Petit lexique de la présidentielle française
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Petit lexique de la présidentielle française
opinions vendredi23 mars 2012 Petit lexique de la présidentielle française Par Jacques Savoy L’analyse du vocabulaire employé par les candidats ou par leur parti renseigne sur le climat de la campagne, qui s’avère très hargneuse. Une étude montre que le dénigrement de l’adversaire tient lieu de promesses et de vision d’avenir. Seul François Bayrou échappe à la tendance. Par Jacques Savoy, professeur à l’Institut d’informatique de l’Université de Neuchâtel Toute campagne électorale s’accompagne d’un flot de discours rédigés afin de renforcer la motivation de ses partisans, de rallier de nouveaux électeurs ou d’indiquer les choix politiques que les partis ou candidats entendent suivre. Dans le cadre de la campagne présidentielle française, ces discours politiques ont été analysés à l’aide de l’informatique et de la statistique (voir le site www.TriElec2012.fr ). Ces outils nous permettent d’ouvrir de nouvelles perspectives dans l’analyse des stratégies de communication retenues par les cinq principaux candidats à l’Elysée (François Bayrou, François Hollande, Marine Le Pen, Jean-Luc Mélenchon et Nicolas Sarkozy). Sans grande surprise, nous voyons apparaître parmi les mots les plus fréquents le pronom je, pronom favori chez M. Hollande. Le discours électoral doit mettre en avant la figure du chef, du leader. On retrouve également les cinq formes France, pays, république, Français ou Europe dans l’ensemble de ce corpus électoral. Quelques nuances différencient tout de même les candidats. Ainsi, Europe est plus fortement associé à M. Hollande. La fréquence de ce terme baisse durant le mois de février, le candidat socialiste préférant mettre en avant d’autres thèmes. Mme Le Pen utilise abondamment les noms France et Français. Cette dernière candidate préfère recourir au terme nation pour pays et favorise clairement l’adjectif national. Chez M. Sarkozy, on retrouve fréquemment le pronom vous, qu’il utilise pour maintenir un contact avec l’auditeur. Le président en exercice évite les formes peuple et Français, préférant l’abstraction France. M. Bayrou préfère les mots pays, peuple et nous. Dans les discours, on constate également une abondance des verbes aller et faire s’utilisant conjointement pour désigner les actions futures (je vais faire). Est-ce un signe de la disparition progressive du futur dans la conjugaison des verbes au profit d’une formulation plus proche des langues anglaise ou allemande? Au niveau des moyens de communication, les canaux se multiplient. Aux discours, on doit ajouter l’abondance des communiqués de presse, la parution de livres du ou sur le candidat, les sites web et autres flux Twitter. Les professeurs Denis Monière (Université de Montréal) et Dominique Labbé (Université de Grenoble) ont analysé les communiqués de presse des cinq principaux candidats et de leur parti respectif durant ces deux derniers mois. Cette forme de communication possède plusieurs fonctions. Adressés aux agences de presse et journaux, ils servent à occuper l’espace médiatique et à imposer les thèmes les plus susceptibles d’attirer un grand nombre d’électeurs. Repris sur les sites web, ils augmentent l’effet de persuasion par leur forme brève, composés de quelques phrases simples, percutantes et répétées plusieurs fois. Tout est fait pour motiver et convaincre les militants et sympathisants, qui propageront l’argumentaire dans leur entourage. Contrairement aux discours, les communiqués de presse connaissent une forte intensité (plus de vingt communiqués de presse sont émis quotidiennement). Dans leur majorité, ils s’orientent vers le dénigrement de l’adversaire. Selon l’expression du professeur Monière qui synthétisait les dernières campagnes électorales canadiennes, la campagne présidentielle française suit une spirale de la négativité. Cette tendance s’explique par le fait que la négativité capte plus l’attention du public et dans une formulation que l’on retient plus facilement. Enfin, l’adversaire doit y répondre sous peine de laisser croire que ces assertions seraient justes. Durant les mois de janvier et février, l’UMP a opté pour une telle stratégie d’attaque, essentiellement sur le candidat du PS, que l’on présente comme indécis, démagogue, dogmatique, ou qui manque de vision. Le PS va suivre ce mouvement en présentant le bilan du quinquennat comme cruel, basé sur des politiques irresponsables et inefficaces, régressives, ayant favorisé une défiscalisation inconséquente. Sur l’ensemble des communiqués émis durant ces deux derniers mois, on constate que 66% des attaques avaient pour cible M. Hollande tandis que 30% visaient le président actuel. Ces chiffres différencient la campagne électorale française des campagnes canadiennes. Outre-Atlantique, le Parti conservateur au pouvoir a été la cible d’environ 68% des attaques, l’opposition s’étant unie pour viser la même cible. En France, l’UMP a choisi de créer une cellule baptisée «Riposte» afin d’inonder l’espace de communiqués négatifs, laissant au second plan les aspects soulignant les réalisations de son candidat. Si l’UMP et le PS ne visent qu’une seule cible, les communiqués du FN attaquent avec la même fréquence M. Hollande et M. Sarkozy et de manière marginale M. Bayrou. Pour le Front de gauche, la cible est le président en exercice pour deux tiers de ses communiqués et le FN pour le reste. Le MoDem et M. Bayrou visent avec une intensité assez similaire le candidat de l’UMP et du PS. Au bilan, les partis des extrêmes ne semblent pas être l’objet d’attaques très fréquentes, en particulier M. Mélenchon, qui est visé par seulement deux communiqués sur un total de 1523 attaques. Si l’emploi du communiqué de presse dans la campagne cherche à dénigrer l’autre et à lui construire une image négative, il remplit aussi des fonctions positives en dressant un état de la situation, en décrivant les qualités de son candidat, en relayant ses propositions ou en mettant en lumière ses réalisations. La palme de la positivité revient au MoDem, qui a réservé environ 32% de ses communiqués de presse à décrire des problèmes ou des situations et 31% pour présenter son candidat, les attaques ne constituant alors que 20% du total. Le PS joue sur quatre axes. D’abord, les communiqués du parti (et non du candidat) constituent des attaques dans 41% des cas. Ensuite, le PS émet des communiqués pour présenter son candidat (19%) ou pour expliquer la situation actuelle (19%). Les propositions et engagements occupent 14% des émissions. Pour l’UMP, la stratégie de campagne est différente. L’attaque reste le thème principal (58% des communiqués), suivie par la présentation du candidat (14%) ainsi que les réalisations du président (14%). L’analyse de la situation représente 10% des communiqués de presse. Si l’on analyse les communiqués de presse émis par les candidats (sans prendre en compte M. Sarkozy dont la candidature n’a été révélée que le 15 février), on constate que M. Hollande n’attaque que peu les autres candidats (15%), préférant mettre en avant une plus grande positivité. Il existe donc un partage des rôles entre le candidat et son parti. Mme Le Pen adopte cette tendance car le FN attaque dans 50% de ses communiqués, contre 39% chez ceux de sa candidate. M. Mélenchon opte pour une stratégie inverse. C’est le candidat qui attaque (54% des cas) et moins le parti (46%). Enfin, au centre de l’échiquier, une troisième stratégie de communication voit le jour. Le taux d’attaques et de communiqués positifs est similaire entre le MoDem et son candidat avec, dans les deux cas, un faible taux d’attaques (20%). Est-ce que F. Bayrou sera le good guy de cette campagne électorale? Le triomphe de la négativité reflète-t-elle une tendance de fond que la France a reprise des campagnes américaines? On peut tout de même souligner que la situation économique actuelle ne favorise pas les propositions ambitieuses. En effet, il est risqué de lancer des promesses ou de valoriser des réalisations importantes dans une période de crise économique et financière. © 2012 Le Temps SA