Le glissement de tâches en anesthésie

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Le glissement de tâches en anesthésie
AU QUOTIDIEN
Le glissement de tâches en anesthésie
our contrer l'effet délétère d'une baisse de la démographie médicale largement
annoncée, le glissement de tâches, effectuées habituellement par des médecins vers
des professionnels non médecins, est pour certains, très tentant. « Glissement de
tâches », « transfert de compétences », « délégation de compétences » et, depuis peu,
« compétences élargies » sont autant d'expressions apparues récemment dans le vocabulaire
hospitalier français. En anesthésie, ces termes sous-tendent le plus souvent un glissement de
tâches du médecin anesthésiste-réanimateur (MAR) vers l'infirmier anesthésiste diplômé
d'état (IADE). Concernant l’anesthésie, il faut tenir compte de la formation et du rôle des
infirmiers anesthésistes, ainsi que, l'acte médical d'anesthésie et de la sécurité des patients.
P
F ORMATION
ET COMPÉTENCES
DES
IADE
La formation des IADE est assurée dans des écoles spécialisées où est dispensé un enseignement théorique et
pratique que doit avoir intégré l'infirmier à l'issue de deux
ans d'études. L'activité y est développée au-delà d'une
simple fonction de soins. Elle est orientée vers l'apprentissage des gestes, des comportements et des techniques
utilisées en anesthésie-réanimation.
La compétence juridique des IADE a été définie par le
décret n°93-345 du 15 mars 1993 (art. 7) : « L'infirmier
anesthésiste diplômé d'État et l'infirmier en cours de formation préparant à ce diplôme sont seuls habilités, à condition
qu'un médecin puisse intervenir à tout moment, à participer à l'application des techniques suivantes après que le
médecin a examiné le patient et a posé l'indication
anesthésique :
- anesthésie générale ;
- anesthésie locorégionale et réinjections dans le cas où un
dispositif a été mis en place par un médecin ;
- réanimation peropératoire. »
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Notons que la spécialité du médecin n'était pas précisée, alors
que seul le médecin anesthésiste-réanimateur pouvait
remplir ce rôle. Le récent décret n° 2002-194 du 11 février
2002 (art. 10) a corrigé cette imprécision. Néanmoins, cet
article est parfois interprété par certains comme une
autorisation donnée à l'IADE de réaliser seul (avec un
médecin anesthésiste prêt à intervenir à tout moment), des
anesthésies générales ou des anesthésies locorégionales.
En réalité, la lecture de ce décret doit se faire à la lumière
des recommandations du Conseil national de l'ordre des
médecins : l'anesthésie est un acte médical qui ne
peut être pratiqué que par un médecin anesthésiste-
réanimateur qualifié et l'IADE ne peut entreprendre seul
une anesthésie en l’absence d'un médecin anesthésisteréanimateur*.
S ÉCURITÉ
DES PATIENTS ET
RESPONSABILITÉ DES ACTEURS
Le caractère médical de l'acte d'anesthésie s'est imposé
depuis longtemps, passant par une prise en charge du
malade dans sa globalité, pour la sécurité du patient. Pourtant,
les chirurgiens ont voulu croire à une certaine « perméabilité » entre les attributions des médecins anesthésistes et
celles des IADE, en maintenant l'illusion que ces professionnels étaient interchangeables. Cette idée a perduré en
raison, d'une part, du flou entretenu par les IADE et,
d'autre part, de la désertion des blocs opératoires par les
anesthésiologistes qui ne sont pas en nombre suffisant ou
qui se consacrent volontiers aux malades hospitalisés dans
les services de chirurgie ou de réanimation.
Aujourd'hui, infirmiers et médecins devraient être astreints
à leurs missions respectives par une répartition claire des
tâches, tant au niveau organisationnel que juridique. En
salle d'opération, l'anesthésie ne peut être confiée par le
médecin anesthésiste qu'aux seuls personnels ayant la
formation requise : les internes d'anesthésie ou les IADE,
selon des règles précises qui fixent les limites de leurs
attributions respectives.
L'interne exerce des fonctions de prévention, de diagnostic et de soins, par délégation et sous la responsabilité
du praticien dont il relève. Néanmoins, en cas de
poursuites judiciaires en vue d'une indemnisation, la
responsabilité de l'établissement est engagée, sauf si la
faute est détachable du service. S'agissant d'une atteinte
du droit pénal, l'interne sera directement mis en cause,
comme n'importe quel citoyen, même si son niveau de
* Recommandations concernant les relations entre anesthésistes-réanimateurs et chirurgiens, autres spécialistes ou professionnels de santé. Ordre national des médecins, Décembre 2001.
AU QUOTIDIEN
compétences est pris en compte. Un interne qui présente
les conditions requises pour effectuer un remplacement
pourrait conduire seul une anesthésie à l'hôpital. Il reste
néanmoins, au bloc opératoire, sous la responsabilité du
praticien dont il dépend.
Les IADE assistent les médecins anesthésistes, mais ne
se substituent pas à eux. Ainsi, l'infirmier qui exécute un
acte non répertorié, même prescrit par un médecin,
commet une faute. En revanche, il porte une responsabilité lors de la réalisation d'un acte autorisé, même
prescrit par un médecin.Réciproquement, il existe une
responsabilité des médecins qui autorisent les IADE à réaliser des actes qui ne sont pas précisés dans leur décret
de compétences.
La sécurité des patients repose sur une prise en charge
assurée par les binômes MAR-interne et MAR-IADE,
chacun dans son domaine de compétences. La mise en
place des procédures médicales prend ici toute son
importance.
LE
CONSENSUS PROFESSIONNEL
Actuellement, les professionnels concernés (Société
française d'anesthésie-réanimation, Conseil de l'ordre des
médecins, syndicats de MAR et d'IADE) s'accordent sur la
place respective de chacun, telle que définie par la réglementation, et ne souhaitent pas qu'elle soit modifiée.
Le rapport Berland d'octobre 2003 (Coopération des
professions de santé : le transfert de tâches et de compétences)
signalait que les représentants des MAR et des IADE « ne
souhaitent pas un élargissement des compétences des IADE.
Ces derniers ont le souci de garder une collaboration étroite
avec les MAR et considèrent que leur décret de compétences
est clair et défini bien le champ de leurs attributions. Par
ailleurs, les IADE ne sont pas disposés à être sous l'autorité et
la responsabilité d'autres médecins que les MAR. »
Notons néanmoins une initiative de transfert de compétences
isolée et sans reconnaissance officielle : le SMUR de Toulon-La
Seyne.
L'INITIATIVE DU SMUR DE TOULON-LA SEYNE
Dans cette unité, une expérience (isolée et sans reconnaissance officielle) de transfert de compétences en matière de
transport médicalisé défie les habitudes françaises : dans certaines interventions ciblées, le médecin, habituellement à
bord du véhicule, est remplacé par un infirmier.
Une évaluation, réalisée en 2003 sur 72 interventions, a
montré des résultats satisfaisants (rapports avec les
patients, leurs familles, les médecins traitants).
Un consensus pourrait peut-être émerger à partir d'une
réflexion approfondie, reposant sur des échantillons plus
importants.
D ÉMOGRAPHIE
DES
PRÉVISIONNELLE
IADE
La France compte aujourd'hui environ 8 000 IADE, dont
6 500 dans le secteur public et 1 500 dans le secteur privé.
Ils sont 7,7/100 000 habitants, soit environ 1 pour 2
médecins anesthésistes (14 MAR/100 000 habitants). Les
effectifs sont très disparates selon les établissements, et l'affectation des IADE dans une salle d'opération est fonction du
type d'intervention et des antécédents du patient, entraînant
des situations variées, allant de l'idéal jusqu'au hors-la-loi…
Dans les 5 ans à venir, 25 % des IADE partiront à la retraite
et il existe déjà de nombreux postes non pourvus.
La démographie prévisionnelle des IADE ne permettra
donc pas de dégager ce temps médical.
F INALEMENT,
COMMENT LIBÉRER DU
TEMPS MÉDICAL
?
Il faut donc rechercher ailleurs ce temps médical, dans le cadre
de la réglementation actuelle et de la sécurité des patients.
Si la mortalité liée à l'anesthésie a été divisée par dix depuis
la parution du décret sécurité (décembre 1994), la
programmation conjointe du tableau opératoire MARchirurgien pose encore problème. Elle implique le directeur
de l'établissement au même titre que les médecins. Tous sont
donc responsables d'une bonne ou mauvaise organisation.
Le rôle du conseil de bloc a été récemment rappelé. Une
planification des interventions chirurgicales correctement
menée éviterait un gaspillage de temps médical dans un
contexte d'aménagement du temps de travail.
De même, une réflexion sur les gardes à partir de l'activité
médicale de nuit doit être mise en place pour supprimer celles qui ne correspondent pas à un besoin à l'échelon du bassin de population concerné. D'autres types de permanence
des soins peuvent les remplacer, comme les astreintes,
donnant lieu à un repos de sécurité en cas de déplacement et permettant ainsi de dégager du temps médical.
Enfin, la réflexion à l'échelon régional devrait autoriser le
regroupement d'établissements ou de plateaux techniques,
comme cela a commencé dans quelques endroits.
Devant la baisse de la démographie des MAR, dans un
hôpital à la recherche de temps médical pour faire face
à la demande de soins liée au vieillissement de la
population, le transfert de compétences est une grande
tentation, mais présente le risque d'une démédicalisation dont il a été démontré que les premiers à en
pâtir seraient… les patients.
Michel DRU
Président du SNPHAR
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