HUIS CLOS TOUT COURT MAIS PAS TROP COURT Et peut

Transcription

HUIS CLOS TOUT COURT MAIS PAS TROP COURT Et peut
Et peut-être un peu russe aussi.
HUIS CLOS TOUT COURT
MAIS PAS TROP COURT
Enfin, si le cœur nous en dit.
Rien n’est moins sûr…
Assis à une table de chêne massif, superbe
pièce de mobilier brillant de rudesse et de
force ancestrale, l’auteur – ne commençons
pas à donner dans les cachotteries
mesquines et éventuellement abusives (bref
n’abusons pas de nos pouvoirs, ce serait
déplacé, plus tard peut-être, si le cœur nous
en dit) – se frotte les tempes à en arracher le
derme tout en marmonnant quelques
mélopées d’un idiome indéchiffrable et
connu de lui seul. Un revolver est posé
devant lui. Les petites fenêtres carrées sont
recouvertes – pour trois d’entre elles (ne
nous préoccupons pas de la quatrième,
enfin c’est un conseil) – respectivement
d’un drapeau Suédois, d’un drapeau russe et
d’un drapeau chinois.
- c’est pas parce qu’ils sont russes virgule
qu’ils ont le droit de me faire chier comme
ça virgule non mais sans blague point
d’exclamation Ca m’apprendra à travailler
avec des amateurs virgule non mais on aura
tout entendu ouvrez les guillemets On s’est
dit que ça fera plus chinois points de
suspension Que c’était bien pour
l’ambiance points de suspension fermez les
guillemets virgule j’t’en foutrai de
l’ambiance point d’exclamation T’en veux
de l’ambiance point d’interrogation et si
nécessaire d’exclamation Tiens virgule une
bastos dans le buffet point d’exclamation
En v’la de l’ambiance point d’exclamation
Et la vieille virgule si t’es pas contente
virgule c’est la même chose point
d’exclamation PAN PAN [effet sonores du
meilleur goût] point d’exclamation Même
pas eu le courage d’attendre la fin de l’hiver
point
L’auteur cesse de se frotter des tempes qui
commencent à se désagréger et à laisser des
petits bouts de peau un peu partout sur la
table.
Images de dérélictions.
Certes.
Et c’est sans compter sur les cadavres de
deux vieux – un mâle (face émaciée, gravée
d’autant de sillons qu’il avait vu de saisons,
terminé par une barbiche aux contours
hasardeux) et une femelle (plus plissée
encore)
Approche conclusionniste ?
Peut-être.
Voir probable au regard des ossements qui
se trouvent entassés dans un coin – à
l’évidence ceux d’un chien et d’un enfant,
dans leur plus parfaite exhaustivité (os
frontal, pariétal, temporal, occipital,
sphénoïde, éthmoïde, malleus, incus, stapes,
vomer, maxillaire, os lacrymal, palatin,
cornet nasal inférieur, os nasal, os
zygomatique,
mandibule,
vertèbres
cervicales, os hyoïde, vertèbres thoraciques
côtes, (vraies, fausses et flottantes)
Sternum, vertèbres lombales, sacrales,
coccygiales vestigiales, scapula, clavicule,
humérus, radius, ulna, scaphoïde, lunatum,
triquetrum, pisiforme, trapèze, trapézoïde,
capitatum, hamatum, os métacarpiens,
phalanges, os sésamoïdes, os coxal, fémur,
patella, tibia, fibula, calcanéus, talus,
cuboïde, naviculaire, os cunéiformes –
latéral, intermédiaire et médial –, os
métatarsiens) – et des bribes de
conversation (panneaux de sous-titrage usés)
abandonnées dans l’angle opposé, et dont la
mise en forme italique, leur inclinaison
pisoise, n’est que le reflet de ce qu’elles
portent en elles d’augures sinistres.
Comme si ici les mots, une fois utilisés, ne
pouvait resservir.
Quoique nous démontrions le contraire par
la présente.
Certes.
point Alors allons-y deux
raclements de gorge]
points [+
Et l’auteur dans tout cela ?
Question absurde.
L’auteur mâchouille bruyamment quelques
borborygmes d’un idiome obscur et parlé de
lui seul.
Des amateurs virgule des amateurs point Et
ça se permet de donner son avis point
d’exclamation Non mais j’vous jure virgule
faut tout faire soi même ici ou quoi point
d’interrogation/exclamation
Je me lève, me coiffe d’une foisonnante
chapka – l’ayant auparavant tirée de la
besace élimée de mon imagination – et
enfile un long manteau de fourrure de la
même provenance. N’étant pas acteur, je
m’efforce de donner un minimum de
conviction et de force dramatique au
masque d’indifférence et de lassitude dont
je pare présentement mon visage (avec de
surcroit quelques petits accents russes) :
- Cet hiver n’en finit plus.
Tous
ces
points
d’exclamations
commencent à dessiner une barre sur le
front de notre auteur désabusé, causant à
son tour une autre barre, horizontale cellelà, ressenti de lui seul.
Je me rassois, me découvre, plonge mon
regard dans le vide :
Tout faire soi même virgule de toute façon
virgule c’est pas nouveau virgule on n’est
jamais aussi bien servi que par soi même
Ne me sentant pas la patience d’attendre ce
qui pourrait raisonnablement ce qui serait le
terme de cet hiver interminable, je propose
- [voix de fausset] Oui. Le printemps
semble encore bien loin.
au soleil de venir darder quelques rayons
lumineux par la seule fenêtre qui ne soit pas
recouverte d’un drapeau.
Mais faisons les choses correctement, dans
les règles (de l’art, peut-être).
Commençons par compléter le décor :
Je savais bien qu’elle finirait par me servir,
cette fenêtre.
Un rôle bref mais d’une importance
diégétique nonpareille.
Bref
L’arrivée symbolique impromptue du
printemps. (L’ambiance hivernale ayant
déjà été installée en ces lieux. En d’autres
lignes mais en ces mêmes lieux.)
Et de toute façon, je m’en contrefiche, et je
ne reste poli que par considération pour le
niveau de langue ; c’est moi l’auteur, c’est
moi le chef. Si je décide que le printemps
arrive, le printemps arrive.
Et toc
Bon, la maison, en tous cas ses murs, nous
les connaissons bien depuis désormais deux
hui-clos
vaguement
exotiques.
Réintroduisons le samovar (nous a-t-il
jamais quitté ? il convient au lecteur d’en
décider), indispensable à l’indentification
de l’intérieur russe, ajoutons le cliché de
quelques matriochkas alignées sur une
étagère (que je viens de fixer au mur – par
la seule force de la pensée, au diable les
clous !). Enfin, nous ne savons pas si ce
sont des éléments typiquement russes et
nous en fichons d’ailleurs copieusement, de
lourds tapis se disputent les lames du
plancher et des napperons brodés le dossier
des
chaises.
En
plus
de
cet
embourgeoisement relatif de la pièce,
mentionnons pour la forme quelques icones
orthodoxes toutes de bois encadrées
accrochées au mur du fond.
Voici pour le décor
— Отец1, Мать2, me voilà revenu !
Maintenant le printemps
Je me mets à quatre pattes et ajoute
chaleureusement :
Outre le soleil qui darde ses rayons
lumineux par la fenêtre, cette dernière laisse
entrevoir le tendre vert de quelque
bourgeon s’extirpant courageusement de la
torpeur hivernale et laisse passer le chant
guilleret de quelqu’oiseau fêtant le retour de
températures plus clémentes.
Et voilà pour le printemps (je sais ce n’est
point trop généreux, mais c’est toujours et
jusqu’à nouvel ordre moi le chef).
Je me dirige vers la porte que je viens de
faire apparaître (la seule force de ma pensée
est une force stupéfiante !), l’ouvre et laisse
entrevoir par l’entrebâillement un gazon
d’un vert fatigué par un enneigement
prolongé. Je fais mine de rentrer
gaillardement, ouvre grand les bras et
m’écries avec force jovialité et accent russe
de circonstance :
— Ouaf ! Ouaf !
Je me précipite pour m’assoir à la table
d’où je me relève sitôt d’un bond en
m’exclamant :
— Sergeï, regarde, le petit est revenu ! Et le
chien est avec lui !
Je me déplace de quelques pas et conclus :
— Ca tombe bien, il commençait à se faire
faim.
1
2
Père
Mère