Socialisation et identité - CULTURE
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Socialisation et identité - CULTURE
Socialisation et identité 12.11.12 23:13 Article de la rubrique « Cultures: la construction des identités » Mensuel N° 110 - Novembre 2000 Cultures : la construction des identités Socialisation et identité GENEVIÈVE VINSONNEAU La psychologie culturelle s'interroge sur les rapports entre la construction du sujet et la culture. Elle montre que l'identité de chacun dépend de son environnement social, mais aussi de la position qu'il se donne dans une société aux références culturelles multiples. C'est le débat sur l'inné et l'acquis qui fit naître le questionnement à propos des incidences de la culture sur les modes de production et d'expression des comportements humains. Au début du xixe siècle, diverses observations, réalisées sur des petits d'hommes dépourvus de parents et d'éducation humaine (par exemple, « l'enfant sauvage de l'Aveyron », que décrivit Jean Itard, ou les jeunes Indiens qu'avaient adoptés des meutes de loups), révélèrent combien la situation de l'homme est originale : privé de vie sociale, il s'avère en effet incapable d'accéder à la condition humaine. Le culturel n'est pas seulement quelque chose qui s'ajoute à la nature de l'homme ; il s'agit d'une dimension essentielle, qui en est constitutive. C'est en effet par sa médiation que l'individu, au cours de son développement, devient humain. Les modes du devenir humain ne sont pas uniformes ; ils varient d'un groupe social à l'autre, d'une culture à une autre. L'appropriation des significations culturelles Au cours de son développement, l'individu rencontre nécessairement autrui, tisse avec lui des liens, au gré des groupes sociaux et des situations traversées. On appelle socialisation les modifications qui se produisent à cette occasion dans les rapports de chacun avec son environnement et avec soi-même. Chaque groupe social possède des significations culturelles propres, auxquelles est confronté le sujet. D'origine collective, ces significations culturelles sont reliées à des logiques partagées et elles se transmettent, en perdurant dans le temps, au point d'être confondues avec un patrimoine consensuel et durable. Le sujet se les approprie donc, les incorpore, en quelque sorte, sous l'effet du processus d'« enculturation », dynamique procédant de la socialisation et qui varie largement selon le type de société dans laquelle elle opère . On peut par exemple naître dans une société rurale où l'autorité paternelle et masculine http://www.scienceshumaines.com/articleprint2.php?lg=fr&id_article=904 Page 1 sur 4 Socialisation et identité 12.11.12 23:13 constitue une valeur essentielle et sera transmise par l'ensemble des membres de la communauté - femmes comprises - au jeune enfant. Cela s'opérera à la fois par les tâches à accomplir, par les mythes et croyances qu'il intégrera, par les espaces et les temporalités de la société, etc. On peut aussi naître dans une société urbaine et postmoderne du nord de l'Europe. La négociation familiale, la tolérance aux différences individuelles et la démocratie participative y constituent autant de valeurs et de pratiques généralisées que la socialisation, familiale et scolaire, permettra à chacun d'intégrer progressivement. Les structures sous-jacentes aux développements culturels sont loin d'être uniformes. Il s'avère qu'une fracture sépare, d'un côté les sociétés dites modernes, qui se sont industrialisées depuis la fin du xviiie siècle, et de l'autre celles qui résistent à ce processus ou en demeurent plus ou moins à l'abri, et que l'on qualifie de traditionnelles. Ici, nous nommerons traditionnelle toute collectivité anciennement constituée, préservée des changements rapides et discontinus qui, depuis deux siècles, secouent les sociétés en proie aux révolutions techniques. De sorte que ce qui caractérise ces collectivités est l'incessante répétition de pratiques maintenues identiques à elles-mêmes. Mises au point par le passé, ces pratiques permettent de faire face à des problèmes inchangés, ou tout au moins qui évoluent très lentement, ce qui autorise la cristallisation d'un vaste réseau de traditions. On observe de tels fonctionnements aussi bien parmi des sociétés à faible degré de stratification sociale - sociétés « simples », dites primitives par les premiers ethnologues - que dans certains sous-groupes d'anciennes sociétés asiatiques, arabo-musulmanes ou européennes. Plus le caractère traditionnel des sociétés est important ou s'accroît, plus ses membres sont enserrés dans un système culturel cherchant à lui prescrire à la fois ses pratiques et ses croyances. La culture est alors hégémonique - ses prescriptions tendent à concerner toutes les situations de l'existence - et elle vise le détail de chacune des situations. La culture peut être ici considérée comme un ensemble, cohérent et précis, qui forme un système, c'est-à-dire une philosophie ordonnée de l'existence, à forme habituellement religieuse. Les communautés rurales chrétiennes médiévales, certaines minorités ethniques de Chine contemporaine, quelques communautés rurales d'Asie centrale ou du Moyen-Orient peuvent par exemple relever d'une telle compréhension. Sociétés industrialisées et subcultures Dans les sociétés industrialisées modernes, l'accélération du changement induit des transformations structurelles, rendant délicate, voire impossible, la cristallisation en traditions des représentations, valeurs, savoirs, savoirs-faire... Simultanément à la diversification des activités et à l'accroissement de la complexité sociale, les sousgroupes sociaux se multiplient et tendent à exister pour eux-mêmes. Les modèles qui http://www.scienceshumaines.com/articleprint2.php?lg=fr&id_article=904 Page 2 sur 4 Socialisation et identité 12.11.12 23:13 les gouvernent suscitent alors une diversification sous forme de subcultures. Disparates et conflictuelles, ces subcultures introduisent une problématique dans la culture d'ensemble, au sein de laquelle elles se distinguent. Si dans les contextes traditionnels, la socialisation prescrit les comportements et les valeurs dans le détail, dans les sociétés industrielles modernes, elle tend en revanche à proposer des principes de conduites généraux et des valeurs morales globales. Les difficultés qu'a connues l'Eglise catholique en matière de prescription d'une morale sexuelle, et son retrait pratiquement complet de la prescription politique ou sociale dans les sociétés européennes actuelles, illustre par exemple ce fait. L'Eglise a dû s'adapter aux modifications de la culture et suivre des pratiques sociales réelles. On peut ainsi parler, pour nos sociétés, de « socialisation-cadre ». Par ailleurs, en société complexe, l'individu peut être soumis tout au long de sa vie à des opérations de désocialisations et resocialisations successives, qui ne sont pas totalement différentes de ce que vivent les membres des minorités étrangères à l'épreuve de l'immigration. Dans les sociétés contemporaines, l'existence de sub-cultures disparates offre aux acteurs sociaux la possibilité de développer des comparaisons et, par voie de conséquence, de prendre des distances par rapport à leur propre culture d'origine. Ainsi ne sont-ils plus en situation d'immersion socioculturelle ; les individus acquièrent la possibilité de se poser comme sujets « émergés », face à des éléments culturels qu'ils peuvent traiter comme des objets de conscience, en les manipulant à leur convenance personnelle. Il est de fait que la connaissance de la diversification socioculturelle est renforcée par les médias : ceux-ci installent désormais les individus dans des réseaux planétaires, où circule un corpus d'informations mondialisées. De sorte que les acteurs sociaux peuvent être amenés à juger les propositions de la collectivité, à les évaluer, pour choisir finalement parmi différentes « socialités divergentes ». Autrement dit, les acteurs sociaux peuvent, dans une certaine mesure, édifier eux-mêmes leurs projets de socialisation. Dans ce contexte, le maintien de l'unité de l'être ne se réalise qu'au prix de gros efforts. La problématique identitaire s'inscrit précisément à ce niveau. On appelle identité la dynamique évolutive par laquelle l'acteur social donne sens à son être : en reliant le passé, le présent et l'avenir, ce qui procède des faits et des prescriptions sociales, ou ses propres projets. Elle en constitue une totalisation, adaptée au monde, tout en procurant à l'acteur social un sentiment d'unité et de constance. La psychologie fournit aujourd'hui d'abondantes études qui nous éclairent sur la question de l'identité. Les recherches sur le Soi, en particulier, analysent la façon dont chacun se définit (concept de soi), s'estime (estime de soi) et se présente tant à autrui qu'à soi- http://www.scienceshumaines.com/articleprint2.php?lg=fr&id_article=904 Page 3 sur 4 Socialisation et identité 12.11.12 23:13 même (présentation de soi). Les facteurs culturels peuvent infléchir à la fois les conceptions possibles de soi, les manières de se porter estime et les divers modes de présentation de soi qui sont également liés aux processus cognitifs. Le sujet n'est pas le créateur exclusif du sens de son être, dont l'existence se déploierait en toute liberté dans un vide social. La culture interagit avec le développement cognitif du sujet et donne elle aussi forme à l'esprit. Si la psychologie a coutume d'éclairer des procédés individuels, susceptibles de présenter des régularités, la psychologie culturelle s'efforce d'expliquer la spécificité des productions des acteurs sociaux dans des contextes culturels particuliers. Dans ces circonstances, elle cherche à comprendre la manière dont opèrent les cadres de référence, les grilles d'interprétation du réel, les positions que l'on se donne dans le monde. Geneviève Vinsonneau Présidente de l'Association internationale de psychologie scientifique pour l'étude des contacts de cultures (AIPSECC), enseigne la psychologie culturelle à l'université ParisV. Dernier ouvrage paru : Identitaires, Armand Colin, 1999. http://www.scienceshumaines.com/articleprint2.php?lg=fr&id_article=904 Page 4 sur 4