11. l`espace public médiatique européen est encore à venir

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11. l`espace public médiatique européen est encore à venir
11. L'ESPACE PUBLIC MÉDIATIQUE EUROPÉEN EST ENCORE À
VENIR
La fréquentation des médias dans cinq pays européens
Olivier Le Van Truoc
in Bruno Cautrès L'opinion européenne 2002
Presses de Sciences Po | Académique
2002
pages 209 à 232
Article disponible en ligne à l'adresse:
-------------------------------------------------------------------------------------------------------------------http://www.cairn.info/l-opinion-europeenne-2002---page-209.htm
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Pour citer cet article :
-------------------------------------------------------------------------------------------------------------------Le Van Truoc Olivier , « 11. L'espace public médiatique européen est encore à venir » La fréquentation des médias
dans cinq pays européens, in Bruno Cautrès L'opinion européenne 2002
Presses de Sciences Po « Académique », 2002 p. 209-232.
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11.
L’espace public médiatique européen
est encore à venir
La fréquentation des médias dans cinq pays européens
Au premier abord, l’étude des modes de fréquentation des médias
dans différents pays de l’Union européenne peut sembler éloignée de
problématiques liées à l’opinion : pourtant, les médias véhiculent des
informations, des émotions, voire des valeurs, qui contribuent à forger
les opinions des citoyens. Par ailleurs, leurs contenus au sens large
(qu’il s’agisse des thèmes abordés ou des modes de traitement), mais
aussi les caractéristiques des publics rencontrés ou encore la manière
dont ces publics reçoivent et consomment les médias, sont révélateurs
de pratiques culturelles, de centres d’intérêt ou de préoccupations des
individus. Bien que l’on assiste aujourd’hui, au niveau européen, au
regroupement d’importants acteurs de l’industrie des médias, bien
que certains programmes de télévision soient déclinés dans plusieurs
pays de l’union, l’Europe des médias est loin d’être construite. Il
existe ainsi des différences significatives d’un pays à l’autre, dans la
manière d’aborder et de consommer la télévision, la presse, la radio,
ou l’Internet. Ces différences tiennent à des spécificités socio-démographiques, culturelles, parfois même économiques (notamment des
différences en matière d’équipements technologiques).
À une heure où le secteur des médias est confronté à des bouleversements (fragmentation des audiences, nouvelles technologies,
émergence d’Internet…), il paraît nécessaire d’en dresser un panorama général en Europe. Regarde-t-on la télévision de la même
manière en Italie et en Allemagne ? Peut-on préjuger de l’impact
qu’aura le Web en France dans quelques années, en observant ce qui
se passe outre-Manche (puisque les accès à Internet y sont depuis
longtemps plus répandus) ? Y a-t-il une place pour des supports
médias grand public qui dépasseraient les frontières nationales et
deviendraient de véritables médias européens ?
210
L’espace européen : les attentes démocratiques
Les sujets sont nombreux et variés. Un article n’y suffira pas.
L’ambition de celui-ci est d’apporter une pierre à l’édifice : dans un
premier temps, on se demandera s’il existe, actuellement, des
médias que l’on peut qualifier d’« européens ». Puis on tentera de
dépeindre et de comparer, de manière synthétique et principalement
du point de vue des études d’audience, les caractéristiques de fréquentation de la télévision, de la radio, de l’Internet et de la presse
écrite, dans différents pays de la Communauté européenne. À cette
fin, ont été compilées des données relatives aux cinq pays les plus
peuplés : l’Allemagne, la France, la Grande-Bretagne, l’Italie et
l’Espagne. L’exercice conduit à faire l’hypothèse que les méthodologies des diverses études d’audience sont comparables d’un pays à
l’autre 1. Une telle démarche serait bien sûr risquée, si l’on conduisait des analyses comparatives fines sur des sous-populations ou des
supports particuliers (tel ou tel journal, telle ou telle chaîne…). Ce
n’est pas le but de ce chapitre, qui cherche avant tout à mettre en évidence des tendances très générales concernant les volumes de consommation des médias, leurs natures ou les moments de consommation, et
ce, pour l’ensemble de la population adulte de chacun des cinq pays
retenus 2.
POUR L’HEURE, PAS OU PEU DE MÉDIAS « EUROPÉENS »
L’internationalisation des programmes de TV va s’amplifiant : « Qui
veut gagner des millions », « Le Maillon faible » ou « Loft Story »
sont autant d’émissions fondées sur des études marketing. Les
concepts sont vendus clé en main pour être reproduits presque à
l’identique dans de nombreux pays (d’Europe, voire du monde). On
pourrait ainsi penser que les mécanismes régissant l’audience sont
similaires où que l’on se situe. Cela semble fonctionner, mais seulement pour quelques formats d’émissions particuliers.
1. Ce qui est d’ailleurs rigoureusement le cas pour certains médias comme
Internet. On doit également, pour effectuer ce travail de comparaison, utiliser des
études plus ou moins récentes. Les données ayant servi à cette étude ont toutefois
systématiquement moins de deux ans.
2. La notion d’adulte dans les études dépend du pays : 14 ans et plus en Allemagne et en Espagne, 15 ans et plus en France et en Italie, 16 ans et plus en GrandeBretagne.
L’espace public médiatique européen est encore à venir
211
On ne peut pas pour l’heure parler d’uniformisation des télévisions européennes. En effet, la part d’antenne représentée par ces
programmes transnationaux, hors fictions, reste minoritaire. Et pour
séduire leurs publics respectifs, TF1 et M6, par exemple, ont dû créer
une version « à la française » de « Survivor » (« Les Aventuriers de
Koh-Lanta »), comme de « Big Brother » (« Loft Story »). Certes,
on assiste au développement de chaînes paneuropéennes comme
Eurosport ou MTV, qui partagent des images et des programmes
entre différentes nations. Toutefois, chacune d’elles garde parfois
une liberté de contenu, de commentaires, et très souvent de langue,
afin de rester proche de son marché. Ces chaînes ne rassemblent pas
pour l’heure une proportion très importante d’Européens.
Le même constat peut être fait pour la presse : des titres comme
Elle, Prima, Géo, sont déclinés dans différents pays d’Europe. Mais,
bien que diffusés sous une même marque, leur contenu éditorial est
adapté à chaque nationalité. En fait, il existe peu d’exemples de
média réellement internationaux : quelques quotidiens comme
l’International Herald Tribune ou le Financial Times, des chaînes
d’information, telles BBC World ou CNN, soit des supports le plus
souvent en langue anglaise. Leur audience internationale, bien que
stratégique pour le marché publicitaire, reste ciblée, voire confidentielle (hommes d’affaires, cadres travaillant à l’export…) ou,
comme pour TV5 Europe – chaîne de la francophonie – limitée à une
communauté linguistique. Dans tous les cas, ces médias internationaux ne visent pas exclusivement l’Europe.
Pour un média, la langue demeure le vecteur premier
Pour bien comprendre les médias, il faut rappeler qu’ils utilisent
généralement une langue d’expression qui restreint leurs zones de
diffusion à des marchés locaux ou nationaux : les chaînes françaises
de télévision ont ainsi une certaine audience en Belgique et en
Suisse francophones. Elles peuvent difficilement espérer étendre
leur influence au-delà. Quant à Arte – une des rares chaînes à vocation européenne –, c’est son bilinguisme qui lui permet de revendiquer des téléspectateurs à la fois en France et en Allemagne 1. Ce
1. Toutefois, la part d’audience d’Arte en France est inférieure à 2 %, cependant
qu’en Allemagne la chaîne n’entre pas dans le top 15.
212
L’espace européen : les attentes démocratiques
caractère local ou national demeure une réalité, même si l’on considère Internet, média a priori sans frontières : on peut techniquement
surfer sans aucune difficulté sur des sites du monde entier, mais
dans chaque pays les adresses les plus visitées restent majoritairement nationales. Pour développer des médias grand public européens, il faudra pour le moins résoudre le problème délicat de la
langue. On le verra ci-dessous, il subsiste aujourd’hui bien d’autres
points de divergence entre les différents pays de l’UE, dans la
manière d’aborder et de consommer les médias.
LA TÉLÉVISION 1
Partout, en Europe, la télévision est un média de masse dominant.
Chaque jour, 80 % des Italiens, des Espagnols, et 79 % des Britanniques regardent la télévision, ne serait-ce qu’un instant. La France
remporte la palme du taux de téléspectateurs, avec plus de 85 % de
personnes présentes quotidiennement devant leur poste. L’Allemagne est un peu en retrait avec une audience cumulée 2 de « seulement » 73 %.
(Base : adultes)
France Italie Espagne Allemagne
Audience cumulée TV jour moyen – LundiDimanche (%)...............................................
Durée d’écoute par téléspectateur (mn)........
85
234
80
286
80
276
73
269
UK
79
271
C’est essentiellement grâce à des durées d’écoute extrêmement
élevées que la télévision affirme son statut de média le plus puissant,
voire de première activité de loisirs des Européens. Le temps moyen
passé par jour et par téléspectateur devant le petit écran est supérieur
à quatre heures. Cette durée varie d’un pays à l’autre : c’est en
France que le taux de téléspectateurs est le plus important, mais
ceux-ci restent trente minutes de moins devant la télévision que
1. Les données relatives à la télévision sont issues du guide édité par IP :
« Television 2000 – European key facts ».
2. Audience cumulée jour moyen : proportion d’individus regardant au moins
une fois la télévision, au cours d’une journée.
213
L’espace public médiatique européen est encore à venir
leurs homologues allemands, espagnols ou britanniques. Et que dire
des téléspectateurs italiens dont la durée d’écoute quotidienne
dépasse quatre heures quarante-cinq minutes ? En fait, ces durées
variables sont peut-être aussi révélatrices de façons distinctes de
regarder la télévision : schématiquement, on s’installe devant le
poste pour regarder un programme particulier, ou alors on laisse le
téléviseur allumé cependant que l’on fait autre chose. Il n’existe pas
pour l’heure d’étude permettant de mieux connaître le sujet.
Des niveaux d’équipements et d’offres distincts. Le taux d’équipement en TV est élevé dans tous les principaux pays européens, de
93 % des foyers en France à plus de 99 % en Espagne. En revanche,
de vraies différences existent en matière d’offre de programmes. Si
l’on s’intéresse au nombre de chaînes captées par plus de 70 % des
habitants d’un pays, on constate la place singulière de l’Allemagne,
où la presque totalité de la population a la possibilité de regarder
trente-six chaînes sans abonnement, cependant que la grande majorité des Anglais et des Espagnols n’en reçoit que cinq. En matière de
télé payante, ce sont de loin les Britanniques les plus avancés. Les
télévisions à péage étaient, il y a deux ans, quasiment inexistantes
en Italie, où l’offre télévisuelle est donc assez limitée (ce qui n’empêche pas les Italiens de regarder souvent et longtemps la télévision). Sans surprise, du fait de l’offre gratuite très importante, les
chaînes payantes ont du mal à percer en Allemagne. Les bouquets
numériques ont enregistré, quant à eux, un développement particulièrement important en France.
(Chiffres à fin 1999)
France Italie Espagne Allemagne
Nombre de chaînes captées par au moins
70 % des foyers..........................................
Abonnement à une offre payante : (% des
foyers)
– analogique...............................................
– numérique ...............................................
7
9
5
9,0
12,3
2,0
0,9
7,9
5,1
36
2,7
3,9
GrandeBretagne
5
25,4
9,6
Une audience généralement concentrée sur quelques chaînes très
puissantes. L’audience de la télévision en Allemagne est, de par
l’ampleur de l’offre de programmes, logiquement plus fragmentée
que celle des autres pays : les deux chaînes allemandes les plus
214
L’espace européen : les attentes démocratiques
importantes ne représentent chacune que 15 % environ de part d’audience 1, alors que partout ailleurs le score de la principale chaîne
dépasse largement 20 %, notamment en France où TF1 concentre, à
elle seule, plus du tiers du temps passé devant la télévision. En
dehors de l’Allemagne, l’écoute de la télévision se concentre sur
quelques chaînes leader : dans la plupart des pays, le cumul des
parts d’audience des trois plus grosses chaînes dépasse 60 %. Il
avoisine en France 75 %, malgré le développement d’une offre
élargie de télévision payante. Quant au service public, il garde
aujourd’hui encore en Europe un poids considérable, même dans les
pays qui comptent un grand nombre de chaînes commerciales.
Graphique 1. Parts d’audience (en %)
80
70
60
50
40
30
20
10
0
France
Italie
Espagne
Cumul des 3 chaînes leader
Allemagne
Grande-Bretagne
Chaînes publiques
« Dis-moi à quelle heure tu regardes et je te dirai où tu habites… »
Le clivage le plus intéressant, en matière de consommation de la
télévision, concerne sans doute les horaires d’écoute. Les courbes
d’audience, selon le moment de la journée, peuvent être classées en
deux familles de formes bien distinctes. La première est dite en
« chameau » car elle comporte deux bosses, à savoir deux pics d’audience : l’un vers midi, l’autre le soir. La seconde, dite en « dromadaire », n’en présente qu’une, le pic lié à l’écoute des programmes
1. Part d’audience : part de la durée d’écoute d’une chaîne, dans la durée
d’écoute totale de la télévision.
L’espace public médiatique européen est encore à venir
215
du soir. Chaque forme est caractéristique d’une région de l’Europe :
au sud (France, Italie, Espagne), les courbes en « chameau », plus
au nord (Allemagne, Grande-Bretagne), les courbes en « dromadaire ». On voit donc que des indicateurs apparemment simples,
relatifs à la seule consommation des médias, permettent de rendre
compte de modes de vie distincts, ici en l’occurrence deux manières
différentes de répartir le budget-temps d’une journée, notamment
les moments de présence au domicile, voire les horaires de travail :
dans les pays latins, on rentre fréquemment à la maison pour
prendre son repas de midi (en regardant la télévision), ce qui est
moins le cas en Grande-Bretagne et en Allemagne, où le déjeuner
n’a pas, culturellement, une place aussi importante. Nos courbes
d’audience traduisent ces habitudes de vie. On constate même, à
forme de courbe équivalente, des différences intéressantes : en
Espagne, les deux « bosses du chameau » sont nettement décalées
dans le temps, par rapport à celles observées en France et, dans une
moindre mesure, en Italie. On déjeune et on dîne tard dans la péninsule Ibérique. D’ailleurs, les journaux télévisés y sont diffusés à 15
et à 21 heures.
Graphique 2. Audience TV lundi-vendredi
(« courbes en chameau ») (en %)
60
50
40
30
20
0
6:00
7:00
8:00
9:00
10:00
11:00
12:00
13:00
14:00
15:00
16:00
17:00
18:00
19:00
20:00
21:00
22:00
23:00
0:00
1:00
2:00
3:00
4:00
5:00
10
France
Italie
Espagne
216
L’espace européen : les attentes démocratiques
En revanche, quand on vit plus au nord de l’Europe, on est présent à son domicile assez tôt dans l’après-midi, où l’on commence
alors à regarder la télévision. Les courbes d’audience s’infléchissent
donc de manière significative vers 16 heures en Grande-Bretagne,
17 heures en Allemagne.
Graphique 3. Audience TV lundi-vendredi
(« courbes en dromadaire ») (en %)
50
45
40
35
30
25
20
15
10
0
6:00
7:00
8:00
9:00
10:00
11:00
12:00
13:00
14:00
15:00
16:00
17:00
18:00
19:00
20:00
21:00
22:00
23:00
0:00
1:00
2:00
3:00
4:00
5:00
5
Allemagne
Grande-Bretagne
LA RADIO 1
Un média puissant. La radio est également un média puissant,
puisque environ trois quarts des Européens l’écoutent au cours d’une
journée. Il existe toutefois de fortes différences d’un pays à l’autre,
tant dans les horaires d’écoute que dans le nombre d’auditeurs.
Ainsi, deux groupes peuvent être distingués : l’Italie et surtout
1. Sources : France : 75 000 + Médiamétrie juin 2001 – Italie : Audiradio
juin 2001 – Espagne : AIMC EGM 2001 – Allemagne : Media Analyse 2001 –
Grande-Bretagne : RAJAR juin 2001, et le Guide Carat Smart Media Data 19992000.
217
L’espace public médiatique européen est encore à venir
l’Espagne comptent, sur une journée moyenne, une proportion
somme toute modeste d’auditeurs de la radio (respectivement 67 %
et 53 %), alors qu’en France, en Grande-Bretagne et en Allemagne,
ce sont environ 80 % des habitants qui l’écoutent chaque jour. Les
durées d’écoute du média sont assez conséquentes, et plutôt constantes, où que l’on se situe en Europe : les auditeurs y consacrent
environ trois heures dans les pays latins, trois heures vingt en Allemagne et trois heures trente en Grande-Bretagne qui est réellement
un grand pays de radio, avec notamment la forte présence des stations de la BBC (représentant plus de 50 % de l’audience du média).
(Base : adultes)
France Italie Espagne Allemagne
Audience cumulée radio jour moyen –
lundi-dimanche (%) ...................................
Durée d’écoute par auditeur (mn)..............
81,3
185
67,4
180
52,9
180
79,3
203
GrandeBretagne
81,0
209
Un des premiers médias de la journée. Contrairement à la télévision, la radio est un média du matin. On retrouve dans tous les
pays un pic d’audience plus ou moins prononcé, entre 7 heures et
9 heures : la radio est, par excellence, le média du réveil. De fait, la
radio est assez complémentaire de la télévision : on ne l’associe pas
aux mêmes lieux ni aux mêmes activités, on ne l’écoute pas aux
mêmes moments. On voit d’ailleurs sur les courbes d’audience que
ce média est particulièrement puissant aux heures où les postes de
TV sont éteints.
Un média d’accompagnement. Si les durées d’écoute sont proches
d’un pays à l’autre, la répartition de cette écoute au fil des heures
est, à l’instar de la télévision, assez variable.
On constate à nouveau qu’il existe deux familles de courbes d’audience : en chameau pour la France, l’Italie et, de manière plus
nuancée pour l’Espagne ; en dromadaire pour la Grande-Bretagne et
l’Allemagne. Toutefois, la logique n’est pas la même que pour la TV.
Les pics d’audience sont moins prononcés, car l’audience de la radio
se répartit de manière plus homogène tout au long de la journée. On
peut en effet écouter la radio tout en faisant autre chose : il s’agit
d’un média d’accompagnement, qui, contrairement à la télévision,
peut suivre les Européens en voiture, voire au bureau. C’est particu-
218
L’espace européen : les attentes démocratiques
lièrement le cas en Grande-Bretagne et en Allemagne, où la courbe
reste à un niveau élevé tout au long de la journée.
Graphique 4. Audience Radio lundi-dimanche
(« courbes en dromadaire ») (en %)
30
25
20
15
10
5
0
6:00 8:00 10:00 12:00 14:00 16:00 18:00 20:00 22:00 0:00 2:00 4:00
Allemagne
Grande-Bretagne
Graphique 5. Audience Radio lundi-dimanche
(« courbes en chameau ») (en %)
30
25
20
15
10
5
0
6:00 8:00 10:00 12:00 14:00 16:00 18:00 20:00 22:00 0:00 2:00 4:00
France
Italie
Espagne
L’espace public médiatique européen est encore à venir
219
La radio est un média de la mobilité : le deuxième pic d’audience
de fin d’après-midi, enregistré dans les pays latins, correspond (surtout en semaine du lundi au vendredi) aux retours au domicile en
voiture, pendant lesquels on écoute habituellement la radio. Singularité de l’Espagne, un petit pic aux alentours de minuit rappelle les
habitudes nocturnes de ses habitants.
Graphique 6. Répartition du volume d’écoute
entre stations régionales et nationales
100
90
80
70
60
50
40
30
20
10
0
France
Italie
Espagne
Stations régionales
Allemagne
Grande-Bretagne
Stations nationales
Un média de proximité. La radio peut être, comme la presse quotidienne régionale, un média de proximité qui permet de diffuser des
programmes et des informations locales. La part de volume d’écoute
des stations régionales est assez différente d’un pays à l’autre, passant
d’à peine plus de 20 % pour l’Espagne 1 et la France, à près de 100 %
pour l’Allemagne. Du fait de son statut fédéral, l’Allemagne compte
en effet un grand nombre de stations puissantes, financées par les
Bundesländer. Le cas de la radio en Grande-Bretagne est intéressant,
car son audience connaît deux clivages. D’une part, elle se partage
équitablement entre stations nationales et stations locales. D’autre
part, le volume d’écoute de la BBC est presque équivalent à celui des
stations commerciales. Les deux familles d’opérateurs – publics et
1. Ce qui peut paraître somme toute faible, pour un pays comptant dix-sept
régions dotées de gouvernements.
220
L’espace européen : les attentes démocratiques
privés – se sont réparti le marché de manière caractéristique : la BBC
est de loin le principal acteur au niveau des réseaux nationaux (elle
représente plus de 4/5e de l’audience de ce format). Les stations privées, quant à elles, se concentrent presque exclusivement au niveau
régional, dont elles dominent l’écoute (à nouveau, également, près de
4/5e de l’audience locale). On est donc éloigné du schéma français et
de ses puissantes stations nationales privées (RTL, Europe1, NRJ…).
Bien que l’audience des stations locales y soit souvent faible,
c’est dans les pays latins que l’on enregistre le plus grand nombre de
stations différentes : plus de 1 200 en France, 1 500 en Espagne,
2 500 en Italie, alors qu’on en trouve seulement 250 en Allemagne
et en Grande-Bretagne.
INTERNET ET LES MÉDIAS DIGITAUX 1
Les chiffres dont nous disposons sur ce média ne portent que sur
les connexions au domicile des individus. Ils n’intègrent donc pas
les accès à l’école, à l’université, dans les lieux publics ou sur le lieu
de travail, qui représentent une part sans doute non négligeable des
utilisations des médias digitaux 2. Cependant, le domicile demeure
actuellement le lieu de connexion le plus important. Internet n’est
plus, dans les foyers européens, un média réservé à une catégorie
particulière de la population (jeunes, chercheurs, « early adopters »…). Il a même aujourd’hui une réelle visibilité : on dénombre,
en juin 2001, sur nos cinq pays, plus de 50 millions de « visiteurs
uniques » (norme retenue par les instituts pour approcher de la
notion d’internautes) 3 âgés de 2 ans et plus 4, soit 18,2 % de la
1. Sources de toutes les données sur Internet citées dans cet article : JUPITER MMXI
– Panels à domicile – janvier et juin 2001 – France, Allemagne, Grande-Bretagne,
Italie, Espagne.
2. Par médias digitaux, on entend le World Wide Web, les systèmes propriétaires
comme AOL ou T-Online et les applications digitales (messageries instantanées,
Napster, etc.). Cet univers ne recouvre pas les utilisateurs qui font exclusivement de
l’e-mail par protocole SMTP (ex. : Outlook).
3. Visiteurs uniques : nombre estimé d’individus distincts ayant visité un
domaine, un supra-domaine, un propriétaire, une catégorie, ou utilisé une application du Digital Media au cours des trente derniers jours (mois de référence).
4. Contrairement à d’autres médias, l’audience d’Internet est publiée, dans le
monde, sur une base large d’individus de 2 ans et plus.
221
L’espace public médiatique européen est encore à venir
population. Cela ne confère pas encore à Internet un statut de média
de masse. À nouveau, on constate des écarts importants entre les
pays du Nord et les pays du Sud, et notamment la très forte avance
de la Grande-Bretagne, au contraire de l’Espagne qui semble, sur le
sujet, à la traîne des grandes nations européennes. En juin 2001, le
taux de pénétration des médias digitaux (proportion de visiteurs uniques parmi les personnes de 2 ans et plus) s’élevait ainsi à 10,7 % en
Espagne contre 28 % au Royaume-Uni.
Graphique 7. Taux de pénétration
des médias digitaux – juin 2001 (en %)
France
Italie
Espagne
Allemagne
UK
0,0
5,0
10,0
15,0
20,0
25,0
30,0
© JUPITER MMXI –þPanels à domicile – juin 2001 – France, Allemagne, UK, Italie, Espagne.
S’agissant d’un nouveau média, il semblait intéressant de pouvoir disposer de deux séries de données espacées dans le temps,
afin d’en comprendre les évolutions. En six mois, de janvier à
juin 2001, la progression moyenne du nombre de visiteurs uniques
au total des cinq pays, avoisinait les 18 %, avec une très forte
hausse de 30 % en Italie. Si ce rythme est maintenu, on peut
penser que, dans moins d’un an, la proportion d’internautes passera le cap symbolique des 25 % de la population européenne. La
France, malgré des progressions régulières, reste en retrait de la
plupart de ses grands voisins.
222
L’espace européen : les attentes démocratiques
Visiteurs uniques (000)/Total Digital Media
Janvier 2001 Juin 2001
Évolution
France.......................................................................
Italie .........................................................................
Espagne....................................................................
Allemagne................................................................
Grande-Bretagne......................................................
7 432
7 038
3 753
11 990
12 864
8 444
9 174
4 165
13 656
15 259
+ 14%
+ 30%
+ 11%
+ 14%
+ 19%
Total cinq pays.........................................................
43 077
50 698
+ 18%
© JUPITER MMXI – Panels à domicile – Janvier et juin 2001 – France, Allemagne, Grande-Bretagne,
Italie, Espagne.
L’audience d’Internet est éminemment fragmentée : l’offre de sites
est considérable, et il est difficile de dresser un palmarès synthétique
des sites les plus fréquentés par les Européens. Une autre manière
d’aborder Internet est d’étudier la durée passée au global sur le média.
Rien de comparable encore à ce que l’on connaît pour la radio et surtout la télé, mais le temps moyen passé par mois et par visiteur
unique, sur les médias digitaux, devient non négligeable : en
juin 2001, plus de huit heures en moyenne sur le total de nos cinq
nations. Cette durée est toutefois très variable d’un pays à l’autre : elle
oscille de six heures dix pour les visiteurs uniques italiens à près de
onze heures pour leurs homologues d’Allemagne. Il sera intéressant,
en consolidant ces observations sur une plus longue période, d’étudier
si ces différences dans les durées d’utilisation, représentent de réelles
tendances révélatrices d’usages particuliers des médias digitaux.
Graphique 8. Durée passée sur les médias digitaux
par mois et par visiteur unique (juin 2001) (en minutes)
800
600
400
200
0
France
Italie
Espagne
Allemagne
UK
© JUPITER MMXI – Panels à domicile juin 2001 – France, Allemagne, UK, Italie, Espagne.
L’espace public médiatique européen est encore à venir
223
LA PRESSE 1
Parler globalement de la presse écrite n’est pas un exercice facile.
Tout d’abord, le nombre de titres de presse dans chaque pays est
extrêmement important (on en compte, par exemple, près de 4 000
en France), ce qui rend ce média éminemment multiforme. Sous le
même intitulé, on trouve des titres gratuits ou payants, spécialisés
ou grand public, dont la périodicité va du quotidien au semestriel, et
dont la diffusion est comprise entre quelques milliers d’exemplaires
et plusieurs millions de copies. Ensuite, le périmètre des études
d’audience (et parfois l’indicateur utilisé) varie d’un pays à l’autre.
On se contentera donc de donner quelques indications simples sur
les tendances de lecture dans les différents pays, pour des titres
grand public justifiant de tirages importants. On traitera séparément
la presse quotidienne et les magazines, que l’on peut considérer
comme deux médias distincts, de par leurs différences de contenus,
de formats, voire de proximité avec le public.
La presse quotidienne
L’Angleterre, pays de la presse quotidienne nationale, l’Allemagne celui de la presse quotidienne régionale. La puissance de la
presse quotidienne est une caractéristique discriminant nos cinq
nations. Les pays les plus au sud (Italie et Espagne) n’ont pas une
très forte affinité avec ce média. On y trouve des taux de lecture
plutôt bas, avec un avantage peu marqué pour la presse régionale. La
France tient une position médiane : la presse quotidienne régionale
y est puissante (près de 40 % de lecteurs chaque jour), cependant
que les quotidiens nationaux enregistrent des performances assez
modestes. Le nombre des lecteurs de quotidiens est très important
en Allemagne comme en Grande-Bretagne. On trouve dans ces deux
pays un large éventail de journaux populaires 2, comme de quotidiens dits « de qualité ». En Allemagne, dont la tradition fédérale est
marquée, la presque totalité des lectures concerne des titres régio1. Sources : France : Ipsos Europan 2000-2001/AEPM 2000-2001 – Italie : Audipress 1999 (dernière publication disponible) – Espagne AIMC EGM 2001 – Allemagne : Media Analyse 2001 Press II – Angleterre : NRS mars 2001 – et le guide
édité par Carat : Smart Media Data 1999-2000.
2. Souvent des tabloïds qui fondent leur succès sur les faits divers, les scandales,
le sexe…
224
L’espace européen : les attentes démocratiques
naux. Il existe en effet peu de nationaux, mis à part le puissant et
populaire Bild Zeitung, qui tire à plus de 4 millions d’exemplaires.
D’autres journaux ont une audience nationale, mais sont associés à
une zone géographique particulière (on les nomme, en Allemagne,
des « supra-régionaux ») : ainsi, le quotidien « de qualité » Die
Frankfurter Allgemeine Zeitung.
La Grande-Bretagne est, quant à elle, le grand pays de la presse quotidienne nationale. Les performances d’audience du média y sont
remarquables (près de 60 % de lecteurs chaque jour). Logiquement, les
tirages sont très élevés, qu’il s’agisse de journaux populaires comme le
Sun (4 millions d’exemplaires) et le Daily Miror (2,5 millions), ou de
journaux plus sérieux, dont le fameux Times (600 000 exemplaires) ou
le Daily Telegraph (plus d’un million). À titre de comparaison, les
grands quotidiens nationaux français comme Le Monde et L’Équipe,
tirent à un peu plus de 500 000 exemplaires.
Graphique 9. Audience des quotidiens nationaux et régionaux
(lecture au numéro moyen en %)
80
70
60
50
40
30
20
10
0
France
Italie
nationaux
Espagne
Allemagne
Grande-Bretagne
régionaux
Le palmarès dans chaque pays des titres ayant les cinq plus fortes
audiences 1 permet de dégager quelques tendances intéressantes :
tout d’abord les performances remarquables, dans les pays latins,
1. Base : lecteurs au numéro moyen en France et en Italie, lecteurs dernière
période en Grande-Bretagne et en Espagne, Nutzer (utilisateurs) en Allemagne.
L’espace public médiatique européen est encore à venir
225
des quotidiens sportifs. En Italie, les deux premières places du classement sont respectivement occupées par la Gazetta dello sport et le
Corriere dello sport ; en Espagne, Marca occupe la première position, de même que L’Équipe en France, qui jouit, contrairement à
ses homologues, d’une situation de monopole sur son segment. À
noter, la puissance étonnante de Ouest-France qui, pourtant, n’est
pas diffusé sur l’ensemble du territoire : la France reste, après
l’Allemagne, un grand pays de presse quotidienne régionale. Dans
les pays latins, les cinq titres les plus puissants ont des résultats
assez homogènes, au contraire de l’Allemagne, où Bild écrase littéralement le marché. Le reste de l’audience de la presse quotidienne
allemande est fragmenté et se ventile entre de très nombreux titres
régionaux ou « supra-régionaux ». En Grande-Bretagne, ce sont des
quotidiens populaires qui s’imposent aux quatre premières places,
particulièrement le Sun qui bénéficie d’une audience remarquable.
Le succès de cette forme de presse, absente en France, explique la
puissance singulière de la presse quotidienne nationale britannique.
Le Daily Telegraph, premier quotidien de qualité, n’apparaît qu’au
cinquième rang, avec des performances somme toute proches de ses
grands homologues français, espagnols ou italiens. Quant au Times
et au Guardian, ils n’arrivent qu’aux huit et dixième places.
Graphique 10. Top 5 des quotidiens de chaque pays
25
20
15
10
The Sun
Mirror record
Mirror Daily
Daily Mail
Daily telegraph
Bild
Süd Deutsche Zeitung
Frankfurter Allgemeine
Handelsblatt
Die Welt
)*+
El Periodico
Marca
El Païs
El Mundo
Gazetto dello sport
Corriere dello sport
Corriere della sera
La Republica
La Stampa
0
L'équipe
Ouest-France
Le Parisien - Aujourd'hui
Le Monde
Le Figaro
5
226
L’espace européen : les attentes démocratiques
Les journaux de fin de semaine. Malgré leur périodicité hebdomadaire, on ne peut pas vraiment les considérer comme des magazines,
notamment du fait de leur format proche des quotidiens. On connaît
Die Zeit en Allemagne, ou le Journal du dimanche en France. Mais
ces journaux ont avant tout une forte présence en Grande-Bretagne :
News of the World compte 21,9 % de lecteurs, cependant que The
Mail on Sunday ou le Sunday Mirror dépassent 12 %.
La presse magazine
La presse magazine est sans doute le plus diversifié des grands
médias : guides télé, magazines à centre d’intérêt, d’actualité générale,
revues féminines ou titres sur la décoration et le jardinage. La liste des
familles de presse, même si on la restreint aux publications grand
public, est longue dans tous les pays européens. En dresser un bilan
synthétique serait bien délicat. Ce que l’on peut dire toutefois, c’est
que, grâce à cette variété de contenus donc de ciblages, la presse magazine arrive à toucher des personnes disparates, et à leur parler souvent
de ce qui les intéresse. Elle est donc partout en Europe un média
important. Ceci est particulièrement vrai en France, où la presque totalité de la population (96 % des personnes de 15 ans et plus) déclare lire
au moins un magazine grand public, alors que par exemple, en Italie,
seuls deux tiers de la population en font de même. La part des investissements publicitaires sur le média presse magazine en France est
d’ailleurs plus élevée que partout ailleurs en Europe.
Avantage à la France. Il est difficile de trouver un indicateur synthétique de la puissance de ce média, dans chacun des pays. À titre
indicatif, on peut toutefois observer le nombre de titres lus 1 en
moyenne par individu, donné par les enquêtes d’audience. De ce
point de vue, les plus gros lecteurs de magazines sont les Français,
1. Base : lectures dernière période. Le nombre de titres lus n’est pas a priori
rigoureusement comparable d’un pays à l’autre, car la liste des titres étudiée dans
chaque pays est plus ou moins longue. Cependant il permet de déceler des tendances. Chaque étude a à peu près le même objectif : mesurer l’audience des magazines grands publics justifiant d’une diffusion suffisamment importante, soit un
total d’environ 150 à 200 magazines étudiés par pays. On peut ainsi estimer que les
magazines non étudiés représentent une frange minime de l’audience.
227
L’espace public médiatique européen est encore à venir
assez nettement devant les Anglais et les Allemands. Les pays les
plus au sud ferment la marche.
France Italie Espagne Allemagne
Nombre moyen de titres lus (LDP) dans les
enquêtes d’audience...................................
6,7
3,3
2,0
4,2
GrandeBretagne
5,2
Des titres puissants. L’audience de la presse magazine est, de par
l’ampleur du choix offert aux lecteurs, assez fragmentée. Cependant, en France en premier lieu, puis en Allemagne et en GrandeBretagne, on trouve des revues très puissantes : treize titres français
peuvent se prévaloir d’une audience supérieure à 10 % de la population, ce qui démontre l’influence des magazines dans l’Hexagone.
Outre-Rhin, huit titres passent cette même barre des 10 %. Ils sont
six en Grande-Bretagne. Deux magazines seulement passent ce cap
en Espagne et en Italie (voir graphique 11).
L’essor des magazines, suppléments de quotidiens. Le cas anglais
est encore une fois assez particulier. Les suppléments magazines
associés aux quotidiens de fin de semaine y sont une véritable institution, et rencontrent un vif succès. Le week-end, en achetant son
quotidien, on peut parfois repartir avec une pile de magazines, dont
les plus influents sont le Daily Mail Week-end (13,2 %) ou le Mirror
Look (11,2 %). D’ailleurs, les titres justifiant au Royaume-Uni des
taux d’audience supérieurs à 10 % sont exclusivement des suppléments. Dans tous les pays d’Europe, les éditeurs de quotidiens ont
imité leurs confrères britanniques, et proposent à leurs publics,
depuis plusieurs années déjà, des suppléments magazines : programmes TV, magazines féminins, magazines d’actualité… La
presse quotidienne semble trouver, grâce à eux, de nouveaux lecteurs et un nouvel essor. Ces suppléments rencontrent partout en
Europe un grand succès : ainsi TV Magazine, supplément de nombreux quotidiens, est le magazine le plus lu en France avec une très
forte audience représentant 28,2 % de la population. De même en
Espagne, le leader de la presse magazine est Supplemento Semanal,
supplément traitant d’actualité et porté par un groupement de journaux. Son audience est de 11,6 %. Le cas de l’Espagne est
intéressant puisque cinq suppléments y entrent dans le Top 10 de la
presse magazine.
0
The M&S Magazine
What's on TV
Safeway Magazine
Sky Customer Magazine
Sunday Mirror-Personal
The Mail on Sunday-Night and Day
The Mail on Sunday-You
The Mirror-Look
Daily Mail-Weekend
News of the World-Sunday
Hörzu
Focus
TV Movie
rtv West
TV Spielfilm
Stern
prisma
rtv
BILD am SONTAG
motorwelt
Supplemento semanal
Pronto
Canal +
Supplemento semanal TV
Païs Semanal
Hola
Mujer de Hoy
La Vanguardia Magazine
Canal satellite digital
Muy Interessante
SORRISI E CANZONI TV
QUATTRORUOTE
FAMIGLIA CRISTIANA
OGGI
FOCUS
DONNA MODERNA
GENTE
PANORAMA
LA GAZZETTA DELLO SPORT
IL VENERDI
Magazine
Télé 7 Jours
Télé Z
Femme Actuelle
Télé Loisirs
Télé Star
TV Hebdo
Art et Décoration
Télé Poche
Fémina Hebdo
TV
0
ADAC
228
L’espace européen : les attentes démocratiques
Graphique 11. Top 10 des magazines (LDP)
30
25
20
15
10
5
30
25
20
15
10
5
L’espace public médiatique européen est encore à venir
229
La presse TV souvent en tête. Partout en Europe, les plus fortes
audiences concernent majoritairement des hebdomadaires. Cela tient
davantage à leur nature qu’à leur périodicité : c’est parmi les hebdomadaires que l’on trouve des féminins populaires, de la presse « people »,
mais surtout les suppléments des quotidiens et les magazines TV. On
constate en effet, en analysant le palmarès des plus fortes audiences de
la presse magazine, la place très importante des titres TV. Il s’agit souvent d’hebdomadaires donnant les programmes, mais, phénomène
plus récent, on trouve aussi des mensuels envoyés aux abonnés des
chaînes payantes : en France, la famille « presse TV » occupe sept
places du Top 10. Ils sont six de ce segment, parmi les dix plus gros
titres allemands, trois en ce qui concerne l’Espagne. La télévision est,
pour les Européens, plus qu’un grand média. C’est aussi un centre
d’intérêt et un loisir. Les magazines guidant les internautes sur le Web
rencontreront-ils un même succès lorsque les médias digitaux se seront
beaucoup développés ?
Parmi les magazines puissants, on trouve également des titres
traitant d’automobile, notamment le magazine allemand Adac Motorwelt, édité par une puissante association d’automobilistes, et dont
l’audience est énorme, ou l’italien Quatroruote. On trouve aussi des
féminins, comme Femme Actuelle ou Fémina Hebdo (encore un supplément) en France, Safeway magazine en Grande-Bretagne, des journaux « people » (Pronto en Espagne), ou des « pictures » comme
Stern en Allemagne. Les magazines d’actualité (hors suppléments) ou
les titres à centre d’intérêt ne viennent souvent qu’après. Ce mélange
des genres traduit bien la richesse du média presse magazine.
LES MÉDIAS EN EUROPE : SIMILITUDES ET SPÉCIFICITÉS
Ce tour d’horizon des grands médias est forcément incomplet. On
s’est souvent intéressé à des volumes de consommation sans parler
du profil des consommateurs ni de leurs motivations. On n’a pas non
plus abordé des notions de contenu, de perception, ni parlé des arbitrages qu’effectuent les Européens entre les grands médias, lorsqu’ils veulent s’informer, se distraire, ou apprendre. Pour autant, ce
panorama global permet de dégager des premières tendances.
230
L’espace européen : les attentes démocratiques
D’abord, quelques points communs. Les médias ont une place
importante partout en Europe. On leur consacre beaucoup de temps,
tout au long de la journée, que l’on soit allemand, français ou espagnol. Il n’y a pas de petit média, mais la télévision est sans conteste
celui qui se montre le plus puissant. Presque tous les Européens
sont, à un moment ou un autre, téléspectateurs et, quand ils le sont,
le petit écran devient pour eux un loisir prenant (environ quatre
heures par jour). De ce fait, sans doute, les magazines TV enregistrent partout de belles performances. La radio est, en termes de
budget temps, le complément naturel de la télévision : on l’écoute
aux moments où celle-ci a peu d’audience, durant trois heures
environ, avec une durée d’écoute par auditeur assez homogène entre
les différents pays étudiés. Les médias digitaux, même s’ils sont
inégalement implantés, progressent de manière spectaculaire dans
tous les pays. En revanche, la presse écrite est probablement, tant du
point de vue de l’offre de titres que de l’audience, le média qui conserve le plus de spécificités nationales.
Des proximités. Il semble que se dessinent des régions d’Europe,
dans lesquelles on observe des similitudes de comportement à
l’égard des médias. Il existe ainsi des logiques assez homogènes de
fréquentation des médias audiovisuels – notamment en matière
d’horaires – à l’intérieur de deux blocs, l’un constitué des trois pays
latins, l’autre de l’Allemagne et de la Grande-Bretagne. Ces logiques
correspondent probablement à des pratiques culturelles et à des
habitudes d’allocation du temps bien distinctes. Le taux d’accès aux
médias digitaux est également caractéristique de chacune des deux
zones : en avance dans le bloc anglo-allemand, encore modeste dans
les pays plus au sud. Enfin, on constate, pour ces mêmes régions,
des taux de lecture des quotidiens plutôt proches, les pays les plus
au nord étant davantage en affinité avec ce média.
Des dissemblances. Bien sûr, un découpage Nord-Sud ne peut résumer les diversités d’approches des médias : il existe, dans chaque
région d’Europe, des caractéristiques de fréquentation et des sensibilités propres aux différents pays qui la composent. Ainsi, la
France se trouve souvent dans une situation intermédiaire entre les
nations les plus au sud et le bloc anglo-allemand. C’est, même en
matière de médias, un pays que l’on pourrait qualifier de tempéré.
Les courbes d’audience de la radio ou de la télévision ont, en
L’espace public médiatique européen est encore à venir
231
France, une forme proche de celles des pays latins, mais les pics
d’audience s’y produisent plus tôt, que ce soit le matin pour la radio
ou le soir pour la télévision, rapprochant les comportements des
Français de ceux de leurs voisins allemands et anglais. À nouveau,
lorsqu’on observe les taux de lecture des quotidiens, la France se
trouve à une position médiane. En revanche, elle se distingue des
autres pays par sa forte affinité avec la presse magazine.
Les Britanniques et les Allemands ont certes des volumes et des
moments de consommation des médias assez voisins. Cependant, la
nature de cette consommation semble différer, l’Allemagne faisant
par exemple la part belle aux programmes ou aux journaux régionaux, traduction sans doute de son statut fédéral. La GrandeBretagne se distingue des autres pays d’Europe par son rapport singulier à la presse écrite (importance des quotidiens nationaux et des
journaux du dimanche notamment). Elle est aussi et de loin la plus
en avance en matière d’Internet. À l’opposé, l’Espagne est probablement le pays le plus en retrait en matière de média, hors télévision :
l’Internet, la presse écrite et la radio y sont sensiblement moins présents qu’ailleurs. Quant aux Italiens, ils sont les plus gros consommateurs de télévision, et sont en passe, avec un taux de progression
record, de devenir également une grande nation des médias digitaux.
Et l’avenir ?
Le paysage des médias est en profonde mutation, même si pour
l’heure on n’en perçoit que le frémissement. Les technologies
numériques permettent d’élargir l’offre, de l’internationaliser aussi.
Elles modifient également les modes d’accès à l’information : on
peut lire un article de magazine sur son ordinateur, écouter la radio
sur son téléphone. Grâce au numérique, le consommateur sera de
plus en plus libre de choisir les contenus et les moments : le journal
de 20 heures pourra par exemple être accessible à 22 heures si on le
souhaite. La définition et le rôle des médias vont donc être bouleversés. On parle beaucoup de convergence entre la presse, la radio,
la télévision, l’Internet. L’Europe sera sans doute un des premiers
terrains de cette convergence. Pour anticiper le phénomène et le
comprendre, il faudra recueillir des données plus qualitatives sur les
modes de fréquentation des médias, que ne le font les études
d’audience, et s’interroger sur les rôles et les fonctions que les con-
232
L’espace européen : les attentes démocratiques
sommateurs leur attribuent : passer de « quelles personnes, à quel
moment » à « pourquoi et comment ». Un vaste chantier pour les
instituts spécialisés…
Olivier LE VAN TRUOC