des technologies par les enfants. L’Académie des sciences à publié cette année une étude sur le rapport des enfants et des écrans mobiles6, et a conclu que l’utilisation des tablettes et téléphones portables par les enfants était grandissante. Que cette pratique 7 nécessitait, pour être bénéfique pour l’enfant, un temps d’utilisation court et un encadrement : une personne qui le ferait parler de cette expérience et qui expliciterait certains points. Cet avis m’a conforté dans l’idée de réfléchir à des utilisations à plusieurs. 1. Vladimir Propp, Morphologie du conte, Seuil, “Poétique”, Paris, 1970, trad. du russe par M. Derrida, T. Todorov, C. Khan selon la 2nd édition, Leningrad, Nauka, 1969. 1ere édition, Leningrad, 1928. 2. G. Rodari, Grammaire de l’imagination, Rue du monde, Paris, 1998, trad. de l’italien par R. Salomon selon Grammatica della fantasia,Torino, Editions G. Einaudi ,1973. 3. En France, P. Delarue et M.-L.Tenèze ont effectué une grande collecte de contes, consignée dans une série de quatre livres : Le Conte populaire français : Catalogue raisonné des versions de France et des pays de langue française d’outre-mer : Canada, Louisiane, îlots français des États-Unis, Antilles Françaises, Haiti, Île Maurice, La Réunion, 1ère édition, Maisonneuve et Larose, 1976-1985 4. Piffault O., De la Godelinais Martinot-Lagarde T., Meunier V., Picaud C., Il était une fois les contes de fées, Seuil/Bibliothèque nationale de France, Paris, 2001 5. Centre National de Documentation Pédagogique < http://www.cndp.fr > 6. Avis de l’Académie des Sciences, L’enfant et les écrans, je me réfère ici à la version publiée en ligne < http://www.academiesciences.fr/activite/rapport/avis0113.pdf >, consultée en mai 2013. 7. Il est question ici d’applications conçu pour les enfants, pas des utilisations en mode téléphone, internet, mail, etc. de ces écrans. Bibliographie Adam J.-M., • Le récit, P.U.F. , « Que sais-je ? », n° 2149, Paris, 1984 Bremond C., • Logique du récit, Seuil, “Poétique”, Paris, 1973 Delarue P. et Tenèze M.-L., • Le conte populaire français, 2nd édition, Maisonneuve et Larose, Paris, 1993 Piffault O., De la Godelinais Martinot-Lagarde T., Meunier V., Picaud C., • Il était une fois les contes de fées, Seuil/Bibliothèque nationale de France, Paris, 2001 Propp V., • Morphologie du conte, Seuil, “Poétique”, Paris, 1970, trad. du russe par M. Derrida, T. Todorov, C. Khan selon la 2nd édition, Leningrad, Nauka, 1969. 1ere édition, Leningrad, 1928 Rodari G., • Grammaire de l’imagination, Rue du monde, Paris, 1998, trad. de l’italien par R. Salomon selon • Grammatica della fantasia, G. Einaudi , Torino, 1973 Webographie Bru J ., « Le repérage et la typologie des contes populaires. Pourquoi ? Comment ? », • Bulletin de liaison des adhérents de l’AFAS [en ligne], 14 | automne 1999, mis en ligne le 1 octobre 1999, consulté le 3 mai 2013. < clo.revues.org/854 > Hébert L., « Le schéma narratif canonique », dans Louis Hébert (dir.), • Signo [en ligne], Rimouski (Québec), 2006 < www.signosemio.com/greimas/schema-narratifcanonique.asp > Roulon-Doko P., « Le conte : du terrain à internet, pratique et déontologie », • Cahiers de littérature orale [en ligne], 63-64 | 2008, mis en ligne le 3 janvier 2012, consulté le 22 avril 2013. < clo.revues.org/334 > Recension du travail de J. Giasson par L. Imhof, consulté le 25 juillet 2013. < ameds.free.fr/conferences/rtf-pdf/comprehensionlecturelaurent.pdf > Avis de l’académie des sciences, • L’enfant et les écrans, consulté en mai 2013. < www.academie-sciences.fr/activite/rapport/avis0113. pdf > Stages 25/02/2013 Editions Gilletta 08/03/2013 Nice Les éditions Gilleta sont une petite maison d’édition qui publie essentiellement des livres régionaux, que se soit des romans, des guides ou des beaux-livres. L’ équipe est assez restreinte: cinq à six personnes, dont deux graphistes. Ce stage m’a permis de découvrir le fonctionnement d’une maison d’édition, le rôle de chacun, ainsi que comment se conçoit un livre. Chaque graphiste travaille sur un projet différent, d’après les indications de la directrice, qui évalue les maquettes et propositions graphiques. Durant ce stage, j’ai travaillé sur la maquette d’un livre, encadrée par les deux graphistes de la maison d’édition. 01/09/2012 Colophon 31/09/2012 Grignan Colophon est un atelier de typographie, un musée de l’imprimerie et une maison d’édition. J’y ai rencontré des gens passionnés de typographie et des techniques d’impressions au plomb; techniques aujourd’hui rarissime dans le milieu de l’édition. Ils ont choisi de perpétuer une conception de l’édition héritée du XVI e siècle, où l’éditeur, l’imprimeur et le libraire ne font qu’un. De fait, chacun est extrêmement polyvalent et impliqué à tous les niveaux de la conception. Cela entraîne également des retours directs de la part des visiteurs et clients (une grande partie du bâtiment – le musée – se visite, l’atelier d’impression aussi), qui viennent poser des questions, donner leur avis sur telle ou telle édition. Ce mode de fonctionnement est assez unique. Dans les premiers temps de mon stage, j’ai aidé un groupe d’étudiants, venu une semaine à Grignan pour imprimer un livre, en fondant des lignes de plombs à partir de matrices. J’ai ensuite travaillé sur un livre (linogravure et typographie) ainsi que sur la conception d’une carte de visite. Manipuler des matrices, fondre du plomb, concevoir mise en page sur un cadre etc., m’ont permis d’appréhender la typographie un peu différement. 09/04/2012 Photosphère 20/04/2012 Nice Photosphère est une chaine de boutiques dédiées à la photographie. Durant mon stage, j’ai été chargée de numériser d’anciennes photographies, de les retoucher, ainsi que de réaliser des montages. J’y ai appris que les développements ne sont maintenant plus effectué dans ce genre de lieu; numériques ou argentiques, les photographies sont envoyées chez un sous-traitant, dans ce cas ci dans un laboratoire italien, ou, pour les rares cas de développement de diapositives, dans le seul laboratoire français à Paris. Synthèse Mes stages se sont déroulés dans des milieux différents les uns des autres ; j’ai pu comparer le mode de fonctionnement d’une maison d’édition plutôt « artisanale » avec Colophon, et plus « traditionnelle » avec Gilleta. Dans les deux, du fait de leur petite taille, la communication entre les différents membre est très bonne. L’intérêt et l’investissement de chacun dans les publications sont manifestes. Mais il y existe des différences notables, dans l’organisation, la hiérarchisation, la diversité dans la production, la façon dont les projets sont diffusés. J’ai également pu voir comment quel était le travail au sein d’une boutique photographique, assez différent de ce que je m’imaginais, notamment parce qu’une grande partie du travail est sous-traité. J’ai découvert les contraintes auxquelles on doit faire face, comme lorsqu’il faut que le travail demandé soit cohérent avec d’autres livres de la maison d’édition ; ou lorsque les choix du format, du papier, etc., ont déjà été faits. Mais aussi des contraintes d’ordre économique (limitation du nombre de couleur) ou d’ordre pratique (composer avec des caractères en plomb). Ces expériences m’ont donné une réelle vision du monde professionnel. Elles m’ont aussi apporté plus d’assurance, en constatant que je pouvais répondre à des commandes, dialoguer facilement avec mes maîtres de stages, qui m’ont bien encadré et suivi.