HISTOIRE(S) DES IMAGES PHOTOGRAPHIQUES

Transcription

HISTOIRE(S) DES IMAGES PHOTOGRAPHIQUES
HISTOIRE(S) DES IMAGES PHOTOGRAPHIQUES - 1re partie
de 1839 aux années 1960
Cours de Jean pierre Morcrette
COURS N° 14
Plan et citations
PHOTOREPORTAGE, PHOTOJOURNALISME (2)
PLAN du cours :
1 - Les agences de presse et agences photographiques
- Agences de presse, quelques agences : AFP 1835, France, Agence France Presse ; AP 1848, USA
Associated Press ; REUTER 1851, GB ;
- Agences d’actualité magazine, quelques agences : MAGNUM 1947 ; GAMMA 1967 ; SYGMA 1973 ; SIPA
1973 ; OEIL PUBLIC 1996 ; ÉDITING 1988 ;
2 - People et paparazzi
« Nous étions à 60 kilomètres de Saigon. Les avions américains ont largué leurs bombes au napalm.
Une minute après, on a vu plusieurs personnes courir sur cette route. Je n’ai pas compris tout de suite ce qui
se passait. J’étais en train de recharger mon film. J’ai été très lent. Nick Ut, lui, est allé très vite se trouvant 30
mètres devant moi. J’ai vu son tirage sortir du révélateur. Horst Faas, le patron d’AP, lui a dit : « Very good
job. ». Deux jours après, elle faisait la une de tous les journaux du monde. »
David BURNETT, à propos de la photographie de HUYNH CONG dit Nick Ut, « sur la route de Trang
Bang au Sud Vietnam, après un bombardement “accidentel“ au napalm. »
« On choisit un photographe pour montrer quelque chose qu’on veut voir. Je ne suis pas différent ; sauf
que j’ai montré aux gens des choses qu’ils ne voulaient pas voir. J’ai eu l’expérience de trop de souffrances.
Je me sens, dans mes tripes, en union avec les victimes. Et je trouve qu’il y a une certaine intégrité dans cette
attitude. Il n’y a aucun doute que mes photographies possèdent une forte connotation religieuse, elles sont
souvent perçues comme des icônes du XXe siècle. Quand des être humains souffrent, ils ont tendances à
regarder en l’air, comme si le salut pouvait venir d’en haut […] et c’est à ce moment précis que je déclenche.
[…] « Mes photographies sont des documents, pas des icônes, pas des œuvres d’art à mettre au mur. Ce
n’est pas ma faute si la lumière de Sabra et Chatila avait quelque chose de biblique, si les scènes qui s’y
déroulaient semblaient dessinées par Goya. Je n’étais pas là pour faire des icônes, mais pour rapporter des
documents qui éviteraient peut-être la répétition de ces horreurs. […] « au départ, je ne voulais pas être un
photographe de guerre, je voulais montrer des paysages, la paix […] qui est beaucoup plus difficile à
photographier que la guerre. Il n’y a pas besoin d’avoir un œil pour photographier un homme qui crève. »
Don McCULLIN, in PHOTO POCHE N°53
Au cours de vos reportages, vous est-il arrivé de refuser de prendre une photo ?
« Oui, devant un homme qu’on exécutait sur le marché de Saigon. Il était comme une bête. Devant lui
se bousculait un paquet de photographes et de caméramans complètement excités. Ils s’engueulaient en
criant : « C’est super ! C’est super ! ». C’était comme du théâtre, j’avais honte pour eux. »
Don McCULLIN, in TELERAMA, 31 mars 1993
[…] La forme est évidemment classique. Des images au Leica, au cadrage pur, à l’espace juste, ample lorsqu’il le
faut, précis à bon escient, sans bavardage inutile et sans simplification caricaturale. Des compositions équilibrées qui
laissent la lumière révéler des poses, des regards, des attitudes. Des points de vue qui placent l’homme au centre de la
préoccupation. Mais, si elles appartiennent visiblement à une tradition qui a valu à Salgado une multitude de prix, dont le
W. Eugene Smith, ces photographies nous renvoient à une iconographie qui n’est pas celle de l’humanitaire, mais celle
du religieux. Lorsque sur fond de sable, une femme et ses enfants, voilés, noirs et silhouettes penchées, fuient la famine,
l’écho de la grande peste ou de la fuite en Égypte est présent. Et ce n’est pas par hasard que, lorsque des réfugiés qui
COURS N°14
PHOTOREPORTAGE, PHOTOJOURNALISME (2)
HISTOIRE(S) DES IMAGES PHOTOGRAPHIQUES – 1re partie. Une série de cours proposée par Jean pierre Morcrette
Page 1 / 1
ont marché toute la nuit s’abritent au petit matin sous un grand arbre pour éviter les bombardements, le soleil, en rais
diffractés, nimbe la scène comme dans la grande peinture religieuse. […]
Le choix du noir et blanc fonde l’esthétique globale, avec la volonté d’œuvrer dans l’ordre du symbolique. La tradition de
l’humanisme photographique passe par cette abstraction qui module les gris et privilégie la réorganisation graphique du
monde dans l’espace du rectangle. Il faut faire « image » pour donner à comprendre. […]
Salgado sait qu’une image ne peut résumer la complexité d’une situation et que seul le récit en images, l’articulation des
photographies entre elles permet, après une longue enquête sur le terrain de rendre compte. […] Il poursuit et transforme
la tradition de l’essai photographique. […]
Et parce que ses choix sont clairement déterminés, il poursuit le vieux débat sur l’esthétique et politique. Pour dire que,
de l’économie aux images, tout est politique. »
Christian CAUJOLLE, in PHOTO POCHE N°55
A propos de sa photographie : Ecole de policiers noirs à Hammanskraal, Afrique du Sud, 1978
« Curieusement, ce sont les autorités qui ont voulu que j’aille visiter cette école. Ils en étaient fiers. Ils
faisaient des exercices. À les voir, le chef blanc en tenue et les élèves noirs torse nu, je me suis tout de suite
dit qu’il y avait “une“ photo à prendre. Je leur demande de se placer de telle façon. Le chef hésite, se tourne
vers un colonel qui lui répond : “Vas-y !“. Ce n’est pas une image “montée“. La situation existait. De toute
façon, prendre une photo est un choix permanent en fonction de son idéologie, de sa culture et de son
éducation. Et c’est l’histoire qui détermine la vie d’une photo. Je ne pensais quand même pas que celle-ci
ferait le tour du monde. » […] Il n’y a pas une seule vérité. Le problème c’est que les magazines veulent
l’image choc, celle qui résume tout. J’espère, en tout cas, que mes photos ont desservi le régime. »
ABBAS, cité par Michel Guérrin, in Profession Photo reporter
Numérique ou pas?
« Depuis quelques années j'avais perdu l'illusion que le journalisme de guerre pouvait affecter le cours des
événements, mais pendant mon dernier voyage en Tchétchénie, j'ai compris qu'il pouvait y avoir des
exceptions. Il arrive que, parfois, la présence d'un appareil photo, d'une caméra plus encore, mette à mal une
version officielle, accuse directement un gouvernement en train de commettre un crime. Avant de partir, une
question s'était posée à moi : est-ce que je transmets numériquement ou pas ? Sachant qu'il n'y avait aucun
moyen de faire sortir mes photos et aucune véritable info, cela m'apparaissait comme une solution adéquate.
Ce n'était pas pour entrer dans une sorte de course à la vitesse, il s'agissait là de pouvoir sortir les
photographies du pays, dans un délai raisonnable. Veut-on parler de l'histoire qui est en train de se passer,
est-ce que ce sera utile d'en parler dans trois mois ?
Un mois et demi après avoir pris cette décision, je suis entré dans Grozny, me retrouvant alors à prendre des
photos de résistants tchétchènes en position dans les rues de la ville, transmettant l'image des cadavres de
trois soldats russes, alors que des communiqués officiels prétendaient que l'armée contrôlait la situation. Avec
ma petite machine, je prouvais le mensonge de Poutine, le jour même de son élection. À Moscou, on
démentait les images et j'en retirais une sorte de jubilation. »
Laurent VAN DER STOCKT, in Photojournalisme, Yan Morvan, CFPJ, Victoires Editions, 2000
Reporter photographe qu’est-ce que c’est ?
« Reporter, c’est très proche du mot rapporter. C’est ramener quelque chose d’une pays où il se passe
un événement déterminé, c’est le porter à la connaissance des gens. Reporter-Photographe, c’est rapporter
des images ; des croquis, quelque chose qui se fait très vite, et que l’on doit envoyer très vite pour que ça
puisse « couvrir » l’événement à peu prés le lendemain, en tout cas avant le mercredi quand les
hebdomadaires parisiens bouclent. On expédie les films par avion, théoriquement par fret mais les formalités
sont longues : alors on confie le paquet à un passager, c’est risqué, ou à un pilote de la compagnie, ce qui est
aussi risqué parce qu’ils n’ont pas le droit de faire ça et ils risquent de se faire virer. Le motard de l’agence
vient ensuite chercher le paquet au Welcome-Service de l’aéroport à Paris, ça passe au labo, et un type
choisit les photos sur les planches contact. Il recadre s’il trouve que ça améliore ; il y a des agences où on ne
recadre pas, par principe ; moi je m’en fous. Tout est choisi très vite (l’impératif du temps est omniprésent) à
cause de la concurrence des autres agences. Et puis ça repasse au tirage, on imprime les légendes au dos
COURS N°14
PHOTOREPORTAGE, PHOTOJOURNALISME (2)
HISTOIRE(S) DES IMAGES PHOTOGRAPHIQUES – 1re partie. Une série de cours proposée par Jean pierre Morcrette
Page 2 / 2
avec le nom du photographe et le vendeur peut faire sa tournée dans les rédactions. Le soir on expédie dans
tous les pays avec qui l’agence travaille. »
Qu’est-ce qu’une bonne photo de guerre ?
« Comme on est pris dans un système, une bonne photo ce n’est pas une photo que j’aime et que je vais
mettre sur mon mur, c’est une photo qui va se vendre. Le problème c’est de vendre, vendre, toujours vendre ;
pour payer les frais, faire vivre l’agence, pour bouffer, payer le prochain billet d’avion, les prochains hôtels.
C’est du commercial. Si je vois un gosse qui crève, je vais faire la photo et je vais me dire : « Ca va se
vendre ». Parce qu’on vend mieux un gamin en train de mourir qu’un combattant, parce que ça touche plus.
Le type qui choisit la photo est un commerçant, il achète pour revendre le mieux possible, des gosses, des
femmes, du sans. […] Je fais des tas de photos pour moi parce qu’elles me plaisent, mais on est tellement
pris dans l’engrenage que, souvent, elles me plaisent parce qu’elles vont- se vendre. On en arrive à penser
comme l’agence, de manière irréfléchie. Après, je me rends compte que j’ai fait cette photo parce que
j’espérais qu’elle allait se vendre. » […]
Arnaud BORREL, in ZOOM N°40, octobre 1976
« Dans les années 1980, le marché était dessiné, avec d'un côté Sipa, Sygma, Gamma, de l'autre les
agences filaires. Il fallait interroger le métier, et la photographie elle-même, en apportant un nouveau regard :
c'est dans cet esprit que nous avons créé l'agence.
En 1989, sachant que toutes les agences classiques (qui à l'époque ne s'inquiétaient pas trop de nous) étaient
sur les lieux des événements, nous avons cherché à couvrir l'actualité autrement. Nous n'avons jamais hésité
non plus à faire des sujets beaucoup moins commerciaux, par refus de considérer que les règles qui régissent
le photojournalisme ne puissent être qu'économiques. Nous pensons en effet que, dans quelques années, en
se plongeant dans les archives des agences, les enfants auront une idée totalement fausse des années
1980,1990, parce que les images ne représenteront du monde que ce qui intéressait les magazines. Pour
contrer cet état de fait, Éditing a, entre autres, financé des sujets "invendables", sur la détention de longue
peine par exemple, mais ce sont ces sujets qui nous ont permis de parler de notre ligne éditoriale, de notre
projet rédactionnel, politique et esthétique.
Éditing est née aux commencements d'une période difficile qui voit l'arrivée massive des grands groupes
industriels dans les magazines. Les directeurs financiers y ont pris une place prépondérante, aux dépens
certainement des directeurs des rédactions. »
Serge CHALLON, Directeur-gérant d’ÉDITING,
in Photojournalisme, Yan Morvan, CFPJ, Victoires Editions, 2000
« Dans mon enfance, à l’école communale de Rimini, j’avais un camarade napolitain nommé Paparazzo. Il
parlait sans arrêt et très vite. Il faisait avec sa bouche des imitations étranges d’appareils mécaniques et d’insectes,
notamment de moustiques. Quand j’écrivis le scénario de La Dolce Vita, son nom m’est revenu ; sa consonance me
semblait parfaitement correspondre à l’impression d’insolence, d’agressivité et d’ennui du personnage. Pourtant,
cette race de photographes, consacré dans La Dolce Vita est apparue un peu avant le film [1959]. Ils étaient 4 ou 5
à l’époque. Il y a eu en Italie, et plus particulièrement à Rome, un art du paparazzo qui s’est fait jour. […] Tout un
tas de jeunes garçons ont vu là un moyen de sortir de leur condition. Toute une série de journaux spécialisés s’était
créé et tous étaient aussi friands de scandales. […] Il n’y a pas de bon paparazzo. Un bon paparazzo, c’est celui
qui a son appareil cassé. […] »
Federico FELLINI, in PHOTO, mars 1973
COURS N°14
PHOTOREPORTAGE, PHOTOJOURNALISME (2)
HISTOIRE(S) DES IMAGES PHOTOGRAPHIQUES – 1re partie. Une série de cours proposée par Jean pierre Morcrette
Page 3 / 3