HISTOIRE(S) DES IMAGES PHOTOGRAPHIQUES

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HISTOIRE(S) DES IMAGES PHOTOGRAPHIQUES
HISTOIRE(S) DES IMAGES PHOTOGRAPHIQUES - 1re partie
de 1839 aux années 1960
Cours de Jean pierre Morcrette
COURS N° 15
Plan et citations
PHOTOREPORTAGE, PHOTOJOURNALISME (3)
PLAN du cours :
Textes et documents (quelques éléments de réflexion) :
- Photoreportage, photojournalisme, essai photographique ?
- Photographie comme pièce à conviction ?
- Faux et usages de faux ?
- L’argent ;
- Les honneurs.
« Le reportage suppose une approche photographique dans sa durée. Il y a travail dans le
temps, enquête approfondie […] À la limite, deux reporters pourraient, à partir d’une même situation, bâtir des
suites d’images entièrement différentes : Ce sont l’approche, les opinions, la personnalité qui « font » la photo
de reportage […] Au contraire, dans le cas du photojournalisme, la différence de point de vue ne serait pas ou
peu sensible. Le photojournaliste est envoyé par l’agence à un moment précis, dans un pays donné. Il doit
ramener « la » photo, le document choc. Le mérite du photojournaliste est sa présence, son sang-froid. »
Pierre de FENÖYD, 1977, cité par Michel Guerrin
« D’un côté, il y a « la » photo, l’instantané choc, rapide ; de l’autre, le reportage en profondeur
réalisé par le photographe qui prend son temps. »
Roger THEROND, directeur de PARIS MATCH
« Je marchais toute la journée, l’esprit tendu, cherchant dans les rues à prendre sur le vif des
photos comme des flagrants délits. J’avais surtout le désir de saisir dans une seule image l’essentiel d’une
scène qui surgissait. Faire des reportages photographiques, c’est-à-dire raconter une histoire en plusieurs
photos, cette idée ne m’était jamais venu ; ce n’est que plus tard, en regardant le travail de mes amis du
métier et les revues illustrées, et en travaillant à mon tour pour elles, que peu à peu j’ai appris à faire un
reportage. »
Henri CARTIER BRESSON, in IMAGES A LA SAUVETTE, 1952
« J’ai longuement parlé du reportage ; j’en fais, mais ce que je recherche désespérément c’est
la photo unique, qui se suffit à elle-même par sa rigueur, sans prétendre pour autant à faire de l’art, de la
psychanalyse ou de la sociologie, son intensité, et dont le sujet dépasse l’anecdote. »
Henri CARTIER BRESSON, 1963
A propos de L’ESSAI PHOTOGRAPHIQUE
« Je crois, en effet, avoir réussi à imposer ce genre de publication […] non sans mal d’ailleurs
car je tiens essentiellement à faire la mise en pages des images moi-même. Ce qui m’a valu tant de bagarres
avec LIFE, par exemple. Il est bien évident qu’à ces conditions, le discours du photographe peut difficilement
être détourné. »
Eugene SMITH, 1978, in LE PHOTOGRAPHE, 10/1979
« Le photojournalisme c’est de la foutaise. Seul compte l’essai photographique. »
Henri CARTIER BRESSON, vers 1988
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PHOTOREPORTAGE, PHOTOJOURNALISME (3)
HISTOIRE(S) DES IMAGES PHOTOGRAPHIQUES – 1re partie. Une série de cours proposés par Jean pierre Morcrette
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Albert FACELLY (Sipa)
Je crois qu'il faut, à un moment, choquer le public.
La télévision a le pouvoir. Pas de caméra, pas de réaction. J'ai pu le vérifier une fois encore, même si je
ne ressens aucune frustration à ne pas être derrière une caméra. Vers le 8 juillet. C’est-à-dire une semaine
avant que le monde entier ne parle du flot de réfugiés submergeant Goma, j'étais avec deux autres
photographes sur la route de Ruhengeri. au nord du Rwanda. Déjà, des centaines de milliers de personnes
fuyaient devant l'avance du FPR. Ils avaient encore de quoi manger, ils ne mouraient pas sur le bord de la
route, mais on pouvait se douter que ces colonnes de réfugiés allaient se diriger vers la frontière du Zaïre.
Pendant une semaine, mes photos et celles de mes confrères n'ont intéressé personne. L'actualité, c'était la
zone protégée par les militaires français, au sud, et le gros des journalistes était là-bas. Si les télévisions
avaient montré ce que nous voyions, il y a fort à parier que le projecteur aurait été braqué plus tôt sur le sort
des réfugiés. Et les ONG, qui ont une stratégie de plus en plus médiatique, auraient peut-être réagi plus tôt.
Le dimanche 17 juillet, des obus sont tombés sur la frontière, et là, ma photo a fait tout de suite la une d'un
quotidien populaire. L'obus venait d'exploser à une centaine de mètres de moi, des gens atrocement mutilés
hurlaient, des enfants comme celui que vous voyez se retrouvaient seuls à côté du corps de leur mère. Je ne
savais plus ce que j'avais à faire, c'est un confrère plus aguerri, plus habitué que moi aux situations de guerre
qui m'a dit de continuer, de faire mon travail : « Tu es là pour ça. » Je ne regrette pas cette image, même si j'ai
eu un recul en voyant la photo une fois publiée. Je crois qu'il faut, à certains moments, choquer le public. Mais
il aura finalement fallu cet exode massif et ces obus pour que les réfugiés viennent à la une des médias.
In Télérama, 10 août 1994
Sophie ELBAZ (Sygma)
Parfois, j’ai envie de poser mes boîtiers et de prendre un stylo…
Il est très rare de voir des Africains pleurer. Question de pudeur et de culture, sans doute. Pour moi, ce
regard sur la souffrance a autant de valeur que les images choquantes que l'on continue à retrouver dans les
magazines. Bien sûr, il fallait aussi photographier les morts, mais j'ai l'impression que le public est saturé
d'images de violence. Il en a trop vu,en Bosnie, en Somalie ou ailleurs.
Je n'ai pas envie d'accrocher l'attention des gens sur l'horreur. On peut faire des images pudiques, en toute
circonstance, continuer à avoir un regard humain sur tous les réfugiés, pris un par un. Je refuse le cynisme qui
serait censé nous blinder, nous, les professionnels. Je me demande d'ailleurs si on photographierait avec la
même impudeur des Blancs victimes d'une grande catastrophe en Europe. Il faut arrêter de parler et de
montrer le tiers-monde comme une sous-humanité.
Quand les événements nous dépassent, on se retranche derrière des mots clés : « horreur », « enfer », mais
c'est peut-être aussi une façon de repousser l'événement de ne pas affronter la réalité. Dire que c'est affreux,
ça ne suffit pas. Sinon le public reste passif, sans analyse, sans prise de position. Par un effet d'amalgame, on
en vient à se dire que c'est comme ça, qu'il n'y a rien à faire. C'est contre ce sentiment d'impuissance que j'ai
envie de me révolter.
La solution ? Expliquer, montrer les responsabilités, donner à comprendre, voilà le rôle de la presse. Mais quel
lecteur, quel téléspectateur sait réellement après des centaines d'articles et de reportages, qui sont les Hutus
et les Tutsis, quelles sont leurs cultures ? Qui a montré la dignité de ce peuple rwandais, travailleur et
discipliné, qui habitait un pays relativement riche ? En rentrant du Zaïre (j’y suis resté quelques jours
seulement avant de tomber malade), j'avais envie d'écrire. Parfois, je me dis qu'il y a beaucoup plus à dire
qu'à montrer et j'ai envie de poser mes boîtiers pour prendre un stylo...
In Télérama, 10 août 1994
« Les photographes engagés postulent que leur œuvre peut véhiculer une signification stable, peut
révéler une vérité. Mais, en partie du fait qu’une photo est toujours un objet en contexte, ce sens est voué à
s’évaporer ; en d’autres termes, le contexte qui impose des utilisations immédiates, quelles qu’elles soient, et
particulièrement les utilisations politiques d’une photographie, est inévitablement suivi par d’autres contextes
dans lesquels elles sont susceptibles d’être abordées. Et, en tant qu’images, certaines photos nous renvoient
d’emblée à d’autres images, autant qu’à la vie. Celle que les autorités boliviennes transmirent à la presse
internationale en octobre 1967, montrant le corps de Che Guevara dans une écurie, étendu sur une civière
posée sur une auge de ciment, et entouré d’un colonel bolivien, d’un agent des services de renseignements
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américains, et de quelques journalistes et soldats, non seulement résumait les amères réalités de l’Amérique
Latine contemporaine, mais présentait quelques ressemblances de hasard, comme l’a fait remarquer John
Berger, avec « le Christ Mort » de Mantegna. [...]
La puissance de cette photo tient en partie à ce qu’elle a en commun, du point de vue de la composition avec
ces tableaux [Note de JpM : S. Sontag fait référence aussi à La leçon d’anatomie de Rembrandt]. Mieux, la
mesure même dans laquelle cette photographie est inoubliable annonce sa propension à perdre sa
signification politique, à devenir une image atemporelle.
Ce qui s’est écrit de mieux sur la photographie émane de moralistes - marxistes ou se prétendant tels –
passionnés de photo mais gênés par sa façon inexorable de tout transformer en objet de beauté. Comme
Walter Benjamin le faisait remarquer [note de JPM : dans les années 30] […] l’appareil photo “est maintenant
incapable de photographier un taudis ou une décharge sans les transfigurer ! Sans parler d’un barrage ou
d’une usine de câbles électriques : confrontée à ces spectacles, la photographie ne sait pas dire autre chose
que “comme c’est beau” […] Elle a même réussi à transformer l’abjecte pauvreté en objet de plaisir, en la
traitant de façon accrocheuse et techniquement parfaite.” Les moralistes qui aiment les photographes
espèrent toujours que les mots sauveront l’image. »
Susan SONTAG, in SUR LA PHOTOGRAPHIE, 10/18, p.132
« Mort vécue ou mort rêvée, Vrai ou faux ? On en discute encore. Photo d’un camp
d’entraînement, a-t-on dit, et le milicien anarchiste, “fauché en plein assaut”, aurait répété (sa mort future) […]
Mise en lumière, mise en place, mise en scène : les glissements progressifs du factice nous ont rendus
méfiants. Le journaliste enregistre, l’artiste arrange le fait. Un photojournaliste tient parfois des deux, et
quelques-uns uns interviennent sur le réel pour mieux l’auréoler. […] La rumeur n’a pas épargné Capa. Elle
m’indigne, mais qu’importe : le devoir être rejoint ici l’avoir été, le signe transcende le document. Aussi
d’idéogramme, est-il lisible en tous points du globe et de l’histoire. Il nous rend présent l’éternel de la guerre,
ce qui toujours recommence et vaut une fois pour toutes. Trop tremblé pour une icône, précaire comme une
rencontre, authentifié par toute une vie, cet instantané est devenu, avec le temps, définitif. Plus décisif que
n’importe quel “instant décisif” ».
Régis DEBRAY, in L’ŒIL NAIF, Editions du Seuil, 1994
« On se gardera ici, évidemment, de justifier un tel dérapage. On précisera, simplement, pour la
totale information du lecteur, que la photo contestée est demeurée quelques secondes à l’antenne, le texte du
sondage la cachant en partie le reste du temps et que le journaliste qui a révélé “l’affaire” dans Le Parisien est
un pigiste d’Entrevue, le magazine de Thierry Ardisson. Et l’on sourira en sachant que ce même magazine, qui
fait son miel du « dernier porno » de Sylvester Stallone ou de la vie privée de Richard Gere, donne des leçons
de déontologie aux responsables de la Marche du Siècle. »
Marc LECARPENTIER, TELERAMA du 30 novembre 1994.
« Où s’arrête la compassion, voire l’information quand notre confrère PARIS MATCH exploite
avec tant de systématisme le deuil de PPDA, dont la fille, Solenn, vient de se suicider […] La même semaine,
VSD utilise la photo de PPDA, prise à la sortie de l’office funèbre, forcément ravagé par la douleur, et l’utilise
dans un photomontage, aux cotés de Michel Noir et de Pierre Botton, devant une colonnade de palais de
justice. Seul un œil averti peut distinguer la mention de trois photographes pour un panoramique aussi
accablant. Pas un mot pour avertir le lecteur qu’il s’agit là d’un trucage. Bravo ! »
TÉLÉRAMA du 15 février 1995
[…] « Susan Sontag soulignait cette propension à « fabriquer de l’or avec de l’ordure ». Elle ne
visait pas les individus ni leurs revenus, mais l’esthétique lépreuse du malheur comme pierre philosophale de
l’alchimie photographique. Galeries et musées honorent ces allégories, des jurys facilement impressionnables
leur décernent des prix. Une chose est de faire son métier, qui est de témoigner, de dénoncer ou simplement
de montrer les blessures du monde, en s’attachant à trouver pour en rendre compte, la meilleure écriture
photographique. Autre chose est la célébration, l’auto célébration des fresques de la misère. Quand elles sont
exposées au MOMA ou au Palais de Tokyo, qu’aux vernissages le gratin se pâme la bouche pleine de petits
fours devant l’image des affamés de la planète ou de « l’Homme au Travail », on passe les bornes de la
décence. Je sais que ça fait cliché de le dire, mais quand la pauvreté et la mort servent à chasser les
récompenses et les honneurs, je ne peux m’empêcher de penser à ces explorateurs anglais qui rapportaient
leurs trophées à leur Académie pour y faire le beau. J’y vois une permanence de l’idéologie coloniale, comme
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un retour à l’ère victorienne. Et puis, je me pose une autre question : qu’aurait-on dit d’un Prix Pulitzer gagné à
Auschwitz.»
Edgar ROSKIS , in CONTREJOUR N°4, avril 1995
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