Alfred Hitchcock`s stories et les vertiges de sueurs froides

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Alfred Hitchcock’s stories
et les vertiges de sueurs froides
par Jean-Christophe DELVILLE
PRÉAMBULE
ménageaient pas pourtant leurs critiques sur les anciens réalisateurs, ont toujours considéré Hitchcock comme un Maître,
en particulier Eric Rohmer, Claude Chabrol
et surtout François Truffaut. Ce dernier lui a
voué un véritable culte et il est même
devenu son ami. Hitch lui a accordé toute
une série d’entretiens en 1962 qu’il a rassemblés dans un remarquable ouvrage Hitchcock-Truffaut aux Editions Ramsey (réf. 1).
Lorsque je suis allé voir, à sa sortie en 1958, le film Sueurs
froides, dont le titre original anglo-saxon Vertigo me semble
nettement plus approprié et suggestif, j’ai eu le choc le plus
émotionnel de ma « carrière » de spectateur au cinéma.
A la réflexion ce n’était pas très étonnant car Hitchcock était
déjà à l’époque un metteur en scène célèbre que j’appréciais
particulièrement (souvenons-nous des 39 marches, Une
femme disparaît, Rebecca, Soupçons, L’ombre d’un doute,
L’inconnu du Nord-Express, Le crime était presque parfait,
L’homme qui en savait trop sans oublier Fenêtre sur cour et La
main au collet, tourné sur la Côte d’Azur et qui a permis à
Grace Kelly de rencontrer le Prince Rainier de Monaco et de
l’épouser)
Une petite anecdote : lors de son séjour à New York en 1962
les journalistes lui posaient toujours la même question : « Pourquoi les critiques des Cahiers du Cinéma prennent-ils Hitchcock
au sérieux ? Il est riche, il a du succès mais ses films n’ont pas
de substance. »…
En outre le film était tiré d’un roman D’entre les morts de
Pierre Boileau et Thomas Narcejac qui font partie de mes
auteurs de romans policiers favoris.
D’ailleurs Boileau-Narcejac sont considérés, à l’instar d’Hitchcock
au cinéma, comme les maîtres du suspense en tant que
romanciers. Ils avaient déjà acquis la gloire quelques années
auparavant grâce à Henri-Georges Clouzot et sa magnifique
adaptation de leur roman Celle qui n’était plus à l’origine de
son film Les Diaboliques.
INTRODUCTION
Personnellement j’ai dû voir Vertigo une bonne quinzaine de
fois : c’est mon film fétiche. Mais je ne suis pas le seul :
Jacques Dutronc l’a vu près de soixante fois et, chose
incroyable, Amélie Nothomb, qui n’a pourtant que quarante
deux ans, assure l’avoir visionné plus de cent fois ! Un jour,
en musardant à la FNAC, j’ai découvert à mon grand étonnement un ouvrage Hitchcock et l’aventure de Vertigo à
CNRS Editions par J-Pierre Esquenazy, professeur à l’Université
de Lyon III : il s’agit d’une thèse de 240 pages, sans photos,
uniquement consacrée au film…
Lorsqu’ils ont écrit D’entre les morts
en 1954 c’était avec l’espoir
qu’Hitch en ferait un film. (En effet
Hitch avait essayé d’acquérir les
droits de Celle qui n’était plus mais
Clouzot l’avait devancé). Ils ont dû
attendre quatre ans la sortie du film mais cette attente fut
récompensée car Vertigo est considéré par de nombreuses
personnes, notamment par les meilleurs critiques internationals, comme l’un des plus grands chefs-d’œuvre du 7è art.
Selon la revue Positif d’après un référendum de 1992 il figure
parmi les 20 films les plus importants. D’après les enquêtes
décennales Sight and Sound, il faisait partie en 1983 des 12
meilleures réalisations et en 2002 il a même été élu deuxième
long métrage le plus important de l’histoire juste derrière Citizen
Kane d’Orson Welles.
Il y a quelques années je devais participer à un congrès de
Physique à San Francisco et je décidai de prendre quelques
jours de congé après le congrès pour tenter de retrouver les
lieux de tournage du film. L’action se déroule en effet en
Californie, essentiellement à San Francisco ainsi que dans
une ancienne Mission espagnole que j’ai fini par identifier en
visionnant plusieurs fois ma K7. Il s’agit de San Juan Bautista
(St Jean Baptiste) située au sud de San Francisco entre San
Jose et Monterrey
LE TOURNAGE
Et pourtant il n’a reçu que deux nominations aux Oscars et
avait été accueilli très timidement par les critiques Américains
de l’époque. En revanche Les Cahiers du Cinéma qui ne
1
Depuis 1950 Hitchcock était devenu définitivement son propre
producteur (il n’avait produit auparavant que Les Enchaînés
avec Ingrid Bergman en 1946.)
C’est le diminutif que lui donnaient ses proches et ses collaborateurs
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La Paramount achète les droits D’entre les morts en 1955
pour Alfred Hitchcock ; le cinéaste traversait alors une
période difficile tant sur le plan professionnel que personnel ;
ses derniers films Mais qui a tué Harry et Le faux coupable
n’avaient séduit ni la critique ni le public. Il doit absolument
retrouver le succès.
plus en plus. Se succèdent alors différentes figures spiralées et tournoyantes : un des génériques les plus
originaux et les mieux réussis
d’Hitchcock et même de l’histoire du
cinéma.
Le film débute avec la course
poursuite d’un gangster par
deux policiers (Scottie et un de
ses collègues) à travers les toits
d’immenses buildings ; son collègue perd l’équilibre et tombe
dans le vide ; Scottie par miracle échappe à la mort en
restant accroché à une gouttière.
Synopsis du film
Scottie Ferguson est sujet au vertige, ce qui lui porte préjudice
dans son métier de policier. Rendu responsable de la mort
d’un de ses collègues qui fait une chute vertigineuse du haut
d’un building, il décide de quitter la police. Une ancienne
relation le contacte afin qu’il suive sa femme Madeleine, possédée selon lui par l’esprit de son aïeule Carlotta Valdès. Scottie
s’éprend de la jeune femme et se trouve ballotté par des événements qu’il ne peut contrôler.
Le mystère Carlotta
Scottie dans sa filature de
Madeleine joue le rôle de
voyeur : cela le conduit dans
un cimetière où elle se
recueille sur la tombe de
Carlotta, son aïeule. Elle
pénètre ensuite dans un musée où elle s’assied devant un
tableau représentant Carlotta ; à côté de Madeleine, un bouquet
de fleurs, qu’elle vient d’acheter chez un fleuriste, semblable
à celui du tableau et surtout son chignon absolument identique
à celui de Carlotta.
Les acteurs
Hitchcock confie à James Stewart le rôle de Scottie ; ils
avaient déjà collaboré dans La corde, Fenêtre sur cour et
L’Homme qui en savait trop. Pour le rôle de Madeleine il souhaitait au départ le confier à Vera Miles qu’il venait de diriger
dans Le faux coupable. Mais cette dernière étant tombée
enceinte, il se résout, à contrecœur, à confier le rôle à Kim
Novak qui était déjà une star à l’époque. Durant le tournage
les relations entre le réalisateur et son actrice furent souvent
difficiles. Elle expliquait ainsi leur mésentente : « Hitchcock
espérait retrouver une blonde à la Grace Kelly, ce qui n’était
pas le cas, tout en croyant qu’il arriverait à changer ma
nature. Du coup on retrouve cette résistance à l’écran ».
Le Golden Gate Bridge
La filature se poursuit sous le célèbre pont
où Madeleine disparaît derrière un pylône ;
ensuite elle arrache les fleurs de son bouquet et les jette à la mer. Et brusquement elle
saute dans la baie ; Scottie plonge et la
ramène chez lui saine et sauve.
Ceci cadre avec l’image d’un Hitchcock très directif. Avant
d’avoir effectué la première prise de vue d’un film, il avait
tout écrit séquence par séquence jusque dans les moindres
détails et ses acteurs avaient très peu de degrés de liberté ;
certains s’en plaignaient.
Il avait la rigueur d’un scientifique ; adolescent il voulait devenir
ingénieur et avait acquis certaines connaissances notamment en
mécanique et en électricité tout en suivant des cours de dessin
à la section des Beaux-arts à l’Université de Londres.
Les séquoias
La forêt de Muir Woods, de l’autre côté
du Golden Gate Bridge, abrite de gigantesques séquoias, qui peuvent atteindre
plusieurs mètres de diamètre et dont
certains ont plus de 2000 ans d’âge.
QUELQUES SCÈNES CLÉS DE VERTIGO
Lors de mon escapade post-congrès j’ai retrouvé dans cette
forêt le décor d’une scène du film ; une tranche de séquoia a
été sciée et une carte des USA y a été reproduite. Madeleine
montre à Scottie un premier lieu : “là je suis née.” dit-elle.
Le générique et les premières séquences
On pourrait intituler ce générique « L’œil et le vertige » (réf. 2).
Il s’agit de l’œil de Kim Novak où le titre du film grossit de
Dédicace manuscrite de François Truffaut au début de l’ouvrage : « Alfred Hitchcock a fait 53 films et une fille. Je dédie ce livre à Patricia Hitchcock O’Connell. » octobre 1983.
[note du rédacteur : on rappelle que Patricia a tourné avec son papa Le Grand Alibi et L’Inconnu du Nord-Express. Sa mère Alma Reville a été la scénariste, l’assistante et l’épouse
d’Hitch]
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Elle montre ensuite un deuxième emplacement (californien) : “là, je suis morte.”
Notons aussi que des dates mémorables
ont été figurées sur le tronc d’arbre, en
partant du centre vers la périphérie :
naissance de Jésus-Christ, découverte de
l’Amérique, Indépendance des Etats-Unis, entre autres.
CONCLUSION
La Mission de San Juan Bautista, le clocher et la mort de
Madeleine
Après le tournage Hitchcock lui a rendu hommage et a
reconnu que Kim avait entièrement répondu à ses attentes.
A l’époque je n’avais aucune certitude sur ce lieu. J’arrive donc en voiture à San Juan Bautista que je visite
méticuleusement et j’y retrouve tous
les éléments du film, en particulier les
chevaux de bois et la fameuse Mission espagnole. Je regarde de plus
près l’église et commence à me poser des questions : le clocher n’est pas le même et celui-ci est trop peu élevé.
Me serais-je trompé de lieu ?
La musique de Bernard Herrmann fait corps avec le film
comme d’ailleurs dans tous les films d’Hitchcock car celui-ci
accordait une grande importance à la musique. Il l’a montré
brillamment quelques années plus tard dans Psychose avec
le même Bernard Herrmann : aux moments cruciaux la
musique est positivement terrifiante et procède du suspense…
James Stewart et surtout Kim Novak sont prodigieux dans ce
film. Cette dernière, après Grace Kelly, incarne les blondes
platinées et sophistiquées chères à Hitchcock, avec en plus
ce parfum de mystère qui s’accorde parfaitement au personnage qu’elle incarne.
Pour terminer sur une note sympathique, Alfred Hitchcock était
tombé amoureux de la ville de San Francisco. J’ai découvert
par hasard que la municipalité avait créé une Hitchcock
Street en souvenir du Maître.
J’avise alors une brave Américaine qui gérait une petite boutique de souvenirs et de cartes postales et lui demande si réellement Hitchcock avait tourné ici Vertigo : elle me répond par
l’affirmative mais je lui objecte le problème du clocher : elle
éclate de rire et m’informe que le réalisateur ayant trouvé le
clocher trop bas, avait tourné quelques scènes en studio à
Hollywood…
Il est bon de rappeler la scène clé du film :
Madeleine se précipite vers l’église et
monte l’étroit escalier qui mène au clocher.
Scottie est sur ses pas mais, après avoir
monté quelques marches son vertige le
reprend et il doit s’arrêter. Quelques instants plus tard un cri terrifié éclate et Scottie en se retournant voit par une fenêtre le
corps de Madeleine tomber dans le vide
et s’écraser au sol.
RÉFÉRENCES
1/ Hitchcock-Truffaut
Edition (définitive) Ramsey 1983
Le film pourrait s’arrêter là mais
ce n’est pas le cas (nous n’en
dirons pas plus afin de ne pas
déflorer le suspense pour les lecteurs qui n’auraient pas vu le film.)
Pour simuler la sensation de vertige de James Stewart, Hitch a eu l’idée de combiner un zoom
avant et un mouvement de recul de la caméra pour créer une
distorsion de l’image.
2/ Hitchcock et l’aventure
de Vertigo
(L’invention à Hollywood)
Jean-Pierre Esquenazi
CNRS Editions
3/ Site Internet Allo-Ciné
4/ Archives personnelles
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