le communautaire : l`avenir des soins aux personnes

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le communautaire : l`avenir des soins aux personnes
26 octobre 2016
LE COMMUNAUTAIRE : L’AVENIR DES SOINS AUX PERSONNES VULNÉRABLES?
par Marie­Hélène Verville (https://www.gazettedesfemmes.ca/auteur/marie­helene­verville/)
SANTÉ SOCIÉTÉ
Le scénario se répète souvent. Après avoir attendu six mois, une personne âgée et malade reçoit enfin l’aide de son CLSC (Centre local
de services communautaires). Mais c’est insuffisant. Car la majorité des aînés en perte d’autonomie sévère n’ont pas les moyens de
payer pour des soins privés d’appoint, même si les entreprises qui les offrent refilent une partie de la facture à l’État, selon le Réseau
FADOQ (Fédération de l'Âge d'Or du Québec). Que fait alors la proche aidante lorsqu’elle est à bout de souffle et que les CHSLD (Centre
d'hébergement et de soins de longue durée) débordent? Elle se tourne vers le communautaire. *
Les organismes de la Montérégie et de Montréal œuvrant en santé mentale ou
avec les personnes handicapées ont vu leur clientèle augmenter et les listes
d’attente s’allonger. En effet, des CLSC poussent les patients vers ces services,
constate Johanne Nasstrom, de la Table régionale des organismes
communautaires et bénévoles de la Montérégie.
Au Regroupement des aidants naturels du Québec, le nombre d’organismes membres a triplé depuis 15 ans. « Le rôle de nos organismes a
changé, précise le coordonnateur, Mario Tardif. Au départ, nous devions accompagner l’aidant vivant une situation difficile. Car malheureusement,
les services publics allaient à l’aidé, pas à l’aidant. Maintenant, on se substitue carrément à l’État. Des initiatives voient le jour parce que les CHSLD
font peur au monde et que les services à domicile disparaissent. »
Les organismes pour personnes âgées ne sont pas les seuls sous pression. En Montérégie et à Montréal, ceux qui œuvrent en santé mentale ou
avec les personnes handicapées ont aussi vu leur clientèle augmenter et les listes d’attente s’allonger, observent Sébastien Rivard, du
Regroupement intersectoriel des organismes communautaires de Montréal, et Johanne Nasstrom, de la Table régionale des organismes
communautaires et bénévoles de la Montérégie. Des CLSC (Centre local de services communautaires) poussent les patients vers ces organismes,
dénoncent­ils. Depuis l’an passé, cette tendance va en s’accélérant.
Marjolaine Goudreau est présidente du RÉCIFS (Regroupement, Échanges, Concertation des Intervenantes et des Formatrices en Social), un
regroupement d’intervenants sociaux du réseau de la santé, de groupes communautaires et du milieu de l’enseignement. « Au public, avant, il y
avait une complémentarité avec les services communautaires, relate­t­elle. Là, on “balaie” carrément les gens vers les organismes, parce que le
public n’offre plus les services, ou que les critères d’admissibilité ont augmenté. » La réorganisation du système de santé par l’actuel gouvernement
se fait à vitesse grand V, des services de première ligne en santé mentale sont fermés ou déplacés, et la population vulnérable ne suit pas, dit­elle.
Une place plus grande
Cette année, Québec a prévu 60 M $ d’argent neuf en soins à domicile. De cette somme, 8,1 M $ serviront à améliorer l’accès aux soins privés, par
le programme d’exonération financière pour les services d’aide domestique. Le reste (51,9 M $) ira dans les établissements publics. En conférence
de presse, le ministre de la Santé, Gaétan Barrette, a suggéré ceci aux gestionnaires locaux : « Certains services peuvent être donnés par le
personnel du réseau, d’autres par des entreprises d’économie sociale et, évidemment, une portion de ces sommes­là, à la convenance du CISSS
[Centre intégré de santé et de services sociaux] ou du CIUSSS [Centre intégré universitaire de santé et de services sociaux], sera octroyée à des
organismes communautaires. »
« Au public, avant, il y avait une complémentarité avec les services communautaires. Là, on “balaie”
carrément les gens vers les organismes, parce que le public n’offre plus les services, ou que les
critères d’admissibilité ont augmenté. »
— Marjolaine Goudreau, présidente du RÉCIFS, un regroupement d’intervenants sociaux du réseau de la santé,
des groupes communautaires et des milieux de l’enseignement
Quelle est la place des organismes communautaires dans le système de santé? C’est aux établissements locaux de trancher, dit­on au cabinet de
Gaétan Barrette. « Il faut tout d’abord que les soins soient adaptés aux clients, et ce sont les établissements qui sont en mesure de l’évaluer
puisqu’ils sont sur le terrain », affirme l’attachée de presse du ministre. Or, le recours aux organismes communautaires est de plus en plus populaire
au sein du réseau. Selon les données du ministère de la Santé et des Services sociaux, les subventions accordées aux organismes en maintien à
domicile ont bondi de 23 % en trois ans, s’élevant à plus de 45 M $ pour l’année 2014­2015. Une hausse importante, si on compare aux années
précédentes, où la hausse était de 7,2 % entre les années 2010­2011 et 2012­2013.
Des services (très) variables
Les services communautaires ne sont pas universels, rappelle Mario Tardif. Plusieurs proches aidantes n’y trouveront pas leur compte. Dans la
foulée des compressions qui ont touché l’an passé les centres de jour publics pour personnes âgées, une partie des usagers a été transférée vers
des centres communautaires ou privés. Dans certaines régions, les tarifs ont doublé. À Rivière­du­Loup, la majorité de la clientèle s’est volatilisée
depuis son transfert vers un centre privé.
Sylvain Lirette, éducateur spécialisé en gériatrie et porte­parole régional du Bas­Saint­Laurent pour l’Alliance du personnel professionnel et
technique de la santé et des services sociaux, est amer. « Au public, cette clientèle était suivie par une équipe multidisciplinaire, comprenant
physiothérapeute, infirmière, éducateur, technicien en loisirs, travailleur social. Dans les centres de jour privés, c’est la responsable de la
comptabilité qui fait office de technicienne en loisirs… »
« Au public, cette clientèle [des personnes âgées] était suivie par une équipe multidisciplinaire,
comprenant physiothérapeute, infirmière, éducateur, technicien en loisirs, travailleur social. Dans les
centres de jour privés, c’est la responsable de la comptabilité qui fait office de technicienne en
loisirs… »
— Sylvain Lirette, éducateur spécialisé en gériatrie et porte­parole régional du Bas­Saint­Laurent pour l’APTS
(Alliance du personnel professionnel et technique de la santé et des services sociaux)
À Laval, les listes d’attente pour accéder aux centres publics sont longues. Selon France Boisclair de l’Association lavalloise des personnes
aidantes, il n’est pas rare que l’aîné soit trop malade (ou même décédé) lorsque vient son tour. Et en attendant, cet aîné n’est pas pour autant servi
par les centres communautaires. « Depuis trois, quatre ans, des organismes ont ouvert trois haltes­répit, notamment grâce à une subvention de
L’Appui, un réseau pour les proches aidants d’aînés **. C’est appréciable, mais ça reste une offre communautaire. L’équipement est restreint et pour
que ça convienne, il faut que la personne soit diagnostiquée de façon précoce », explique­t­elle.
Dans le milieu du soutien à domicile, les salaires des employées des secteurs privé et communautaire sont modestes et le roulement du personnel
est élevé, par rapport à ce qu’on observe chez leurs homologues du public. Comme chez les proches aidantes, ce monde est largement féminin. «
Malgré les coupes, le gouvernement sait bien que les femmes seront toujours là pour s’occuper des gens », soupire Sébastien Rivard.
* Cet article a été rédigé avec l’aide d’Amélie Daoust­Boisvert.
** L’Appui pour les proches aidants d’aînés gère un fonds de 200 M $ qui sert à appuyer les aidants naturels. Il est financé par le gouvernement du
Québec et la famille Chagnon. : :
En complément d’info
Ce texte fait écho à l’article Proches aidantes du baby­boom : le piège financier (https://www.gazettedesfemmes.ca/13379/proches­aidantes­
du­baby­boom­le­piege­financier/), paru également dans la Gazette des femmes.
Article du Devoir « Les centres de jour en mutation
». Article et reportage de TVA « Rivière­du­Loup. Centre de répit : le virage remis en question
Éditeur officiel de la
Gazette des femmes
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