PANCRASCOPIE N¡22

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PANCRASCOPIE N¡22
Débat
La sténose duodénale dans le cancer du pancréas :
le point de vue du chirurgien
l est important de définir la place du traitement palliatif chirurgical de la sténose duodénale
compliquant l’adénocarcinome du pancréas, en complémentarité avec les autres traitements
palliatifs possibles.
I
Du fait de son extension locale ou
générale, l’exérèse à visée curative de
la tumeur n’est envisageable que chez
un malade sur cinq au moment du diagnostic d’adénocarcinome du pancréas
[1-4]. Dans les autres cas, le traitement
palliatif des complications évolutives
(ictère, obstruction duodénale et douleurs) a pour but de préserver une certaine qualité de survie. Les méthodes
disponibles sont réparties entre différentes spécialités : endoscopie ou
radiologie interventionnelle, chirurgie.
L’estimation de l’espérance de vie au
moment du diagnostic et le type des
matériels prothétiques disponibles guident le choix des indications entre les
thérapeutiques chirurgicale et non chirurgicale. La preuve histologique de la
malignité et la certitude de la non-résécabilité sont exigibles pour réaliser un
traitement palliatif non chirurgical. La
connaissance des méthodes chirurgicales palliatives, de leurs indications et
de leurs résultats est utile lorsque la
décision de non-résection s’impose en
peropératoire.
La sténose duodénale atteint 10 à 15 %
des malades au cours de l’évolution de
l’adénocarcinome pancréatique ; elle
est rarement présente au moment du
diagnostic, et difficilement prévisible.
La survenue secondaire d’un syndrome
d’obstruction duodénale est comptabilisée comme échec de la palliation
endoscopique de l’ictère seul par comparaison aux traitements chirurgicaux
associant de principe la dérivation préventive gastrojéjunale à la dérivation
bilio-digestive. Les résultats des dérivations digestives préventives sont
4
controversés. EIles ne garantissent pas
nécessairement une autonomie alimentaire à la phase terminale de la
maladie.
Dérivation biliaire et
digestive versus
dérivation biliaire seule
En l’absence d’obstruction duodénale,
l’intérêt de la gastrojéjunostomie de
principe est controversé. Même, si elle
a allongé le temps opératoire, la dérivation gastrique associée à une dérivation biliaire n’augmentait pas dans
les études rétrospectives la morbidité
et la mortalité postopératoires.
En analyse globale dans les études non
randomisées, la morbidité et la mortalité postopératoire après une dérivation digestive étaient respectivement
de 24 % et 13 % et la morbidité et la
mortalité postopératoire sans dérivation digestive étaient respectivement
de 25 % et 15 % [5-13].
Dans deux études récentes, le temps
d’hospitalisation était plus long après
une double dérivation biliaire et digestive qu’après une dérivation biliaire
seule [12, 13].
Une seule étude a comparé de façon
randomisée la double dérivation biliaire
et digestive à la dérivation biliaire seule
dans le traitement palliatif du cancer du
pancréas non résécable [14]. Chez 194
malades éligibles, la mortalité (2 versus
2 %) et la morbidité (33 versus 32 %)
n’étaient pas significativement différentes entre les deux groupes. Le taux
de réinterventions pour obstruction
duodénale était de 17 % après une dérivation biliaire seule. Les auteurs sug-
Débat
géraient en conclusion d’associer de
principe la dérivation digestive à la dérivation biliaire parce qu’elle n’augmentait pas la morbidité, la mortalité postopératoire et la durée d’hospitalisation.
Si la dérivation biliaire seule peut se
compliquer d’une obstruction duodénale secondaire, la gastro-entérostomie a aussi sa propre morbidité.
Un retard à la vidange gastrique est
rapporté dans 15 % des dérivations
digestives [9,10,12-15]. Le retard à la
vidange gastrique se définit comme un
retard à la reprise de l’alimentation
orale au-delà du 10ème jour postopératoire. Plusieurs facteurs peuvent contribuer au retard de vidange gastrique.
Les vagotomies causées par des micrométastases, l’envahissement tumoral
des nerfs rétropéritonéaux ou l’action
inhibitrice d’hormones sécrétées par
la tumeur, l’effet non spécifique de
l’anesthésie et de l’intervention sur la
motricité digestive, l’œdème muqueux
de l’anastomose, l’inflammation périanastomotique (complication postopératoire), les sutures chirurgicales (longueur de l’anastomose) [16-18] ou un
circuit vicieux associé au passage d’aliments dans le duodénum ont été mis en
cause [19].
gastro-entérostomie précolique (p =
0,16) [20]. Dans la deuxième étude
portant sur 180 patients, le taux de
retard de vidange était de 9 % après
gastro-entérostomie transmésocolique
avec un taux d’obstruction digestive
de 2 % [11]. Dans l’étude randomisée
de Lillemoe et al, le taux de retard de
vidange gastrique était de 2 % (1/44)
dans le groupe ayant eu une gastroentérostomie transmésocolique et
aucun malade n’a eu d’obstruction
digestive jusqu'au décès. Les auteurs
de cette institution ont conclu que la
gastro-entérostomie transmésocolique
était la meilleure méthode de dérivation duodénale et devait être réalisée
systématiquement pour tout cancer du
pancréas non résécable.
Lucas et al ont proposé l’antrectomie
avec reconstruction gastrojéjunale
comme méthode de dérivation duodénale pour le traitement des cancers
du pancréas non résécables afin d’éviter le circuit duodénal des aliments,
source de vomissements [19,21]. La
durée d’hospitalisation postopératoire
était de 11,3 jours (extrêmes : 5-29).
Les auteurs ont suggéré ce type de
montage pour diminuer le retard de
Comparaison des
différents montages de
dérivation duodénale
Dans l’expérience de l’institut Johns
Hopkins [11,20], la gastro-entérostomie transmésocolique a été réalisée
en routine parce qu’elle était considérée comme éliminant virtuellement le
retard de vidange gastrique. Deux
séries de cette institution ont évalué
deux types de gastro-entérostomie. La
première étude a comparé, de façon
rétrospective, les gastro-entérostomies
transmésocolique et précolique. Le
taux de retard de vidange gastrique
était de 6 % (5/84) pour les gastroentérostomies transmésocoliques et
de 17 % (4/23) pour les précoliques
(p = 0,08). Le taux d’obstruction digestive était de 2 % après gastro-entérostomie transmésocolique et de 9 % après
vidange gastrique mais signalent cependant que les pertes sanguines et les
complications étaient importantes, que
la durée opératoire pouvait être allongée et que cette technique ne se prêtait pas forcément à des tumeurs localement avancées.
Une étude randomisée a comparé trois
types de gastro-entérostomie [22]. Un
premier groupe de 15 malades a eu
une gastro-entérostomie sur le jéjunum à 20 cm de l’angle de Treitz, un
deuxième groupe de 15 malades a eu
le même type de gastro-entérostomie
associée à une fermeture du duodénum à 1 cm au-delà du pylore et un
troisième groupe de 15 malades une
gastro-entérostomie sur l’anse en Y
utilisée pour l’anatomose biliodigestive à 60 cm de celle-ci. Les auteurs
ont conclu que les vomissements
étaient associés au maintien d’une perméabilité duodénale autorisant une
« ré-entrée » des aliments dans l’estomac. La fermeture du duodénum à 1
cm au-delà du pylore associée à une
anastomose à 20 cm de l’angle de Treitz
limitait ce risque.
suite page 6
EN PRATIQUE
La place du traitement chirurgical palliatif de l’adénocarcinome du pancréas se définit en fonction du stade de la tumeur au moment du diagnostic et de l’espérance de survie qui lui est rattachée, de l’efficacité immédiate
et à long terme des méthodes palliatives non chirurgicales, et des compétences et matériels disponibles pour une alternative thérapeutique nonopératoire.Tant que la résection, lorsqu’elle est possible, des adénocarcinomes
du pancréas ne sera pas contestée, il sera justifié de ne proposer de méthodes
palliatives non chirurgicales qu’aux malades pour lesquels la certitude diagnostique et la preuve de la non-réséquabilité (ou de sa futilité) auront été
rassemblées. Lorsque l’impossibilité de la résection s’impose en peropératoire, la dérivation bilio-digestive, associée à une dérivation gastro-jéjunale
pourrait être une attitude raisonnable. Les résultats des gastro-entérostomies peuvent être améliorés par des artifices techniques. Lorsque le plateau
technique disponible autorise le choix de toutes les méthodes non opératoires, tous les malades dont le pronostic estimé est inférieur à 6 mois
(métastases diagnostiquées, ascite, signes cliniques d’envahissement cœliaque)
devraient être considérés comme des contre-indications à la chirurgie. La
place de la laparoscopie dans ces traitements palliatifs apparaît limitée.
5
Débat
La sténose duodénale dans le cancer du pancréas : (Suite de la page 5)
Laparoscopie et
traitement palliatif de
l’adénocarcinome du
pancréas
La laparoscopie, associée ou non à
l’écho-laparoscopie permettrait de corriger l’évaluation de l’extension de la
tumeur et éviterait des laparotomies
« inutiles », essentiellement en raison
de la découverte d’une carcinose péritonéale, de métastases hépatiques
superficielles ou d’une extension vasculaire. Ces résultats et cette indication
sont controversés.
En raison de son impact sur la
survie, la découverte sous laparoscopie d’une carcinose péritonéale ou de métastases hépatiques devrait conduire à
proposer un traitement endoscopique palliatif au cours d’une
seconde anesthésie, plutôt
qu’une dérivation chirurgicale.
La place des dérivations biliaires ou
digestives poursuivies sous laparoscopie après une exploration diagnostique
défavorable apparaît donc limitée. Peu
d’études ont évalué les dérivations
biliaires et digestives par laparoscopie
dans le cancer du pancréas non résécable [23-26]. Dans les séries publiées,
le temps opératoire était de 75 à 90
minutes et la durée d’hospitalisation
était de 4 à 6 jours. La morbidité et la
mortalité postopératoires étaient respectivement de 12,5 à 33 % et de 0 à
8 %. Dans deux études, le suivi jusqu’au
décès des malades n'a pas recensé de
récidive de l'obstruction biliaire ou
digestive [23,26]. Ces résultats sont
discutables en raison du faible nombre
de cas étudiés et de l’absence de
groupe témoin.
Pr Bertrand Millat, Dr Frédéric Borie,
Chirurgie Digestive,
Hôpital St Eloi, Montpellier
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