Devoir de réserve : une obligation professionnelle à

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Devoir de réserve : une obligation professionnelle à
Devoir de réserve : une obligation professionnelle à géométrie variable
Traditionnellement, la période de la campagne électorale, au sens large du terme, qui précède
chaque scrutin, entraîne pour tous les fonctionnaires une stricte obligation de réserve – et peutêtre plus encore pour les policiers, garant de l’État de droit.
En effet, conformément à l’article 11 du décret du 18 mars 1986 portant code de déontologie de
la police nationale, les fonctionnaires de police peuvent s’exprimer librement dans la limite de
l’obligation de réserve à laquelle ils sont tenus et des règles relatives à la discrétion et au secret
professionnels.
Ce devoir de réserve qui consiste en une modération de l’expression des opinions de toute nature
concerne tout mode d’expression oral ou écrit, mais aussi tout acte matériel traduisant
explicitement ou implicitement et de façon excessive une opinion. Il s’impose tant dans l’exercice
des fonctions que hors service.
Il porte essentiellement sur les opinions politiques, philosophiques ou religieuses mais aussi, la
jurisprudence l’a confirmé, sur l’appréciation du fonctionnement de l’administration à laquelle on
appartient et de ses services.
L’excès dans l’expression est constitué dès lors qu’il est susceptible de provoquer, notamment, un
rejaillissement préjudiciable sur la profession ou un trouble potentiel sur les administrés.
En conséquence, il y a lieu de s’abstenir de toute participation à des manifestations ou réunions
publiques et plus généralement à tout événement pouvant donner lieu à des interprétations
diverses compte tenu de la personnalité des organisateurs ou de leurs invités.
Les fonctionnaires investis de responsabilités syndicales bénéficient certes d’atténuations à ce
devoir de réserve à condition toutefois qu’ils agissent uniquement dans le cadre de leur mandat
c'est-à-dire dans le cadre de la défense des intérêts professionnels et catégoriels.
On rappellera ici que la police nationale est un service public qui assure des fonctions d’autorité.
Sa crédibilité et sa respectabilité impliquent qu’elle se montre particulièrement exigeante à l’égard
du personnel qu’elle emploie, attendant de lui une conduite irréprochable. Dans les rapports du
fonctionnaire de police avec son administration, cela se traduit naturellement par l’observation de
ces obligations légales ou morales.
Ainsi, le devoir de réserve a pour finalité d’assurer la neutralité du service public aux yeux de
l’usager et l’impartialité du fonctionnaire dans l’exercice de ses missions.
Le devoir de réserve porte donc sur la révélation des opinions du fonctionnaire.
Une belle illustration de manquement à ce devoir de réserve peut être rapportée lorsque vendredi
29 janvier 2010, « on apprenait d’une source proche de Valérie Pécresse, candidate UMP en Ile-de-France, que
le secrétaire général de Synergie Officiers, le commandant de police Bruno Beschizza, 39 ans, figurait en position
éligible sur une de ses listes en Seine-Saint-Denis. M. Beschizza a ainsi participé dans la matinée à la gare
d’Epinay-sur-Seine, dans ce département, à une distribution de tracts avec Mme Pécresse ». (AFP, Rémy
Bellon, 29 janvier 2010).
« Bruno Beschizza a été désigné tête de liste de la liste UMP en Seine-Saint-Denis », rapporte également Le
Monde dans sa livraison du même jour, ajoutant que « sa nouvelle place dans la campagne UMP symbolise
l’accent mis sur la sécurité […]. Cette promotion a suscité la colère d’élus UMP d’Ile-de-France comme Eric
Raoult, député-maire du Raincy ».
On comprend là que Monsieur Bruno Beschizza, secrétaire général de Synergie Officiers,
deuxième syndicat chez les officiers de police selon les résultats des dernières élections (44%), a
des aptitudes professionnelles autres que policières et qu’il peut être tenté de les utiliser.
Hélas, le port de badge supportant l’emblème ou le sigle d’un parti politique, la distribution au
public d’écrits divers à des fins de propagande politique ou de prosélytisme, comme la
participation à une réunion politique publique, sont constitutifs de graves manquements
professionnels susceptibles d’entraîner une sanction disciplinaire de l’ordre de la révocation.
Car, aux termes de l’article 29 de la loi du 13 juillet 1983 portant droits et obligations des
fonctionnaires, « toute faute commise par un fonctionnaire dans l’exercice ou à l’occasion de l’exercice de ses
fonctions l’expose à une sanction disciplinaire sans préjudice, le cas échéant, des peines prévues par la loi pénale ».
Selon le Conseil d’État, des faits privés dénués de tout lien avec le service ne sont pas
susceptibles d’être à l’origine de poursuites disciplinaires (CE, 25 mai 1990 ; CE, 21 juillet 1995 ;
CAA de Paris, 9 mai 2001 ; CE, 15 juin 2005).
Afin de pouvoir considérer que la faute commise par le commandant Beschizza n’est pas
dépourvue de tout lien avec le service et revêt donc un caractère disciplinaire, l’administration
pourrait s’appuyer sur quelques critères alternatifs.
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L’atteinte à la réputation du corps ou du service : on fera notamment référence à l’article
7 du code de déontologie de la police nationale, aux termes duquel : « Le fonctionnaire de la
police nationale… ne se départit de sa dignité en aucune circonstance. Placé au service du public, le
fonctionnaire de police se comporte envers celui-ci d’une manière exemplaire ». Ici, c’est la publicité des
faits, leur divulgation par voie médiatique, l’émoi suscité au sein de l’opinion publique ou
parmi les élus de Seine-Saint-Denis qui permettront d’identifier l’existence d’une faute
disciplinaire ;
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L’incompatibilité des faits avec la nature des fonctions et des responsabilités exercées par
l’agent : dans cette hypothèse, il n’est pas nécessaire que les faits soient particulièrement
graves ou aient connu une forte divulgation à l’extérieur de l’institution. Sont donc
constitutifs de fautes disciplinaires, les manquements aux obligations de réserve, de secret
et de discrétion professionnels commis en dehors du service.
En cas de faute disciplinaire, soumise au contrôle juridictionnel normal, doit être prononcée une
sanction, elle-même soumise au contrôle restreint du juge administratif.
En étant contraires à la dignité de la fonction, en provoquant une équivoque préjudiciable sur la
fonction policière, en conduisant à sortir du devoir de réserve, en jetant le doute sur
l’indépendance du fonctionnaire, le militantisme et la prise d’intérêts de M. Beschizza sont
vraisemblablement incompatibles avec la profession de fonctionnaire de police.
Pourtant, selon des sources bien informées, de larges circonstances atténuantes vont bénéficier
au commandant B.B. et il est possible qu’aucune sanction ne soit prononcée contre ce dernier.
Une certaine presse parie sur le fait que seront pris en compte, entre autres, le passé professionnel
(de terrain électoral) brillant de l’intéressé et le caractère privé de son adhésion à l’UMP… jusqu’à
sa révélation par la presse écrite !
Une situation paradoxale ? Oui et non. Le devoir de réserve, une création jurisprudentielle,
conduit très souvent à l’imprévisibilité de l’administration voire à une absence de cohérence.
Bien qu’elle soit indispensable, la solidarité entre pairs a des limites. Il est inconcevable de
s’abriter derrière elle pour fermer les yeux sur les comportements déviants.
Une seule évidence : toute profession impose des devoirs à ceux qui l’exercent. La déontologie
est d’ailleurs, étymologiquement, la science des devoirs.
Vraisemblablement, il ne suffit plus qu’un code de déontologie de la police nationale existât.
Encore faudrait-il que ses principes irriguent objectivement l’action quotidienne de la police et
concrètement les pratiques professionnelles de ses chefs.
Philippe Pichon

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