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EXTRAITS DE PRESSE
Difficile démocratie Les idées politiques en Europe au XX
siècle 1918-1989
Jan-Werner Müller
Presse écrite
Le Monde, 6 février 2014
Le livre du jour
Démocratie ne rime pas qu’avec Europe
La démocratie libérale est-elle par nature le régime de l’Occident ? Cette illusion, l’historien
allemand Jan-Werner Müller veut la dissiper dans un vaste ouvrage sur l’histoire politique,
culturelle et intellectuelle du XXe siècle. Pour lui, le XXe siècle s’ouvre avec un
phénomène essentiel, l’irruption des masses sur la scène politique, et avec la question de la
représentation de celles-ci. Cette question doit en outre assumer un héritage, celui du
XIXe siècle (le libéralisme, le marxisme et le républicanisme majoritaire en Europe en
1918). La démocratie libérale telle que nous la connaissons serait le fruit d’un ajustement
précaire entre ces variables Entre-temps, l’Europe se sera essayée à une multitude de voies
(fascisme, communisme, etc.), souvent laissées dans l’ombre par les ouvrages d’histoire des
idées plus classiques. Jan-Werner Müller, lui, en tient compte. Il cherche à mettre en
évidence des « figures passerelles ». C’est ainsi qu’il analyse l’imaginaire révolutionnaire qui,
lui aussi, a influencé l’histoire politique européenne.
LE POSTMODERNISME
Cette démarche lui permet de retrouver des idées et des penseurs tombés plus ou moins
dans l’oubli, comme le philosophe hongrois Istvan Bibo (1911-1979), le spécialiste allemand
des sciences politiques Johannes Agnoli (1925-2003), le personnaliste Jacques Maritain
(1882-1973), etc. La montée du fascisme italien est expliquée à travers l’œuvre de Giovanni
Gentile (1875-1944), un proche de Mussolini ; quant à l’esprit des années 1980, le
postmodernisme y est étudié à travers le filtre du philosophe et journaliste proche de
l’écologie André Gorz (1923-2007).
Derrière tous ces courants se profilent des régimes qui tirent leur légitimité de ce que
chacun propose une solution à l’encadrement des « masses ». Le stalinisme, par exemple,
cherche à les « écraser » pour mettre « fin à tout conflit social ». Après 1945, la démocratie
chrétienne triomphe en Europe de l’Ouest parce qu’elle propose « une vie publique
décente », dépolitisée, aux classes moyennes et paysannes réconciliées. Les années 1960, « à
l’heure où on peut acheter le travailleur avec des Frigidaire », marqueraient un
essoufflement idéologique. La figure du prolétaire disparaît peu à peu de la sphère publique.
Pour Jan-Werner Müller, qui ne croit nullement que nous soyons entrés dans une ère
postidéologique, la démocratie n’est rien d’autre qu’« incertitude institutionnalisée ». Ses
variables continuent à se décliner et s’exporter hors du Vieux Continent, engendrant de
nouvelles expériences. Pour le meilleur et le pire.
Alice Léna
Le Figaro littéraire, 28 novembre 2013
Il était une fois la démocratie en Europe
ESSAI Un tableau du XXe siècle à travers l'influence de ses principaux penseurs
L’ HISTOIRE des idées n'a pas bonne presse en France. Trop érudite ou trop centrée sur la
pensée de certains auteurs, elle n'a pas la renommée qui est la sienne dans les pays anglosaxons, où, en s'attachant surtout à la réception des œuvres, elle a su apporter une
contribution majeure à l'histoire proprement dite. Souvent, cette dernière, en étant trop
happée par les faits, ne saisit qu'à moitié les grandes évolutions des choses. Les idées ont en
effet un rôle essentiel en histoire, non pas en ce qu'elles dominent cette dernière, mais en ce
qu'elles la décryptent et, parfois, la forgent bien au-delà des faits et des dates.
Le travail que Jan-Werner Muller consacre à cette histoire des idées politiques en Europe au
siècle dernier parvient, grâce à une approche très sobre, à nous offrir un tableau tout à fait
novateur de ce « court XXe siècle » à travers l'influence de ses principaux penseurs.
Le principal intérêt du livre de Muller est de décrire le parcours extrêmement « difficile » de
la démocratie au XXe siècle, alors même que le sens commun y voit plutôt son triomphe.
Le siècle s'ouvre avec l'apparition des « masses » dans le jeu politique, ce que la pensée
libérale du XIXe siècle, centrée sur l'individu, n'avait pas imaginé, sinon pour s'effrayer des
foules révolutionnaires. Muller fait appel à tous les grands auteurs qui ont tenté de
comprendre ce que l'irruption de cette « masse en fusion », peuplée « d'hommes sans
qualité », pourrait avoir comme conséquence dans le jeu démocratique.
Musil avait senti d'un point de vue littéraire ce qu'un Ortega y Cassel, un Le Bon, un Sorel
ou un Weber ont théorisé. L'homme-masse apparaît comme la proie rêvée des « meneurs de
foule » (Le Bon). Les grandes tragédies du siècle sont aussi dans les œuvres de l'époque.
Quand Mussolini écrit « voici venir le siècle du collectif », il annonce le totalitarisme qui va
ravager le monde jusqu'en 1945. Mais le plus passionnant et le plus novateur, dans l'étude
de Muller, tient à la partie qu'il consacre à ce qu'il appelle « l'époque de la reconstruction ».
Il démontre que ce n'est pas, contrairement à ce qu'on pense, la social-démocratie qui a
triomphé durant les Trente Glorieuses. À l'exception de la Suède, c'est la démocratie
chrétienne qui a dominé l'Europe continentale, en inspirant notamment ses trois grands
penseurs, Schuman, De Gasperi et Adenauer (tous les trois ayant en commun le fait de
parler la langue allemande). Or, la démocratie chrétienne a toujours entretenu une relation
ambiguë avec la démocratie. Elle défend des institutions libérales avec un langage politique
antilibéral. D'où l'importance d'un penseur un peu oublié aujourd'hui comme Jacques
Maritain, ancien d'Action française, ayant quitté le mouvement après sa condamnation par
le pape en 1926 parce que Maurras instrumentalisait la religion à des fins politiques. Le but
de tous ces démocrates-chrétiens d'après 1945 fut de limiter les excès du «demos» qui avait
porté Hitler au pouvoir. D'où le retour en vogue de Kelsen et de la pensée
constitutionnaliste destinée à limiter les dérives populaires par le droit. En France, après
1958, la parenthèse gaulliste vint nuancer ce mouvement qui reprit cependant son essor dès
1971. En même temps, la démocratie chrétienne permit l'élaboration d'un État-providence
qui réconcilia les classes moyennes avec la démocratie dont elles s'étaient détournées dans
les années 1930. C'est évidemment ce compromis démocrate-chrétien qui se voit remis en
cause aujourd'hui avec le triomphe du « néolibéralisme ». Ce livre se lit comme une histoire
intelligente et originale du XXe siècle, l'auteur n'hésitant pas à s'attacher parfois à de petits
détails insolites, comme, par exemple, le caractère emporté de Max Weber, ce qui donne
une dimension humaine à ces auteurs qui peuvent en impressionner certains.
Cela rend la lecture de ce pavé de 500 pages à la fois très aisée et très stimulante pour
contrebalancer la triomphante et contemporaine «fabrique des stupides » qui n'épargne
même plus la discipline historique.
Jacques de Saint Victor
Internet
Philomag.com, janvier 2014
http://www.philomag.com/les-livres/notre-selection/difficile-democratie-les-ideespolitiques-en-europe-au-xxe-siecle-8877
« Un laboratoire construit sur le grand cimetière de la Guerre mondiale », c’est ainsi
qu’apparaissait l’Europe en 1918. Nourrie par les crises et les nouveaux conflits, cette
effervescence traverse le siècle, jusqu’en 1989. Dans la caisse de résonance européenne, la
vibration du marxisme, du fascisme et du libéralisme éclipsent souvent les autres. Tel un
subtil ingénieur du son, Jan-Werner Müller module les fréquences de façon à laisser
entendre les moins audibles. Avec un point de vue cosmopolite qui manque souvent à
l’historien français, Müller, qui est né en Allemagne et a enseigné en France et aux États-
Unis, sonde à parts égales les strates, cavités et gisements enfouis de cette énorme géologie
politique. Depuis les « austro-marxistes » de 1919 jusqu’au travaillisme de Beveridge en
passant par la phobie des masses d’Ortega y Gasset, ou encore la pensée anti-capitaliste post
1968 de Johannes Agnoli, la performance de l’ouvrage réside dans la mise à plat des
nombreuses idéologies ou sensibilités politiques européennes du XXe siècle.
« Qu’est-ce qu’un pouvoir légitime ? »
1918 accouche d’une question béante et jusqu’alors masquée : qu’est-ce qu’un pouvoir
légitime ? Le foisonnement idéologique du siècle apparaît comme une tentative de réponse,
forcément maladroite, parfois désastreuse. Jusqu'alors, les hommes étaient gouvernés, selon
l’expression de Walter Bagehot, « moins par leur imaginaire que par la faiblesse de leur
imaginaire ». Désormais l’institution imaginaire de la société émerge en plein jour. Tout est
possible, plus rien ne va de soi et donc, au moins pendant un certain temps, plus rien ne
marche. L’impossible démocratie de masse des années 1920 accouche du fascisme, à la fois
réponse et catastrophe. La question du mal change pour toujours mais l’antifascisme
structure la politique pour longtemps.
Après 1945, conformément aux vues de Max Weber, le pragmatisme remplace presque
partout le charisme du pouvoir. À l’Ouest, tout au moins, le succès économique se
substitue au droit naturel comme base morale universelle et il semble que la technocratie
industrielle puisse peu à peu remplacer l’État. Tandis que les situationnistes s’acharnent à
forger la dernière doctrine anti-étatique, l’État perd sa substance de lui-même ou du moins
son caractère vertical. À l’Est, dès les années 1960, l’impuissance à changer la forme de
l’État suscite une pensée peut-être plus fertile. Faute de changement politique direct, les
dissidents s’adressent directement aux citoyens sur la base des droits de chacun.
Pour Jan Patocka, la « communauté des ébranlés » qui se dresse face au totalitarisme a un
caractère essentiellement moral. Au rebours des pensées du début du XXe siècle qui
voulaient pétrir un homme nouveau par l’intervention étatique, la pensée dissidente des
années 1980 cherche à sauver la société authentique des méfaits de l’État. En 1989, avec la
chute du Mur, s’achève un siècle de soixante-dix ans où la question politique fut posée
comme jamais.
Philippe Garnier
Histobiblio, 1er décembre 2013
Difficile démocratie. Les idées politiques en Europe au XXe siècle (1918-1989)
L’ouvrage de Jan-Werner Müller est un essai ambitieux tant le champ chronologique et
intellectuel qu’il entend embrasser est vaste et hétérogène. Le paradigme qu’adopte l’auteur
se veut résolument novateur. Jan-Werner Müller considère en effet que pour réellement
comprendre les drames du XXe siècle européen, il est nécessaire de sortir de l’idée que
celui-ci fut celui d’une ère de haine univoque teintée d’un irrationalisme extrémiste qui
empêche d’entendre que les Européens du temps – et pas seulement les intellectuels – ont
vu "des réponses valables à leurs problèmes dans les idéologies" du moment. C’est là taper
au coin du bon sens, mais encore fallait-il que ce soit dit et écrit.
On l’aura compris, Jan-Werner Müller veut expliciter "sans recourir à la trop facile
explication par la pathologie". L’auteur considère que pour ce faire, on ne peut se satisfaire
de l’histoire des idées telle qu’elle a été faite jusqu’ici. Celle-ci apparaît trop désincarnée,
trop abstraite en somme pour faire sens. Jan-Werner Müller veut donc enfoncer son coin
d’historien dans cet entre-deux, au point de jonction entre la pensée politico-académique et
la création/destruction des institutions politiques. Il cherche donc à démontrer le jeu et
tente de quantifier – ce qui apparaît comme très difficile – cet agent qu’est "l’influence".
Aussi, Jan-Werner Müller s’intéresse dans un premier temps aux "figures-passerelles",
qu’elles soient philosophiques, politiques, juridiques, administratives même sans tout
centrer sur l’État : partis, conseils, associations influentes entrent en considération dans son
propos. Et cela avant d’adopter un récit plus chronologique, de l’entre-deux-guerres à
l’effondrement du bloc de l’Est.
Les après-guerres, en 1919 et en 1945, marquent des moments de retour à la démocratie que
nuance avec finesse Jan-Werner Müller. L’historien démontre effectivement que le temps de
la démocratie qui surgit après le premier conflit mondial ouvre la porte à un débat entre
États parlementaires incarnant, aux yeux du monde et surtout d’eux-mêmes, la seule réalité
possible pour une véritable démocratie ; et d’autres État – tel l’Italie fasciste – qui entendait
contester la valeur démocratie de la démocratie parlementaire libérale pour démontrer que
seule la conception fasciste de l’exercice du pouvoir était réellement populaire car vecteur
d’égalité réelle.
Jan-Werner Müller insiste également sur le fait qu’après la Seconde guerre mondiale, les
démocraties occidentales étaient tout autant opposées à l’idée d’une souveraineté populaire
illimitée aux "démocraties populaires" puis "socialistes". Aussi, l’auteur tend à remettre en
question l’idée selon laquelle la démocratie connut son âge d’or dans les années quarante et
cinquante : ce sont bien les forces conservatrices modérées – la démocratie chrétienne – qui
ont, selon lui, modelé les États refondés. Cette genèse explique les rébellions des années
soixante et soixante-dix qui ont contribué à la recherche d’une solution, c’est-à-dire à
l’invention d’un nouveau modèle de développement, néo-libéral, dans les années soixantedix et quatre-vingt.
M. B.
Blog Guerres et conflits, 29 octobre 2013
Idées politiques en Europe
Difficile démocratie
Les idées politiques en Europe au XXe siècle, 1918-1989
Jan-Werner Müller
Historien allemand spécialiste d'histoire politique, Jan-Werner Müller nous propose ici une
somme sur l'histoire du XXe siècle en Europe, vue sous l'angle de l'évolution des idées
politiques, ou plutôt (comme il le précise en introduction) il s'intéresse aux "figurespasserelles, philosophes, hommes d'Etat, spécialistes du droit public, rédacteurs de constitutions"
et aux "bureaucrates à visions, penseurs proches de partis et de mouvements politiques, ceux que
Friedrich von Hayek appela un jour les vendeurs d'idées de seconde main". Son propos est donc
à la fois différent et plus large de ce que l'on trouve dans les habituels manuels type Sciences
Po.
Cette volumineuse étude est organisée en six chapitres principaux. "La masse en fusion", qui
s'ouvre sur Max Weber et se poursuit par l'analyse des conséquences politiques, culturelles
et sociales de la Grande Guerre pour les libéraux, les progressistes, les croyants, les
socialistes, les monarchistes, etc... "Les expériences de l'entre-deux-guerres", (à partir d'une
citation de Paul Ricœur qui évoque "une situation d'expérimentations en tous genres")
constituent la deuxième partie sur fond, bien sûr, de montée des fascismes et des
autoritarismes, la progression des marxistes et la place des syndicats, l'exemple de la Suède
avec le seul gouvernement durable de coalition, le cas hongrois et les débats en Allemagne,
la place des milieux paysans et ruraux, la terreur en URSS, etc. La troisième traite des
"Thèmes fascistes", dont Mussolini disait (tout en tentant pourtant de le faire) qu'il ne
pouvait pas être "exporté" parce que trop lié à l'idée de nation. De longues pages sur Sorel
dans cette partie, sur les intellectuels italiens et allemands, sur le corporatisme, etc. L'auteur
distingue entre les différents régimes (Hongrie, Portugal, Roumanie, Italie, etc.) selon leur
caractère plus ou moins conservateur ou traditonnaliste : "Les régimes autoritairescorporatistes, tout en empruntant le style des fascistes, empêchèrent ceux-ci de se regrouper ... La
plupart de ces régimes dénonçaient, outre le matérialisme, tout relent de paganisme ... En
Pologne, le maréchal Pilsudski était censé n'être responsable que devant Dieu et l'Histoire". Et il
dresse ensuite un tableau des particularités du régime national-socialiste, "une vaste théorie
du déterminisme historique et, en premier lieu, biologique". "La reconstruction" commence
immédiatement après la Seconde guerre mondiale, marquée par le souvenir de la mort de
masse et la Shoah, l'affaiblissement de l'Europe, la recherche de la stabilité et la place
finalement prise par la social-démocratie et la démocratie chrétienne. C'est bientôt l'heure
de la construction européenne et de la "politique du consensus", entre "paternalisme à
l'ancienne" et diminution du rôle de l'Etat, le "néo-libéralisme" et l'importance de
l'éducation à l'ouest, tandis que l'autre moitié de l'Europe reste sous contrôle idéologique,
policier, politique et intellectuel communiste. L'avant-dernière partie, "Vers une société sans
pères", nous fait traverser les années 1960-1970, la crise de 1968 dans ses différentes
manifestations, les critiques de "l'Etat bourgeois" sur fond d'une sorte de mauvaise
conscience collective. "L'antipolitique et le sentiment d'une époque qui s'achève", enfin, nous
conduit à la fin du XXe siècle, avec la crise économique, politique et morale que la plupart
des pays connaissent tour-à-tour, "un immense vide idéologique" et l'émergence des droits de
l'homme : "ces droits offraient une sorte de minimum moral, après l'échec de tant d'autres
projets idéologiques d'avenir radieux", le féminisme et l'écologie, la toute-puissance de
l'économie et ses conséquences, etc.
De très nombreuses notes et références ponctuent le texte et le terminent, permettant à
ceux qui le souhaitent d'aller plus loin. Comme souvent sur de tels sujets, les critiques et
remarques peuvent être nombreuses en fonction des opinions personnelles des uns ou des
autres, mais il n'en demeure pas moins qu'il s'agit d'une vaste et ample synthèse qui doit
absolument être connue de tous ceux qui s'intéressent à ces questions.
http://guerres-et-conflits.over-blog.com/2013/10/id%C3%A9es-politiques-en-europe.html

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