Un mouton malheureux « J`aurais tant voulu naître sous la feuillée
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Un mouton malheureux « J`aurais tant voulu naître sous la feuillée
Un mouton malheureux « J'aurais tant voulu naître sous la feuillée de la montagne là-bas, dans le faîte, où passent les nuages noirs qui viennent de la mer; où il y a des roches grises et des fruits sauvages, et des ravins glissants, et des ruisseaux froids avec de la mousse verte et de grands joncs pointus qui piquent un peu la langue; et des pans de soleil tombés dans les éclaircies, et des talles de senteur éparpillées ici et là. Pourquoi n'ai-je pas de barbe et de poil rude au lieu de cette laine qui s'accroche aux épines? Et des cornes? Ah! si j'avais des cornes droites et effilées! Devant tout le troupeau je défierais le gardien, ce chien de gardien qui n'a qu'à montrer les crocs pour se faire obéir. D'un seul coup de front, je l'enverrais rouler dans les chardons, jusqu'au bas de la butte. Puis, la tête haute, je sauterais le clos. Libre! Libre! Mon pied s'habituerait aux cailloux des chemins; je flaierais les tempêtes dans le vent; je coucherais dans les grandes fougères, sous les étoiles; j'apprendrais la nage, la chasse, la bravoure; je me ferais l'ami des ours et des loups; les orignaux m'inviteraient dans leurs demeures au bord des lacs, dans le creux des forêts. J'aurais l'endurance, les muscles, la résistance, le port de tous ces héros des bois dont on n'a qu'à prononcer les noms ici pour faire frémir les grands-pères.» FÉLIX LECLERC, Allégro Préparé par Sylvie Brûlé : https://unebellefacon.wordpress.com/