JOSÉ FORt

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JOSÉ FORt
à bâtons rompus avec…
LE PATRIOTE RÉSISTANT
N° 909 - juin 2016
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Construit à Paris sur le lieu d’accueil et de transit des volontaires de toutes nationalités qui constituèrent les Brigades internationales, l’Espace
Niemeyer était tout choisi pour annoncer dès ce printemps les points forts des 80 ans des Brigades internationales, fondées en septembreoctobre 1936, à l’appel de la République espagnole. Rencontre avec José Fort, journaliste et écrivain (1), coprésident des Amis des Combattants
en Espagne Républicaine- Amis des Volontaires en Espagne Républicaine (ACER-AVER).
José Fort
En 1996, la fondation de l’ACER-AVER marque et projette
l’actualité de la lutte antifasciste. Quels sont les rendezvous phares pour 2016 ?
La prochaine ambition de l’ACER est l’inauguration, le
22 octobre gare d’Austerlitz à Paris, d’où partaient les volontaires, du monument en l’honneur des Brigades internationales, avec le soutien de la direction de la SNCF, de la
CGT, du Comité d’entreprise des cheminots et de la Ville
de Paris, en présence de représentants venus de nombreux
pays d’Europe et du monde, dont Israël et, nous l’espérons, de Palestine. Cette œuvre monumentale du sculpteur
Denis Monfleur est actuellement en cours de réalisation.
Autre événement important, nous préparons un train spécial vers Perpignan sur les traces des Brigadistes.
Ce qui nous guide ? Les anciens, Louis Blésy, Rol-Tanguy,
Lise London et quelques autres nous ont réunis. Ils nous
ont dit : « Nous allons disparaître. Nous aimerions que
vous travailliez à perpétuer la mémoire de la lutte antifasciste ». Le noyau initial de l’ACER-AVER se composait de
François Asensi, député-maire de Tremblay, Jean-Claude
Lefort, député du Val de Marne, Pierre Rebière, fils de
Brigadiste résistant, fusillé au Mont Valérien et moi, fils
du commandant Fort. Nous avons décidé de fonder l’association ACER-AVER en 1996 avec trois objectifs :
- obtenir enfin la qualité d’Anciens combattants aux
volontaires des Brigades. Nos deux députés fondateurs,
soutenus par une pétition qui a recueilli des milliers de
signatures, ont déposé un projet de loi accepté à une large
majorité. C’était en 1998 sous la présidence de Jacques
Chirac et alors que Philippe Séguin présidait l’Assemblée nationale.
- Deuxième objectif, la réalisation d’un monument au
Musée de la Résistance nationale de Champigny grâce
à une souscription. Conçu par Oscar Niemeyer, il a été
inauguré en octobre 1999 en présence de centaines de personnes parmi lesquelles Henri Krasucki et les ministres
communistes de l’époque.
- Troisième objectif, récupérer les microfilms stockés
à Moscou sur les Brigadistes français. En collaboration
avec la Bibliothèque nationale et le ministère de l’Éducation nationale de l’époque, nous avons réussi à en récupérer un certain nombre, conservés actuellement à la
Bibliothèque de documentation internationale contemporaine… Maintenant, donc, nous préparons le 22 octobre !
La cheville ouvrière de notre association, l’ACER-AVER,
est désormais sa secrétaire générale, Claire Rol-Tanguy,
François Asensi, Jean-Claude Lefort et moi même ­assurons
la co-présidence.
Le choix du film projeté à l’occasion de la présentation
des manifestations, « Madrid before Hanita » (2), du nom
d’un des premiers kibboutz dans ce qui ne s’appelait pas
encore Israël, en a surpris plus d’un ?
C’était une première. Nombre de nos camarades ne
connaissent pas le rôle spécifique des juifs d’Europe de
l’Est contre le fascisme. Eux aussi, avaient compris que
l’Espagne était un banc d’essai. Dans ce film, il y a un
moment très chaleureux où un vieux Brigadiste, interviewé à Tel-Aviv, explique son arrivée à Paris depuis la
Palestine. Il se présente rue Mathurin Moreau au siège de
la Fédération des Métallurgistes CGT qui abritait la structure d’accueil pour les volontaires. Après la visite médicale, on lui dit : « Rendez-vous à 21 h 30 gare d’Austerlitz
avec un béret et un journal à la main ». Arrivé à l’heure
dite, il voit plusieurs centaines de gars se présenter avec
un journal à la main et coiffés d’un béret, pour prendre
le train de 22 h 17 vers Perpignan !... Les juifs venant de
Palestine comme tous les autres volontaires rejoignaient
les Brigades internationales pour combattre le fascisme.
Ils avaient compris avant l’heure ce qui se préparait.
Depuis Perpignan, une logistique avait été mise en place
pour convoyer les volontaires vers l’Espagne. Il faut se
souvenir de la réalité de la situation en Espagne : le Front
populaire venait de remporter les élections ; la misère ravageait les campagnes ; l’Église régnait en maître avec
l’armée. La victoire du Front populaire s’est traduite par
une vraie psychose de la grande bourgeoisie espagnole.
Ses représentants sont allés voir Hitler et Mussolini. Sans
leur appui Franco n’aurait jamais eu les moyens de l’emporter. Pour Hitler et les nazis, c’était une occasion de
­tester de nouvelles armes, notamment les tanks et s­ urtout
Amaya Ibarruri – fille de Dolorès, la Passionaria –
inaugure le 16 octobre 1999, en présence de
Henri Rol-Tanguy et de nombreuses autres
personnalités, la stèle réalisée au Musée de la
Résistance nationale à Champigny-sur-Marne,
en hommage aux combattants des Brigades
internationales.
l’aviation. Le bombardement de Guernica n’était pas une
« obligation » militaire. C’était un test préparant les bombardements massifs à v­ enir sur toute l’Europe.
Avec la politique de non-intervention, la République
espagnole ne pouvait pas recevoir un armement qu’elle
avait ­pourtant payé à la France. D’où la ­création de la
Compagnie maritime « France Navigation » à l’initiative
du PCF avec l’achat d’une dizaine de bateaux pour permettre le transport d’armes depuis l’URSS. Un de ces bateaux, le Winnipeg, a dû se faire passer pour un bateau de
croisière pour traverser le détroit de Gibraltar. Les marins
s’étaient déguisés en touristes. Ils avaient installé des guirlandes, organisé un bal sur le pont. Ils sont passés avec les
armes, devant les yeux des franquistes qui n’y ont vu que
du feu. Plus tard, le navire a servi à transporter trois mille
Espagnols fuyant Franco vers le Chili. Son départ depuis
Bordeaux a été organisé par Pablo Neruda. J’ai retrouvé
plusieurs de ces enfants espagnols à Santiago du Chili.
Après la « Retirada » beaucoup de ceux qui ont franchi
la frontière se sont retrouvés dans des camps à Argelès,
Gurs… Beaucoup ont participé à la Résistance en France.
De nombreux républicains espagnols ont été livrés aux
nazis par les autorités françaises. La plupart ont vécu
l’horreur de Mauthausen et d’autres camps. Un monument leur est consacré au Père-Lachaise.
La littérature, la filmographie autour de la guerre
d’Espagne représentent aussi tout un romantisme.
Certains commentateurs comparent les jeunes, ou moins
jeunes partant rejoindre Daech, aux Brigadistes. Qu’en
pensez-vous ?
Des gamins dévoyés par des recruteurs, comme en témoignent des mères de famille !
On leur fait miroiter de l’argent, du bien vivre ; est-ce que
cela peut représenter un romantisme ? Daech, ça ne veut rien
dire, sinon des forces obscurantistes et fascistes ­camouflées
sous un paravent dit religieux, alors que la majorité des musulmans les condamnent. Eux, représentent un fascisme
nouvelle manière, quand les Brigadistes étaient des démocrates d’opinions diverses avec un seul objectif, la lutte
antifasciste. Rol-Tanguy disait : « Nous nous sommes levés
avant l’aube ». La plupart par la suite, a continué à combattre dans la Résistance. L’embryon de la Résistance armée en France a été construit par d’anciens Brigadistes qui
avaient fait leurs preuves en Espagne. Sur les 9 000 Français,
partis là-bas, plus de 3 000 y sont morts. Aujourd’hui, le
combat contre Daech est un combat contre le fascisme.
Au-delà de Daech, la réalité du fascisme reste actuellement
une menace en Europe ?
La réalité de l’Europe ? Une montée des extrêmes droites
en Hongrie, en Pologne, en Allemagne, en France, en Italie
avec la Ligue du Nord... J’ai vu des images de la police
moldave matraquant des réfugiés ; ces réfugiés fuyant les
guerres par milliers, matraqués aussi à la frontière entre
la Grèce et la Turquie me rappellent l’aube des pires moments du nazisme. Qu’est-ce qui motive cette montée des
fascismes ? La crise économique mondiale ; les paradis fiscaux ; le capitalisme mondialisé ; les huit millions de précaires en France ! En Espagne, des gens ont été obligés de
quitter leur maison. Tout cela est provoqué par une oligarchie planétaire ; des puissances économiques dépassant
trente pour cent de profits, tandis que dans toute l’Europe, la misère, le chômage, la précarité s’accroissent. En
Allemagne, on dit que le chômage baisse. C’est avec des
petits boulots à un euro de l’heure !
Un fait est désormais établi : nos enfants vivront plus mal
que nous. Pourquoi les pauvres du Pas-de-Calais votentils Front national ? Pourquoi, dans un petit village perdu
des Hautes-Alpes, où personne n’avait jamais vu de Noir,
sur 300 habitants, a-t-on pu compter 200 voix Front national ? La propagande et la peur produisent leurs effets.
Les gens ont tendance à se recroqueviller. J’ai fait un reportage dans une cité populaire du Havre où la misère
vous saute à la gueule. La télévision allumée depuis le matin, la personne qui me reçoit m’annonce : « On en a assez
que les étrangers prennent notre travail ! » Que ­disait-on
des juifs à Berlin ? La même chose !
Propos recueillis par Hélène Amblard
(1) Dernier ouvrage de José Fort : « Trente ans d’Humanité, ce
que je n’ai pas eu le temps de dire » Editions Arcane 17.
(2) « Madrid before Hanita », documentaire du réalisateur
israélien Eran Tobiner, 58 minutes, 2013, distribué par JMT films.