Conflit fémoro-patellaire
Transcription
Conflit fémoro-patellaire
0759_MG806_JNMG-C5 24/09/08 17:22 Page 759 759 SAMEDI MATIN ATELIER C5 ACFM EXAMEN DU GENOU DOULOUREUX SANS ANTÉCÉDENT TRAUMATIQUE Yves Demarais, Bernard Desnus, Philippe Le Van et Didier Rousseau. Conflit fémoro-patellaire Quel diagnostic étiologique ? Souvent appelé syndrome rotulien, c’est l’une des pathologies les plus fréquentes du genou non traumatique.1, 2 Sont concernés aussi bien le sportif que le sédentaire. Bernard Desnus, médecin généraliste, médecin du sport, médecin de l’INSEP, 94300 Vincennes, chargé du dossier Traumatologie à l’ACFM. [email protected] Douleur de la face antérieure du genou Cette douleur (ou gêne) survient dans les escaliers, en position assise prolongée, accroupi ou en se relevant, ou encore, lors de la course à pied, d’où son nom de « genou du coureur ». Son installation est parfois retardée comme après la descente ou la montée sur un sol peu stable au cours d’une course en montagne. Cette symptomatologie est souvent spontanément décrite par le patient. L’examen clinique est identique à celui du genou traumatique testant l’ensemble des structures anatomiques.3 Les signes positifs sont : douleur à la pression de la rotule, test d’appréhension (Smilie), test du rabot, sensibilité des (ou d’une) faces postérieures de la rotule, et sensibilité d’une (ou des) crête(s) condylienne(s). Le côté opposé est aussi examiné, pour relativiser la sensibilité et la laxité propres à chaque patient. Le traitement symptomatique2 comporte l’exclusion temporaire des activités douloureuses avec des propositions alternatives pour le sportif (vélo, nage libre) ou la réduction de ces activités en deçà du temps où apparaît la douleur par fatigabilité. Le glaçage est souvent préconisé comme antalgique. La kinésithérapie axée sur le renforcement du quadriceps est efficace. Certains préconisent le port de semelles orthopédiques, qui donne parfois satisfaction aux patients. Les AINS sont souvent utilisés sans avoir apporté la preuve de leur efficacité.2 Cependant, le traitement symptomatique ne semble pas améliorer le devenir à long terme des patients en comparaison avec ceux sous placebo dont les deux tiers s’améliorent spontanément.4 Mais le dernier tiers conserve des troubles fonctionnels 7 ans après ; l’exploration par IRM montre alors : 19 % de lésion modérée et 5 % de sévère, évoquant une relation éventuelle entre le conflit fémoro-patellaire et l’arthrose fémoropatellaire. Alors, quel traitement étiologique préconiser ? Diagnostic étiologique Le mécanisme du syndrome rotulien est sujet à de nombreuses controverses .5-7 Souvent, sont évoqués soit des défauts d’alignement de la rotule dans le rail des condyles par genu varus ou genu valgus, une anomalie du fémur ou du tibia, soit une anomalie du complexe femoropatellaire due à une patella plana, des crêtes condyliennes réduites, des laxités des ailerons.1, 2, 7 Mais ces anomalies sont, d’une part, peu corrélées au syndrome rotulien1, 2 et, d’autre part, elles ne peuvent être suspectées quand elles apparaissent plusieurs années après la puberté sans que le patient ait changé d’activité (comme l’adoption d’un facteur déclenchant, telle que la pratique récente de la course à pied). Elles sont souvent symétriques, alors que le syndrome ne se manifeste bilatéralement qu’une fois sur dix et ne le devient qu’une fois sur quatre.4 D’autres auteurs1, 8 ont évoqué la responsabilité de l’extrémité du membre inférieur, soit par pathologie locale (pied plat) soit du fait d’une semelle ou chaussure mal adaptées chez le coureur à pied (pronation du pied avec rotation interne du fémur ou du tibia). Ces pathologies n’apparaîtraient qu’à la course et tardivement à la marche. Mais quelle que soit l’étiologie, la douleur n’apparaît que lorsque le genou est en flexion. Cette situation se caractérise par une force pouvant atteindre jusqu’à 7 fois le poids du corps, répartie sur une surface de contact femoro-patellaire inférieur à 4 cm2,5 mais aussi par une mobilité du tibia de 30° en rotatoire interne et de 40° en externe ;7 les ligaments croisés et latéraux n’assurant plus le verrouillage rotatoire, une mobilité en varus ou valgus est permise par les ligaments latéraux détendus, contrairement à la position en extension.5, 7 En conséquence, en cas de désynchronisation entre la position du tibia et l’activité musculaire, la rotule peut se trouver désaxée avec un contact fémoral réduit et de fortes pressions dépassant les limites physiologiques des cartilages. Il est probable que la cause soit multifactorielle et que des facteurs morphologiques tels qu’une anomalie de l’angle Q (figure) favorisent l’apparition du syndrome lorsque les schémas moteurs de LA REVUE DU PRATICIEN MÉDECINE GÉNÉRALE l TOME 22 l N° 806 l 30 SEPTEMBRE 2008 0759_MG806_JNMG-C5 24/09/08 17:22 Page 760 760 DR Conflit fémoro-patellaire B A C Figure – A : mise en évidence de l’angle Q. B : position du genou au cours des différentes activités. C : genou en flexion. l’appui sur le sol avec le genou fléchi modifient l’angle d’ouverture du pied et la rotation tibiale. L’instabilité et la douleur semblent être les deux causes de modification de ces schémas moteurs. L’instabilité peut provenir de la qualité du sol (pente, sol glissant), mais aussi des fréquentes séquelles d’entorse responsables d’instabilités fonctionnelles.9 Dans ces cas, la rotule se désaxe vers l’extérieur. L’hallux valgus douloureux, l’aponévrosite plantaire ou toute autre pathologie douloureuse du premier rayon du pied, modifient le déroulement du pied, désaxant la rotule vers l’intérieur. Mais ces mécanismes sont aussi trouvés avec des chaussures de ville ou de sport, inadaptées ou usées, ou encore avec des semelles orthopédiques inappropriées. Examiner d’abord cheville, pied et chaussure L’examen global du membre inférieur, est nécessaire et tout particulièrement celui du pied (interrogatoire, inspection et testing) et de la cheville. Les pathologies de la cheville sont parfois identifiées par l’interrogatoire, le patient ayant observé que sa cheville se tordait ou « était fragile ». Le plus souvent, les entorses chroniques bénignes sont normalisées et oubliées : on trouve alors une sensibilité à la palpation du faisceau antérieur du ligament latéral externe, mais surtout une instabilité relative par rapport au côté opposé, en testant sa stabilité en monopodal, d’abord les yeux ouverts puis les yeux fermés. Ce test peut s’effectuer pieds nus, mais il est parfois intéressant de constater l’instabilité provoquée par une chaussure mal conçue ou usagée. Quelquefois le patient a lui-même constaté à la marche et/ou à la course une asymétrie de l’ouverture de ses pieds. Devant les causes multiples du conflit fémoro-patellaire, comment apprécier la responsabilité d’une pathologie du pied, de la cheville ou de la chaussure ? Mécaniquement, la relation de cause à effet n’est pas improbable. De nombreux programmes de renforcement du quadriceps participent à la rééducation proprioceptive de la cheville, en comprenant des exercices en monopodal. Mais l’examen du membre inférieur s’effectue en comparaison avec le côté opposé. En présence d’un syndrome LA REVUE DU PRATICIEN MÉDECINE GÉNÉRALE l TOME 22 l N° 806 l 30 SEPTEMBRE 2008 rotulien unilatéral associé, du même côté, à une pathologie du pied ou de la cheville ou encore à une chaussure inadaptée, la probabilité selon laquelle l’association est due au hasard est de 25 % ; elle n’est que de 3,3 % si nous prenons en compte dans le calcul que la prévalence des anomalies de l’extrêmité du membre (pathologies pied ou cheville, anomalies de chaussure) est de l’ordre de 10 % dans la population. La mise en évidence que la cause précède l’effet augmente encore la probabilité d’une association causale. Le même raisonnement s’applique lorsque le syndrome rotulien est bilatéral et qu’une pathologie identique est observée aux deux extrémités des membres inférieurs. Conclusion Explorer d’abord le pied, la cheville et les chaussures est souhaitable avant de prescrire l’imagerie (radiologie, scanner, arthro-Scan ou IRM), qui souvent n’apporte pas d’argument pour le choix du traitement. ● RÉFÉRENCES 1. Juhn MS. Patellofemoral pain syndrome: a review and guidelines for treatment. Am Fam Physician 1999;60:2012-22. 2. Dixit S, Difiori J, Burton M, Mines B. Management of patellofemoral pain syndrome. Am Fam Physician 2007;75:194-202. 3. Desnus B. Le genou traumatique : quel examen clinique. Rev Prat Med Gen 2007;21:1025-6. 4. Kannus P, Natri A, Paakkala T, Järvinen M. An outcome study of chronic patellofemoral pain syndrome. Seven-year follow-up of patients in a randomized controlled trial. J Bone Joint Surg Am 1999;81:355-63. 5. Bonnel F, Canovas F, Dusserre F. Patella et appareil extenseur du genou : anatomie-physiologie du frein hydraulique tridimensionnel. Cahiers d’enseignement de la SOFCOT 1999;71:4-20. 6. Viel E, Asencio G, Blanc Y, et al. La marche humaine, la course et le saut. Paris: Masson; 2000. 7. Kapandji Ai. Physiologie articulaire, membre inférieur. Paris: Maloine; 1965. 8. Powers C. The influence of altered lower-extremity kinematics on patellofemoral joint dysfunction: a theoretical perspective. J Orthop Sports Phys Ther 2003;33:639-46. 9. Freeman M. Instability of foot after injuries to the lateral ligament of the ankle. J Bone Joint Surg Br 1965;47:669-77. L’auteur déclare n’avoir aucun conflit d’intérêts concernant cet article.