Les NTIC au service du contrôle des masses

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Les NTIC au service du contrôle des masses
Les NTIC au service du contrôle des masses
Hugo BENOIST
Sous la direction de :
Christian Harbulot
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À mes parents
À mes ami(e)s
À Charles Pahlawan et Christian Harbulot
Et à tous ceux sans qui ce travail n’aurait pas été possible
2
Scientia potentia est
Hobbes, Le Léviathan, partie 1, chapitre X
3
M o t s
c l é s
_______________________________________________________________
Termes : Soft power, internet, hacker, informatique, luddite, philosophie, conférences Macy,
transhumanisme, libertarien, cybernétique, néoluddite, obsolescence, contrôle,
logiciels libres.
Acteurs : Gunther Anders, CIA, Jacques Ellul, NSA, Pièce et Main d’Œuvre, Edward Snowden,
Bill Gates, Theodore Kaczynski, Norbert Wiener, Ray Kurzweil, Livre de papier,
Google, États-Unis, les Désobéissants, Richard Stallman.
4
S O M M A I R E
Présentation du travail ............................................................................................ 6
I Une construction historique .......................................................................................... 7
A] Le courant techno-critique ........................................................................................ 7
1] Les luddites ........................................................................................................ 7
2] Les néoluddites ................................................................................................ 11
B] Le courant pro-technique ........................................................................................ 20
1] Les fondements................................................................................................ 20
2] La cybernétique ............................................................................................... 25
3] Le transhumanisme ......................................................................................... 31
II La pensée philosophique pour une réflexion autour de la technique ............ 41
A] Günter Anders .......................................................................................................... 41
1] Les thèses générales sur la technique ............................................................. 41
2] Ce que sont devenues les institutions humaines ............................................. 43
3] L’obsolescence de l’Homme ............................................................................ 46
B] Jacques Ellul ............................................................................................................. 48
1] Les thèses générales sur le techno discours .................................................... 48
2] Les thèses générales sur les nouvelles technologies ....................................... 50
3] Le terrorisme des nouvelles techniques........................................................... 53
III Les NTIC comme Soft power et contrôle des masses ........................................... 56
A] Internet : Soft Power américain ............................................................................. 56
1] Sur le plan culturel .......................................................................................... 56
2] Sur le plan de la surveillance ........................................................................... 60
3] Sur le plan économique ................................................................................... 66
B] Ce que sous-entend un cyber-monde ..................................................................... 71
1] Le capital technique......................................................................................... 71
2] L’ethical hacker................................................................................................ 73
C] Préconisations .......................................................................................................... 77
1] Préconisations Anders ..................................................................................... 77
2] Préconisations Ellul .......................................................................................... 79
3] Comment réagir ? ............................................................................................ 81
Conclusion générale ............................................................................................... 87
Bibliographie sélective............................................................................................ 88
5
PRESENTATION DU TRAVAIL
L’introduction des NTIC dans notre existence constitue le plus grand
bouleversement depuis l’invention de l’écriture. En effet, c’est tout un mode de vie qui
s’exprime dans ce changement radical. Souvent présentées comme libératrices, les
technologies nous posent chaque jour de nombreuses questions. Mais pour bien les
comprendre, et cerner les enjeux qui leur sont sous-jacentes, il convient d’explorer
différents points de vue.
Nous irons sans doute à l’encontre de l’idéologie du progrès qui est communément
admise, mais ce sont ces critiques qui nous permettront d’optimiser notre conception. Ce
travail part du postulat que les nouvelles technologies ont en elles une essence de contrôle
des masses. Ce contrôle peut s’exprimer à travers une idéologie, un modèle économique ou
encore par son usage des outils technologiques.
Afin de cerner les multiples aspects de l’objet technologique, nous construirons
notre travail en trois points distincts:
Le premier sera consacré aux fondements des théories techno-critiques, avec leur
construction historique passée (les luddites), puis les mouvements contemporains (les
néoluddites). Nous verrons aussi comment s’est construit le discours technophile ;
historiquement dans ses fondements, puis dans son expression actuelle à travers des
idéologies américaines (cybernétique et transhumanisme).
Dans un second temps, nous utiliserons la pensée philosophique de deux auteurs
qui ont consacré leur vie à l’étude de la technique : Gunther Anders et Jacques Ellul. Leurs
lectures et analyses nous permettront de faire surgir des aspects méconnus de la technique
et de ses implications.
Finalement, nous développerons davantage la thèse de notre travail, en étudiant
comment les NTIC sont employées par les États-Unis comme outils de Soft-power et de
contrôle. Nous reviendrons également sur différentes notions qui sont à prendre en compte
dans l’étude de la technologie. Nous conclurons enfin sur les préconisations que l’on
pourrait apporter suite aux différentes analyses qui ont été émises durant notre travail, que
ce soit sur le plan philosophique ou pratique.
6
I Une construction historique
Deux mouvements de pensée opposés trouvent leurs racines dans l’histoire et
s’affrontent aujourd’hui : le courant techno-critique, qui met en avant les aspects néfastes
de la technique, et le courant pro-technique pour qui la technique est l’avenir de l’homme.
A] Le courant techno-critique
Depuis toujours, des hommes soumis par un travail pénible ont tenté de se révolter
contre ceux qui les malmenaient. Mais les deux formes que nous allons présenter se
caractérisent par un modèle particulier. Les hommes ne s’opposent pas directement à
d’autres hommes ou à des institutions, mais à des machines. Nous allons expliquer comment
et pourquoi.
1] Les luddites
Contrairement à ce que l’on croit, le mouvement luddite du 19 ème siècle, les
« briseurs de machine », est un mouvement qui défend une certaine idée positive des
techniques. En effet, il était composé d’artisans bonnetiers, tisserands ou tondeurs, donc
d’hommes qui ont un propre savoir-faire, une technique qu’ils aiment et qu’ils défendent. En
revanche, ils n’aiment pas les technologies dans lesquelles ils voient l’exploitation ou un
nouvel ordre économique qu’ils rejettent. Nous allons expliquer leur mouvement en nous
replaçant dans le contexte de l’époque, puis nous expliquerons l’originalité de ce
mouvement après avoir montré que les différentes interprétations sur eux dépendent de ce
que l’on entend par « machine » et de la conception idéologique du progrès que l’on y met.

Historique
Déjà en 1730 le métier à navette flottante de J. Kay1 avait déjà été brisé ; en 1784, la
mule-jenny2 -qui mécanisait le filage du coton- avait été détruite ; en 1744 les soyeux de
Lyon se rebellaient contre la mécanisation et le travail rationnalisé.
1
John Kay (né le 17 juin 1704 à Bury et mort en 1780) est l’inventeur de la navette volante,
qui a contribué de façon essentielle à la révolution industrielle.
2
La mule-jenny est une machine à filer à énergie hydraulique
7
Mais le mouvement luddite fut un mouvement beaucoup plus important.
L’Angleterre était en crise, c’était la dix-huitième année de guerre. Bonaparte avait organisé
un blocus, les tissages se vendaient mal, le coton n’arrivait plus. C’était la disette et le
chômage. Le roi George III, devenu fou à la mort de sa fille, est remplacé par son frère
corrompu. Le pays semble déstabilisé. C’est à cette époque que des lettres de menaces
commencèrent à arriver dans tout le nord-ouest de l’Angleterre. Elles étaient signées d’un
mystérieux "Général Ludd" ou "Roi Ludd". Elles sommaient de renoncer immédiatement aux
machines préjudiciables à toute la communauté. Entre 1811 et 1816 des milliers de
machines, dans des centaines de villages ; furent détruites. On leur reprochait une
production de masse de mauvaise qualité qui ôtait tout savoir-faire et obligeait des
communautés soudées à abandonner les villages pour se rendre dans les villes déjà
surpeuplées et sordides. Le gouvernement suspectait un complot français qui viserait à
détruire toute leur production économique. Il envoya des espions pour déjouer les complots,
édicta une loi punissant de mort ceux qui casseraient les machines et en vint à envoyer
jusqu’à 12000 soldats.
Le mouvement peut se recouper en trois métiers, lieux et périodes :
1- les bonnetiers du Midland, de mars 1811 à février 1812 qui, outre la violence et
la destruction des machines, tentèrent en vain de mettre en place un « comité
unifié des tricoteurs de métier » afin de réguler la production.
2- les tondeurs du Yorkshire, à partir d’avril 1812, qui résistèrent violemment à ce
qui avilissait le métier, le travail grossier de la machine et la perte de certains
privilèges liés à leur fonction.
3- les tisserands du Lancashire à partir de février 1812, révoltés par le tissage
mécanique du coton.
Tous ces mouvements sont différents mais tous se caractérisent par de grandes
violences, puisqu’outre le bris des machines, il y eut des usines brûlées, des morts, des
lettres de menace…etc., souvent associées « au roi Ludd », emblématique personnage des
révoltes.
Ces hommes étaient-ils des passéistes, des rétrogrades, ne défendaient ils que leur
subsistance, ou sont-ils bien davantage que tout cela?
8

Interprétations du mouvement luddite selon le sens donné au mot « machine » :
Afin d’expliquer en quoi ce mouvement se caractérise et quelle interprétation on
peut en avoir, nous nous référerons à deux excellents articles sur ce thème : Le passé d’une
désillusion : les luddites et la critique des machines de V Bourdeau3 celui de M. Barrillon
Regards Croisés sur les luddites et autres briseurs de machines, la place de la technique dans
le changement social4, ainsi que l’ouvrage Progress without people de David E.Noble5.
Nous avons retenu trois interprétations différentes selon le sens de ce mot
« machine » :
1 Soit la machine symbolise les progrès matériels d’une société, aussi elle est neutre
et tout dépendra de l’usage que l’on en fait. (Marx pour qui, en gros, les luddites
s’y sont mal pris. Ils auraient dû s’en prendre aux hommes pas aux machines qui,
elles, sont neutres.)
2 Soit la machine est le reflet d’une société nouvelle qui inquiète et que l’on refuse
si on est lié aux traditions communautaires. (les luddites sont passéistes)
3 Soit la machine représente une caractéristique d’une certaine société, qui tient et
surveille l’homme au mépris de l’humain, caractéristique qui pourra être niée au
même titre que la société qu’elle implique. (les luddites sont des précurseurs)

Des hommes lucides sur l’avenir
Développons rapidement ces trois points
-1 Marx pensait que la praxis6 était un moteur positif pour l’homme. Il croyait au
progrès possible de l’humanité par le travail et par les machines qui pouvaient rendre ce
travail moins pénible. Mais l’avènement de ce progrès n’est réalisable que par la
dialectique7. Aussi, l’âge du capitalisme industriel pénible est un moment nécessaire pour
arriver à être dépassé pour un âge dans lequel tout homme, au lieu d’être aliéné par le
système capitaliste, bénéficierait de manière juste et avec moins d’efforts (par le biais des
machines) de son travail, de sa praxis. Aussi les luddites, selon lui, se sont trompés de
3
4
5
6
7
Puf, collection Actuel Marx n°39 2006/1
Presse de sciences Po, Ecologie et politique, 2008/3, n°37
Harvey & Jessie, janvier 1993
Mouvement qui, en transformant la matière, transforme aussi l’individu.
L’évolution à travers des contradictions apparentes.
9
combat. « Il faut du temps pour que les ouvriers dirigent leurs attaques non contre les
moyens matériels de production mais contre son mode social d’exploitation » 8. Leur lutte est
vaine et ne peut faire changer le système d’exploitation mis en place.
-2 Pour d’autres interprètes comme Calhoun, cité par Bourdeau, p.154, le
mouvement luddite est un mouvement passéiste. Ces hommes n’ont pas compris que la
machine, faisant baisser le coût de production, permet une vente plus aisée du produit et
une stabilité de l’emploi, puisqu’on peut réguler les prix plus aisément qu’en étant
indépendants. Les luddites représentent un consensus communautaire, « une culture de
groupe pas apte à s’insérer comme le seraient des ouvriers, à un autre système »
(capitaliste). Attachés au passé, ils s’opposent par leur économie morale et paternaliste à
l’ouvrier qui accepte les machines.
Ce fut qu’à la deuxième génération vers 1848 (les enfants des luddites) qu’ils
entrèrent dans le rang. Ils étaient moins apeurés par les changements, encore malléables et
la machine diminuait les efforts. Les révoltes furent (provisoirement) terminées, le
commerce devint florissant.
-3 Une autre approche a été proposée. Selon cette dernière, plus sociologique, ces
hommes étaient les témoins d’un passage entre deux mondes. La machine pour eux n’était
pas neutre, ils ne la rejetaient pas non plus par peur passéiste, mais parce qu’elle était
effectivement l’arme du pouvoir dans une histoire du progrès et qu’ils voulaient le montrer.
« Les luddites ne voulaient pas un avenir de progrès »9. Un homme derrière une machine est
un homme utilisé, contrôlé qui suit la machine et qui ne prend pas de décision, ni sur les
enjeux, ni sur les décisions futures. Aussi, en brisant des machines c’est « une lutte pour la
survie » car ce sont « les derniers à percevoir la technologie à l’échelle du présent et à agir
en fonction de cette perception. Ils détruisent des machines »10.
On peut donc ici voir ce mouvement comme un mouvement militant, résistant aux
fausses promesses des idéologues du progrès. Comme le dit Barillon 11 « Les luddites seraient
lucides, il auraient compris qu’il s’agissait de machine de contrôle, de surveillance » ou « ils
refusent une société dans laquelle la machine sert à autre chose qu’à la liberté politique,
8
9
10
11
Marx, cité p.145 par Bourdeau ibidem
ibidem p.160 Bourdeau, citant Noble (Progress without people)
Noble ibidem, cité par Burdeau p.162
p.54 (opus cité)
10
l’équilibre communautaire et l’autonomie, la compétence, le savoir faire face à son
travail »12, bref tout ce que feront disparaître les grandes usines du XIX ème. Comme le dit J.P.
Allinne « La guerre contre les machines n’est pas seulement une guerre contre la misère. Elle
est aussi le refus plus ou moins conscient de l’enfermement en usine et son cortège de
règlements »13. Refus qu’on pourrait finalement nommer le refus d’une société future d’un
homme sérialisé et interchangeable.
Nous avons donc vu que l’on peut interpréter au moins de trois manières
différentes ce mouvement historique. Ceux que l’on nommera les néo-luddites seront ceux
qui y voient un mouvement de résistance devant une idéologie progressiste imposée à tous
et prête à s’emballer. C’est ce que nous allons examiner.
2] les néoluddites
Après avoir étudié l'origine et les fondements des mouvements critiques envers la
technique, nous allons voir leurs formes modernes, à savoir les courants néo-luddites. Ces
derniers peuvent se répartir en deux groupes, en fonction de leurs modes d'action. En effet
certains, comme le terroriste américain Théodore Kaczynski ou le groupe français CLODO
(Comité de Liquidation ou de Détournement des Ordinateurs) se sont se distingués par leurs
actions violentes (bombe, colis piégé, incendie…). Tandis que d'autres collectifs comme Les
Désobéissants, Livre de Papier, OLS (Offensive libertaire et social) et PMO (Pièce et main
d’œuvre) sont davantage producteurs de connaissance, que ce soit par des réunions, des
articles ou encore des livres. Nous étudierons donc ces différentes formes de la contestation
envers le monde cybernétique et ses outils en nous appuyant sur cette distinction.

De la critique à l'action directe
- Théodore Kaczynski
Théodore Kaczynski est un brillant mathématicien de Havard qui fut également
professeur à l'université de Barkley. Du jour au lendemain il décide de quitter l'université et
le monde moderne pour aller vivre seul dans la forêt du Montana dans des cabanes qu'il
12
13
Burdeau p.163
In Emeutes anciennes ou émeutes nouvelles, collection Frankenstein L’échappée p.96
11
avait fabriquées14. Mais il ne se contenta pas d'une vie d’ermite. Pendant dix-sept ans, de
1978 à 1995, il envoya des colis piégés à différents protagonistes travaillant dans les
nouvelles technologies (informatique, aviation, sciences). En 1995, il fit publier par la presse
son manifeste15, ce qui marqua son arrestation, car son frère avait reconnu son écriture. Sa
traque par le FBI, qui le surnomma Unabomber (pour « UNiversity and Airline BOMbER »),
fut la plus chère de l'histoire des États-Unis. Son combat se faisait au nom de la « révolution
contre le système industriel »16. Car si Kaczynski attaque des informaticiens et des
professeurs de sciences, c'est qu'il les accuse de n'avoir « aucun rapport concevable avec le
bonheur de l’humanité »17.
En effet, étant le support de la société technologique, ils créent un « puissant
mouvement de masse »18 qui pousse les individus à vivre aliénés, dans la souffrance et dans
un « chaos social »19. Nous pouvons synthétiser la pensée de Kaczynski en plusieurs points :
- La gauche empêche toute révolution à l'encontre du système techno-industriel. Et
pire, elle le défend car les gauchistes utilisent « la technologie comme un outil »20
pour arriver à leurs fins. La mentalité de gauche est l'expression de la société
technologique.
- La société techno-industrielle implique un contrôle du comportement humain. Elle
s'exprime de différentes façons. « Les substances psychotropes ne sont qu’un des
exemples de contrôle »21 il y a aussi « les techniques de surveillance »22 (caméras,
collecte de données), les techniques de divertissement qui noient la masse
d'informations et l'influencent. Le contrôle passe aussi par l’éducation et la
psychologie qui prépare l'individu à être formaté pour la société technologique.
14
15
16
17
18
19
20
21
22
Lecourt Dominique, Humain post humain, annexe Unabomber, p127
La Société industrielle et son avenir, Theodore Kaczynski, septembre 1995
Ibid. paragraphe 4
Ibid. paragraphe 88
Ibid. paragraphe 91
Ibid. paragraphe 1
Ibid. paragraphe 223
Ibid paragraphe 146
Ibid. paragraphe 147
12
- Le progrès conduira inéluctablement à un désastre. Car en plus d’être antinomique
à la liberté, la technologie va « dépouiller les hommes de leur dignité et de leur
autonomie »23 et on ne pourra l'empêcher si l'on continue ainsi.
- Seule une révolution qui conduit à la destruction de la société technologique est
salvatrice. En effet, seul « un changement radical et profond dans la nature de
notre société »24 pourra amener l'Homme à changer son destin. Cela ne passe pas
forcément par une lutte armée, mais les réformes ne suffisent pas car « la
révolution propose de résoudre tous les problèmes en une fois et recrée un monde
nouveau »25
La pensée de Kaczynski peut s'assimiler à de l'anarcho-primitivisme, tant son désir
de quitter la technologie est forte. Il est intéressant de se demander comment ce professeur
est passé de tranquille mathématicien à terroriste. Certaines théories26 tendent à montrer
que Kaczynski aurait servi de cobaye pour les tests au LSD qui ont eu lieu à l'université de
Havard de 1958 à 1962. Ces expérimentations étaient organisées par la CIA dans le cadre du
programme secret illégal MKULTRA27 qui visait à créer des moyens pour le contrôle de
l'esprit et des masses par des psychotropes. Ces expériences l'auraient grandement affecté
et influencé.
- Le CLODO28
C'est en 1980 que ce groupuscule français fit parler de lui pour la première fois avec
l'incendie des sociétés liées aux NTIC, CII, Honeywell-Bull et Philips à Toulouse. Dans un
communiqué, relayé par la presse, ils se présentent comme des « travailleurs de
l'informatique »29 et déclarent que « l'ordinateur est l'outil préféré des dominants. Il sert à
23
Ibid. paragraphe 2
Ibid. paragraphe 140
25
Ibid. paragraphe 141
26
http://articles.latimes.com/1999/jul/06/local/me-53482
27
http://fr.wikipedia.org/wiki/Projet_MK-Ultra
28
Comité pour la Liquidation Ou la Destruction des Ordinateurs
29
Collectif, Les luddites en France, résistance à l'industrialisation et à l'informatisation, éd
l'échappée, p258
24
13
exploiter, à ficher, à contrôler et à réprimer. »30. Il s'en suivi d'autres attentats (six) jusqu'en
1983 où le groupe disparut de la place publique (on le supposa dissout). Leurs actions, que
ce soit par l'incendie de l'entreprise International Computers Limited ou du plasticage du
centre de traitement informatique de la préfecture de Haute-Garonne, ne firent aucun mort
ou blessé. C'était les infrastructures et leurs symboles qui étaient visés. En effet, ils avaient
« délibérément abandonné le chemin de l'idéologie et des programmes»31.
Assimilés au départ à Action directe par les médias, ils affirmèrent leurs distinctions.
Observant que la presse ne faisait que relayer leurs actions sans plus d'analyse sur le
fondement de leurs actions, ils diffusèrent une auto-interview en 1983 peu avant leur
disparition. Ils voulaient « interpeller chacun, informaticien ou non »32 afin de mener une
réflexion sur l'informatisation de la société, de ce qui nous était présenté comme une
évolution et un progrès. Ils affirmèrent qu'il fallait comprendre que l'ordinateur n'était qu'un
outil, qui agissait suivant la volonté des dominants. Ainsi, ils présentaient l'outil
technologique comme neutre. Une société aux valeurs plus justes donnerait et permettrait
un usage raisonné de la technologie (contrairement à actuellement où les travailleurs
informatiques ne se posent pas de question33). Pour eux, c'est donc la finalité de
l'ordinateur, qui est au service des Etats et des entreprises, qu'il faut condamner ; et non,
comme c'est le cas pour Kaczynski, la technologie dans son ensemble.
Les membres du CLODO ne furent jamais ni identifiés ni arrêtés.

Construction de la critique : la production de connaissances
- Les Désobéissants
Rencontré lors de conférences publique à Paris, le collectif des Désobéissants est un
groupe militant français. Leur terrain de lutte est vaste 34 : sexisme, nucléaire, immigration,
colonialisme… Ce qui ne place pas la question de la technologie au premier plan. Mais le
collectif intervint à maintes reprises sur cette thématique et produisit un ouvrage titré
« Désobéir à Big brother ». Dans ce court ouvrage, le collectif dénonce ce que la technologie
30
Ibid.
Ibid. p260
32
Ibid. p265
33
Ibid. p268
34
Ils produisent ainsi toute une série d'ouvrages aux éditions Le passager clandestin
http://lepassagerclandestin.fr/catalogue/desobeir.html
31
14
avait engendré dans une logique de contrôle :
- Banalisation du fichage35, avec la création de multiples fichiers informatisés au
niveau de l’État (police, école, administrations, etc.…)
- Banalisation du traçage36 avec les passeports biométriques, l'augmentation des
caméras de sécurité ou encore la géolocalisation par téléphone. De plus, les outils
et logiciels (iPhone, Windows par exemple) contiennent des fonctions cachées qui
tracent l'individu.
- Création de loi liberticide37 : La LOPSI 1 et 2 qui restreint la liberté de l'individu et
augmente la surveillance et le fichage. Ou encore HADOPI qui tente de contrôler
internet.
Ce collectif tente donc de défaire les idées reçues sur la technologie, en réfutant les
arguments qui tendant à justifier la surveillance, mais aussi en pointant la capacité contrôle
que les NTIC produisent. Ils mettent ainsi en avant le fait que la société de surveillance fait
plus confiance aux machines qu'aux humains38 et proposent des solutions pour rester
maitres de ces informations et lutter : protéger et en limiter la diffusion de ses données
personnelles, connaître son matériel et défendre ses droits.
Ce manuel est donc à l'usage des militants qui souhaitent lutter « contre Big
Brother ». Il touche surtout à des questions pratiques et n'avance pas une analyse de fond
sur le sujet. Lors d'une conférence sur la thématique, il fut surprenant d'entendre de la part
de Xavier Renou (qui dirige la collection Désobéir) avancer que, certes Facebook fichait tous
nos actes, mais c'était quand même un outil très utile pour créer un événement politique.
On constate donc que cette approche de la technologie suppose qu'il n'y a pas d'outils
intrinsèquement nuisibles mais il convient à chacun de se les approprier de la bonne
manière. Les désobéissants supposent donc qu'il est possible de maitriser tous les aspects
d'un instrument et que le NTIC n’ont pas d'essence.
- OLS
Offensive Libertaire et Sociale est un groupe libertaire français dont les champs
d'action sont divers (féminisme, écologie, immigration, éducation...). Rencontrés sur Paris
35
36
37
38
Collectif, Désobéir à Big Brother, éd le passager clandestin, p7
Ibid. p13
Ibid. p18
Ibid. p17
15
dans le cadre de la publication d'un numéro de leur revue titrée « La contre révolution
numérique », ils firent plusieurs débats et conférences sur le sujet en 2011. C'est au cours de
ces débats que leurs positions furent développées.
Ils critiquent la position des désobéissants sur le sujet, dont l'argumentaire était
jugé « facile ». La position d'OLS sur les NTIC est très proche de Pièce et main d'œuvre (PMO)
dont certains en sont aussi membres, et ils connaissent très bien la philosophie de Gunther
Anders et Jacques Ellul.
Leur critique se développe en deux points :
- une critique qu'ils présentent comme « plus classique » : la technologie est
totalitaire car elle permet le fichage et le contrôle des individus. Ils citent PMO qui
parle alors de « police totale »,
- une autre vision moins répandue qui concerne notre rapport à l'autre. : on constate
une perte de notre rapport à l'être vivant. Les réseaux/Internet requièrent une
utilisation technique dont on devient dépendant ; cela revient à réduire le vivant à
un système, amenant à une perte du sensible et des affects. Car réduire le langage à
un pur contenu pratique sans communication d'émotion rend absent le rapport
dialectique/dialogique. « L'enchantement » est perdu dans le quotidien.
Ce groupe ne se présente pas comme technophobe mais comme techno-critique. Il
affirme qu'il faut un retour à la convivialité, supprimer l'écran entre soi et la vie. L'élan du
vivant est annihilé dans le monde cybernétique, remplacé par un élan artificiel, faussé. Pour
ce groupe, il y a un usage inscrit dans l'outil. L'usage des données est une réduction de la
réalité en numérique. Ce n'est donc pas la faute de la société (bien qu'elle influence
fortement), mais une essence propre à la technologie qui est à blâmer.
Une des productions affiliée à OLS est le journal (dont découle un collectif) Livres de
papier, journal des réfractaires à l'ordre numérique. Dans ce document, entièrement voué à
la critiques des NTIC, ils défont les arguments technophiles et développent un discours de
réflexion critique sur l'usage du numérique dans l'édition. Il est possible de synthétiser leurs
positions de la manière suivante :
- la technique n'est jamais neutre, la technologie (mélange de la technique et de la
16
science) vise à transformer le monde39. Elle contient en effet une idéologie avec
un ensemble de valeurs.
- il est « urgent et nécessaire de stopper une bonne part de ces innovations
destructrices »40. Le livre constitue un des derniers paliers de résistance à l'ordre
numérique.
- le collectif est technophile car il défend des « savoir-faire propres à la chaine du
livre »41 face à l'élan de numérisation. De plus, le collectif est composé de
nombreux techniciens (informaticiens, scientifiques…).
- l'histoire et l'évolution ne sont pas linéaires. Elles sont influencées et organisées
par « des multinationales et des start-up, et soutenues par les Etats »42.
- la dématérialisation constitue un espace « industriel et commercial »43dont le
modèle économique repose sur la publicité, le marketing et le divertissement.
Ainsi, la lecture numérique qui répond au culte de la vitesse et de l'immédiateté
diffère totalement de la lecture papier.
- La numérisation « permet à une minorité de s'enrichir au nom du prétendu bienêtre de tous. Est entrenue, à dessein, une grande confusion entre démocratisation
et massification »44 . On constate entre autre le monopole de grands groupes :
Amazon, Google, Sony…
On peut donc constater que bien qu'ayant pour objet le livre et sa numérisation,
Livre de Papier arrive à produire une réelle réflexion approfondie sur l'usage et le
développement des NTIC. On remarquera au passage, que leur vision de la technique se
distingue fortement des désobéissants pour qui la société influençait la technique, et non
l'inverse.
39
40
41
42
43
44
Livres de papier, journal des réfractaires à l'ordre numérique, p1
Ibid. p2
Ibid. p2
Ibid. p2
Ibid. p3
Ibid. p3
17
- PMO
Pièce et Main d'Œuvre est un collectif grenoblois, qui a commencé ses activités vers
les années 200045. Son champ d'action est uniquement centré sur les nouvelles technologies,
qu’il s’agisse des nanotechnologies, des puces RFID, d'informatique ou encore de téléphone
portable. Leur production livresque est assez conséquente (environ onze ouvrages, tous aux
éditions l'Echappée) et ils écrivent également régulièrement sur leur site web. Ce collectif
est peu accessible. Il n'organise pas d'évènements publics, et refuse de rencontrer des
scientifiques, sociologues ou encore de participer à des débats médiatisés46. Nous tenterons
ici de synthétiser sa pensée en nous appuyant sur différents ouvrages de sa production.
Dans l’ouvrage « La tyrannie technologique : critique de la société numérique »
PMO dresse différents aspects du monde cybernétique. Tout d'abord, sont développés les
arguments « technologistes », dont nous en exposerons certains:
- la technologie serait salvatrice. Se basant sur Jacques Ellul 47, est démontré que
notre société devient de plus en plus invivable.
- la technologie amènerait la gratuité et la baisse des coûts. Elle servirait en fait à
« accrocher les clients et à affaiblir les petits concurrents »48
- la technologie amènerait du partage. Ceci serait illusoire 49 car il n'y a pas de
réciprocité d'échange dans la société virtuelle.
- la technologie amènerait de la liberté. En réalité, ce n'est rien d'autre qu'un
« comportement régressif érigé en norme »50
- la technologie permettrait l'accès à la connaissance. Or se cultiver, est un
engagement qui se fait sur le temps, en faisant des expériences, en recourant à
des médiations. On ne peut construire une vraie pensée devant le flot continu
d'informations.
PMO démontre ainsi que les différents arguments en faveur des NTIC sont souvent
infondés. De plus, le monde cybernétique conduit à différents constats peu reluisants. PMO
45
Exactement depuis automne 2000
http://www.piecesetmaindoeuvre.com/spip.php?page=plan
46
Ils présentent leurs arguments sur le pourquoi d'un tel refus sur leurs sites
http://www.piecesetmaindoeuvre.com/spip.php?page=resume&id_article=475
47
La tyrannie technologique : critique de la société numérique, éd l'échappée, p34
48
Ibid. p35
Ibid. p37
Ibid. p38
49
50
18
explique ainsi qu'il y a lieu à une uniformisation des modes de pensée et des modes de vie
de par l'utilisation des machines. Par exemple le nombre de langues parlées diminue de plus
en plus51.
Nous vivons dans un monde cerné par les écrans. Les ordinateurs et les télévisions
ont pris une place privilégiée dans les foyers, remplaçant le dialogue de personne à
personne. Cela traduit la volonté de ceux qui contrôlent les NTIC de « s'emparer de tous les
instants de nos vies »52. Ce formatage du réel, qui devient espace numérique, nous conduit
non seulement à modifier notre conception de la sociabilité, mais aussi à perturber notre
vision de l'espace et du temps, qui subit une « dissolution »53. En effet, ce qui caractérise le
numérique, c'est son immédiateté. Il agit dans la dimension de « l'infiniment petit et de
l'infiniment court »54 et génère une dépendance de la part de l'utilisateur.
Autre critique des NTIC : le fichage et le traçage qu'elles induisent. Le téléphone
portable peut être transformé en mouchard, « même éteint »55, qui nous géolocalise. Ces
outils (téléphone, puces RFID, Internet...) nous préparent à la « domestication totale »56 c'est
à dire faire de nous des êtres qui aiment s'auto-ficher, qui ne pensent que par la
transparence et l'acceptation de la domination par les machines. La société numérique nous
rend ainsi impuissants face au monde. Elle contrôle tous nos mouvements et actions. C'est la
« police totale » que nous présente PMO : un espace ou la liberté a disparu, où les formes de
résistance sont annihilées et la conscience dirigée. La technologie n’est rien d’autre que du
pouvoir sur le monde, de la part de ceux qui en ont le privilège sur ceux qui en sont privés.
Alors, comment s'extraire ?
En prenant l'exemple de la biométrie, PMO propose la révolte (certains membres
furent d'ailleurs condamnés pour avoir détruit des machines biométriques). Il convient
d'abord de défaire les « pseudos critiques »57, c'est à dire celles qui relèvent les
incohérences du monde cybernétique, mais qui ne font pas de critiques réelles de fond ou
51
52
53
54
55
56
57
Ibid. p21
Ibid. p64
Ibid. p128
Ibid. p108
Ibid. p179
Ibid, p181
Ibid, p210
19
une vraie remise en question. Il faut donc un discours radical, qui ne puisse pas être remis en
cause. Il faut également se réapproprier nos vies c'est-à-dire militer contre le tout
électronique : administration, achats, rapports sociaux. C'est une lutte pour un mode de vie
permanent, qui doit être exprimée au plus grand nombre pour éclairer le peuple trop
longtemps
laissé
dans
l'ignorance
-voire
pire :
manipulé
par
les
dirigeants
(entreprises/États). La critique de la technique peut rendre « paranoïaque » car elle est « à la
croisée des chemins : l'identification ou la révolte »58
Nous observons donc que ces différents courants et collectifs néoluddites analysent
et agissent différemment.
Certains estiment que la technique est neutre et que c'est la société qu'il faut
changer. D'autres au contraire affirment qu'elles possèdent une essence et que c'est la
technologie elle-même qu'il faut remettre en question.
Ces différentes positions nous auront en tout cas permis de mieux cerner la
question et ses aboutissements.
B] Le courant pro-technique
En opposition avec ce que nous avons vu, d’autres protagonistes sont persuadés
que la science et son application pratique par le biais des machines autorise davantage de
liberté pour l’homme. Après un bref historique et l’idée de scientisme, nous examinerons
deux courants pro-techniques : la cybernétique et le transhumanisme.
1] Les fondements
Nous examinerons rapidement l’arrière fond des idéologies portées par un
optimisme vis-à-vis des techniques qui expliquent un peu mieux pourquoi notre société
actuelle a pu se retrouver aujourd’hui sous la coupe d’une société des machines. Nous
verrons pourquoi Rousseau avait tout à fait compris les enjeux de ce problème vis-à-vis d’un
changement possible de société. Puis, en évoquant très rapidement les idéologies du
progrès, nous comprendrons pourquoi la toute-puissance de la science a pu se légitimer.
58
Ibid, p214
20

Les techniques amènent- elles le bonheur ?
Le dix-septième siècle est aussi celui de l’âge des machines. Descartes, dans la
sixième partie de son Discours de la méthode, défend l’idée que « le mécanisme universel, la
technique, ses effets doivent améliorer la vie des hommes enfin maîtres de la nature ». Mais
c’est au dix-huitième siècle que les enjeux des nouvelles technologies sont tout à fait bien
posés. Les philosophes des Lumières offrent la science et ses applications techniques au
grand public dans l’Encyclopédie59.
Rousseau, un de ses rédacteurs pose alors LA question essentielle vis-à-vis de leur
avenir : à quoi bon ? Pour lui, ce n’est pas l’or et l’argent qui ont corrompu la société mais le
paraître, les apparences, le luxe et toutes les machines mises en place pour les satisfaire. Les
machines ôtent les capacités essentielles, et les villes regroupant les manufactures,
corrompent les hommes et leur ôtent définitivement leur liberté. « [Les puissants] sentirent
que pour mieux dominer le peuple il fallait lui donner des goûts plus dépendants »60. De là
l’introduction du commerce, de l’industrie et du luxe, qui, liant les particuliers à l’autorité
politique par leur métier ou par leurs besoins, les fit dépendre de ceux qui gouvernent.
Rousseau juge ceux que nous nommons technophiles irresponsables « Tous ces gens-là sont
sottement ingénieux : on croirait qu’ils ont peur que leurs bras et leurs doigts leur servent à
quelque chose tant ils inventent d’instruments pour s’en passer. Pour exercer un seul art, ils
sont asservis à mille autres ; il faut une ville à chaque ouvrier. Pour mon camarade et moi,
nous mettons notre génie dans notre adresse, nous nous faisons des outils que nous
puissions porter avec nous. »61 Il est aussi frappé par la misère des paysans assignés à des
impôts de plus en plus lourds par leurs propriétaires 62 afin de financer les manufactures
naissantes et il ne veut pas d’une société dans laquelle « le luxe peut être nécessaire pour
donner du pain aux pauvres: mais, s'il n'y avait point de luxe, il n'y aurait point de pauvres. »
59
L’Encyclopédie ou Dictionnaire raisonné des sciences, des arts et des métiers est une
encyclopédie française, éditée de 1751 à 1772 sous la direction de Diderot et D’Alembert.
60
Rousseau, Constitution pour la Corse, La Pléiade, p 916
61
Œuvres de Rousseau, édition Armand 1829 t.1 p.82
62
« Les prix de toutes choses haussant avec la multiplication de l’argent, il faut aussi que les
impôts haussent en proportion, de sorte que le laboureur se trouve plus chargé sans avoir plus de
ressources. Le laboureur qui... est contraint de payer à des termes fixes pour le terrain qu’il cultive
n’est pas maître d’attendre qu’on mette à sa denrée le prix qu’il lui plaît... [il] est forcé de le vendre
pour payer la taille » in Economie Politique
21
Et il ajoute « le luxe nourrit cent pauvres dans nos villes, et en fait périr cent mille dans nos
campagnes »63
Contre Rousseau, Voltaire, engagé également contre la misère, voit au contraire
dans l’accroissement des techniques un espoir pour l’humanité. « Ô le bon temps que ce
siècle de fer, Le superflu, chose très nécessaire, »64
En produisant davantage et en accroissant le nombre d’entreprises, d’ouvriers et de
techniques, on accroitra le niveau de vie de toute une population, qui cessera définitivement
de vivre dans le dénuement, et on améliorera le sort des villes. Derrière cette idéologie, on
peut voir effectivement toute celle de la libre entreprise en germe. C’est l’idée que derrière
l’accroissement des marchandises, des besoins et des richesses ainsi gagnées chacun y
trouvera son compte, du plus pauvre, désormais salarié et extrait de la misère, au plus
entreprenant, désormais récompensé, non par sa naissance mais par son mérite.
Rousseau sera très critique vis-à-vis de cette manière méritocratique de concevoir
la société. Pour lui, on l’a vu, les techniques créent de faux besoins, mais surtout derrière ces
machines ces hommes perdront la seule chose vraiment humaine : leur liberté. Ils seront
esclaves des machines et des frais qu’ils entreprendront pour acheter quelques biens alors
que le luxe sera encore l’apanage des puissants. Nous connaissons la suite et on pourrait se
demander si, évidemment, outre l’intérêt de suprématie de pouvoir qu’engrangent les
techniques, ce n’est pas le peuple lui-même qui a abdiqué volontairement sa liberté pour
être pris en charge plus confortablement par le pouvoir. « On vit heureux dans l’antre du
Cyclope »65 ce, qu’évidemment Rousseau souligne mais rejette.

Les idéologies du progrès
Même si les civilisations de l’Antiquité et du Moyen Age voyaient plutôt l’Âge d’Or
comme passé (définitivement perdu), beaucoup de civilisations messianiques en revanche le
prévoient dans le futur sous des formes différentes. Il peut s’agir d’un homme
63
Dernière réponse, Œuvres Complètes, Bibliothèque de la Pléiade, Gallimard, tome 3, page
79, note de bas de page.
64
Le Mondain 1736, Œuvres complètes de Voltaire, Volume 3, Partie 2
65
Discours sur l’origine de l’inégalité, 1755
22
(christianisme) ou d’une conquête de l’Esprit sur la matière (Hegel). Pour Hegel, même si les
hommes ne le comprennent pas, l’Esprit progresse dans le monde et il prend parfois des
formes insoupçonnées (guerre) afin de progresser dialectiquement pour aboutir à la liberté
des hommes. Pour Marx ce sont les hommes qui font progresser l’histoire, et là encore cela
nécessite parfois des formes dialectiques pénibles (luttes de classes) pour déboucher sur la
liberté.
Ces prophéties d’un monde meilleur s’appuient finalement sur l’idée que la
personne humaine est considérée comme un moyen pour les générations futures. Le XIX ème
siècle, inspiré par des multiples progrès scientifiques, est certainement celui qui a le plus
baigné dans cette idéologie. Il y avait certes quelques détracteurs aussi variés que les
romantiques ou Schopenhauer (professeur presque seul lors de ses cours alors que ceux
d’Hegel étaient remplis) qui se rejoignent dans leur pessimisme face à l’avenir. Cependant, la
majorité des intellectuels était persuadée que ce siècle des techniques appliquées était le
seuil de l’avènement d’une société supérieure. Cette idéologie entraînera avec elle des
sociétés fort différentes comme le communisme (naissance d’un homme nouveau dans une
société égalitaire) ou le nazisme (naissance d’une société pure de race aryenne) ou moins
politisées en apparence comme le scientisme que nous allons examiner.

Le scientisme
Le scientisme est un concept plutôt qu’un mouvement. Il désignait un espoir, celui
que le développement accéléré des sciences (et par la suite des techniques qui mettent en
application les sciences) amènerait forcément pour l’homme une connaissance totale de la
réalité et permettrait des progrès considérables, aussi bien pratiques par ses implications
que moraux. L’homme parviendrait enfin « à se rendre comme maître et possesseur de la
nature »66 pour reprendre la formule de Descartes. Aujourd’hui, ce mot a perdu sa
connotation positive et indique plutôt une crainte envers ceux qui ont eu cette croyance et
n’ont pas su y opposer de limites.
66
Descartes Discours de la méthode IVème partie.
23
Le scientisme comme valeur positive est très développé au 19 ème siècle et se voit
encore aujourd’hui réinterprété chez tous ceux qui pensent que la science expliquerait bien
mieux le monde que d’autres tentatives non falsifiables par exemple la plupart des sciences
humaines. Ainsi par exemple certaines branches de la neurobiologie scientiste expliquent
certains troubles psychiques par des défaillances physico-chimiques du cerveau (qu’il faut
donc traiter par des médicaments ciblés) alors que les sciences humaines y verront une
cause externe comme l’éducation, l’époque, le résultat d’un contexte coercitif, etc., qui
transforme l’équilibre du sujet. Nous voyons ainsi clairement que deux manières de penser
le monde se font face. L’une donne tout pouvoir aux scientifiques bien plus aptes à
gouverner les hommes et le monde parce qu’ils ne seraient pas teintés d’idéologie, de
sentiments, d’ethnocentrisme et que leur réponse serait totalement objective (les
scientistes). Et l’autre qui interpréterait le monde en fonction de critères externes (pouvoir,
relations, sentiments, etc….susceptibles d’interprétations diverses et subjectives).
A l’opposé, les penseurs en sciences humaines montrent bien que la prétention à
l’objectivité en sciences est vaine puisque c’est un discours lui-même teinté de préjugés
« Les instruments ne sont que des théories matérialisées. Il en sort des phénomènes qui
portent de toutes parts la marque théorique. »67 ou Kuhn « Toute science est toujours
teintée de préjugés, elle repose sur des croyances, des valeurs, des habitudes intellectuelles
propres à un moment donné»68. Le rêve des scientistes devrait désormais disparaître sous
peine d’abandonner tout crédit à la science elle même si elle prétend être universelle et
totalisatrice. Les deux domaines se complètent (même si la majorité des scientifiques
voudrait garder ses prérogatives) en connaissant chacun leur limite et en diminuant leur
prétention à une vérité unique de description du monde. Désormais, le véritable savant ne
s’attache plus seulement à l’objet qu’il a en face de lui, mais aussi aux réseaux qu’il
entretient avec le monde, et surtout aux enjeux de cet objet face au monde. Ce qui implique
alors une part de responsabilité dans le fait même d’être « scientifique »
67
68
Bachelard Le Nouvel Esprit scientifique (1934) PUF p.16
Kuhn, Structures des révolutions scientifiques (1962) coll. Champs Flammarion p.167-169)
24
Nous avons vu brièvement comment s’était mise en place l’idée que la science et les
techniques pourraient améliorer le sort des hommes ou expliquer entièrement ce qu’il est
ou peut devenir. Nous allons illustrer cet espoir à travers la cybernétique.
2] La cybernétique
Le mot cybernétique vient du grec kubernêtikê (κῠβερνήτης) art de piloter un navire
mais aussi l’art de gouverner. En 1834, le physicien André-Marie Ampère parle de
cybernétique pour désigner l'art de gouverner les hommes. Le mot fut ensuite réutilisé par
le mathématicien américain N. Wiener [1894-1964] en 1948: “We have decided to call the
entire field of control and communication theory, whether in the machine or in the animal,
by the name Cybernetics69 (Norbert Wiener, 1948, p. 19).
La cybernétique contient ainsi dans son essence l’idée de contrôle, qu’il s’agisse
d’engin ou d’hommes. C’est cette idée qu’a retenue Norbert Wiener lorsqu’il a choisi ce
terme pour désigner cette nouvelle « science du contrôle par machines à information, que
ces machines soient naturelles comme les machines organiques, ou artificielles. »70
Nous verrons dans un premier temps comment la cybernétique est née à la suite
des conférences de Macy. Nous étudierons ensuite les concepts clés de la cybernétique.
Enfin, nous nous pencherons sur le devenir de cette science.

Les conférences Macy et la naissance de la cybernétique
Il est important de noter le contexte dans lequel ces conférences sont nées. Nous
sommes juste après les horreurs de la deuxième guerre mondiale71, devant le constat
effrayant des régimes totalitaires et fascistes, au début de la guerre froide.
La Josiah Macy Fondation72 organise à New York, à l'initiative du neurologue
Warren McCulloch73 des conférences dites « Conférences Macy ». Après une première
69
« Nous avons décidé d'appeler l'ensemble du champ de la théorie du contrôle et de la
communication, que ce soit dans la machine ou dans l'animal, par le nom de cybernétique »
70
Raymond Ruyer, La cybernétique et l’origine de l’information, p7
71
En pleine guerre, lors de la toute première conférence de 1942 dont nous parlerons plus
tard.
25
conférence en 194274, elles eurent lieu à intervalles réguliers de 1946 à 1953. Furent invités
des
représentants
de
nombreuses
disciplines :
des
mathématiciens,
logiciens,
anthropologues, psychologues et économistes. Certains membres de la CIA 75 étaient
également présents. L’objectif était d'édifier une science qui puisse permettre de
comprendre le fonctionnement de l'esprit. Il s’agissait alors d’agir face au fascisme afin
d’éviter que se reproduise une pareille catastrophe. Les conférenciers de toute discipline et
de tout pays76 tentèrent une approche interactionnelle du comportement humain.
Comment éviter le retour du totalitarisme ? Simplement en changeant la nature de
l’homme et son modèle culturel. Car en l’homme se trouvait une construction qui l’amenait
« naturellement » à adopter des comportements qu’il s’agissait d’éradiquer. On parle alors
de matrice autoritaire77 qu’il faut absolument faire disparaître. Pour ce faire, il convient de
pénétrer dans la conscience des hommes, prendre en quelque sorte le contrôle de cette
conscience pour qu’elle agisse de manière conforme aux souhaits de ceux qui contrôlent.
Ces conférences ont ainsi un objectif clair et affiché : fournir les outils qui
permettront une nouvelle conscience, et, par conséquent, l’avènement d’un nouvel ordre
mondial. Celui-ci se devra d’être post national et multiethnique, réaction à ce qui s’était
passé durant la guerre 39-45. L’élaboration d’une théorie des systèmes 78 permettra un
contrôle de tous les systèmes –biologiques, sociaux79 ou technologiques- et ainsi aura prise
72
La Josiah Macy, Jr. fondation, appelé aussi Fondation Macy, est un organisme américain
d'aide dans le domaine de la santé et de l'éducation.
73
Warren McCulloch (1898-1969) était un chercheur en neurologie.
74
La Fondation Macy organise en mai 1942 à New York une conférence sur le thème de l'«
inhibition cérébrale » L'organisateur est le neuropsychiatre et mathématicien Warren McCulloch.
Parmi les participants, on trouve le neurophysiologiste Arturo Rosenblueth, le couple
d'anthropologues Gregory Bateson et Margaret Mead, le psychanalyste Lawrence Kubie et le
psychiatre Milton Erickson
75
THE NET (LA TOILE) "Voyage en cybernétique", documentaire réalisé par Lutz Dammbeck en
2003
76
Claude Lévy Strauss participa aux travaux d’une conférence
77
Max Horkheimer et Theodor Adorno dans l'étude élaborée par l'école de Francfort intitulée
"La personnalité autoritaire".
78
Le mot « système » est issu du grec ancien « systema », signifiant « ensemble organisé »
79
Les conférences de 1947 et 1948 ont pour sujet : Circular Causal and Feedback Mechanisms
in Biological and Social Systems
26
dans de multiples domaines. La programmation d’un homme nouveau anti-autoritaire80 sera
désormais possible. Et la science qui rendra la chose possible a un nom : la cybernétique81,
nom proposé par Norbert Wiener considéré comme le père de la cybernétique.

Les concepts clés de la cybernétique
- Système et équilibre
La cybernétique est une science du contrôle des systèmes, que ceux-ci soient
vivants ou non. Le système, pour la cybernétique, repose sur l’interaction de ses éléments.
Or, chaque action d’un élément sur un autre entraîne nécessairement une rétroaction –
feedback- en retour. Et cette rétroaction aura une conséquence sur l’action future. Les deux
éléments concernés sont ainsi reliés par ce que l’on nommera boucle de rétroaction (ou
boucle de feedback).
Supposons une boucle qui relie un élément A à un élément B. Elle sera dite
"positive" si la variation dans le sens de la valeur de A produit une variation dans le même
sens pour B. Les boucles positives amplifient donc les tendances. Elle sera dite négative si la
variation dans le sens de la valeur de A produit une variation de sens opposé pour B.
Un système équilibré aura donc des boucles négatives : A fait augmenter B, mais en
retour l'augmentation de B fait diminuer A. Pour déséquilibrer un système, il faut introduire
des boucles positives.
Prigogine82 a montré qu’un système qui s’éloigne de son point d’équilibre peut,
dans certaines conditions aller non pas vers sa disparition, mais vers la création d’un nouvel
ordre, d’un nouvel équilibre. En créant des situations extrêmes, on a donc la possibilité de
créer une nouvelle structure.
On peut donc agir directement sur l’équilibre d’un système.
80
THE NET (LA TOILE) "Voyage en cybernétique". Ce documentaire réalisé par Lutz Dammbeck
en 2003 est inspiré de son livre Das Netz - die Konstruktion des Unabombers
81
La conférence de 1950 comporte le mot « cybernétique » dans son intitulé : Cybernetics:
Circular Causal and Feedback Mechanisms in Biological and Social Systems
82
Physicien et chimiste belge d'origine russe, né à Moscou, qui reçut le prix Nobel de chimie en
1977
27
- Rétroaction (ou feedback) et autorégulation
Un réfrigérateur peut permettre de comprendre ce qu’est un système cybernétique
rudimentaire. Il possède deux éléments, un refroidisseur et un thermostat, liés par une
boucle négative: ainsi, l'augmentation de la chaleur déclenche d'elle-même la mise en route
du refroidisseur, provoquant en retour (rétroaction) la baisse de la température, qui
produira à son tour l’arrêt du refroidisseur.
Ce système cybernétique s'autorégule. Il est équilibré. Une tendance dans un sens y
crée les conditions de la tendance inverse. De tels systèmes manifestent une grande stabilité
dans le temps. Notre corps s’autorégule dans un état sain. En cas d’infection –qui
déséquilibre le système-, la température grimpe et on a de la fièvre. De même, les systèmes
issus de la nature (écosystème, cellule, organisme) montrent leur équilibre grâce à ces
boucles négatives ou l’action est compensée par la rétroaction. Nous voyons bien ici que la
cybernétique est une science du contrôle et de l'information. Il s’agit pour elle de connaître
et de diriger des systèmes complexes.
-Apprentissage, automation83 et communication
L’homme et la machine ont ceci de commun que leur possibilité d’apprentissage est
immense. Mais la sensibilité de l’’homme le rend différent de la machine : la sensibilité
intervient dans l’action, tout comme d’autres caractéristiques humaines : curiosité, peur,
morale. La machine agit indépendamment de ces facteurs, alors que l’être humain unique,
intègre l’information selon sa sensibilité et interagit avec son milieu selon son histoire. Bien
entendu, le nouvel ordre mondial n’est guère compatible avec un être si singulier.
La machine, selon Wiener, est porteuse d’une mutation capable du meilleur comme
du pire. C’est pourquoi il rédige Cybernétique et société84 où il expose les nouveaux
problèmes que l’humanité devra affronter avec la crainte de l’impossibilité de les résoudre.
Les sociétés seraient prises au dépourvu. Il était conscient des bouleversements sociaux que
l'automation allait provoquer. En vain, il a cherché à alerter les autorités politiques et les
syndicats sur « les risques de chômage généralisé qu'une automation sauvage de l'industrie
83
Anglicisme : action de rendre automatique un processus.
Cybernétique et société, L'usage humain des êtres humains, Norbert Wiener traduit par
Pierre-Yves Mistoulon, paru le 03/04/2014, Points Sciences, 224 pages
84
28
ne manquerait pas de provoquer »85. Wiener avait bien compris que la cybernétique était un
outil redoutable dont la puissance de contrôle deviendrait vite irréversible. Son refus
définitif de collaborer avec l’armée montre de manière évidente la réelle dangerosité de la
cybernétique.
La cybernétique, à la recherche des lois générales de la communication, concerne
des phénomènes très variés -naturels ou artificiels-. Les machines, les animaux, l’homme ou
la société. Le message peut être un message d’entrée, nommé input. Il peut également être
un message de sortie (output). Seul le comportement est déterminant selon les informations
émises ou reçues. L’homme n’est plus qu’un être communicant86 totalement manipulable
car sans esprit critique, sans intériorité, réduit à sa seule dimension d’élément. La conscience
personnelle n’est plus, il n’est donc plus maitre du lien qui l’unit à la société qui devient alors
un système complexe manipulable dont il n’est qu’un élément. Une véritable manipulation
des cerveaux est alors envisagée et même réalisée87. « Pour l’homme, être vivant équivaut à
participer à un large système mondial de communication » pensait Wiener. Et il était
convaincu que c’était la communication entre les systèmes qui favoriserait l’évolution sur
terre.

Le devenir de la cybernétique
- Cybernétique et contrôle social
Nous avons vu que, par essence, la cybernétique est une science du contrôle et de
l’information. L’objectif étant la connaissance et le pilotage de systèmes. Aussi bien l’homme
que la machine peut s’occuper du pilotage. N. Wiener estime que la délégation du pouvoir
de décision à la machine est un danger très grand. La machine est là pour exécuter, et
l’homme pour commander : comment exiger d’une machine une réflexion sur les
85
http://www.lecreis.org/colloques%20creis/1998/is98_actes%20colloque/g_lacroix.html
C’est l’avènement nécessaire de l’homo comunicans que Philippe BRETON décrit comme «
un être sans intériorité et sans corps, qui vit dans une société sans secret, un être tout entier tourné
vers le social, qui n’existe qu’à travers l’information et l’échange, dans une société rendue
transparente grâce aux nouvelles machines à communiquer » Philippe BRETON, L’utopie de la
communication, La Découverte, 1992, p. 46
87
« Après le contrôle des émotions et des situations, l’ingénierie sociale s’est beaucoup
intéressée au contrôle direct du cerveau, dans l’optique de court-circuiter le champ des
représentations pour s’attaquer directement à la programmation du système nerveux dans sa
matérialité la plus brute. » in Gouverner par le chaos éd. Max Milo, p47
86
29
conséquences de ses actes ? Les machines ne sont pas là pour gouverner, ou alors, on
retourne au totalitarisme et au fascisme. C’est pour cela qu’il s’opposa aux militaires et aux
instances dirigeantes qui n’avaient pas les mêmes scrupules que Wiener. Le gouvernement
des États-Unis aurait voulu que la cybernétique devienne "secret défense". Norbert Wiener
s’y opposa fermement ; la cybernétique n’a pas été classée.
Mais il faut bien admettre que Wiener a « perdu » : nos sociétés ont parfaitement
intégré les applications de la cybernétique: la production est robotisée, les réseaux
financiers sont mondialisés et échappent souvent à tout contrôle. Les réseaux de
communication et les réseaux informatiques envahissent notre quotidien. Enfin de nouveaux
systèmes d'armes intelligentes font leur apparition et ravivent les peurs de nouveaux
conflits. On peut véritablement parler de « contrôle social scientifique contemporain »88.
-Cybernétique et informatique
Un des principaux collaborateurs de Norbert Wiener, Julian Bigelow 89, a eu un rôle
de premier plan dans l’avancée de l’informatique. C’est John von Neumann 90 qui lui propose
de travailler sur le tout premier ordinateur à Princeton. Julian Bigelow devient l'ingénieur
principal en 1946 grâce à Wiener.
Ainsi, ce n’est que de manière indirecte que la cybernétique a participé à
l’avènement de l’informatique. Mais la cybernétique a nourri dès l’origine l’informatique par
ses propres hommes qui ont travaillé sur les ordinateurs et par ses idées qui ont permis à
l’informatique de grandir. On sait par exemple que de nombreux cybernéticiens
s’intéressèrent aux réseaux informatiques et aux jeux vidéo dès leur origine 91.

Pour conclure
La cybernétique semble ainsi avoir tout du régime totalitaire : tout est sous
contrôle, pas de libre arbitre, que des systèmes maîtrisés. Pour Edgar Morin «L’idée de
cybernétique – art/science de la gouverne – peut s’intégrer et se transformer en
88
Ibid. p79
Julian Bigelow (né en 1913, mort en 2003) est un pionnier de l'ingénierie l'informatique.
90
John von Neumann (1903 – 1957) est un mathématicien et physicien. Il a participé aux
programmes militaires américains.
91
http://blogs.mediapart.fr/blog/marc-tertre/050613/norbert-wiener-pere-de-lacybernetique-et-prophete-oublie
89
30
cybernétique, art/science de piloter ensemble, où la communication n’est plus un outil de la
commande, mais une forme symbolique complexe d’organisation.»92
Edgar Morin tente par cette définition de « démocratiser » la cybernétique. Il
perçoit donc bien son essence totalitaire.
3] le transhumanisme
Le transhumanisme est un courant de pensée américain venu de Californie dans les
années 80. Arrêtons-nous quelques instants sur la composition du mot, ce qui nous
permettra d’en dévoiler l’idéologie.
Le préfixe latin « trans » signifie « au-delà, exprimant l'idée de changement, de
traversée. »93 Le mot « humanisme » fait référence à cette philosophie de la renaissance qui
place l’homme et ses valeurs au-dessus de tout. Pour l’humaniste, prime l’éducation, la
quête du savoir, afin de développer l’esprit. Rabelais rappelle que l’épanouissement
physique est primordial. «Un esprit sain dans un corps sain» 94 Ainsi, la formation d’un
homme accompli est réalisée. L’honnête homme est celui qui grâce à l’éducation a
développé son esprit et grâce à une vie saine a pris soin de son corps.
Le transhumanisme veut donc aller au-delà de l’éducation et de la culture physique.
Il ne s’agira plus d’apprendre et de s’entretenir physiquement par une vie saine ;
l’amélioration de l’Homme viendra d’objets technologiques ou mieux encore de
compléments qui seront greffés directement dans le cerveau ou toute autre partie du corps.
Pourquoi apprendre si une puce électronique nous permet d’avoir mentalement accès à une
formidable base de données ? Pourquoi s’inquiéter du corps si on peut remplacer n’importe
quelle partie usée ?
Le transhumanisme rend ainsi caduques les valeurs de l’humanisme. Si, depuis la
renaissance, améliorer l’homme passait par l’instruction, avec le transhumanisme
l’amélioration viendra de la fabrication.
92
La méthode 1. La Nature de la Nature, éd. Seuil 1977
Dictionnaire Larousse
94
« Mens sana in corpore sano » est une citation extraite de la dixième Satire de Juvénal. Elle
fut reprise avec le sens qu’on lui connait par les humanistes de la renaissance.
93
31
L’objectif ? Une post-humanité qui se situera au-delà de l’homme tel que nous le
connaissons. Le transhumanisme est alors à comprendre comme une route vers le post
humain.
Nous tâcherons dans un premier temps de survoler quelques manifestations
concrètes du transhumanisme pour ensuite relever les embûches qui bordent le chemin
menant au post humain.

Le tranhumanisme et ses réalisations
-Clinatec95 : les micro-nanotechnologies au service de la sante
Ce tout nouvel institut de recherche médical s’est implanté à Grenoble. Il est
spécialisé dans l’implant de nanotechnologie à but thérapeutique dans le cerveau. Le dossier
de présentation de Clinatec précise que « La définition de nouvelles voies pour la médecine
de demain implique une nouvelle culture de la recherche ». Ces nouvelles voies sont
technologiques. Il s’agit d’exploiter les nanotechnologies. Quant au mot « nature », il
annonce une révolution de la pratique et de la culture médicales. La revue Science et avenir
précise sur son site : « Ce laboratoire soutenu par le Commissariat à l'énergie atomique 96
(CEA) et le CHU de Grenoble a obtenu cet été l'accord de l'Agence nationale de sécurité du
médicament pour tester en 2013 des micro-puces implantées dans le cerveau humain.
Objectif: traiter la maladie de Parkinson, la tétraplégie ou la dépression. »97 (page 21). Les
chercheurs espèrent rapidement travailler sur la neurostimulation et perfectionner les
technologies dont l’objectif est la suppléance fonctionnelle. Ainsi, la guérison se fera par
implants.
Ce rapprochement entre industrie nucléaire classé défense et neurochirurgiens
protège Clinatec de toute investigation dans le but de savoir ce qui s’y passe réellement, au
prétexte de secret industriel ou de secret défense. Les nanotechnologies intéressent
95
Acronyme de clinique et nanotechnologie, installé tout à côté de Minatec, complexe
scientifique européen consacré aux nanotechnologies.
96
Le Commissariat à l'énergie atomique et aux énergies alternatives en tant qu’organisme de
droit public classé défense n’est pas soumis au Code des marchés publics.
97
http://www.sciencesetavenir.fr/high-tech/20121102.OBS7893/a-clinatec-premiers-tests-denanotechnologies-sur-des-cerveaux-humains-en-2013.html
32
particulièrement l’armée. En France, cela fait des années que la DGA98 utilise des dispositifs
dérivés des nanosciences et des nanotechnologies.99
- Le programme français « FELIN »100 et le « Future Warrior concept »101 aux ÉtatsUnis102
Le programme FELIN de l'armée française est assez proche du programme
américain du « Future Force Warrior » dont nous parlerons plus loin, mais en beaucoup
moins excessif. FELIN « est conçu comme un véritable système d'armes et organisé autour
de l'homme »103. Le cabinet de conseil Alcimed104 a fourni un rapport demandé par la DGA
où l’on apprend que « les PME interrogées ont souligné que le secteur militaire a toujours
été un moteur d'innovation dans le domaine du textile technique. »105 Comme l’indique le
collectif Pièce et main d’œuvre106, cela signifie que, pour les PME concernées, la production
d'équipements pour le fantassin représente un marché important107. A ce point qu’elles
peuvent risquer des développements technologiques qu’elles n’auraient jamais osés
autrement. Revers de la médaille : ces PME sont totalement dépendantes des commandes
de l’armée. Cet asservissement est doublé d’une unilatéralité des relations. Les PME sont
transparentes, l’armée est couverte par le secret défense qu’elle impose aux entreprises qui,
du coup, sont totalement opaques pour le commun des mortels. La lecture de certains
rapports à diffusion confidentielle lève le voile sur certains aspects. Ainsi, nous apprenons
98
La direction générale de l'Armement (DGA) est une direction du ministère de la Défense, qui
a pour mission de concevoir, d'acheter et d'évaluer tous les systèmes d'armes destinés à l'armée
française.
99
http://sciencescitoyennes.org/wp-content/uploads/2012/12/nano-et-militaire.pdf
100
Fantassin à Equipements et Liaisons INtégrés
101
On peut traduire par « concept de guerrier du futur »
102
Voir à ce propos la Note N°3 de la Fondation Sciences Citoyennes Octobre 2006
103
http://www.defense.gouv.fr/dga/innovation2/recherche-technologie/politique-et-objectifsscientifiques-pos-2008-2010
104
Fondée en 1993, Alcimed est une société de conseil en Innovation et Développement de
Nouveaux Marchés, spécialisée dans les secteurs innovants
105
Voir le rapport « Nanotechnologies : prospective sur la menace et les opportunités au
service du combattant »
106
Pièces et main d'œuvre, souvent abrégé en PMO, est un groupe grenoblois engagé dans une
critique radicale de la recherche scientifique, du complexe militaro-industriel, du fichage, de
l'industrie nucléaire et des nanotechnologies
107
http://www.piecesetmaindoeuvre.com/spip.php?article9
33
dans un rapport final de l’Irserm108 « Augmentation des performances humaines avec les
nouvelles technologies : Quelles implications pour la défense et la sécurité ? »109, rédigé sous
la présidence de Jean Didier Vincent110 : « Un autre domaine d’application de ces capteurs
est le soldat lui-même. Différents systèmes localisés à la surface du corps, voire implantés,
permettraient de suivre son état de santé voire de donner l’alerte ou déclencher des contremesures en cas d’agression. » Nous sommes en plein transhumanisme.
Le programme de l'armée américaine du «Future Force Warrior» (Futur guerrier de
combat) est l'initiative scientifique et technologique phare visant à «développer des
capacités révolutionnaires pour des systèmes d'avenir». L'Armée américaine et le Pentagone
considèrent comme une évidence le fort impact des nanotechnologies sur les systèmes
d'armes et ce dès le printemps 2004. Les nanotechnologies faisaient partie des hautes
priorités. Dorénavant, les programmes de recherche et de technologie du Département de
Défense111 devaient s’y consacrer. Le Future Force Warrior consiste en un système individuel
de combat. Il doit être d'un poids léger, et entièrement intégré. Outre les armes et les
protections individuelles, il faut noter que les objectifs stipulent : une performance humaine
améliorée.
Améliorer la performance humaine à l’aide des nanotechnologies…nous sommes
loin de l’usage médical. L’utilisation des nanotechnologies pour rendre l’Homme plus
performant, pour créer un « Homme augmenté », est clairement inscrite dans les projets de
la défense américaine.
- Google le géant américain112
Le mercredi 18 septembre 2013, le géant américain annonce le lancement de
Calico113. Cette entreprise doit s'attaquer au défi "de l'âge et des maladies associées" 114, a
annoncé l'entreprise dans un communiqué.
108
L’Institut national de la santé et de la recherche médicale (ou Inserm) est un établissement
public à caractère scientifique et technologique français spécialisé dans la recherche médicale,
109
Les travaux de l’Irsem II : Club de réflexion et de recherche stratégique de l’Irsem, Rapport
final
110
Jean-Didier Vincent est un neuropsychiatre et neurobiologiste français, professeur émérite
des universités, membre de l'Académie des sciences et de l'Académie de médecine.
111
http://www.defense.gov/news/newsarticle.aspx?id=25636
112
Nous utiliserons notamment l’article édifiant du Huffington Post consultable ici :
http://www.huffingtonpost.fr/2013/09/27/google-futur-lab-x-robotique-mapssecrets_n_4001537.html
34
"Ces problèmes nous affectent tous, de la diminution de notre mobilité et de notre
agilité mentale qui surviennent avec l'âge, jusqu'à des maladies mortelles qui font payer un
lourd tribut aux familles. Et même si c'est clairement un pari à long terme, nous croyons
pouvoir faire de très bons progrès dans des délais raisonnables" 115
Le complexe de Google X116 est un endroit mystérieux tenu secret. On sait qu’il s’y
passe de grande choses -Google a réalisé 39 milliards de dollars de profits en 2013- et que
Sergueï Brin
117
qui dirige de nombreux ingénieurs a plusieurs idées en tête. Selon le New
York Times, « près de 100 projets seraient en développement, et parmi eux, de nombreuses
innovations en "rupture" avec le monde actuel: la robotique et l'intelligence artificielle. »
L’idéologie du transhumanisme semble guider les recherches de Google.
Affirmation gratuite ? Ray Kurzweil118, célèbre défenseur du transhumanisme, cofondateur
de l’école de la singularité119 a été recruté par Google en 2013. Il est embauché en tant que
«directeur de l’ingénierie». Sa tâche sera de développer des outils d’«apprentissage
automatisé et de traitement du langage». Il a clairement annoncé l’espoir de parvenir
à fusionner un jour la machine avec l’être humain ou à le rendre technologiquement
immortel.
-Puces RFID120 implantées volontairement ou sans le savoir
Une anecdote lourde de sens pour finir… Extrait du Courrier International121 de juin
2004 : « Au Baja Beach Club de Barcelone, la carte VIP fait place à VeriChip, une puce
113
Calico est une société indépendante de biotechnologies fondée le 18 septembre 2013 par
Google, dans le complexe secret Google X Lab, avec le but avoué de se concentrer sur le défi de la
lutte contre le vieillissement et les maladies associées avec pour projet de Tuer la mort
114
Larry Page, le patron de Google
115
Ibid.
116
Google X Lab, parfois aussi appelé Google X, est un complexe secret appartenant à Google et
situé quelque part dans la région de la baie de San Francisco.
117
Sergueï Brin, en anglais Sergey Brin est un informaticien et entrepreneur américain d'origine
soviétique, cofondateur avec Larry Page de la société Google.
118
Raymond Kurzweil est l'un des théoriciens du transhumanisme. Il est cofondateur de
l’Université de la Singularité, dont Google et la NASA sont partenaires.
119
La Singularité est un concept, selon lequel, à partir d'un point hypothétique de son évolution
technologique, la civilisation humaine connaîtra une croissance technologique d'un ordre supérieur.
120
La radio-identification, le plus souvent désignée par le sigle RFID (de l’anglais radio frequency
identification), est une méthode pour mémoriser et récupérer des données à distance en utilisant
des marqueurs appelés « radio-étiquettes »
35
électronique que l'on implante sous la peau. Avec elle, plus besoin de faire la queue ou de
sortir sa carte de crédit puisqu'elle permet aussi de payer les consommations. Pour 125
euros, un médecin vous injecte dans le bras une capsule de la taille d'un grain de riz (long) à
l'aide d'une seringue hypodermique. Mais on ne dit pas combien il vous en coûtera le jour où
vous déciderez de changer d'ambiance, la puce n'étant pas biodégradable ».
Nous pouvons ici parler du contrôle d’une population volontaire. Dans
« Conversation d’avenirs122 » Jacques Attali évoque ce cas et rajoute : « une puce qui leur
permet d'entrer et sortir et même de payer les consommations... on peut imaginer que
chaque individu accepte volontairement, ou sans le savoir ». Dans les deux cas,
l’implantation d’une puce n’est pas anodine. Comment être sûr que les informations
obtenues ne seront pas détournées ? Qui contrôlera les données ? Accepter une puce, c’est
accepter le risque de ne plus maîtriser les données qu’elle transmet.

Le chemin vers le post humain
Le transhumanisme est la révolution qui permettra le post humain. Qui dit
révolution dit chamboulements. En effet, cette période de transition aura des conséquences
notables. Au niveau des valeurs humaines, de la politique et de l’économie.
- Les valeurs
“Demain, nous fabriquerons l’humain. Nous supprimerons le hasard de la vie, et du
même coup, nous en supprimerons le sens !”, s’exclame Jean-Michel Besnier123, philosophe.
« Ce que veut le transhumanisme, ce n’est pas parfaire l’humanité, mais nous arracher à
l’humanité. Faire de nous des êtres qui ne naîtront plus mais qui seront fabriqués ; lisser la
vie psychique, ne plus vieillir grâce au téléchargement de la conscience, éradiquer la
121
Consultable ici : http://www.courrierinternational.com/article/2004/06/03/une-puceelectronique-sous-la-peau-pour-entrer-en-discotheque
122
Lors d'une Conversation d'avenirs avec la journaliste Stéphanie Bonvicini, Jacques Attali livre
ses réflexions.
123
Agrégé de philosophie (1974) et docteur en sciences politiques (1987). Il enseigne la
philosophie à l'université Paris Sorbonne-Paris IV1. Depuis 1989, il appartient au Centre de recherche
en épistémologie appliquée (CREA), laboratoire du CNRS et de l’École polytechnique axé sur les
sciences cognitives
36
souffrance et donc le plaisir. Le désir même, alors que c’est le moteur de l’humanité.
Arrêtons de dire que c’est au service de l’humanité alors que c’est pour la détruire » 124.
Cette critique radicale des valeurs du transhumanisme est relayée par Luc Ferry125
qui précise que l’humanisme a toujours protégé les plus faibles, s’opposant en cela à l’état
de nature, alors que les transhumanistes sont favorables à une hiérarchie au sommet de
laquelle se trouvent les hauts QI et les milliardaires.
Max More126 répond que contrairement aux idées reçues, le transhumanisme
partage de nombreux éléments avec l’humanisme. Comme lui, il respecte la raison et la
science. Comme lui, il est attaché au progrès. Et comme lui la valorisation de l’existence
humaine est au cœur de son action.
Contre la pauvreté, la maladie, le handicap, la malnutrition et les gouvernements
dictatoriaux, les transhumanistes proposent la raison et la technologie. Ces objectifs sont
bien ceux des Droits de l’homme. On peut alors considérer que le transhumanisme s’inscrit
dans l’humanisme, « proposition philosophique qui met l’homme et les valeurs humaines
au-dessus des autres valeurs ». Ces ambitions peuvent apparaître rationnelles et nobles. Là
peut-être réside le danger du discours transhumaniste.
Max More proclame : « Nous allons au-delà de beaucoup d’humanistes en ce que
nous proposons des modifications fondamentales de la nature humaine en vue […] de son
amélioration. » et « L’humanité ne doit pas stagner […] L’humanité est une étape provisoire
sur le sentier de l’évolution. Nous ne sommes pas le zénith du développement de la
nature. »127
Les valeurs « humanistes » du transhumanisme ne saurait se confondre avec la
perfectibilité de l’homme de la renaissance et ensuite des Lumières. Lorsque les philosophes
des Lumières parlent d’amélioration, ils l’envisagent dans et par la société. Cette
amélioration passe par les institutions sociales et politiques et permet le progrès, grâce à la
raison. C’est pourquoi l'éducation est si importante. La perfectibilité des transhumanistes est
124
Jean-Michel Besnier, Supplément « Sciences » du Monde, avril 2013
Luc Ferry, Pic de la Mirandole, La naissance de l'humanisme, Flammarion, Paris 2012
126
Philosophe, futurologue et chef de file du mouvement transhumaniste, fondateur de
l'Extropy Institute,. organisation qui rassemble des gens venant d'horizons très différents : des
biologistes, des spécialistes de l'intelligence artificielle, des artistes, des psychologues et toute une
série de gens appartenant à des disciplines différentes qui souhaitent avoir une bonne vision de ce
que le futur pourrait être.
127
More M. On Becoming Posthuman, 1994
125
37
très différente, elle est avant tout individualiste et biologiques. On se demande s’il s’agit
pour le transhumanisme non pas de changer le monde, mais uniquement de perfectionner
l’espèce humaine, sans se poser réellement de questions d’organisation politique ou de
justice sociale et individuelle.
Jacques Testart128 résume assez bien cette critique : « pour les transhumanistes,
l’homme n’est qu’un agrégat d’organites à toutes les échelles biologiques (molécules,
cellules, organes), bien loin de la conception humaniste et donc en recul sur les droits acquis
pour les personnes. »129
-
La politique
Le projet de l’humanisme de la Renaissance destinait le monde à devenir meilleur
par des réformes sociales et politiques. L’adhésion au projet transhumaniste suppose
l’acceptation d’une augmentation individuelle par la technique. La transition au post humain
passera donc nécessairement par une étape d’inégalité où seuls ceux qui auront été
augmentés auront une position privilégiée. Une fracture entre humains et transhumains
semble inévitable. La strate privilégiée de la société améliorera sa progéniture et l’humanité
se partagera en deux espèces : ceux qui ne sont jamais vraiment malades, qui vieillissent peu
-ou pas-, qui sont intelligents, performants…et les autres qui resteraient là où nous en
sommes aujourd’hui mais qui vivraient leur existence comme une « sous existence ». Dans
cette société, les classes seraient rapidement hermétiques. Le post humain ne se réalisera
que lorsque la sous classe aura disparu. Il suffira d’attendre : la vieillesse et la maladie se
chargeront du travail.
Le reproche que l’on peut faire au transhumanisme est l’absence de vision politique
qui le rend aveugle sur les possibles interactions sociales. Le transhumanisme n’imagine
alors pas de solutions sociales et politiques. Tout est ramené au triomphe de la toutepuissance du génie humain. L’objectif est de métamorphoser l’humain en post humain, avec
l’espoir que cette de la victoire technologique résoudra tous les problèmes de société.
128
Jacques Testart (né en 1939) est le biologiste français qui a permis la naissance du premier
bébé éprouvette en France en 1982.
129
Jacques Testart Transhumanisme : pour quoi faire ? Silence, N°418, décembre 2013
38
-
L’économie
La position transhumaniste est profondément libérale sur le plan économique.
Seules les vertus du marché ont valeur à ses yeux. L’idéologie transhumaniste est donc en
parfait accord avec l’esprit économique dominant aux États-Unis, dont elle partage les
valeurs : accroissement constant de la productivité individuelle. Le transhumanisme ne sera
donc pas une transition aux conséquences marquées sur le plan économique pour les
Américains : le modèle économique libéral sera non seulement préservé, mais sûrement
amplifié et mondialisé. Les États-Unis en sortiront renforcés. Et l’Europe sera à la traîne. Il
n’est qu’à voir les brevets en nanotechnologie déposés dans le monde pour s’en convaincre.
«Avec 57 239 demandes déposées en 2013, les États Unis d’Amérique ont battu leur
précédent record de 54 046 dépôts atteint avant la crise financière mondiale de 2007. »130
Ces brevets concernent tous les secteurs industriels. Si on regarde les brevets concernant les
nanotechnologies –tous secteurs industriels confondus- ils sont détenus à « 24% par des
firmes ou des organisations américaines et seulement 8% par des firmes ou des
organisations européennes. »131. L’Asie (Chine et Japon principalement) devance également
l’Europe qui se trouve cernée de toutes parts. Le transhumanisme risque d’entraîner dans
son sillage –sans une réponse adéquate- une mise à l’écart de l’Europe sur le plan
économique.

Conclusion
Les philosophes transhumanistes ne nient pas les conséquences : « Très
probablement, il y aura quelques conséquences négatives de l’ingénierie germinale humaine
qui ne peuvent être ou ne seront pas anticipées. Inutile de dire que la seule existence
d’effets négatifs n’est pas une raison suffisante pour ne pas y procéder. Toute technologie
majeure […] a quelques conséquences négatives, y compris quelques conséquences
imprévues. Et il en va de même pour le choix de préserver le statu quo. Ce n’est qu’après
une comparaison équitable des risques et des probables conséquences positives que l’on
peut parvenir à une conclusion fondée sur une analyse en termes de coûts-bénéfices. »132
130
Chiffres de 2014 de l’Organisation mondiale de la Propriété Intellectuelle.
http://www.futura-sciences.com/magazines/sciences/infos/actu/d/recherche-usa-japondevancent-europe-brevets-nanotechnologie-8953/
132
J.Hugues (James J. Hughes Ph.D. est un sociologue et bioéthicien enseignement la politique
de santé au Trinity College à Hartford, Connecticut aux États-Unis), cité par Klaus-Gerd Giesen
131
39
Pourtant, les transhumanistes ne cherchent pas à améliorer la sagesse, l'altruisme
ou les prédispositions à la solidarité de nos congénères. Ainsi, leur souci d’égalité
n’empêchera pas la déshumanisation telle que nous l’entendons. L’insertion d’implants dans
le corps ne signifie pas forcément améliorer la qualité de la vie. Mais il ne faut pas oublier
que le transhumanisme n’est qu’une transition. Le but ultime est le post humain. Le monde
tel que nous le connaissons, avec ses valeurs et son organisation, sera forcément obsolète.
Ce courant typiquement américain est tout récemment apparu en France 133. Il fera
peut-être dans notre pays des adeptes qui participeront à ce monde nouveau que les
transhumanistes veulent atteindre.
(Professeur de science politique, École de Droit de Clermont-Ferrand), « Transhumanisme et
génétique humaine » L’Observatoire de la génétique, n° 16, mars-avril 2004
133
L’Association Française Transhumaniste Technoprog! est apparue à l’origine en 2007, à
l’initiative de deux étudiants
40
II La pensée philosophique pour une réflexion autour de la technique
Nous avons choisi deux philosophes qui nous semblent les plus pertinents pour
dénoncer le pouvoir des nouvelles technologies. En accord sur les analyses pratiques (même
si Anders est légèrement antérieur), nous verrons qu’ils se distinguent sur leur idéologie de
base.
A] Günther Anders
C’est principalement d’un point de vue éthique que Günther Anders (1902-1992)
critiqua la transformation de l’homme par la technique. Il annonçait l’avènement d’un
nouvel Homme, de l’Homo faber à l’Homo creator en Homo materia, homme devenu
matière, sans humanité : « l’Homme s’est transformé en matière première »134. La plupart
des ouvrages d’Anders traitent de l’obsolescence du monde engagée par les « ontologues de
l’économie135 », dépassés eux-mêmes par les techniques qu’ils ont engagées à l’ère
industrielle. Même si sa critique se veut universelle, il fustige d’abord l’American Way of Life,
caricature effrayante de l’obsolescence de l’homme.
On expliquera d’abord quelques-unes de ses thèses générales sur la technique, puis
ce que sont devenues les institutions des Hommes. Enfin, nous dégagerons les conséquences
pour l’homme lui-même.
1] Les thèses générales sur la technique
Les techniques ont pris le pouvoir au-dessus de nos têtes, « on a déjà tranché, les
marchandises ont tout envahi sous forme d’objets de consommation d’abord, mais
aujourd’hui d’images livrées à domicile »136, ces marchandises sont des fantômes. En effet,
nous ne consommons pas seulement les images mais « la version apprêtée qu’on veut nous
en donner »137, bref des préjugés, des sentiments caricaturés, des vies standardisées. Il y a
en effet des fabricants de stéréotypes, d’images (télévision) ou de sons (radio) qui nous
livrent tous les jours des sensations qu’on imagine « inouïes » alors qu’elles suivent
134
135
136
137
L’obsolescence de l’Homme, Tome 1 p120
Ibid. p210
Ibid. p150
Ibid. p187
41
exactement le même modèle138. Tous les jours, le monde technique livre à domicile à
l’Homme de masse des marchandises sous la forme d’une totalité d’images, sons,
stéréotypes parce qu’ils ont d’abord été imprimés dans son esprit sous forme de besoin. Il
faut donc créer le désir de la marchandise avant de le faire entrer dans les nouvelles
technologies (TV, radio). On « conditionne les désirs en en faisant des besoins, on mobilise
pour cela la morale (l’âge d’or des produits finis), on nous donne des impératifs, »139. On
nous apprend à avoir besoin de ce qui nous est offert. Ainsi, la pub est souvent l’associée de
la technologie en nous répétant inlassablement« achète ». Toutes les marchandises et ainsi
nos besoins ne sont plus que la reproduction des besoins des marchandises elles-mêmes. On
fabrique alors le produit (émission de TV, programme radio) selon son destinataire. Le réel
est donc créé sur-mesure « en vue de son éventuelle reproduction »140. Les émissions sont
ainsi des marchandises mobiles omniprésentes, basées sur l’idée de nouveauté (moderne,
nouveau, fun). De ce fait, on crée une obsolescence de produits « faits pour mourir, ils
doivent mourir »141. La destruction devient l’élément inhérent à la production. On peut
nommer cette nouvelle ère : « le cannibalisme post-civilisationnel », puisque c’est l’Homme
qui va servir de matière première. En effet, partout l’Homme est utilisé ou éliminé.
Examinons cela en trois points :
- Dans notre intimité nous sommes soumis à la livraison d’images, de son et nous
« avalons tout »142. Chaque produit que nous consommons en appelle un autre
(objets : voiture appelle, pneu, essence etc… ; ou images : feuilletons où chaque
épisode en appelle un autre)
- Au travail les entreprises sont vidées de travailleurs, remplacés par des machines
(Kawasaki, usine sans ouvriers, 1978). S’il reste encore des travailleurs, ils ne sont
qu’un rouage qui ne connaît pas la finalité de son travail, des collaborateurs sans
aucun savoir sur la finalité du produit.
- Dans la rue nous sommes sollicités partout à collaborer aussi, par les publicités
racoleuses et par les informations « à l’époque des médias électroniques il n’y a
138
139
140
141
142
Ibid. p192)
Ibid. p197
Ibid. p218
L’obsolescence de l’Homme, Tome 2 p41
Ibid. p137
42
aucun endroit où l’on pourrait échapper à la contrainte d’être informé ou plutôt
désinformé »143.
On peut donc parler de « décalage prométhéen », un décalage entre ce qui est
produit -idée de technique tentaculaire, d’objets immortels- et, à l’opposé, de ce que nous
pouvons utiliser dans notre vie brève et simple. Les objets sont trop multiples. Certains, par
leur puissance, nous ont dépassé totalement (nucléaire). Bref, l’homme ne parvient plus à
les suivre lui-même et il en a honte.
Tout le système fonctionne par consommation suggérée mais, comme nous avons
trop peu de besoins pour l’industrie, « il faut perpétuellement les multiplier »144. C’est ainsi
que même une guerre peut être un nouveau terrain de vérité, de remplacements d’objets ou
de ventes d’images sensationnelles. Par exemple, même la guerre froide (en exagérant
volontairement les chiffres d’armes détenus par les Russes) a été un vecteur pour maintenir
la croissance depuis 1945 aux États-Unis « même s’ils n’avaient pas été là, ils l’auraient
inventée »145.
Les machines se concentrent de plus en plus en réseaux et en pièces de machines
uniques qui font tourner toutes les autres. Un peu comme nous qui faisons tourner le
système comme des pièces de rechange dans un réseau.
Le monde technique est donc un monde global, propulsé par sa construction, sans
projet et sans morale, et qui utilise l’Homme.
Examinons pourquoi et en quoi il a transformé les institutions.
2] Ce que sont devenues les institutions humaines

Au niveau politique
La démocratie n’est plus qu’apparente, et nous sommes passifs, comme envoûtés,
dans un conformisme absolu que nous ignorons. D’où une illusion de liberté « il n’y a pas un
seul geste par lequel ils ne se mettent pas eux-mêmes au pas », c’est de la collaboration
143
144
145
Ibid. p31
Ibid. p19
Ibid. p18
43
aveugle146. Anders nomme cela la « terreur douce » dans son article de 1962 dans la revue
Mercury. Il explique notre obéissance évidente, et notre passivité face au politique puisque
nous ne sommes animés que par le fait de consommer « celui qui consomme est gavé »147. Il
compare l’Etat à un monstre qui serait lui-même victime de la nécessité d’exister et de
continuer à exister148. Bref, l’Etat ne peut se passer de productions, il l’impose par une
violence indirecte mais sa production démesurée s’emballe elle-même sans aucun contrôle
en écrasant l’Homme. Les produits (comme des images vues à la télévision) ont pris la place
du prochain. On est seulement des consommateurs d’opinions et de préjugés « étranglant
toute intelligence du monde, c’est-à-dire qu’on a retiré les bases de la démocratie »149.
L’absence de jugements individuels au profit d’idées conformes entraine donc également
une absence de morale.

Au niveau moral
La technique a remplacé le sujet. Nous ne sommes plus que des êtres co-
historiques, qui vivent à la même époque, les uns à côté des autres. Le seul impératif que
nous connaissons est que « la consommation suive son cours ». La morale Kantienne a
disparu. La bonne volonté s’opposait aux penchants mais aujourd’hui il ne reste que les
penchants. « La volonté » (la conscience morale) « a été liquidée »150. Nous ne croyons que
ce que l’on nous autorise à croire151 et on nous répète qu’il n’y a aucune autre possibilité
que celle d’être conforme, de ne jamais vouloir152. Ainsi, l’Homme a rayé toute trace de
spontanéité et d’humanité. Il « fait un pas vers une possible deshumanisation »153. Il n’y a
plus de fraternité ni d’empathie dans notre cage dorée, alors qu’il y en avait encore dans les
usines (fraternité ouvrière, syndicats), car les images que nous recevons en permanence
nivèlent tout et se succèdent sans que nous puissions y placer un ordre logique. Notre raison
est comme envoûtée et se tait au profit de sentiments provoqués et fabriqués par des
146
147
148
149
150
151
152
153
Ibid. p140
Ibid. p145
Ibid. p147
Ibid. p257
Ibid. p190
L’obsolescence de l’Homme, Tome 1 p15
L’obsolescence de l’Homme, Tome 2 p201
L’obsolescence de l’Homme, Tome 1 p59
44
émissions. Par exemple « jouer avec les sentiments des personnes seules, pousser des êtres
de tout âge à écouter aux portes ou à devenir des voyeurs, tout cela est répugnant »154. De
plus, moralement, l’Homme est aujourd’hui partagé en deux. Il a une attitude impossible
puisqu’on lui demande à la fois d’être conforme, de collaborer, de faire aveuglément ce
qu’on lui demande (faire son devoir au sens de « mission ») et de réfléchir aux fins quand il
agit. Cela, il n’arrive plus à le faire155 et il n’arrive plus qu’à collaborer sans aucun esprit
critique. Anders donne l’exemple qui restera célèbre du pilote d’avion (avec qui il
correspondra) d’Hiroshima poussant comme une mécanique sur le bouton et tuant 200000
personnes. Ainsi le précepte kantien de ne jamais traiter l’autre comme un moyen, un objet,
est évacué.

Au niveau de la culture
Le temps libéré par les machines devrait nous laisser du temps libre pour les loisirs
et la culture. Or c’est l’inverse : le loisir et la culture sont devenus des temps travaillés,
imposés. En effet, nous devons, de manière contrainte, suivre une culture de masse
américanisée qui s’affranchit des frontières sans que nous ne nous en apercevions. Par
exemple par l’acquisition de biens culturels (télévision, radio, disques) nous devenons en fait
« congruents » (On nous a livré, ainsi qu’à nos camarades de livraison un seul matériau qui
est devenu une propriété partagée) « avec ce que l’on a acquis » puisqu’on ne peut
échapper ni à leur acquisition ni aux flots d’images et de sons qu’ils distillent. Autres
exemples. On nous impose d’aimer en vacances le windsurf si le produit vient d’être « jeté
sur le marché »156. Ou bien encore on nous enseigne en masse comment devenir écrivain
dans des ateliers d’écriture157. La culture est ramenée à son plus bas degré, le stéréotype,
afin d’être accessible à tous sans nécessité de savoir préalable et sans éveiller le moindre
aspect critique. L’Homme n’ayant plus besoin jamais de relier les éléments les uns avec les
autres, sera attiré ponctuellement par une culture facile, « sensationnalisée », de masse.
C’est aussi l’ère des reproductions en séries que chacun pense uniques lorsqu’elles arrivent à
154
155
156
157
Ibid. p170
Ibid. p341
L’obsolescence de l’Homme, Tome 2, p105
L’obsolescence de l’Homme, Tome 1, p232
45
lui et porteuses de références vidées de leur sens. Exemple : «le slip Mozart »158 qui montre
que nous ne sommes pas poussés par notre besoin, notre goût, mais par le besoin de ceux
qui ont besoin de notre besoin.
3] L’obsolescence de l’Homme
Nous étudierons dans cette partie les caractéristiques de L’Homme dans la société
industrielle, les implications et les conséquences futures que cela entraine. On peut
caractériser l’obsolescence de l’Homme à travers six concepts :
- il est inexpérimenté : la vie pour lui n’est plus une exploration mais un défilé
d’images qu’il absorbe en voyeur159, il est gavé mais n’expérimente plus rien en
lui-même.
- il est iconomane : il supporte un flux d’images et de sons ininterrompus qui
l’entraine vers un voyeurisme et l’abrutisse. L’aliénation est universelle, il porte
sur lui des photos « comme pièce de rechange de lui-même »160, il adore les
images des stars qui sont enviées et qu’il recopie en les imitant. Ces images sont
des « copains portatifs » qui hantent ses journées ; souvent retouchées, elles lui
transmettent une certaine vision des choses imposées.
- il est schizotope : il est là et en même temps ailleurs puisqu’il écoute la télévision,
la radio, puisqu’il est seul et en masse avec ses appareils électroniques (salle de
jeu ou écouteurs).
- il est un ermite de masse : seul comme des millions d’exemplaires séparés mais
identiques, enfermé dans des cages tel des ermites, non pour fuir le monde, mais
« pour ne jamais manquer le monde, bribe du monde en effigie »161. C’est
l’Homme du «métro, boulot, dodo ». Il ne connait pas son voisin, mais tous les
goûts de la présentatrice de la télévision162. Il ignore l’histoire mais écoute des
histoires, il est infantilisé.
158
159
160
161
162
L’obsolescence de l’Homme, Tome 2, p171
L’obsolescence de l’Homme, Tome 1, p136
Ibid. p74
Ibid. p121
Ibid. p138
46
- il est travailleur à domicile : car son temps libre est rempli d’images et de produits
qu’il consomme de force sans être payé : sous peine d’être exclu ou marginalisé
« sa propre servitude il doit l’acquérir en l’achetant puisqu’elle est devenue une
marchandise. La consommation est devenue un travail camouflé »163
- il est sans pudeur : car il s’agit d’être transparent, d’être comme les autres et de
tout montrer. Il y a une absence de murs, d’intimité dans « un monologue
collectif ». Les réseaux sont partout.164 On doit tout dire, ne rien cacher aux autres
(même les problèmes de digestion du président sont offerts aux téléspectateurs).
Le « totalitarisme technocratique » avait déjà avalé son Moi, il avale désormais
(par l’impudeur exigée) tout son corps. Que lui reste-t-il alors ?

Implications
« Le royaume des fantômes », « la matrice » sont entrés chez l’Homme à partir du
moment où les appareils technologiques qui nous déterminent presqu’entièrement, sont
entrés chez nous. Beaucoup de présence permanente, des images injonctives, des goûts
préfabriqués, mais aucune réalité. La solitude est entrée aussi puisque tous les membres de
la famille se sont tournés vers les appareils (fin de la tablée familiale où l’on discutait). Nous
sommes racolés par les choses en permanence « le racolage est un mode de notre
monde »165. Les techniques comme marchandises sont devenues la classe dominante. Elles
nous racolent souvent de manière érotique comme dans les publicités afin de neutraliser
davantage d’éventuelle résistance.

Conséquences futures : quintuple désagrégation
- Désagrégation de la famille, «extinction de leur communauté »166au profit d’êtres
solitaires et intégrés.
- Désagrégation des Hommes au profit « d’êtres interchangeables » et sans qualités.
Tous ceux qui sont différents sont jugés malades, marginaux. Pourtant « le malade
163
164
165
166
L’obsolescence de l’Homme, Tome 2 p178
Ibid. p142
Ibid. p152
L’obsolescence de l’Homme, Tome 1 p124
47
est celui qui veut dépasser sa soit disant maladie »167 mais il est mis au pas. Les
psychologues, les psychanalystes ne sont que des conformistes du système, qui
tentent cette remise au pas des seuls êtres bien portants. Nous sommes devenus
des esclaves.
- Désagrégation de la sphère politique, plus de corps politique mais des masses et
(on l’a vu) plus de fraternité ni de démocratie réelles. Le bien commun n’est plus
qu’une course à la distribution des produits techniques (associée fort injustement
par des politiques irresponsables à la productivité alors que les risques encourus
ne sont jamais calculés et que le chômage s’accroit)
- Désagrégation du monde (par le risque nucléaire) et incapacité à penser pour les
générations futures (thème que reprend Anders souvent) ; des techniques sur la
transformation de l’homme débutent (clonage) sans aucune réflexion critique.
- Désagrégation de l’intimité totalement exclue au profit d’une infantilisation de
masse et d’une impudeur exhibée puisque, symboliquement, les murs ont
disparu, on est « gavés », tous pareils, et on ne peut plus rien cacher.
Nous tenterons de montrer dans la dernière partie de ce mémoire les solutions
morales préconisées contre cet enfer prévisible détaillé par Anders
B] Jacques Ellul
Nous verrons en quoi le travail d'Ellul (1912-1994) éclaire notre débat sur la
manipulation et le terrorisme sur les masses à travers trois moments : les thèses générales
sur le techno discours, les thèses générales sur les nouvelles technologies, et enfin le
terrorisme des nouvelles techniques.
1] Les thèses générales sur le techno discours
Le travail d'Ellul est considérable : plus de 13000 pages imprimées ! La plupart
portent sur une réflexion critique sur la technique en tant que système et réalité globale,
167
L’obsolescence de l’Homme, Tome 2 p157
48
c'est à dire sur la docilité de l'homme devant des règles posées, un milieu auquel il obéit
mécaniquement sans en avoir les clefs ni les enjeux.
Tous ses ouvrages éclairent ces règles et dénoncent l'absence de regard critique
surmultiplié par la séduction et la force des techniques qui englobent désormais tout le
corps social et l’État. Il explique pourquoi il n'y a plus de place pour des valeurs
indépendantes et créatrices. L'originalité est bafouée. Dès 1954 il critique la société
américaine et les ravages de la société de consommation sur les mentalités ainsi que la
désagrégation sociale qu'elle implique. La culture disparaît au profit d'une sous culture
technique qui manipule l'Homme « l'homme qui subit la propagande, le sport ou la télé, ou
le cinéma populaire ignore l'angoisse », « il ne faut pas oublier qu'il en est était exactement
de même de l'Allemagne hitlérienne »168 En effet, un Homme qui subit la technique est déjà
modifié. Les mécanismes entrent dans sa vie la plus personnelle et transforment son corps
et son mouvement en fonction de la technique exigée et non plus en fonction d'un but
extérieur. On le voit bien dans le sport qui rétablit les mêmes critères les mêmes objectifs de
rentabilité que le travail mais aussi dans la course effrénée d'achats seulement engagée pour
ressembler à un type d'Homme modifié par la pub. « La pub doit atteindre la totalité des
Hommes pour que la masse se décide à acheter »169. Le discours vise à massifier, converger
et propose un Homme qui ne me correspond pas vraiment mais reflète bien plutôt mes
désirs.
Ainsi un techno-discours s'est emparé des individus en le transformant peu à peu.
L'Homme apprend à ne plus accepter un seul obstacle « puisque la technique peut tout
surmonter »170 mais en ayant cette impression de pouvoir total il perd pied sur la réalité car
comme le dit Castoriadis que cite Ellul « le pouvoir total c'est l'impouvoir » et aussi parce
qu’il ne ressent plus la nécessité des choses mais seulement des possibles. Il subit des
injonctions liées à un essor sans fin, l'évolution des techniques croissant indéfiniment 171. Il
faut tout normaliser, réaliser toujours plus vite, croître à tout prix et récuser tout jugement
168
169
170
171
in La technique ou l'enjeu du siècle, p346
id p369
Le bluff technologique, p400
Ibid. p411
49
sur ce qui est opéré par la machine, refuser les jugements moraux ou rationnels. « Il faut que
ça serve »172. Ainsi l'homme devient incapable de saisir une situation, de la mettre à distance
et il devient impuissant pour rectifier ses erreurs. Chacun se jette à corps perdu dans son
propre intérêt. Et l'école, au lieu d’être le lieu d'apprentissage d'une culture classique
réflexive et critique, initie dès la maternelles la docilité vis-à-vis des machines Informatiques
afin d'établir « une création de disposition psychique favorable »173. La pédagogie la
meilleure devient cette technique elle-même qui « prépare les jeunes à entrer dans le cycle
des forces productives »174
Pourquoi les nouvelles technologies ont-elles paradoxalement encore davantage
asservi l'homme ?
2] Les thèses générales sur les nouvelles technologies
Même si les techniciens ont bien essayé de libérer l'Homme, chaque progrès a
cependant comme corrélatif « une subordination plus étroite à l'égard d'instruments de la
délivrance »175 comme celui qui utilisait la morphine pour soulager sa douleur et ne peut
plus la quitter lorsque la douleur a disparu. Nous allons l'examiner au niveau politique, puis
au niveau des produits et de la productivité et enfin au niveau de la culture.

Au niveau politique
Pour être plus en sécurité, on établit « le système le plus moderne, le plus
perfectionné du fichier complet de tous les citoyens d'un Etat ».176 Chaque habitant sera
suivi dans toutes les étapes de sa vie, géographiquement, biologiquement, économiquement
et la police saura avec exactitude ce qui est nécessaire pour contrôler chacun. « Elle colle à
chaque instant de la vie de chacun de manière invisible et insaisissable »177 L'exemple de la
172
173
174
175
176
177
La technique ou l'enjeux du siècle, p348
Le bluff technologique, p255
Ibid. p258
Ibid. p374
Ibid. p374
Ibid. p374
50
micro-informatique que développe Ellul, indique que le but premier est « d'assurer un
nouvel ordre mondial de l'information ».178
Comment en est-on arrivé là ?

Produits et productivité
Au départ il s'agit sans doute de vendre à tout prix de nouveaux produits, souvent
des gadgets « il faut qu'ils consomment même s’ils n'en ont pas besoin »179 . « Vous serez
soumis de l'acheter » (écran plat, micro-onde, ordinateur). Comme le président Mitterrand
l'a dit « la pointe avancée de la filière électronique est le véritable vecteur du redressement
économique » cité par Ellul180. Mais la productivité justifie tout et n'est qu'un bluff. En effet
s'il y a bien des emplois créés, il y a aussi des coûts considérables, les services procurés sont
infimes par rapport aux investissements. L’État, pour cette productivité accrue, dépend de
plus en plus des lobbies ou d'experts défendant leurs propres intérêts économiques. Ellul
donne deux exemples : le projet Eureka confie à des constructeurs américains la mise en
application des circuits électroniques181. L'endettement aux États-Unis a plus que doublé en
cinq ans182 car ils investissent en recherche scientifique technologique dix fois plus que les
autres pays (56 milliards de dollars en 1984). D’où l'idée d'Ellul « que productivité et progrès
technique ne sont pas associés »183. Il faut également prendre en compte les coûts de la
prise
de
risque
et des conséquences que
les techniques peuvent entraîner
(dédommagements ou dégradations par exemple).

La culture
Mais c'est au niveau culturel qu'Ellul est le plus critique. Avec l'exemple du télétel et
du minitel, Ellul montre que chercher des informations pertinentes 184 dépend du milieu
social. La culture n'est donc pas universelle. Les images et les musiques qui y sont créées
178
179
180
181
182
183
184
Ibid. p494
Ibid. p475
Ibid. p381
Ibid. p549
Ibid. p592
Ibid. p564
Ibid. p478
51
sont « nulles »185. L'utilisateur devant l'information abondante est « désorienté »186 les
individus se cachent derrière des identités fictives. Tout est possible car il n'y a ni sanction ni
réprobation sociale187. La garantie des informations contenues n'est pas assurée. Des
escroqueries sont même possibles puisque les mots de passe sont mal sécurisés. Le piratage
permet de dévier la monnaie électronique. On peut faire franchir des fonds sans problèmes
de frontière. La banque électronique est plus vulnérable mais aussi « les systèmes de
paiement, escroquerie à l'assurance, fraudes, et les informations confidentielles peuvent
être piratées car aucun fichier n'est à l’abri des indiscrétions »188.
Les nouvelles technologies transforment donc la culture humaine. On peut l’établir
en quatre points :
- Elles offrent à l'individu une vision ponctuelle du monde. Les images
omniprésentes que l'on nous oblige à recevoir « sursaturent le cerveau »189. En
effet toutes les informations reçues (télévision, médias) ne sont ordonnées que
sous l'aspect de l’événementiel, du sensationnel, du nouveau. Aussi, une fois les
faits écartés de la lumière de l'actualité, c'est « une culture de l'oubli au fil des
événements »190
- Rien n'est mis en corrélation. Aussi, l'individu ne fait plus de synthèse ou de mise à
distance critique, il n'a plus de repères fixes.
- La « nouvelle culture » est plutôt une consommation culturelle « l'Homme ne
s'informe pas, il est informé »191. C'est sa seule façon de vivre que d'absorber les
mêmes images que les autres.
- La télévision « déréalise » puisqu'il y a « confusion entre le monde vivant et le
monde montré »192.
185
186
187
188
189
190
191
192
Ibid. p500
Ibid. p507
Ibid. p508
Ibid. p509
Ibid. p591
Ibid. p592
Ibid. p593
Ibid. p601
52
Cette culture offre donc un loisir de masse ludique et accessible sans effort : « faire
croire qu'une nouvelle culture est possible, dans une mondialisation consiste à une
américanisation de la culture dans ses plus mauvais aspects »193 car sans humanisme la vraie
culture n'existe pas194.
Ellul va encore plus loin en expliquant le terrorisme des nouvelles techniques.
3] Le terrorisme des nouvelles techniques
Ellul va expliquer que les nouveaux médias ne sont pas désirés mais bien plutôt
imposés. L'enjeu est celui du profit et la manipulation. D’où les conséquences que nous
dégagerons en dernière partie.

Les profits
Ceux qui ont mis en place les nouvelles technologies ont une vue à court terme :
modernité, séduction et productivité. Ils oublient ou feignent d'oublier les risques majeurs
avec, par exemple, les techniques nucléaires, le risque d'une guerre atomique, et, de par
l'inégalité des accès aux techniques, une révolte généralisé du tiers-monde. Ou avec
l'accroissement des machines, la croissance exponentielle du chômage et la faillite
généralisée du monde occidental (par suite du cumul des dettes engendrées par le coût
exorbitant des mises en places technologiques et des marchés régulés par des machines) 195.
Pourtant les Etats sont pris au piège de leurs choix, et ils gardent le cap de la croissance, de
progrès toujours plus vains, et ils vont même jusqu’à manipuler ceux qui ne sont pas
convaincus.

La manipulation
Dès qu'un individu ou un groupe critique ces nouvelles technologies, il subit aussitôt
quatre menaces :
- Le chômage, s'il ne s'initie pas à ces techniques.
- La marginalisation. Il est intéressant de remarquer de ce fait que les intellectuels
sont les plus acharnés à consommer des nouvelles technologies par souci d'éviter
193
194
195
Ibid. p278
Ibid. p281
Ibid. p688
53
mépris et dérision. Même la contre-culture américaine et les mouvements
alternatifs qui paraissent marginaux « n'agissent que sur les conséquences de la
société technicienne, jamais sur ses structures »196, « eux-mêmes s'adapteront
aisément ».
- Le fait de ne pas être de bons parents : puisque les NTIC sont « l'avenir » les
parents se doivent d'acheter le meilleur pour leurs enfants puisqu'on leur répète
que « tout ce qui est intellectuel, toute formation intellectuelle est médiatisée par
eux »197.
- Le fait de ne pas être intelligent. Puisque l'on entend « c'est simple l'ordi, vous
n'allez pas mourir idiot »198 c'est une formule terroriste, un chantage à être un
branché, un vrai chantage à l'intelligence dont nous allons examiner les
conséquences.

Conséquences
La société sera informatique. « On va donc assimiler l'enfant à l'informatique »199
sans que l'on ne se soit jamais posé une évaluation critique par rapport à d'autres critères.
C'est du terrorisme !
La définition de l'intelligence a été déviée. Ce qui correspondait justement à la
possibilité d'établir une mise à l'écart critique (possible par exemple par l'étude d'autres
civilisations comme grecques ou romaines ou bien d'autres formes artistiques) a été spolié
au profit d'une aptitude à manier les images et les réactions immédiates. C'est « une
mutation de l'intelligence »200, tout doit entrer dans des codes spécifiés par la machine qui
impose son langage propre. Ce n'est donc pas le discours sur la technique qui est remis en
cause par Ellul mais le discours DE la technique qui se symbolise par elle-même dans des
signes audiovisuels. Ellul rappelle que cette propagande de terrorisme feutré (que l'on peut
voir avec la construction de la Villette qui permet de comprendre et d'accepter le monde
196
197
198
199
200
De la révolution aux révoltes, p10, éd la table Ronde
Le bluff technologique, p693
Ibid. p692
Ibid. p697
Ibid. p694
54
futur), même s’il est parfois imposé de manière plus directe et moins feutrée (comme les
taxes pour les Éoliennes individuelles ou la contrainte du minitel 201 ne peut fonctionner sans
l'accord de tous ceux qui la subissent. « Il ne peut y avoir de réussite dans la propagande que
s’il y a complicité du propagandé »202. En effet le public est toujours aussi « ébloui par
l'évidence de ses réalisations ». Il est infantilisé par la nouveauté et le sensationnel c'est
pourquoi le terrorisme le plus fort peut être feutré.

Conclusion
L'Homme, qui ne trouve pas de sens à sa vie, a toujours cherché le
divertissement203.
Les nouvelles technologies, depuis le cinéma, la radio, la télé et l'ordinateur
annihilent la personnalité de l'Homme. Même les tentatives de liberté par les arts « se sont
engluées dans ce fichier vivant qu'établit la technique »204 ; « vous ne ferez pas d'un papillon
un révolutionnaire »205. Ce n'est pas un univers concentrationnaire « tout est nickel, tout est
en ordre, nos plus intimes passion sont vues de tous ». Le vrai problème est de savoir si l'on
veut vraiment cela. Personne ne le demande jamais206.
En fait les nouvelles technologies règlent des problèmes, souvent mieux que nous,
mais les situations de liberté ne sont pas que des problèmes et du déterminisme, elles
doivent être tranchées207 car elles ont des impondérables, des inexprimables, des intuitions
bien plus riches qu'un simple problème dont les techniques ont la maitrise. L'art politique,
économique, philosophique est l'art de trancher. Nous-mêmes devons trancher au lieu
d’être aveuglés. L'Homme, « fasciné, halluciné, diverti »208 aurait pu se réveiller, mais il ne l'a
pas fait...
201
202
203
204
205
206
207
208
Ibid. p702
Ibid. p704
La technique ou l'enjeu du siècle, p340
Ibid. p378
Ibid. p384
Ibid. p618
Ibid. p505
Le bluff technologique, p392
55
III Les NTIC comme Soft power et contrôle des masses
Dans cette partie nous étudierons tout d’abord comment les NTIC sont employées
comme outils de Soft-power et de contrôle par les États-Unis, sur le plan culturel,
économique et de la surveillance. Nous expliciterons ensuite deux notions qui nous aident à
avoir une meilleure conception du sujet, à savoir la notion de capital technique et la figure
du ethical hacker. Enfin, dans un troisième temps, nous présenterons des solutions qui
peuvent être apportées, soit par la philosophie d’Anders ou d’Ellul, soit par d’autres
aspirations.
A] Internet : Soft Power américain
Il convient de revenir tout d'abord sur la notion de "Soft power". Ce terme
anglophone est composé du mot "soft" qui veut dire "doux" et de "power" qui signifie
"pouvoir" ; il est opposé au « Hard power », qui englobe les actions d'influence coercitive
comme la police ou l’armée. Le soft power est un concept employé en relations
internationales pour décrire l'action par un acteur politique d'influencer ou persuader une
autre entité. L'action culturelle en fait partie, comme par exemple dans le film
"Independance day" où l'on présente les États-Unis comme sauveur de l'Humanité.
Ainsi, le soft power ne traduit pas forcément la puissance économique. Du fait de la
mondialisation, il est aujourd'hui la forme de puissance la plus importante par rapport aux
formes traditionnelles de contrainte.
1] Sur le plan culturel

La langue
Les langages de programmation sont un mélange de mathématiques et d’anglais, la
langue américaine et le langage technique sont essentiellement composés de mots anglais,
malgré les tentatives de traduction. En France, la commission spécialisée de terminologie et
de néologie de l'informatique et des composants électroniques au ministère de l'Économie,
de l'Industrie et de l'Emploi est chargée de proposer les termes nouveaux en informatique,
sous le contrôle de la Commission générale de terminologie et de néologie. Mais les
propositions ne sont que rarement utilisées par la population.
56
Exemples de mots américains « intégrés » dans la langue française.
ADSL (Asymmetrical Digital Subscriber Line)
BLACKLIST
COOKIE
FAQ (Frequently Asked Questions)
EMAIL
FIREWALL
FREEWARE
HACKER
IP (Internet Protocol)
MP3 (MPEG Audio level 3)
NEWSLETTER
SPAM
PEER-TO-PEER
POP-UP
SHAREWARE
SPAM
SPYWARE
STREAMING
Ainsi, la base même de l’outil informatique véhicule la langue qui s’impose
« naturellement » aux utilisateurs.
D’autre part, les sites les plus consultés dans le monde sont majoritairement
américains :
1
2
3
4
5
6
7
8
9
10
Google.com
Facebook.com
Youtube.com
Yahoo.com
Baidu.com
Wikipedia.org
Twitter.com
Qq.com
Taobao.com
Amazon.com
USA
USA
USA
USA
CHINE
USA
USA
CHINE
CHINE
USA
http://www.alexa.com/topsites consulté en juillet 2014
L’utilisateur est ainsi contraint de maîtriser quelque peu la langue.

L’audio et le visuel
Les documents audiovisuels (films, séries) les plus téléchargés dans le monde sont
américains. Le dernier exemple en date est « Game of Thrones » qui a pulvérisé le record de
téléchargements209 parmi des séries qui sont toutes américaines.
209
http://www.telegraph.co.uk/technology/news/10751891/Game-of-Thrones-still-mostpirated-TV-show.html
57
TITRE DES EMISSIONS
NOMBRE DE
TELECHARGEMENTS A
L’INTERNATIONAL
1, 470,046
915,162
PAYS LES PLUS
TELECHARGEURS
1
2
Game of Thrones
The Walking Dead
3
Homeland
924,351
Brésil, France
Brésil, USA
Espagne, France
4
5
6
7
8
Breaking Bad
Dexter
Girls
House of Cards
Broadwalk Empire
Orange is the New
Black
Mad Men
914,110
572,289
348,743
333,936
292,269
Espagne, Brésil
Brésil, USA
Australie, USA
France, Espagne
Espagne, USA
235,699
Espagne, Australie
193,072
Espagne, USA
9
10
Séries TV les plus téléchargées illégalement dans le monde entre janvier et février 2014
Cela ne concerne pas que les séries TV ; le cinéma suit également les mêmes
tendances :
CLASSEMENT
FILM
SOCIETE DE PRODUCTION
1
Transcendence
Warner Bros. Pictures
2
Noah
Paramount Pictures
3
Need For Speed
Walt Disney Studios
4
Sabotage
Open Road Films
5
The Other Woman
20th Century Fox
6
Muppets Most Wanted
Walt Disney Pictures
7
Rio 2
20th Century Fox
8
A Million Ways to Die in the West
Universal Pictures
9
Captain America: The Winter Soldier
Walt Disney Pictures
10
X-Men: Days of Future Past
20th Century Fox
Classement des films les plus téléchargés illégalement sur le site torrentfreak.com le 14/07/2014 210
210
http://torrentfreak.com/top-10-most-pirated-movies-of-the-week-140714/
58
De plus, les cent premières musiques vendues par iTunes, premier
distributeur de musique en ligne, sont anglophones211 et principalement américaines.
La diffusion de la culture américaine emprunte donc ce canal-là, à tel point qu’un
succès musical mondial se doit de comporter des paroles en anglais. Le groupe français
Cats on trees, les Daft Punk ou les Aaron chantent en anglais.
Enfin, relevons ces phrases extraites de La Tribune212 qui montrent la puissance des
Etats Unis : « L'audiovisuel européen est chamboulé par de nouveaux géants venus d'outreAtlantique. La France est préservée... pour l'instant. LE CONSTAT : Amazon, Netflix, Google
TV tissent leur toile en Europe. »
REPERES213




219,5 MILLIONS D'EUROS
C'est le marché français de la vidéo à la demande, à l'acte et par abonnement, en 2011.
(Source : baromètre GfK NPA).
29 MILLIONS
Le nombre d'abonnés à l'offre streaming de Netflix dans le monde. (Source : Netflix).
4,3 MILLIARDS DE DOLLARS
Le CA des acteurs Internet « over the top » (fournissant des services «par dessus»
l'abonnement Internet) aux États-Unis en 2011, dont 50 % pour Netflix. (Source : ABI
Research).
32 MILLIARDS DE DOLLARS
Estimation du CA des acteurs « over the top » dans le monde en 2017 (location,
abonnement, publicité), contre 8,2 milliards en 2012. (Source : ABI Research).
C'est donc à travers une langue, une production culturelle, une pensée commune
que se traduit l'uniformisation de la culture qui fait transparaitre la mondialisation actuelle
dans laquelle les États-Unis sont l'idéal type du modèle à adopter. Il est évident qu'internet,
bien que permettant la diffusion d'idées et paroles dissidentes, est dans sa démocratisation
le vecteur d'une culture de masse qui permet de rendre plus uniforme et docile la
population. L'Homme globalisé se doit de parler l'anglais, utiliser les géants de l'internet
américain pour regarder ses films et écouter sa musique préférée. Il convient de ne pas nier
les alternatives qui existent, mais on ne peut que constater que le mode de vie qui est vendu
par Internet se conforme à « l’American Way of life ».
211
https://www.apple.com/itunes/charts/songs/ consulté le 12/07/2014
http://www.latribune.fr/technos-medias/medias/20121116trib000731504/vod-au-secoursles-americains-debarquent-.html
213
Ibid.
212
59
2] Sur le plan de la surveillance :
Comme nous l'avons vu dans les courants néo-luddites, l'aspect sécuritaire et la
dimension de la surveillance des NTIC sont largement critiqués. Il y a maintenant un an,
l'affaire Snowden est apparue dans le champ médiatique. Edward Snowden, informaticien
anciennement employé par NSA et la CIA, est considéré comme le plus grand lanceur
d'alerte connu à ce jour214. En effet, le 6 juin 2013 il révéla au monde comment les agences
de renseignement américaines et britanniques surveillaient la planète. Ces révélations ne
constituent en rien une surprise pour ceux qui connaissent la culture du renseignement 215
mais elles amenèrent surtout une preuve, fortement médiatisée, qui fit taire ceux qui y
voyaient auparavant un « complot paranoïaque ».
La surveillance a de tout temps été employée par les Etats ; la démocratie suppose
une culture du secret pour sa préservation qui éloigne de facto le grand public. On peut donc
avancer que le renseignement est l'une des « caractéristiques fondamentales de la
modernité politique »216. Déjà en 1988 était révélé le réseau Echelon. Ce dernier comprenait
trente-trois stations d'écoutes, des satellites, des capteurs dans les câbles sous-marins et
dans les ambassades, ce qui en pleine guerre froide, permettait d'anticiper les actions de
l'ennemi. Aujourd'hui, c'est au nom de la lutte contre le terrorisme que se fait la
surveillance, mais on constate qu'elle est en réalité économique, politique et militaire.
L'affaire Snowden nous permet de prendre en compte l’ampleur de la surveillance permise
par les NTIC dont les États-Unis sont le créateur et le leader. Dans le cas d'internet, certaines
analyses montrent que « dans son essence même, il y a ainsi la notion d’Etat et de contrôle.
Dans le même temps existe une certaine revendication de liberté créatrice et d’autonomie
disponible »217. Nous n’étudierons pas l’affaire Snowden dans ses détails 218, mais nous
verrons en quoi l’essence des NTIC traduit un contrôle.
214
Jean-Paul Deléage, « Avec Edward Snowden, l’homme sorti de l’ombre qui voulait éclairer le
monde ! », in Ecologie & politique n°48, 2014
215
Céline Zünd «Edward Snowden ne nous apprend rien, mais il amène une preuve» Interview
avec la chercheuse Laurence Nardon, connaisseuse des méthodes de renseignements américains
http://www.letemps.ch/Page/Uuid/062874c8-d521-11e2-a409-316582df7416|0
216
Thomas Bausardo, « Quel passé pour Prism et Snowden ? », in Vacarme, 2014/1 N° 66, p.145
217
François-Bernard Huyghe, « Cyberespace : le temps de l’après Snowden », in Observatoire
géostratégique de l'information, IRIS, 2014, p5 « Edward Snowden, un pur produit américain ? »
Entretien avec Robert Damien Professeur émérite de philosophie politique et d’éthique de
l'Université de Paris-Ouest.
60

De la surveillance physique
Dans les révélations Snowden, nous remarquons que la surveillance s'établit à
différents niveaux dans les NTIC. Nous allons voir ici les techniques d'intrusion et de
surveillance qui s'établissent physiquement.
Tout d'abord dans la constitution même du réseau. En effet, comme l'indique
Nicolas Mazzuchi219 « les États-Unis, via l’ICANN220 et ses dépendances comme Verisign
contrôlent physiquement le réseau ». Car Internet dans sa structure nécessite des
organismes de gestions pour la répartition des noms de domaines et des adresses IP. Or tous
ces organismes ont été créés et sont présents aux États-Unis.
C'est également le cas des serveurs DNS (Domain Name Server) dit « racine ». Les
DNS sont des serveurs de noms de domaines qui permettent de taper une adresse comme
www.internet.com au lieu d'une adresse IP. Or on constate que parmi les treize serveurs
DNS racine qui constitue la base d'Internet existant dans le monde, dix sont situés aux ÉtatsUnis.
Carte représentant la répartition des serveurs DNS racines qui sont la base d'Internet 221
218
Pour connaitre la totalité de la surveillance globale révélé par Snowden voir
http://linuxfr.org/news/synthese-du-programme-de-surveillance-americain ou encore
https://fr.wikipedia.org/wiki/Surveillance_globale
219
Ibid, p9 « Les contradictions des géants du Net »
220
Internet Corporation for Assigned Names and Numbers (ICANN, en français, la Société pour
l'attribution des noms de domaine et des numéros sur Internet) est une société à but non lucratif
créée par une directive du département du commerce des Etats-Unis.
221
Carte provenant de http://www.gecif.net/articles/linux/dns.html
61
Autre élément sur lequel l’affaire Snowden nous éclaire, celui des câbles sousmarins. En effet, on constate que cette infrastructure constitue la colonne vertébrale de la
cyber surveillance. Depuis les années 90 la grande majorité des communications mondiales
transite via quelque 250 câbles sous-marins222. On constate ainsi que la configuration du
réseau fait que Le Royaume Uni est une plaque tournante des communications mondiales :
49 des 165 câbles transitent via l’Angleterre. La NSA aurait chargé les services anglais223 (le
GHCQ), dans le cadre du programme top-secret « Tempora », d’intercepter l'ensemble des
communications des sept opérateurs mondiaux via les 71 stations britanniques
d'atterrissage des câbles.
Carte représentant les différents câbles sous-marins qui constitue le réseau avec en rouge ceux
dont le GHCQ à accès et en vert les autres câbles 224
222
La connexion satellitaire étant très chère et couteuse en temps. 99 % des communications
passent par les câbles.
223
http://www.lemonde.fr/europe/article/2013/06/21/les-services-secrets-britanniquesespionnent-internet-par-les-fibres-optiques_3434693_3214.html
224
Carte issue de http://www.lemonde.fr/technologies/article/2013/08/23/les-cables-sousmarins-cle-de-voute-de-la-cybersurveillance_3465101_651865.html
62
De plus, les États-Unis se dotent également de matériel sophistiqué comme des
ordinateurs quantiques225 pour casser des chiffrages complexes. Ce projet est fait partie d’un
programme nommé « Pénétrer les cibles difficiles »226, avec un budget avoisinant les 80
millions de dollars USD. Ce matériel aurait comme objectif le « cassage » de système de
chiffrement comme celui utilisé par le réseau tor227
Finalement, on peut indiquer que la NSA avait accès physiquement à des colis
postaux pour intercepter des routeurs ou ordinateurs afin d'implémenter des tracers et des
balises de surveillance et repérage.
A gauche des agents de la NSA en train d’ouvrir un colis contenant un
routeur Cisco. A droite une station d’implémentation de balises

Sur les logiciels/applicatif
C'est à différents niveaux de la machine que se fait la surveillance. Tout d'abord
dans la base même de la machine, le noyau, puisque Linus Torvalds228 a reconnu229 lors
d’une conférence à New Orléans, avoir été contacté par des instances gouvernementales
pour laisser des portes ouvertes -ou chevaux de Troie- dans son système linux.
225
http://www.washingtonpost.com/world/national-security/nsa-seeks-to-build-quantumcomputer-that-could-crack-most-types-of-encryption/2014/01/02/8fff297e-7195-11e3-8defa33011492df2_story.html
226
The Washington Post du 3 janvier 2014
227
Tor (acronyme de The Onion Router, littéralement le routeur oignon) est un réseau
informatique superposé mondial et décentralisé qui permet pour l’utilisateur de naviguer
anonymement. Ce réseau permet également l’accès à ce que l’on nomme le Darknet, c’est-à-dire des
sites web cachés, souvent liés aux marchés noires et aux activités underground.
228
Linus Benedict Torvalds, né le 28 décembre 1969 à Helsinki en Finlande, est un informaticien
américano-finlandais connu pour avoir créé en 1991 le noyau Linux
229
http://beta.slashdot.org/story/191799
63
De nombreuses théories supposent également que les drivers de Windows
contiennent une clé de la NSA230 pour lui permettre d'avoir accès à Windows, et ce depuis
Windows 95.
Il est dorénavant de notoriété publique que de nombreuses portes ouvertes sont
présentes dans les smartphones (BlackBerry, iPhone par exemple). Ces systèmes sont
totalement compromis231 et permettent de géolocaliser l’utilisateur, lire ces messages ou
suivre ses appels téléphoniques.
L'affaire PRISM232 a révélé que la NSA avait un accès privilégié aux géants
d’Internet233 c’est-à-dire aux serveurs de Facebook, Hotmail, Yahoo, Google, Apple, AOL,
Skype, YouTube… ce que les entreprises ont formellement démenti, car cela nuisait à leur
image de société « cool et alternative ». Cette affaire a mis à jour le vrai visage des
entreprises américaines qui collaborent toutes, même si elles ne l’ont jamais reconnu.
Comme ce fut le cas pour Apple qui dément formellement d’avoir créé les portes ouvertes
pour IPhone avec la NSA234.
La NSA surveillait donc les ordinateurs, les téléphones portables, mails et comptes
sur les réseaux sociaux. De plus elle pouvait utiliser des applications connues qui servaient
juste au contrôle, comme l'application « Angry Birds » 235 jeu populaire chez les jeunes qui
permettait de récolter des informations comme l'orientation sexuelle, le genre, l'ethnie, le
nombre d'enfant…
230
Snowden n’a jamais confirmé cette hypothèse, mais elle est développée par de nombreux
chercheurs en sécurité informatique http://www.undernews.fr/anonymat-cryptographie/vie-priveela-nsa-soctroie-un-backdoor-dans-tous-les-systemes-windows.html
231
Voir le document top-secret :
http://www.spiegel.de/static/happ/netzwelt/2014/na/v1/pub/img/Handy/S3222_DROPOUTJEEP.jpg
232
PRISM, également appelé US-984XN1, est un programme américain de surveillance
électronique par la collecte de renseignements à partir d'Internet et d'autres fournisseurs de services
électroniques
233
http://www.lemonde.fr/international/article/2013/10/22/prism-un-acces-privilegie-auxserveurs-des-geants-de-l-internet_3500804_3210.html
234
http://www.theguardian.com/technology/2013/dec/31/apple-nsa-backdoor-iphoneprogram
235
http://www.theguardian.com/world/2014/jan/27/nsa-gchq-smartphone-app-angry-birdspersonal-data
64
D’autre jeux sont concernés comme World of Warcraft236 ou Second life car les
agences américaines avaient peur que les terroristes s'en servent pour faire discuter et faire
transiter de l'argent illégalement.
Autre élément notable dans l’affaire Snowden : la révélation concernant les services
britanniques, le GHCQ237 , sur le contrôle et la manipulation des masses. En effet, comme il a
été expliqué par le journal The Intercept238, le GHCQ a développé différentes techniques
pour influencer la population. Nous en citerons quelques-unes à titre d’exemple:
- Outils qui permettent d’attaquer et bloquer des sites qui diffusent des
informations compromettantes ou gênantes
- Outils pour truquer les sondages
- Outils pour augmenter le nombre de visionnages de sites ou de vidéos
- Outils pour envoyer des emails sous une fausse identité
Ces différents stratagèmes prouvent bien la volonté étatique d’employer
l’informatique pour le contrôle et l’influence.
Bien évidemment, les systèmes de surveillance et de contrôle ne touchent pas que
la NSA, qui n’est qu’une des seize agences de renseignement américaine. On peut également
citer une autre institution : L’Information Awareness Office (IAO), créée par le Defense
Advanced Research Projects Agency (Agence pour les projets de recherche avancée de
défense), après le 11 septembre 2001. Elle est spécialisée dans l’usage des NTIC. Sa mission
était d’imaginer, développer et intégrer des techniques informatiques qui permettaient la
lutte contre le terrorisme et la protection de la sécurité nationale. Elle s’occupe donc de
récolter des images (par Internet ou caméras de surveillance ou tout autre support) à des
fins d’analyse biométrique (créer des bases de données biométriques d’individus), de
collecter les transactions bancaires, les appels téléphoniques, les dossiers médicaux ou
encore les emails personnels.
236
http://playtime.blog.lemonde.fr/2013/12/09/world-of-warcraft-nid-despions/
Le Government Communications Headquarters (GCHQ, littéralement « quartier-général des
communications du gouvernement ») est le service de renseignements électronique du
gouvernement britannique.
238
Article originale disponible sur https://firstlook.org/theintercept/2014/07/14/manipulatingonline-polls-ways-british-spies-seek-control-internet/
237
65

Conclusion surveillance.
Par ces révélations, les États-Unis ont perdu l'image de défenseur de la démocratie
qu'ils tentaient jusque-là de diffuser. En effet, on constate qu'ils ont ainsi défini un « tout »
englobant le reste du monde, comme un ennemi à surveiller et à contrôler. Pour eux,
l'altérité constitue l'adversité. Et les NTIC en sont l'outil principal, servant à contrer cette
diversité menaçante pour leur domination. Les machines ont donc bien une essence de
contrôle, qui transparaît de façon flagrante dans les différents exemples que nous avons
cités préalablement. Les producteurs de NTIC sont coupable de créer des outils qui
contiennent ou supposent une surveillance de ses utilisateurs. Nous verrons dans les
recommandations comment se prévenir de telles menaces.
Ainsi, la déstructuration du monde est renforcée dans le cyberespace. Les
entreprises de la Silicon Valley ont réagi, feignant d’être surprises. C'était la meilleure
stratégie à adopter mais cela a réellement nui à leur image qui se voulait normalement cool
et branchée.
3] Sur le plan économique
Après avoir étudié en quoi les NTIC sont vecteurs de soft-power et de contrôle sur
le plan de la culture et de la surveillance, nous verrons la dimension économique. Nous ne
présenterons pas en quoi les NTIC sont vecteurs de puissance économique pour les ÉtatsUnis mais plutôt en quoi ces outils technologiques permettent la diffusion d'un modèle
économique, voire de société. Pour cela nous nous pencherons sur une icône de la réussite
américaine, Bill Gates, pour comprendre quel est le visage du « capitalisme cool » traduit par
les NTIC. Et dans un second temps, nous pencherons sur ce qu'induisent les services gratuits
émis par le privé, et sur ce que réalise l'utopie numérique

La figure de la réussite : Bill Gates
Nous aurions pu nous pencher sur une autre figure qui représente et personnifie le
triomphe de son époque comme Steve Jobs, le créateur de Apple ; mais Bill Gates reste la
66
personne la plus riche au monde239et la plus représentative du modèle économique insufflé
par l’ère technologique.
En effet, Gates est le symbole du « self made man » : en commençant à
programmer très jeune avec des amis, il finit, au fil des années, à devenir le dirigeant d'une
des plus grandes et influentes entreprises du secteur technologique au monde : Microsoft.
Mais à quelle vision de l'économie se rattache-t-il ?
C'est le « friction free-capitalism »240 qui est soutenu par Gates. Littéralement « un
capitalisme sans frictions », c'est à dire une vision de l'économie totalement imprévisible,
avec un marché déréglementé, où la concurrence est en augmentation permanente et où la
compétitivité règne en maître. Dans cette économie sans frictions, les intermédiaires
disparaissent au profit de l'offre. Certains analystes, déjà en 1996 241, redoutaient le nombre
d'emploi que cette nouvelle organisation allait faire disparaître au profit des machines. Mais
Bill Gates souhaite faire le lien entre le cyberespace et le rêve américain 242 en permettant à
chacun de consommer suivant ses besoins. Dans son ouvrage, il présente même sa vision de
ce que sera la consommation du futur : une hyperpersonnalisation de l'offre, en fonction des
usages du consommateur. Il prend ainsi l'exemple243 d'une personne qui regarde un film et
trouve les lunettes de soleil de l'acteur jolies. Un programme informatique lui proposera
alors plus d'informations sur ces lunettes, et il pourra même les acheter. De plus, les
produits culturels doivent être pour Gates gratuits244 et financés par la publicité. Publicité
dont il fait l’éloge car elle nous est devenue « familière » et supporte le fonctionnement d'un
système.
Internet est ainsi présenté comme un paradis du consommateur. Il n'y aura plus
besoin de sortir, tout se fera à domicile sans quitter son habitation qui sera elle-même
239
En se basant sur le classement réalisé par Forbes en 2014
http://www.forbes.com/billionaires/
240
Expression que l'on retrouve dans son livre «The Road Ahead », elle fut analysée par le
magazine Inc en 1996 http://www.inc.com/magazine/19960601/1690.html
241
'Friction-Free' Economy Rhetoric Holds a Time Bomb http://articles.latimes.com/1996-0111/business/fi-23355_1_time-bomb
242
Ibid.
243
Cet exemple est présenté dans l'ouvrage collectif Media et technologie : l'exemple des EtatsUnis, ch 4 « culture informatique », éd ellipses,p150
244
Ibid. p151
67
connectée. L'idéal selon Bill Gates245 serait alors d'avoir des individus qui puissent travailler
en ligne, acheter en ligne et jouer en ligne. Bref, un être ultra connecté et casanier qui
donnera un monde de consommateurs atomisés où l’idéal serait l'homo œconomicus.

Ce que la gratuité de service et ce que l'utopie numérique réalisent
Nous l'avons vu, l'idéal économique qui s'impose reste très américain. La vision du
marché, de la consommation ou bien de la concurrence est ainsi différente de celle
traditionnellement admise en Europe. Notons par exemple que la stratégie en matière de
concurrence qui consiste à « abattre » l'adversaire par tous les moyens reste très anglosaxonne.
Dans l'évolution cybernétique dans laquelle nous nous trouvons, il est possible
d'expliciter différents points qui nous informent mieux sur le type de modèle économique
qui est mis en place.
- l'utilisateur devient produit
En effet, il apparaît de plus en plus de services et d'outils gratuits : réseaux sociaux
type Facebook ou encore des jeux (Team Forteress 2, applications smartphone…). Cela n'est
pas pour rien qu'ils sont gratuits : les données et informations de l’utilisateur représentent
une manne financière non négligeable. La gratuité qui pouvait représenter un idéal
libertaire, est en réalité une figure de proue de l'idéal capitaliste américain. « Elle [la
gratuité] transcrit plus un modèle économique qu’un idéal politique »246. Google reçoit ainsi
99 % de ses revenus par la publicité. C'est en effet le moteur de son économie, car grâce à
ces outils gratuits, cette société peut réaliser des publicités extrêmement ciblées. Par
exemple, les emails stockés sur Gmail, le service d'email de Google, sont « lus » et
analysés247 par un programme qui vous retourne des publicités en rapport avec votre
courrier. Cette capacité à anticiper donne lieu parfois à des situations surprenantes. Ainsi
Google, grâce aux données collectées, a mieux anticipé la diffusion de la grippe 248 que les
245
Ibid. p153
Vicente Michaël, « Google est-il "libertarien" de gauche ? », Multitudes, 2009/1 n° 36, p72
247
Cela est d'ailleurs décris très explicitement dans leurs conditions d'utilisations
http://www.google.com/intl/en/policies/terms/archive/20131111-20140414/
248
http://sciences.blogs.liberation.fr/home/2008/11/google-dtecte-l.html
246
68
institutions de santé. Autre exemple. À cause des publicités de vêtements pour nourrisson
qu'elle recevait par email, un père de famille américain a appris que sa fille était enceinte 249.
Nous comprenons donc que la quantité d'informations récoltées par nos usages d'outils et
de services gratuits constitue une réelle puissance économique. Ce n'est pas pour rien
qu'aujourd'hui les géants de l'Internet américain tentent de faire diminuer la protection
personnelle des données en Europe. C'est ainsi que se propagent des outils massifiés
gratuits. Mais le gain de la gratuité ne se fait pas que sur la collecte d'informations de ses
utilisateurs. Elle se fait également par la vente d'éléments de personnalisation ou
d'optimisation. Par exemple, dans le cas des jeux gratuits par navigateur, la vente des objets
virtuels (personnalisation d'armes, objets ou argent électroniques) « représente aujourd’hui
60% des revenus totaux »
250
des activités, soit un marché d'environ 14 milliards USD. Ces
biens intangibles permettent soit à l'utilisateur de se distinguer physiquement des autres
joueurs, soit à le faire progresser plus rapidement. Ce phénomène d'ultra personnalisation
par la consommation n'est certes pas nouveau, mais il s'intègre parfaitement dans un
modèle économique via les NTIC. Il est également intéressant de souligner que ces
tendances posent des statuts de vendeur et de consommateurs particuliers.
- les figures précapitalistes
Pour alimenter cette économie capitaliste florissante qui existe à travers les NTIC, il
apparaît qu'il existe des travailleurs souvent exploités qui vivent au dépend de la société
technologique. Tout d'abord, concernant le recyclage des déchets informatiques, on
constate que les résidus sont souvent envoyés dans des pays peu développés ou en cours de
développement. Ainsi, l'Inde est une plateforme du recyclage251. On y trouve des travailleurs
de tout âge (des enfants aux personnages âgées) et dont les salaires restent extrêmement
faibles (un euro par jour). De plus, ces figures précapitalistes sont présentes à tous les
niveaux de la chaîne cybernétique. Ainsi la
249
célèbre entreprise Foxconn en Chine, qui
http://rue89.nouvelobs.com/2014/03/11/donnees-persos-europeens-lisez-bien-petitehistoire-pere-americain-250588
250
Garnier Marion et Prostak Guillaume, Pourquoi payer dans un jeu gratuit ? Vers un profil du
joueur prêt à payer pour un objet virtuel dans un jeu par navigateur,
http://www.colloqueemarketing.com/app/download/8113406/M.+GARNIER+et+G.+PROSTAK.pdf
251
http://www.lexpress.fr/actualite/societe/environnement/les-ferrailleurs-du-hightech_486197.html
69
fabrique entre autre les IPhone, use de méthodes jugées « esclavagiste »252 sur de nombreux
points (bas salaire, punitions physiques, non-respect du nombre d'heures à travailler etc.).
Autre exemple. Nous avons parlé préalablement d'argent virtuel utilisé dans les
jeux. Il existe, notamment en chine, des sociétés qui vendent de « l'or virtuel ». Ainsi, des
travailleurs chinois sont employés pour jouer de nouveaux « ouvriers virtuels »253, payés
quelques dollars de l'heure. Ils alimentent un marché qui dépend uniquement des NTIC et
dont le système économique dépend.
- chacun devient une entreprise/un entrepreneur
Toujours dans les caractéristiques du modèle économique sous-jacent au monde
numérique, on peut relever une tendance qui souhaite faire de chacun un entrepreneur
potentiel. C'est au nom de « l'économie de partage » que se réalise le désir de la Silicon
Valley. On voit ainsi apparaître des plateformes en ligne comme Uber (des particuliers
proposent leurs services comme taxi) ou encore Airbnb (les particuliers proposent leurs
habitats comme hôtel). Dans ces différents exemples, le travailleur se trouve « radicalement
individualisé, ne bénéficie que d'une protection sociale symbolique ; il assume les risques qui
pesaient auparavant sur les employeurs ; ses possibilités de négociation collective se
réduisent à néant »254. De plus, il doit vendre sa force de travail au jour le jour. On retourne
ainsi dans une conception particulière du néo-libéralisme, car ce sont les « mécanismes
autorégulateurs »255 (le marché évalue le travailleur via les sites web) qui sont jugés plus
efficaces que les lois, qui elles sont perçues comme peu efficaces.
Certains analystes256 pointent déjà les dérives possibles d'un tel système :
- Fin de la professionnalisation puisque tout le monde est apte à fournir sa force de
travail
- Risque de monopole des plateformes de service qui entravent la concurrence
- Dépendance pour les travailleurs qui risquent de ne pouvoir exister qu'à travers les
252
http://www.marianne.net/Foxconn-le-fabricant-d-iPhone-experimente-l-esclavagemoderne-en-Chine_a199029.html
253
http://playtime.blog.lemonde.fr/2011/04/08/les-biens-virtuels-un-marche-de-3-milliardsde-dollars/
254
Morozov Evgeny « de l'utopie numérique au choc social », Le monde diplomatique, aout
2014
255
Ibid.
256
http://www.lesechos.fr/economie-france/social/0203508632953-economie-du-partage-leslimites-d-une-utopie-672219.php
70
plateformes
Mais cette vision de l'individu ne se limite pas qu'aux plateformes en ligne. En effet
le courant des « makers »257 qui soutiennent activement la diffusion des imprimantes 3D,
affirme vouloir faire baisser le chômage en permettant à chacun de produire
individuellement des pièces par l'impression 3D. Chacun serait alors un ouvrier individualisé,
qui produirait quotidiennement de quoi subsister.
Cette vision du « capitalisme cool » qui se retrouve tant chez Bill Gates que chez les
sociétés les plus influentes en matière de NTIC de la Silicon Valley, s'inspire du
libertarianisme258, où des économistes tels que Friedrich Hayek font figure de maitres à
penser. L'atomisation du travailleur, la régulation du marché sans loi ou encore la
suppression des protections sociales en sont entre autres les caractéristiques. Ce sont
l'expression d'un modèle imprégné de culture anglo-saxonne porté par les NTIC qui tente,
par tous les moyens, de s'imposer au reste du monde.
B] Ce que sous-entend un cyber-monde
Après avoir étudié différents exemples et analyses qui tendent à démontrer que les
NTIC ont une visée de contrôle et sont employées en tant que soft-power par les États-Unis,
nous reviendrons sur plusieurs points à développer pour comprendre ce que sous-entend le
cyberespace dans la société de l'information. Pour cela nous développerons deux points
précis. Tout d'abord, nous nous tenterons de définir et analyser la notion de capital
technique. Ensuite, nous développerons la posture de l'ethical hacker.
1] Le capital technique
Lorsque Bourdieu dans la distinction propose d'analyser les fondements des
groupes sociaux, il définit trois formes de capital différentes. En effet on peut distinguer le
257
Söderberg Johan, Illusoire émancipation par la technologie, Le monde diplomatique, janvier
2013
258
Le libertarianisme est une philosophie politique prônant, au sein d'un système de propriété
et de marché universel, la liberté individuelle en tant que droit naturel. La liberté est conçue par le
libertarianisme comme une valeur fondamentale des rapports sociaux, des échanges économiques et
du système politique.
71
capital économique qui retranscrit le niveau économique dans la société de l'individu.
Egalement le capital culturel qui englobe l'ensemble de ses ressources culturelles (culture
générale, pratiques culturelle...). Puis le capital social qui est l'ensemble des ressources
sociales (réseau, connaissances plus ou moins institutionnalisées) dont dispose l'individu.
A partir de ces définitions, il lui est permis de déterminer des activités culturelles
(regarder la télévision, lire des journaux régionaux, aller à l'opéra….) en fonction d'un groupe
social. Par exemple, les individus ayant un capital économique élevé et un capital culturel
fort auront tendance à employer la culture légitime comme aller au théâtre. Tandis que ceux
se trouvant à leur opposé dans la hiérarchie sociale (capital économique et culturel faible)
auront plus tendance à pratiquer des activités dites illégitimes comme aller voir du foot.
Alors comment définir et intégrer à ces analyses la pratique éclairée des NTIC ?
Car en effet il s’est créé une distinction parmi les utilisateurs des NTIC. Au départ de
l'informatique, les interfaces hommes/machines n'étaient pas aussi aisées qu'actuellement.
Il n'existait pas de GUI (pour graphical user interface traduit par interface graphique),
l'utilisation se faisait en ligne de commande, ce qui supposait trois choses :
- il était obligatoire pour l'utilisateur de lire et connaître les manuels d'utilisation ou
de commandes système
- il était obligatoire pour l'utilisateur de comprendre comment fonctionnait sa
machine
- le contrôle par l'utilisateur sur l'usage de la machine était fort, car il agissait
directement sur le système via des commandes.
Aujourd'hui, des interfaces de plus en plus simplifiées voient le jour, le système
tactile étant son apogée. Ceci au nom la démocratisation du numérique, ce qui implique
plusieurs éléments :
- l'utilisateur n'a pas à apprendre les commandes qui agissent directement sur le
système
- des applications agissent sur le système à la place de l'utilisateur
- l'utilisateur n'a pas à comprendre comment son système fonctionne pour l'utiliser
Cela traduit donc une distinction entre l'utilisateur éclairé, qui saura créer ses
programmes et avoir un accès plus direct à son système (et donc mieux le contrôler) et
l'utilisateur lambda qui ne saura qu'appuyer sur des boutons qui agiront à sa place.
72
La tendance allant vers des systèmes de plus en plus simplifiés et fermés, le fossé
entre utilisateur éclairé et utilisateur lambda va de plus en plus s'agrandir.
Nous proposerons donc, pour mieux comprendre la société dans laquelle nous
vivons de définir la notion de capital technique, qui englobe l'ensemble des ressources
techniques dont dispose l'individu dans l'usage des NTIC dans la société de l'information.
C'est ce qui traduit sa capacité à agir, contrôler et diffuser l'information.
On ne peut pas englober le capital technique dans le capital symbolique, car il n'est
pas affilié à une pratique légitime et à une quelconque acceptation de la part de la société.
Il s'est donc créé une cyber-élite dans la société de l’information : les ingénieurs
systèmes, programmeurs et administrateurs entre autres. Ces individus se distinguent par
leur capacité de contrôle sur les NTIC. Etant le médium de l'information, ils sont devenus
maitres dans la société de l'information et, par là, ils ont un pouvoir certain sur l’économie,
la surveillance et la politique du pays.
Cette distinction est aussi générationnelle : les utilisateurs des premiers temps de
l'informatiques ont un capital technique souvent plus élevé que les générations ayant appris
via les interfaces graphiques ou le tactile.
La cyber-élite ne se traduit pas forcement par un capital culturel, économique, ou
social spécifique. Car des individus de tous groupes sociaux peuvent en faire partie : du petit
programmeur autodidacte aux grand patrons de la Silicon Valley. Mais ils maitrisent tous un
langage et une culture technique commune.
Nous nous pencherons ensuite sur une figure majeure de ce groupe social, car c'est
une figure historique voire politique du champ des NTIC : l'ethical hacker.
2] L’ethical hacker
Ce versant idéologique se développa au sein du MIT 259 dans la fin des années 60 et
au début des années 70, époque des « lsd tours » et en pleine vague hippie. De nombreux
chercheurs en furent inspirés et voulurent développer la technologie autour des aspirations
de l'époque. Dans une perspective humaniste et positiviste, ils définirent la figure du
« ethical hacker », le bidouilleur/chercheur éthique, dont de nombreux écrits, surtout en
259
Le Massachusetts Institute of Technology ou MIT, en français Institut de technologie du
Massachusetts, est une institution de recherche et une université américaine, spécialisée dans les
domaines de la science et de la technologie. Située à Cambridge,
73
anglais260, tentent de définir les règles, ou plutôt les lignes de conduites à adopter pour se
définir en tant « qu'hacker éthique ». Ces commandements sont surtout implicites, et ne se
présentent pas sous la forme de contrat, elles définissent avant tout la communauté de ceux
qui s'en réclament :
- La croyance au progrès : les outils informatiques rendront le monde « meilleur ».
- La défense et la primauté de l'information décentralisée, et accessible à tous.
- Les individus s'évaluent en fonction de leurs actions et non en fonction de leurs
origines sociales, culturelles, ou même de leur sexe.
- La technologie peut créer de l'art et de la beauté
- Le pouvoir, l'autorité et la centralisation sont dangereux
Dès l’origine, les NTIC se développèrent à travers deux visions concurrentes : celle
des grands groupes industriels et étatiques tels que Microsoft ou Google, et celle des
défenseurs de logiciels et de la connaissance libre qui se réclament de la figure de l'ethical
hacker.
Dans cette conception éthique, il y a une dimension pratique. En effet, l'ethical
hacker se distingue du cracker261 qui est son versant adverse. Le cracker (également
surnommé « black hat ») est le bidouilleur qui utilise ses compétences pour nuire ou profiter
du système (cybercriminalité, virus informatique etc...).
Mais la figure du hacker ne s'inscrit pas uniquement dans la technique des NTIC
comme l'informatique. En effet, les principes qui le définissent se retrouvent dans d'autres
domaines, et il englobe « tout spécialiste qui franchit les frontières usuelles ou
autorisées »262 « dès l’instant où l’art et le soin que l’on apporte à son ouvrage atteignent un
certain degré d’engagement »263. On retrouve ainsi des « bio-hackers » qui jouent avec les
génomes comme le collectif américain DIYbio264 (Do-it-Yourself Biology littérallement "faites
de la biologie vous-même"). L'éthique prônée par le hacker est donc transposable à d'autres
260
On remarquera tout de même la traduction récente de l'ouvrage de Steven Levy : L'Ethique
des hackers, éd Globe, 2013, qui fait objet de référence en la matière.
261
Matouk Jean, « Briseurs de code », Médium, 2008/3 N°16-17, p. 290
262
Ibid. p291
263
Cornalba Vincent, « Hacker vaillant » Prince de l'impossible, Adolescence, 2013/2 T.31 n° 2,
p. 380
264
http://www.lemonde.fr/le-monde-2/article/2009/09/04/biohackers-les-bricoleurs-dadn_1235563_1004868.html
74
techniques. Cette vision part en effet du principe que tout est modifiable. Il faut bien
comprendre que dans le schème de penser du hacker, il n'y a pas de sécurité absolue, tout
est détournable, comme le définissait déjà les fabricants de faux papier pendant la deuxième
guerre mondiale : «ce qui a été fait et imaginé par l'Homme peut forcément être reproduit
par un autre »265
Mais dans quel schème organisationnel évolue l'ethical hacker ? Est-il maintenu
face à la démocratisation d'Internet ?

L'exemple des forums d'échange de fichiers illégaux
C'est dans une optique communautaire et opaque (underground) que se développe
l'organisation traditionnelle du hacker. Dans les 1990/2000 la contrefaçon sur Internet se
développa. Il se créa des forums (espace de discussions) spécialisés dans les échanges de
fichiers pirates (films, musique, jeux, BD…) communément dénommés « warez266 ». Ces
forums, loin d'une organisation anarchique, étaient parfaitement structurés. En effet, il
existait une hiérarchie dans le contenu du forum (public, semi-privé, privé) dont l'accès
dépendait de l'implication de ses membres. Les membres pouvaient avoir différentes
fonctions :
- scanner : le membre doit tester des plages d'adresses internet pour y trouver soit
des failles de sécurité, soit des espaces de stockage non protégés
- stromaker : le membre doit créer des espaces de stockage sur des ordinateurs
compromis
- uploader : le membre doit envoyer des fichiers pirates sur les espaces de stockage
Ces différentes fonctions amenaient au membre une reconnaissance de la part de la
communauté qui lui octroyait l'accès à des parties plus privées du forum.
C'est cette organisation qui primait le plus dans la communauté du warez, mais elle
fut bouleversée par la démocratisation d'Internet et les réseaux dits P2P 267 (pair-à-pair). En
265
266
267
Sarah Kaminsky, Adolfo Kaminsky, une vie de faussaire, éd Calmann-Lévy, 2009, p168
Le terme provient d'une déformation du mot anglais wares (« marchandises » en français)
Peer-to-peer, souvent abrégé par « P2P »
75
effet, avec les nouveaux moyens d'échange P2P (Emule, Kazaa, Bittorrent) il n’était plus
nécessaire de participer à la communauté pour accéder aux fichiers pirates. Il apparut
ensuite de nombreux sites web financés par la publicité proposant librement des fichiers
pirates. Et finalement, avec l'augmentation des débits de connexion, le streaming 268 fit son
apparition, entérinant la fin des anciennes formes d'organisation qui avaient jusque-là
primées. L'éthique et la philosophie qui contenait auparavant les communautés warez reste
maintenant l’apanage d'une minorité.
La démocratisation tant voulue par l'ethical hacker mena à une perte des notions de
partage, d'usage éclairé et de désintéressement qui était un des pivots de l’idéologie qu’ils
défendaient.
268
Désigne le principe d'envoie en continue de fichier (musique, vidéos...)
76
C] Préconisations
Nous étudierons à présent les préconisations qui peuvent être apportées par
rapport à nos problématiques. Nous nous pencherons dans un premier temps sur les
solutions fournies par deux philosophes, et plus précisément par la pensée de Gunther
Anders et Jacques Ellul, pour ensuite présenter différentes initiatives qui pourraient libérer
la France, et plus particulièrement l'individu, de l'emprise technique telle qu'elle a été
présentée auparavant.
1] Préconisations Anders
Günther Anders se refuse à présenter un programme ni des conseils directifs à des
groupes pour le futur .il va s’adresser généralement plutôt à la conscience individuelle de
l’homme plutôt qu’aux groupes des hommes dont il a vu tant d’erreurs dans le passé. C’est
donc négativement que nous pouvons affirmer ce qu’il voudrait réimplanter dans la société
humaine. Nous le présenterons sous trois points : au niveau du travail puis au niveau
politique et enfin au niveau moral.

Au niveau du travail
On ne peut plus séparer travail et loisir. Il faut retrouver (comment ? Anders ne le
dit pas) le plaisir œuvre/travail dans lequel le loisir n’est pas perçu comme survie (Marx) ni
exploité par d’autres travaux forcés. Cela ne semble possible qu’en étant indépendant
(comme l’écrivain avec le risque cependant d’être récupéré par le système269) et en réalisant
une véritable praxis270 par laquelle, librement, l’homme transforme la matière et se
transforme de ce fait lui-même. Ce serait donc un travail librement choisi.

Au niveau politique
Il faut que la démocratie apparaisse. L’Homme ne doit plus être manipulé comme
une masse qui tourne autour de ses plaisirs. Il est nécessaire de s’extraire de sa bulle afin de
269
L’obsolescence de l’Homme, Tome 2, p178
L’obsolescence de l’Homme, Tome 1 p229 « Il est également dépossédé du travail lui-même
puisqu’on lui livre à domicile des objets prêts à être consommés (et avant tout des objets de loisir). »
270
77
prendre du recul sur le monde, le pouvoir, et de faire rejaillir le citoyen. Il faut de nouveau
s’indigner271 et retrouver une liberté d’expression des opinions272. Séparer le fait et son
interprétation, c’est avoir une vue individuelle sur le monde, mais ceci nécessitera un gros
effort, celui « d’une restructuration de la production et pas seulement de l’Etat ».Ne faudrat-il pas en passer par la violence ?273
De plus, il est indispensable de faire une politique pour les générations futures,
pour éviter que l’humanité disparaisse en totalité, aussi bien immédiatement contre tout ce
qui est nucléaire274 (dangers et déchets Anders est très engagé sur ces points), que contre
tout ce qui est colonisation (honte du Vietnam275 par exemple) et pouvoir technique (ne pas
tout accepter au nom du progrès ou de la productivité). Enfin, la nécessité est impérieuse
d’élaborer immédiatement une réflexion sur les manipulations sur l’Homme et sur la
Nature276.

Au niveau moral
On ne peut plus s’appuyer seulement sur la morale kantienne. Le fait que Kant exige
le respect comme fin seulement à l’homme et non pas à la nature ne convient plus
aujourd’hui277 .En revanche, la séparation kantienne raison/bonne volonté peut, elle, nous
aider à ne pas traiter l’autre comme un moyen mais comme une fin, à éviter des sentiments
qui peuvent être manipulés. Mais ce sont des principes qui sont difficiles à mettre en place,
trop mécaniques, aussi une morale individuelle et humaniste simple et réactive est
préférable. Il faut avant tout prendre du recul face au monde et éveiller son propre esprit
critique, sans recours à une puissance divine. Et on doit pouvoir s’engager alors « sur nos
propres chemins »278, retrouver notre moi, assumer seul notre peur, retrouver aussi la
parole et l’imagination générant des sentiments, se rapprocher véritablement des autres,
271
L’obsolescence de l’Homme, Tome 2 p190
Ibid. p258
273
Une contestation non violente est-elle possible ? in Forum n°28-29 p224
274
Ibid. p292 et p331
275
Ibid. Cf. note p282
276
Ibid. P23-24
277
Ibid. p26, note 11
278
L’obsolescence de l’Homme, Tome 1 p134 « Le monde a perdu ses chemins. Nous ne
parcourons plus les chemins, on nous restitue « le monde ».
272
78
réinstaurer la fraternité et la pitié et enfin explorer le monde. Bref, il s’agit de retrouver
l’être en soi279 de l’Homme et notre responsabilité individuelle.
2] Préconisations Ellul
Même si Ellul déclare en 1982 dans Changer de révolution « Actuellement j’estime
que la partie est perdue » on peut, de manière plus optimiste, dégager négativement à
travers son œuvre certaines préconisations contre les contraintes techniques qui ont
mécaniquement annihilées l’Homme. Examinons ces pistes d’espérance en trois points. Tout
d’abord les préconisations politiques ensuite les préconisations pour le travail et enfin les
préconisations morales, que nous critiquerons cependant

Préconisations politiques
La politique est tellement incorporée au système technologique qu’elle est à sa
traine. Certains choix économiques sont très hasardeux280, il faut donc qu’elle se fasse
entendre de nouveau. Il y a nécessité d’homme politique qui puisse « trancher » sans
sacrifier son peuple aux experts en technologie qui posent des diktats technologiques, aux
machines calculatrices281 ou aux lobbies282. Rétablir l’emploi283 est préférable à la croissance.
Il ne faut plus privilégier le rentable, le profit, le marché par rapport à l’Homme 284, il faut
briser les monopoles, « outils de la double révolution informatique et économique ».
Mais ce n’est pas l’Etat qui doit vraiment incarner le politique. C’est plutôt le
citoyen humaniste qui doit imposer ses valeurs de justice, de responsabilité immédiate avec
son voisin, de solidarité avec le faible. D’où une méfiance nécessaire avec toutes les formes
d’état politique qui prétendraient nous diriger sans autoriser de prises de conscience
individuelle285 sous peine d’abdiquer notre autonomie.
279
280
281
282
283
284
285
L’obsolescence de l’Homme, Tome 2 p158
Le Bluff technologique p448
Ibid. p105
Ibid. p586
Ibid. p568
Ibid.. p571
L’illusion politique, 1965
79

Préconisations pour le travail
On peut distinguer deux types de travaux. Premièrement celui des usines, qui est un
travail totalement épuisant. Ellul aimerait que l’ouvrier retrouve « le sens de l’œuvre »286.
C’est un travail polyvalent dans lequel on peut voir un but final. Le deuxième travail est lié à
l’informatique et prétend avoir deux avantages sur le précédent : être moins épuisant et plus
décentralisé. Ce qui est en réalité est faux puisque ce travail est également épuisant puisqu’il
« élimine les temps morts d’où les rythmes effrénés »287 et ne décentralise rien.
Contre tout cela dans son livre « Pourquoi travaillons-nous ? » éd La table ronde,
Ellul, dans son article 8, fait plusieurs propositions, dont une répartition des richesses (ce
serait la fin du prolétariat) et une autogestion (possible en petites unités de travail). Le
salarié diminuant son temps de travail et participant aux efforts collectifs retrouverait un
sens à son travail, comme réalisation de soi, vocation. Le travailleur peut s’épanouir aussi en
création, ou dans des associations, etc.…
Cette conception du travail prétend en plus répondre au message moral chrétien.
C’est ce que nous allons examiner.

Préconisations morales
C’est contre l’absurdité due au désespoir devant le monde ou à une responsabilité
impuissante ou à l’histoire288 que la morale, source d’espoir, doit se constituer. Nous la
définirons négativement d’un point de vue collectif puis subjectivement à travers les
croyances d’Ellul.
D’un point de vue collectif, il faudrait tout d’abord repenser l’éducation (moins
technique, plus humaniste)289, instaurer une solidarité290, ne plus associer Dieu et la
technique291, se déjouer des pièges de la consommation et des médias.
286
287
288
289
290
291
La technique ou l’enjeu du siècle p340
Le bluff technologique p558
Ibid. p403
Ibid. p705
Ibid. p601
Ibid. p619
80
D’un point de vue individuel, la morale est « inspirée » plutôt que raisonnée. La
spiritualité est nécessaire, et le christianisme est une parole qu’il pense pouvoir incarner
dans la société avec ses valeurs de justice. On doit néanmoins s’étonner de cette phrase
sidérante, éloignée du discours de tolérance qu’Ellul préconise : « Aujourd’hui le grand
thème d’une France multi raciale, avec l’invasion musulmane, achève cette destruction de la
cohérence culturelle française »292.
En conclusion, on peut souligner que dans « l’espérance oubliée » éd. Gallimard,
Ellul se présente moins comme l’apôtre des préconisations que comme un critique du
présent. «Il n’y a pas d’espoir raisonnable de transformer le monde ». Son seul espoir, contre
toute espérance individuelle, est religieux. La révélation biblique lui donne des solutions.
Mais lesquelles ?
3] Comment réagir ?
Après avoir étudié les solutions apportées par la philosophie d'Anders et d'Ellul,
nous étudierons différentes propositions pour échapper à la surveillance et gouvernance
américaine et plus généralement pour ne pas rester prisonniers du diktat technologique.
Certains auteurs proposent un retour à une vie plus simple293, éloignée du monde
technologique : aller vivre à la ferme, promouvoir des solutions d'autogestion et des
solutions alternatives au tout-technologique, s'extirper de la logique de croissance et de
rentabilité. Nous n'aborderons pas ces initiatives qui peuvent paraître pertinentes de prime
abord. Mais il convient de proposer des solutions qui restent en prise avec le monde actuel.
Il est de notoriété publique que la guerre économique fait actuellement rage, que chaque
pays tente d'attaquer et dominer l'autre294, et qu’une vision tendant vers la décroissance et
l'abandon de la compétition économique n'amènerait qu'un chaos à tous les niveaux de
l'organisation de notre société.
292
Ibid. note bas page 280
Cf la conclusion de l'ouvrage de Jean Coulardeau : L'ordinateur dernière tour de Babel qui
propose une réorganisation de la société en petits groupes d'individus, et prône un « retour en
arrière » p177.
294
Comme c'est également le cas dans le milieu du renseignement. Voir l'ouvrage de Bernard
Squarcini et Etienne Pellot Renseignement Français : nouveaux enjeux chapitre 3 « la guerre de tous
contre tous »
293
81
Nous discuterons donc des préconisations apportées en deux points : tout d'abord
pour maintenir la puissance de la France, et dans un second temps pour protéger les
générations futures.

Préserver la souveraineté de la France
En effet, comme le dit Christian Harbulot, il est dorénavant nécessaire de
sauvegarder la « souveraineté informationnelle de l’Etat » 295. Il convient donc de développer
et entretenir des outils nationaux qui ne puissent pas être issus d'une autre puissance. Il est
par exemple curieux que nos infrastructures stratégiques comme le porte avion Charles de
Gaulle fonctionnent avec des systèmes informatiques étrangers et dont la fiabilité est mise à
mal (en l'occurrence les ordinateurs tournent avec Windows XP qui est un système
d'exploitation totalement dépassé). Nos dirigeants utilisent des IPhone ou des BlackBerry
pour communiquer, que ce soit lors de réunions confidentielles (conseils des ministres,
réunions de crise) ou pour un usage privé. Il conviendrait donc, comme l’a fait la Chine
récemment296 en bannissant les outils Microsoft de ses administrations, de boycotter les
solutions étrangères jugées peu fiables voire dangereuses par les experts.
Dans cette optique, on ne peut que saluer l'initiative d'Arnaud Montebourg qui
souhaitait créer un système d'exploitation totalement français297. Reste à savoir si cette
volonté aboutira ou pas.
C'est également le cas pour les applications Web ; il faudrait peut-être s'inspirer des
pays étrangers qui ont créé des programmes nationaux. C'est le cas pour la Russie qui a créé
son propre réseau social (vk.com) ou encore l'Espagne (tuenti.com). Certaines solutions
nationales existent comme dans le domaine des moteurs de recherche. L'outil « exalead.fr »
qui a été racheté en 2010 par Dassault Systèmes en est un exemple mais leurs usages sont
peu établis.
Il faudrait également rester maitres physiquement du réseau. Comme l’a démontré
Snowden, les câbles et réseaux sont interceptés par les pays étrangers, il faudrait donc
295
Christian Harbulot, directeur de l'Ecole de Guerre Economique, in Sabordage : comment la
France détruit sa puissance, p 111
296
Il s'agit surtout du système d'exploitation Windows 8 http://thediplomat.com/2014/05/whychina-banned-windows-8/
297
http://www.pcworld.fr/logiciels/actualites,arnaud-montebourg-veut-systeme-dexploitation-made-in-france,549149,1.htm
82
développer notre propre réseau Internet pour les sites et infrastructures sensibles (armée,
centrales électriques, administrations gouvernementales) qui serait déconnecté du reste du
monde, et donc moins enclin à être pénétré ou surveillé.
De plus, il parait insuffisant et vain, de par la nature de l'Internet, de créer des filtres
pour contrôler le contenu qui transite sur le réseau. En effet les moyens de détournement
sont multiples. Comme par exemple en Iran ou les accès à des VPN 298 se vendent dans la rue.
Par les révélations faites par Wikileaks, on apprit ainsi que les « Great Firewall »299 ne sont
pas que l'apanage des dictatures comme la Chine, mais sont d'usage dans de nombreux pays
comme la Finlande300, la Thaïlande301 ou le Danemark302. Egalement, on ne peut hélas que
constater l'échec que constitue Hadopi303, qui n'a fait condamner que quelques internautes
en plusieurs années, malgré les millions d’euros investis. Cet échec marque l'impossibilité
pour l’État à réellement maitriser le contenu présent sur le réseau.
Certes, il faut reconnaître que créer des solutions informatiques et technologiques a
un coût, ne serait-ce qu'en recherche et développement, qui peut paraître prohibitif, surtout
dans un contexte économique aussi défavorable qu'à l'heure actuelle. Alors vers quelles
solutions se tourner ? Comme l’a indiqué Bernard Barbier, ancien directeur technique de la
DGSE304, les solutions informatiques dites « libres » restent la meilleure alternative aux
solutions privées, payantes et étrangères. Bien sûr, comme nous l'avons vu avec le cas de
Linus Torvalds, les logiciels libres ne sont pas forcément totalement prémunis d'intrusions
étrangères (portes dérobées, chevaux de Troie...). Mais ils constituent une solution peu
coûteuse, et il est possible de s'attribuer leur système de fonctionnement puisque le code
source des programmes est accessible.
298
Virtual Private Network (réseau privé virtuel) est un système permettant de créer un lien
direct entre des ordinateurs distants et permet donc de contourner les filtres de censure
299
Littéralement « super pare-feu » : application qui permet de filtrer le contenu sur Internet
300
http://www.wikileaks.com/wiki/797_domains_on_Finnish_Internet_censorship_list%2C_including_censorship_critic%2C_2008
301
http://www.wikileaks.org/wiki/Mict-blocklist-28-05-07csv.txt
302
http://www.wikileaks.org/wiki/Denmark:_3863_sites_on_censorship_list%2C_Feb_2008
303
Haute Autorité pour la diffusion des œuvres et la protection des droits sur internet, institut
chargé de lutter contre le piratage et de surveiller le réseau Internet pour traquer les individus qui
téléchargent illégalement
304
Rencontré grâce au club global défense, organisé par l’Ecole de Guerre Economique le 21
mai 2014
83
Lorsque Richard Stallman305, grand programmeur et militant du logiciel libre
s'exprime à ce sujet, il met en avant différents avantages que procurent les logiciels libres
face au logiciel qu'il définit comme « privateur » (Windows, MacOS , Iphone...) :
- Il est possible de modifier le code source des programmes et donc de les utiliser
pour un usage que l'on définit soi-même (réappropriation de l'usage et de la
finalité).
- Ils permettent d'échapper aux fonctionnalités malveillantes qui sont bien plus
présentes dans les logiciels privateurs.
- Ils répondent à une logique collective : chacun peut participer à sa création,
modification et optimisation, contrairement aux logiciels privateurs qui répondent
à une logique privée.
- Ils permettent à l'utilisateur de rester maitre des données qu'il fournit au
logiciel/site.
- Ils s'inscrivent dans une démarche qui se veut éthique306 (s’inspirant du ethical
hacker)

Préserver les générations futures
Pour ne pas laisser sombrer les générations présentes et futures dans un
obscurantisme technique, il convient de faire preuve de résistance. Cette résistance passe
par l'éducation et ce, à deux niveau : par une formation de la jeunesse et une formation
continue des individus.
Il ne s'agit pas de faire de tous des ingénieurs ou des développeurs chevronnés.
Mais de dispenser à chacun assez de connaissance pour lui assurer un capital technique
correct. Il faut permettre aux individus d'être plus maitres, acteurs de l'information dans une
société qui existe à travers l'information.
Il est nécessaire de former la jeunesse à la programmation, au fonctionnement du
réseau mais aussi à l'utilisation de logiciels libres. Lorsque l'on voit des sociétés comme
305
Qui fut l'invité de l'université Paris-Diderot le 12 février 2012 pour une conférence intitulée
"Pour une société numérique libre"
306
On aurait pu détailler longuement ce qui est sous-entendu par éthique, mais un manifeste
écrit par Stallman et Moglen, tous deux militants du libre le décrit bien mieux que nous. :
http://dl.flext.net/Ethique_des_Logiciels_Libres.pdf
84
Microsoft réaliser des partenariats avec des universités ou écoles, il faut s'avoir être méfiant.
Cela cache une volonté d'utiliser ces établissements pour créer une dépendance à leurs
produits : un élève qui se forme sous Windows aura tendance à vouloir utiliser plus tard ses
logiciels en entreprise, et cette fois il faudra payer... Former au libre pourra tirer toute la
société vers une plus grande liberté. L'école à une mission sociale : former des citoyens
indépendants, solidaires et libres. Il s'agit donc de ne pas former aux logiciels privateurs pour
ne pas créer de dépendance. Ces logiciels privateurs sont donc à bannir des établissements
scolaires et universitaires pour redéfinir les usages de tous.
Ne former que techniquement au libre ne suffit pas. C'est également son éthique et
sa philosophie de partage qu'il faut transmettre. Ne pas faire des individus seulement
utilisateurs, consommateurs d'un outil mais des êtres sensibles au collectif, au partage et à
la réappropriation des savoir-faire.
Ces initiatives ne peuvent aboutir qu'à travers une réelle volonté politique. Fort est
de constater certaines évolutions qui vont dans ce sens307 : utilisation de serveurs Gnu/linux
ou encore diffusion de traitement de texte comme Libre Office. Mais on est forcé de
constater l'échec308 de cette volonté politique. En effet, il parait de nos jours peu
envisageable pour le gouvernement de passer au tout libre face aux lobbies des éditeurs de
logiciels français et surtout étranger qui souhaitent maintenir les individus dans une certaine
dépendance.
Dans un second temps, face aux évolutions techniques permanentes qui
caractérisent notre société, il convient de dispenser une formation continue pour ne pas se
laisser submerger par l'innovation et l'évolution techniques. Il est actuellement regrettable
de constater un fossé générationnel entre les jeunes qui ont un fort capital technique et les
personnes plus âgées (décideurs, hommes politiques…) qui n'arrivent pas à suivre les
innovations techniques. On saluera donc les initiatives d'éducation populaire comme
Framalab309, association d'éducation populaire issue du monde éducatif, dont l'action se
307
http://www.vousnousils.fr/2013/08/08/logiciels-libres-dans-leducation-nationale-leministere-detaille-ses-actions-549751
308
www.lepoint.fr/chroniqueurs-du-point/guerric-poncet/education-le-gouvernement-lache-lelogiciel-libre-03-06-2013-1675889_506.php
309
Sa principale vitrine reste http://www.framasoft.net/ où l'on retrouve l'ensemble des projets
et initiatives soutenant le libre
85
développe en trois points : « promotion, diffusion et développement de logiciels libres,
enrichissement de la culture libre et offre de services libres en ligne ». Ce genre de
résolution reste dans une optique à long terme : faire de chacun de nous au cours de notre
vie des utilisateurs éclairés de la technique. Cela suppose bien sûr une certaine curiosité et
une ouverture d'esprit face à l'innovation qu'il faudra alimenter chez l'Homme.
Comme nous l'avons vu, les solutions existent, mais ne peuvent aboutir que si les
décideurs politiques se mettent à agir dans ce sens. Redéfinir nos usages dans la société de
l'information nous permettra de mieux l'appréhender et de la maitriser. Mais comme nous
l'avons dit, faire des individus purement techniciens ne suffit pas. Une éducation éthique et
philosophique serait salvatrice.
86
CONCLUSION GÉNÉRALE
Nous conclurons ce travail en retraçant brièvement son déroulement et tenterons
de synthétiser sa pensée globale.
Après avoir étudié comment s’était constituée la pensée critique d’hier et
d’aujourd’hui envers la technique, puis avoir présenté différents courants de pensée
technophile , nous nous sommes penchés sur la pensée philosophique et son apport dans
l’analyse de la technique, pour finalement comprendre comment les NTIC étaient employées
en tant que vecteur de soft power, d’influence et de contrôle par les États-Unis.
Il ne nous aura pas manqué de remarquer que les différentes idéologies soutenant
la technique (cybernétique et transhumaniste) sont d’origine américaine et souhaitent
toutes l’avènement d’un nouvel ordre mondial, technologique et mondialisé. L’homme
nouveau, le post-humain, dont l’avènement ne serait qu’une question de décennies pour ses
défendeurs, conduira à un modèle économique, social et politique propre à l’idéologie
progressiste américaine. Il est envisageable, suite à ce travail, de supposer que cette
idéologie est une quête de la part des États-Unis pour le contrôle du monde et de sa
population.
Rejeter le progrès et ses aboutissants peut sembler prometteur, mais cela
supposerait une déconnection totale avec le monde d’aujourd’hui. Comme nous l’avons
présenté dans les préconisations, il est cependant possible de s’opposer et de se réapproprier le monde.
La technologie possède bien, de par ceux qui l’ont créée, la façonnent, la théorisent
et l’appliquent, une essence : celle de contrôler l’Humanité et son devenir. Il convient à
chacun de rentrer en résistance face à l’ordre établi, pour le salut de l’Humain et la
sauvegarde d’une France puissante.
87
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http://mc.univ-parisdiderot.fr/publicmedia?Presid=1189&mediaRef=MEDIA120216172721746&task=show_media_public
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