pourquoi ça marche
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pourquoi ça marche
Focus Les people, pourquoi ça marche ? D’où nous vient ce goût immodéré pour la vie privée des gens célèbres ? Les recherches sur le lectorat des magazines people, la sociologie des fans ou la psychologie des petits potins sont désormais nombreuses. Elles révèlent que dans l’intérêt porté aux succès et aux déboires des stars tout n’est pas aussi futile qu’il n’y paraît… Jean-François Dortier « S arkozy voulait embrasser Carla dès le premier soir ». L’autre jour, en consultant l’actualité sur un site Internet, je suis tombé sur ce titre croustillant. N’écoutant que ma lâcheté, je n’ai pu m’empêcher d’aller jeter un petit coup d’œil. Cette information essentielle est extraite de la biographie de Jacques Séguéla (1), celui-là même qui organisa la soirée où Nicolas et Carla se rencontrèrent. Le publicitaire raconte la réception : le petit cercle des invités, le Président installé à côté de Carla, les manœuvres d’approche entre les « deux fauves », le jeu de séduction et le coup de foudre réciproque. Et jusqu’à la petite phrase que le président glisse à l’oreille de la chanteuse (« pas cap de m’embrasser sur la bouche devant tout le monde ») : comme un lycéen devant ses copains ! Ma curiosité étant satisfaite, j’ai vite refermé la page pour me replonger dans les Essais de Montaigne. J’avais péché en cédant au charme indiscret du « people » : il fallait bien que je me rachète. La « peopolisation » politique est un phénomène nouveau en France (encadré p. 22). Il l’est moins dans les pays anglo-saxons (où 18 Sciences Humaines Mai 2009 N° 204 la mise en scène de la vie familiale, celle de la reine, est un vieux classique). Stars et petits potins Mais ce n’est qu’une couche nouvelle d’un phénomène beaucoup plus large et massif : la vie privée des stars du showbiz, du sport, du cinéma et de la télévision, et parfois même de l’intelligentsia. La presse people ne connaît pas la crise (encadré p. 20). Le domaine s’étend d’ailleurs bien au-delà des magazines spécialisés. Dans un sens, le phénomène people présente toutes les formes de mise en scène de la vie privée des gens célèbres, et concerne, comme on va le voir, bien des gens qui prétendent échapper à ses sirènes. D’où vient donc ce pouvoir d’attraction des people ? Quelle corde sensible touchet-elle dans la nature humaine pour fasciner autant ? Pour le comprendre, il faut croiser deux phénomènes : la fascination du public pour les stars et le goût pour les petits potins. En combinant les deux, on obtient un cocktail détonant, qui fait grimper très haut les audiences et les chiffres de ventes. Les premières études sur le phénomène des stars remontent à la fin des années 1950. En 1957, Roland Barthes publie Mythologies. Sous ce titre, il rassemble des chroniques parues les mois précédents dans Le Nouvel Observateur. Ces chroniques sont des commentaires sur le spectacle du monde moderne, tel qu’il s’exprime au travers de la presse grand public ou des images télévisées (publicité, potins mondains, actualités, films…) L’univers spectaculaire des magazines à grand tirage (Paris Match, etc.) reflète celui des grandes mythologies classiques. Le récit apparemment anodin des vacances d’une princesse paru dans un grand magazine révèle assez bien la nature du processus de mythification. S’il est piquant de montrer un roi en train de se raser, c’est que ce geste le plus banal déroge à la nature du personnage, considéré justement comme un être hors du commun, un demi-dieu. « Les rois se rasent eux-mêmes ! » Ce trait fut rapporté à l’époque par la grande presse comme un acte d’une singularité incroyable, comme si, en lui, les rois consentaient à risquer toute leur royauté. Loin de désa- Hollywood, 22 février 2009. Angelina Jolie et Brad Pitt aux Academy Awards. Phil McCarten/UPI Photo/Eydea craliser la vedette, la montrer sous le jour inhabituel de monsieur Tout-le-monde renforce au contraire son aura. Roland Barthes et Edgar Morin Le mariage de Marlon Brando avec une jeune Française ou celui de la nouvelle Miss monde avec un garagiste ami d’enfance participent de ces légendes merveilleuses dans lesquelles le prince et la princesse épousent la bergère ou le berger. L’analyse de R. Barthes consiste donc à rapporter les potins et récits de Paris Match aux structures des mythologies antiques. Après tout, les dieux de l’Olympe ont aussi des histoires de famille, des disputes. On pourrait donc considérer que l’on trouve déjà du people chez Homère. Cette analogie avec les dieux de l’Olympe est plus explicite dans Les Stars, ouvrage d’Edgar Morin publié la même année. Le star-system est né très tôt après la naissance du cinéma. Dès 1910, Rudolph Valentino est une star entourée de groupies. Ce sera aussi le cas de Greta Garbo. Mais c’est surtout après la guerre que la vie privée des stars d’Hollywood commence à être systématiquement mise en scène. Le destin tragique de certains d’entre eux – James Dean, Marilyn Monroe… – renforcera le phénomène. La dramaturgie fait partie intégrante de la vie des stars : les déboires (divorces, accidents, suicides) rendent le spectacle plus attrayant. On ne peut donc expliquer la fascination pour les stars par le seul attrait pour la beauté ou le talent. Car le destin tragique est un thème privilégié des magazines people. En ce sens, les héros modernes rejoignent ceux de la grande tragédie. On ne saurait donc expliquer l’attraction par l’identification, la volonté de leur ressembler. Au contraire, une large part du phénomène people consiste à braquer le projecteur sur les drames, réels ou supposés, vécus par les personnes célèbres, quitte à en rajouter dans le registre de l’obscène et du sordide. Psychologie des fans R. Barthes et E. Morin s’intéressaient à la sémiologie du star-system. Depuis quelques années, psychologues et sociologues s’intéressent plutôt au public. Beaucoup de travaux se sont consacrés aux « fans » et l’on commence à mieux comprendre les raisons du phénomène people (2). Les psychologues se sont d’abord penchés Mai 2009 Sciences Humaines 19 N° 204 Focus La presse people de Closer au... Canard enchaîné D ans la catégorie presse people, on trouve des magazines comme Closer, Gala, Oops, Célébrité, Paris Match, Point de vue… Leurs tirages sont énormes et ne connaissent pas la crise : Closer (535 000), Voici (516 000), Public (494 000), Ici Paris (390 000), Gala (340 000), Point de vue (258 000)… Le lectorat est essentiellement féminin : trois lectrices pour un lecteur. Mais le people s’étend bien au-delà des magazines spécialisés et féminins. Les magazines télé (TV Mag, Télé 7 jours…) lui réservent une grande place. On y retrouve les acteurs, vedettes de télévision, chanteurs avec un coup de projecteur sur leur vie publique ou privée. Changeons maintenant de rayon pour nous intéresser aux journaux et magazines politiques, économiques ou culturels ! Que trouve-t-on ? Parfois aussi la vie intime des gens célèbres. François Pinault et Bernard Arnaud, les deux magnats de l’industrie du luxe sont connus pour se détester ? Au-delà de la guerre économique qu’ils se sont livrée, la détestation réciproque des deux hommes fait les délices de la presse économique. Les Obama ont finalement adopté un chien hypoallergénique (les petites filles étant allergiques) : la nouvelle a fait le tour du monde, bien au-delà de la presse people. Dans les pages de L’Express, du Point, du Nouvel Obs, de L’Expansion, etc., on se régale aussi des petites « indiscrétions » sur la vie des gens célèbres. On glisse ici ou là des infos confidentielles qui ne relèvent pas toujours, loin s’en faut, du devoir d’information. Ouvrons même Le Canard enchaîné, journal satirique ! On y retrouve en première page « Le journal de Carla B. ». Il s’agit d’une parodie, bien sûr, où, sous une forme distanciée et narquoise, les commérages et potins mondains politico-médiatiques tiennent bonne place. On peut y voir un regard lucide et distancié sur le petit monde de la politique. C’est aussi pour le lecteur un certain plaisir voyeuriste : celui de regarder par le petit trou de la serrure pour voir en direct les vacheries et potins concernant les célébrités qui nous gouvernent. Le people est parfois là où on ne l’attend pas. n j.‑f.d. (1) Estelle Bardelot, « Lire la “presse people” » mémoire de DEA, université Lyon-II, 1999. sur le phénomène des « groupies » adolescents et ont tenté de mesurer le degré de « fandomisation » (le fait d’être fan) du public (3). L’adolescence est l’âge où le jeune s’émancipe des modèles parentaux et affirme son autonomie. Cela passe par une phase de détachement (et donc de critique) des figures parentales et l’adhésion à de nouveaux modèles : des héros personnels que l’on trouve dans le cinéma, la chanson, le sport. À l’affirmation de soi se combine un autre phénomène : l’association à un groupe de pairs, ce petit club d’amis proches qui partagent les mêmes valeurs. On retrouve ces deux dimensions chez les fans. Le psychologue John Maltby a mené des études sur les motivations de plus de 1 700 jeunes fans (4). Il a repéré deux penchants principaux. L’une des motivations est centrée sur une relation intense et personnelle avec son idole. C’est l’époque où l’adolescent affiche ses idoles sur les murs, colle ses photos dans ses cahiers, s’habille à sa façon, prend ses attitudes. L’idéalisation du héros est très forte. Cette période est caractéristique de l’âge des 14-16 ans. Puis l’identification décline généralement chez les jeunes adultes. Cette relation personnelle est celle d’un amour idéalisé. Elle s’accompagne parfois d’une sorte de dialogue intérieur avec son « ami imaginaire » dont il rêve de partager la vie ; il devient son confident, voire son conseiller. Les célébrités s’intègrent parfois dans la vie du public comme des proches ; ils deviennent des « étrangers intimes » selon Léo Braudy, historien du star-system (5). Dans de rares cas, cette relation peut prendre l’allure d’une dévotion pathologique. Les pensées pour le héros occupent alors tout le temps ; le fan ressent les ennuis de sa star comme s’ils étaient les siens ; il cherche frénétiquement à entrer en contact avec lui (6). L’autre motivation principale des fans relève de la sociabilité. Les enquêtes de David Giles et J. Maltby auprès des fans montrent que le culte d’une célébrité est entretenu principalement par le rattachement à un réseau d’amis : les stars forment un sujet de « peer gossip » (commérage entre pairs). « Tu as vu, Amy Winehouse a L’idée d’un public fasciné et obnubilé est caricaturale. encore annulé un concert. Il paraît qu’elle est en cure de désintoxication », « Tokyo Hotel va refaire une tournée en France, je ne veux pas rater ça ». Les sociologues des fans confirment largement ce fait. Christian Le Bart, qui a étudié les clubs de fans des Beatles, a montré qu’être fan est aussi une façon de se présenter aux autres, d’emprunter des valeurs à ses héros. De même, les fans d’Elvis n’ont pas aboli leur personnalité mais endossé un rôle qui leur sert tantôt à se démarquer (d’un milieu dont ils sont en rupture), tantôt à s’affilier (à un groupe de pairs). S’affirmer et se conformer, c’est toute la dualité de l’identification. Identification et distinction Être fan est à la fois un moyen de participer à un groupe qui partage les mêmes références, et une façon subtile de se distinguer à l’intérieur de ce club (en cultivant aussi sa différence et ses trophées au sein du groupe). Mais les fans ne forment qu’une catégorie extrême d’une réalité plus banale et courante, un cercle très restreint parmi ceux qui s’intéressent à la vie des stars. Le public des stades, des concerts, des salles de cinéma, des magazines people comporte tout un spectre allant des fans proprement dits – qui appartiennent à des clubs et entretiennent un véritable culte de leurs idoles – aux amateurs réguliers et jusqu’aux simples curieux (7). Les psychologues ont même construit une échelle de « worship celebrity » pour mesurer le degré de dévotion du public à l’égard des personnes célèbres. Les études sur les supporters de football montrent qu’il existe toute une déclinaison qui va du supporter militant à l’amateur assidu, et jusqu’au simple spectateur occasionnel et distancié (8). Il est un phénomène qui ressort de la plupart des études : l’intérêt pour une célébrité n’est pas forcément synonyme d’admiration. L’idée d’un public fasciné et obnubilé est caricaturale. Au contraire, l’attrait pour le people touche un spectre large, qui va de l’intérêt passionné à l’attention superficielle, de la dévotion au regard distancié – mi-sérieux, miamusé – comme on lit son horoscope sans trop y croire. Une expérience partagée Une critique souvent portée contre la presse people : être une presse de caniveau, qui viole l’intimité des gens, invente de toutes pièces des infos pour faire vendre et en rajoute dans le sordide. Ce n’est pas faux. Mais pourquoi ces informations confidentielles intéressent-elles tant ? Des sociologues ont trouvé une explication. Dominique Pasquier a montré dans une étude désormais classique qu’en regardant les héros d’Hélène et les garçons, série culte des années 1980, certains adolescents cherchaient à s’informer sur les relations de couple de leurs aînés (9). Loin d’être dépourvues de contenu, les séries télévisées (comme Friends ou Desperate Housewives) mettent en scène la petite dramaturgie de la vie ordinaire au sein des familles ou des groupes d’amis. Observer l’intimité des gens célèbres n’est pas forcément adhérer ou s’identifier à elle. Le regard « critique » fait également partie de l’attrait pour le people. « Le petit journal people », chronique diffusée tous les soirs sur Canal +, joue sur cette ambiguïté. On se moque des stars et des people, mais on regarde quand même. Contre-identification, on se rassure et on se valorise en se moquant de l’arrogance, de la bêtise, de l’excès, de la vulgarité de la vie mondaine. De ce point de vue, le phénomène people ne se limite pas aux groupies béats. Le regard critique fait aussi partie de son succès et s’étend bien au-delà des groupies de chanteurs. Le propre des stars est que leur vie publique, les rôles qu’elles jouent sur scène et leur vie privée se mélangent et parfois fusionnent. Eva Longoria est à la fois l’une des héroïnes dont on suit les démêlés amoureux dans la série Desperate Housewives et l’actrice qui exhibe son idylle avec le basketteur Tony Parker. L’attrait pour le personnage est Mai 2009 Sciences Humaines 21 N° 204 Focus Le star-system de l’Antiquité à nos jours L e phénomène du star-system n’est pas Aucune société monarchique ne semble nouveau. Dès les années 1920, avoir échappé au phénomène. l’industrie hollywoodienne naissante a su • La jet set au temps des Romains. l’exploiter. Devant la dévotion du public à Paul Veyne fait remarquer avec malice que l’égard des nouvelles stars comme les gladiateurs étaient les équivalents Rudolph Valentino ou Greta Garbo, les modernes de nos footballeurs, Zinedine producteurs ont compris le parti à en tirer : Zidane ou David Beckham. Ils étaient adulés le succès d’un film doit reposer autant sur le et les foules se massaient sur leur passage « vedettes », dont la vie privée commence à être mise en scène. Mais avant le star-system cinématographique, il y avait eu des précédents. Les chroniques de la vie mondaine et des scandales associés faisaient déjà les beaux jours des premiers journaux. Elizabeth Barry, pour les voir et les toucher. Les hauts dignitaires étaient fiers de pouvoir les inviter Rue des Archives/Farabola/Agip La Dolce Vita, (Federico Fellini, 1960) met en scène Paparazzo, photographe du flim qui poursuit les stars à scooter ou en Fiat 500. Il fut le précurseur des paparazzi. scénario que sur la présence de à leur table. Les grandes réceptions étaient d’ailleurs pour la haute l’aristocratie l’occasion de s’exhiber devant le peuple. Et dans les rues d’Athènes ou de Rome, la doxa (l’opinion) était alimentée par les rumeurs de scandales, les frasques des uns, les intrigues des autres. vient de montrer que la fascination du public hommes d’affaires, princes et princesses : de people. De François ier à Louis xiv la cour Mariages, répudiations. Disputes et jalousies, pour les célébrités remonte aux origines les people de l’époque. forme un microcosme qui attire les regards etc. Les supputations allaient bon train sur les mêmes de la presse, à la fin du xviiie siècle. • Remontons plus loin encore. du public. Les couloirs des palais bruissent gens de la haute société, sur leurs mœurs Dès les années 1780, le Gentleman’s On pourrait sans trop de difficulté soutenir des intrigues des courtisanes, des soucis de dissolues. L’Antiquité avait déjà ses Britney Magazine consacrait de longues chroniques que la « société de cour » durant l’Ancien santé du roi. Et les nouvelles se répandent Spears et ses Angelina Jolie. n j.-f.d. aux déboires personnels des gens célèbres, Régime ressemble beaucoup à un système comme des rumeurs dans le public. 22 Sciences Humaines Mai 2009 N° 204 rapport à soi, aux autres, au monde (10) ». Qu’est-ce que cela veut dire ? Qu’à travers la vie privée de ses héros, le public expérimente mentalement des situations de vie, juge leur comportement, émet des jugements moraux, affronte leurs épreuves en pensée, explore des situations inconnues ou nouvelles. Le goût des potins En 2006, Alex Mesoudi, de l’université de Saint Andrews (Écosse), a mené une expérience destinée à montrer combien nous sommes attirés par les potins (gossip) sur la vie privée des gens (11). L’expérience relève du « téléphone arabe ». On propose à des volontaires de lire un texte qui parle d’une étudiante. Le texte contient des informations sur son âge, sa famille, son université (Denver, Colorado), ses études, ses amis et sa vie privée. Puis on demande aux volontaires d’écrire ce qu’ils ont retenu. Leur récit est alors lu par d’autres personnes qui, à leur tour, vont réécrire l’histoire, et ainsi de suite en passant par quatre groupes suc- cessifs. Que reste-t-il du texte initial, une fois soumis à ce processus de retransmission ? Les gens ont surtout retenu que l’étudiante avait noué une liaison avec un professeur et s’était disputée avec son amie. Tout le reste – les informations sur l’université du Colorado ou la profession des parents – était passé aux oubliettes ou déformé. Comment cela se fait-il ? Pour A. Mesoudi, si les gens aiment savoir ce qui se passe dans la vie privée d’autrui, cela ne relève pas d’un voyeurisme malsain. C’est un mécanisme mental profondément ancré dans le cerveau humain. Nous, humains, sommes des animaux sociaux qui vivons en groupes. Pour cela, nous avons besoin de résoudre en permanence des problèmes de relations sociales, liés aux alliances, aux amitiés, aux ruptures. Nous avons donc développé une compétence particulière dans ce domaine, un intérêt pour tout ce qui touche aux relations humaines intimes, une « intelligence sociale ». Observer ce qui se passe chez autrui est une façon d’apprendre, de décrypter, d’expérimenter à moindre frais en regardant comment s’y prennent les autres. Voilà pourquoi nous sommes fascinés par tout ce qui touche aux petits potins. En parler relève du partage de l’expérience sociale. S’intéresser aux people, c’est croiser plusieurs centres d’intérêt : la fascination pour les élites et les gens célèbres (que l’on ne regarde pas toujours avec bienveillance) d’une part, entretenir des conversations avec des pairs sur des sujets faussement futiles (les relations intimes) d’autre part. Voilà d’où viendrait ce goût pour ce que l’on appelait au temps de Marcel Proust les « petits potins de la vie mondaine » et que l’on nomme aujourd’hui le « phénomène people ». Pourquoi le phénomène people marche si bien ? En résumé, l’admiration de fans en quêtes de modèles identificatoires n’explique pas tout. Le public ne se réduit pas à des adolescents subjugués en mal de modèles. La fascination pour les élites touche à toute sorte de public.S’y mêle un goût pour Paris Hilton et Britney Spears, des icones people «trash». Lins-AlphaX-Castro/X17online.com/Eyedea de l’université de Warwick (Royaume-Uni) double. Mais, au fond, le même thème attire à la ville ou à l’écran, sur scène ou dans les coulisses. Il s’agit de braquer le regard sur la déchéance des uns (Amy Winehouse, Britney Spears, Paris Hilton), la renaissance et la rédemption d’un autre (Mickey Rourke), le spectacle d’une famille modèle (Brad Pitt et Angelina Jolie) ou de divorces et de ruptures. Tout cela est une façon de mettre l’œil dans le trou de la serrure pour voir comment les gens se comportent dans l’intimité, affrontent les dangers, les espoirs. Observer la vie intime des stars est une façon d’assister à distance aux petites tragédies de l’existence. Le people tisse sa dramaturgie autour de l’amour, de la fidélité, de la jalousie, de la trahison, de l’amitié, des copains, de l’engagement dans une relation, etc., autant de thèses loin de représenter la superficialité et le vide de contenu. Selon la sociologue Sabine Chalvon-Demersay, le rapport qu’entretient une grande partie du public avec les célébrités ne relève pas de d’idolâtrie. Les aventures de ses héros (dans la fiction mais aussi dans la vie privée) sont un « opérateur de constitution du ce qui est beau et puissant, une convoitise, présente en chacun de nous, pour la célébrité, une des formes suprêmes de la reconnaissance. Le goût pour le people comporte aussi une dimension de sociabilité. Le commérage entre amis, en famille, au café, au travail, permet de créer du lien, de partager des valeurs ou des critiques. Et, on l’a vu, le rapport à la star est autant critique qu’admiratif. On s’intéresse à ses déboires autant qu’à ses talents ou son succès. Enfin le goût pour la vie privée d’autrui : les histoires de ruptures, de conflits, de jalousie, de drames, nous concernent tous. Ces histoires ne sont pas dépourvues de contenu. Au contraire, elles mettent en scène des relations sociales élémentaires - amitiés, amour, rupture, jalousie, trahison - qui sont mises à nu sous nos yeux. Elles nous concernent en tant qu’animaux sociaux. Il y a aussi ces expériences de vie fondamentales (réussite ou échec, santé ou maladie, succès ou tragédie) qui nous touchent en tant qu’humains. Au final, le people peut paraître dérisoire, futile, sordide, vulgaire, obscène. C’est souvent le cas. Mais il touche à des cordes sensibles, très sensibles, qui renvoient à quelque chose de très profond dans la nature humaine. Et voilà pourquoi ça marche si bien. n (1) Jacques Séguéla, Autobiographie non autorisée, Plon, 2009. (2) Pour une synthèse récente, voir le dossier « Passionnés, fans et amateurs », Réseaux, n° 153, janvier-févier 2009. (3) Voir Daniel L. Wann, « Preliminary validation of the sport fan motivation scale », Journal of Sport & Social Issues, vol. XIX, n° 4, novembre 1995 . Gayle S. Stever, « Celebrity appeal questionnaire focused particularly on entertainer and hero/role model factors », Psychological Reports, vol. LXVIII, n° 1, 1991. (4) David Giles et John Maltby, « Praying at the altar of the stars », The Psychologist, vol. XIX, n° 2, février 2006. (5) Leo Braudy, The Frenzy of Renown: Fame and its history, Oxford University Press, 1986. (6) David Giles et John Maltby, op. cit. (7) Lynn E. McCutcheon, Rense Lange et James Houran, « Conceptualization and measurement of celebrity worship », British Journal of Psychology, vol. XCIII, n° 1, février 2002. (8) Christian Bromberger, Football : la bagatelle la plus importante du monde, Bayard, 1998. (9) Dominique Pasquier, La Culture des sentiments. L’expérience télévisuelle des adolescents, MSH, 2000. (10) Sabine Chalvon-Demersay, « Enquête sur des publics particulièrement concernés. La réception de L’Instit et d’Urgences », in Daniel Cefaï et Dominique Pasquier (dir.), Les Sens du public. Publics politiques, publics médiatiques, Puf, 2003. (11) Alex Mesoudi, Andrew Whiten et Robin Dunbar, « A bias for social information in human cultural transmission », British Journal of Psychology, vol. XCVII, n° 3, août 2006. Mai 2009 Sciences Humaines 23 N° 204