Puebla, ville des anges
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Puebla, ville des anges
jardins d’ailleurs dans Jardin Secret® Puebla, ville des anges Par Tania K. Août 2008 Aux pieds des légendaires volcans Popocatéptel et Iztaccíhuatl qui la séparent de Mexico, et surveillée de loin par la majestueuse silhouette du volcan Malinche au nord, la ville de Puebla de los Angeles fut la première ville de la Nouvelle-Espagne fondée ex-nihilo, en avril 1531. Une naissance touchée par les anges Puebla est encore de ces endroits où la Légende et l'Histoire se tutoient sans complexes. Avec un peu d'imagination on y perçoit le frôlement des ailes des anges à chaque coin de rue... peut-être de ceux-là mêmes qui inspirèrent le moine Julián Garcés en songe bien avant que la ville ne fut bâtie. En effet, un jour, le religieux s'était endormi pendant ses prières, lorsqu'il eut la vision d'une verdoyante et fertile campagne, traversée par une rivière cristalline. A son grand étonnement, un bataillon d'anges ouvriers descendit du Ciel avec force outils pour tracer les fondements d'une ville, constituée d'amples rues droites, orientées de nord à sud et d'est à ouest, de façon à ne pas être touchées par les vents malsains du volcan Malinche. En s'éveillant, le moine se sentit investi d'une mission divine, et après avoir cherché pendant près de 5 lieues, reconnut l'endroit où serait bâtie Puebla "des anges". Un centre-ville, patrimoine mondial Quelques siècles plus tard, le centre-ville garde un charme à la fois colonial et baroque, étalant de superbes palais qui se souviennent encore des jours de la colonie, et des maisons qui sont successions de balcons en fer forgé, de portes en vieux bois clouté, de façades peintes de couleurs vives ou ornées d'azulejos multicolores, de portesfenêtres qui dévoilent des intérieurs paisibles, ou www.jardinsecret.com.mx jardins d’ailleurs dans Jardin Secret® encore des patios qui incitent à la rêverie... l'UNESCO n'a pas été longue à reconnaître la grande valeur culturelle et architecturale de Puebla. Pour le profane qui s'aventure avec insouciance dans les rues de Puebla, l'art peut rapidement devenir écrasant, surtout lorsqu'on cherche à retenir les dates, les mouvements artistiques, les explications techniques, l'histoire en somme. Ainsi, j'ai voulu entreprendre une promenade avec l'émotion, pour le simple plaisir des yeux, sur la trace des légendes, des contes, et des petites anecdotes que ne raconte pas forcément la "grande histoire", mais que retient la tradition populaire. Je me suis plongée dans cette "Rome des Amériques" qui abrite plus de 400 églises, où la habitude veut que l'on fasse un vœu dans chaque nouvelle église que l'on connaît. J'en suis ressortie comblée (et exaucée?...) pour le restant de mes jours! Le Zocalo - emblématique place centrale dans toute ville mexicaine qui se respecte - est un excellent point de départ pour découvrir la ville à pied. On y retrouve, à l'ombre des marronniers d'Inde, les globeros, ces vendeurs de ballons qui font le bonheur des enfants mexicains, ainsi que les vendeurs de confiseries ou de glaces... Aussi, tout zocalo du Mexique planté d'arbres, devient, à l'heure où le jour décline, le lieu de prédilection des pies qui entonnent des concerts cacophoniques. Et Puebla n'est pas l'exception! Sur l'un des côtés du Zocalo, fut édifiée la Basilique Cathédrale, la deuxième la plus importante du pays après celle de Mexico. Sa fondation commença dès 1536 et se poursuivit en plusieurs étapes, la dernière étant celle de 1732, elle aussi touchée par la grâce d'une légende. En effet, sa lourde cloche centrale de bronze nommée Doña María Palafox, avait été péniblement traînée jusque sur le parvis en www.jardinsecret.com.mx jardins d’ailleurs dans Jardin Secret® pierre. Quelle ne fut la surprise des ouvriers qui s'apprêtaient à la monter le lendemain matin, de la retrouver miraculeusement suspendue... bien évidemment par l'œuvre de mains célestielles aux dires des poblanos. Se promener dans les allées de la cathédrale rend tout petit et humble, épaté par la hauteur de ses 39 voûtes travaillées de feuilles d'or. Ses deux coupoles néoclassiques se marient étonnamment avec le style mudéjar du chœur aux boiseries fines et incrustations de marbre. Et comme le Mexique sait si bien mélanger les différents mouvements dans les beaux-arts, sa façade de pierre nue épouse le style dit "maniériste". La huitième merveille du monde Sur la rue piétonne 5 de Mayo où se promène le peuple poblano, le Couvent de Santo Domingo (1659) est sans conteste un bijou du patrimoine local. Son enceinte aux couleurs terracota met en valeur ses porches et ses œil-de-bœuf (ici appelés "œil de Dieu") peints à la chaux blanche. Son clocher reste curieusement inachevé depuis des siècles... à croire que les anges n'ont pas encore osé pénétrer dans son enceinte de fer forgé. L'église de Santo Domingo, la plus belle de Puebla, est un exemple du baroque mexicain exubérant, grâce à son retable central. Mais surtout on s'abandonne au ravissement dans sa chapelle principale, la Capilla del Rosario (1650-1690), entièrement couverte d'or et de stuc, mélange de poudre de marbre, de chaux, de feuille d'or et de sang de bœuf. Proclamée "huitième merveille du monde", les ornements de la chapelle représentant des végétaux, des effigies de saints, des www.jardinsecret.com.mx jardins d’ailleurs dans Jardin Secret® anges, des musiciens et des apôtres entre autres, sont agencés dans un ordre qui obéit à un message religieux: "Après avoir créé, espéré, aimé, eu la grâce et avoir pu obtenir les dons essentiels, on arrive à l'extrême sagesse représentée par l'Esprit Saint", pièce centrale de ce chef-d'œuvre. Une tentation gastronomique née dans un couvent Je rêvais de connaître le berceau du mole poblano, l'un des mets les plus représentatifs de Puebla, fait de viande de dinde ou de poulet préparée dans une épaisse sauce à base de chocolat, de piments mulato, ancho et pasilla, d'épices et de fruits secs. Baroque de par la complexité de sa préparation, l'on raconte que ce plat fut inventé dans la splendide cuisine en faïence du Couvent de Santa Rosa (17ième siècle). Grâce à l'imagination d'une sœur, se fusionnèrent les ingrédients des cultures espagnole (l'amande, le clou de girofle, la cannelle) et indigène (le chocolat et les piments). Cependant plusieurs légendes se disputent la naissance du mole poblano. Ma préférée est celle du moine Pascual. En effet, lors de la visite de Juan de Palafox, vice-roi de la Nouvelle-Espagne au 17ième siècle, ayant reçu la mission de cuisiner, Fray Pascual, s'activait nerveusement devant les fourneaux, voulant à tout prix épater le notable visiteur. Il réprimanda ses cuistots pour le désordre qui régnait dans la cuisine et décida de regrouper sur un plateau tous les ingrédients éparpillés pour les ranger, lorsqu'il trébucha et fit tout tomber dans une marmite où mijotait une dinde. Là, dans un chaos sans précédents se mélangèrent le chocolat, les épices, les fruits secs. Le temps pressait et le moine ne put que servir le mets tel qu'il était, priant le Ciel pour sortir de ce mauvais pas. Les convives firent de tels éloges au plat "raté" que de nos jours, dans les petits villages les maîtresses de maisons ne manquent pas d'invoquer l'aide du moine avec les vers "San Pascual Bailón, yo pongo el guiso, tú la sazón" (Saint Pascal Bailón, je fais la cuisine et toi tu y mets la saveur). www.jardinsecret.com.mx jardins d’ailleurs dans Jardin Secret® Pour le reste, le Couvent de Santa Rosa devint un asile psychiatrique en 1869, ce qui provoque un petit coup de frisson, car en rentrant dans certaines pièces, l'atmosphère est si étrange que l'on ne sait pas exactement s'il s'agit d'anges ou d'âmes errantes! Le couvent devint par la suite une vecindad abritant plusieurs familles, comptant jusqu'à 1,500 âmes (celles-là bien vivantes!). Enfin, en 1973, le Musée de l'Art Culturel de Puebla y fut aménagé pour admirer les sculptures, la céramique, la menuiserie et les textiles des sept régions de l'état de Puebla. La talavera de Puebla exposée y est remarquable. Art traditionnel de plus de quatre siècles qui nous vient du monde Arabe via l'Espagne, la talavera commença par être blanche et bleue, un style vaguement emprunté à la dynastie Ming de Chine. Au début du 19ième siècle, elle devient polychromique sous l'inspiration italienne. La talavera actuelle brasse des motifs indigènes et art nouveau, unissant une nouvelle fois l'Ancien et le Nouveau Monde. De la douceur jusque dans les rues et des crapauds qui veillent sur des antiquités Dans un registre plus léger, la Calle de los Dulces (littéralement: "La rue des douceurs"), est une halte de rigueur pour goûter aux tentations jadis concoctées par les sœurs des couvents de Santa Clara et de Santa Rosa. Parmi les plus populaires se trouvent le camote, bâtonnet de patate douce confit, les borrachitos ("les bonbons ivres"), les muéganos (friture caramélisée), les macarons, les citrons vers fourrés à la noix de coco, les fruits confits, les galettes à la mélasse... sans oublier le rompope et les différentes boissons de fruits alcoolisées, le pulque, l'atole à base de fécule de maïs et le chocolat. Après ce passage du côté des bonbons, la faim se fait sentir... On se trouve juste sur la pittoresque Plazuela de los Sapos ("placette des crapauds") où se sont installés les antiquaires, les brocanteurs et autres marchands de curiosités. Puis on rentre dans une de ces vieilles casonas qui possèdent www.jardinsecret.com.mx jardins d’ailleurs dans Jardin Secret® de la patine et du charme: le Mesón de la Sacristia, rêve colonial tout en rose fuchsia, décoré d'antiquités des 18ièmes et 19ièmes siècles. Sous le sourire d'un archange dans le patio, on dégustera l'incontournable mole poblano et des chiles en nogada, autre spécimen de la cuisine baroque mexicaine, où des piments verts sont fourrés de viande, de fruits secs et de grenade, puis délicatement nappés de sauce aux noix de Castille. On commence à sentir les festivités du 16 septembre approcher avec ce plat tricolore, summum de la gastronomie mexicaine. La mémoire du monde veille depuis des siècles Après les plaisirs de la table, retour vers des nourritures plus "élevées", dans la première bibliothèque publique des Amériques, la seule qui reste de l'époque coloniale. Fondée en 1646 par le vice-roi Juan de Palafox y Mendoza pour le séminaire de Puebla, elle conserve le concept et les structures d'origine. Sa salle au style baroque de 1773, abrite plus de 24,556 livres, 5,345 manuscrits datant d'entre 1473 et 1910, qui couvrent 57 matières et disciplines. Dans le silence de cet impressionnant réceptacle de savoir, un ange passe et l'on ose à peine chuchoter! L'UNESCO déclare la bibliothèque Mémoire du Monde en 2005. Une belle étrangère: l'ultime légende Impossible de parcourir les rues de Puebla sans sentir la présence de la fameuse China Poblana, la plus féminine des légendes. Les chroniques anciennes rapportent qu'en 1609 naquit en Inde une princesse prénommée Mirnha, issue des peuples mongols de l'Inde Orientale. Fuyant les turcs, sa famille arriva sur les côtes occupées par les portugais qui se dédiaient à l'esclavage. Mirnha possédait un teint diaphane et des cheveux clairs, un regard vif, et une démarche fière, atouts qui provoquèrent sa capture. Envoyée comme esclave aux Philippines, elle finit par être envoyée en www.jardinsecret.com.mx jardins d’ailleurs dans Jardin Secret® 1620 au Capitaine Miguel de Sosa et sa femme sur les rivages du Mexique. La "petite chinoise" ainsi qu'on la surnommait avec ignorance à cause de son origine orientale, arriva au port d'Acapulco parée d'atours orientaux, avec de riches broderies, des couleurs brillantes et des chaussures de soie. C'était la première fois qu'une orientale se montrait à Acapulco. Sa manière d'être, ses vêtements et sa longue chevelure nouée en nattes, attirèrent incontestablement l'attention. Baptisée dès son arrivée à Puebla sous le nom de Catherine de Saint Jean, plus qu'une servante, elle devint un membre de la famille Sosa. En s'adaptant à son nouveau pays, elle mélangea ses vêtements orientaux à ceux des indigènes, donnant naissance au vêtement typique de la china poblana. Aujourd'hui, ce costume est devenu le symbole du métissage hispano-indigène. Il reste encore bien des secrets, des mythes et des légendes à dépoussiérer dans Puebla... mais la journée tire à sa fin et il me faut repartir sur Mexico... Qu'à cela ne tienne, car je reviendrai les découvrir. Finalement, les plus beaux voyages ne sont-ils pas ceux qui restent à faire? Vous avez des questions ou souhaitez compléter cet article? Contactez-moi en écrivant à [email protected] www.jardinsecret.com.mx