Analyse du film

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Analyse du film
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Mardi 27 janvier 1998
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Film américain en couleurs. 1958. 125 min.
Titre français
Scénario
Photographie
Musique
Générique
Production
Interprétation
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Sueurs froides.
Alec Coppel et Samuel Taylor, d’après le roman de Boileau et
Narcejac D’entre les morts.
Robert Burks (Technicolor-Vistavision).
Bernard Herrmann.
Saul Bass.
Paramount.
James Stewart
Kim Novak
Barbara Bel Geddes
Tom Helmore
L’inspecteur Ferguson a dû quitter
la police, traumatisé après une poursuite
au cours de laquelle un de ses collègues a
fait une chute mortelle depuis un toit. Il a
effectivement contracté un vertige maladif, cette “acrophobie” qui l’obsède. Il est
cependant contacté par un de ses anciens
camarades de classe qui lui demande de
surveiller sa femme, Madeleine qui visiblement se croit la réincarnation d’une de
ses ancêtres, manifeste des préoccupations
morbides et des pulsions suicidaires. Scottie la suit donc à travers San Francisco, en
proie à une fascination de plus en plus
vive. Il ne parvient pourtant pas à la sauver, précisément à cause de son vertige.
Désespéré, il rencontre une jeune femme
en qui il tente de retrouver Madeleine
avec de plus en plus de fébrilité.
Faute d’avoir pu obtenir les droits
Celle qui n’est plus (Clouzot les a eus
avant pour en faire les Diaboliques), Hitchcock a finalement adapté un autre roman de Boileau et Narcejac, D’entre les
morts, écrit spécialement pour lui, selon
Truffaut. Vertigo n’est peut-être pas la
seule réponse possible à la question “quel
est le meilleur film de Hitchcock ?”, mais
c’en est une des plus probantes. Le film
est un chef d’œuvre du maître tant par la
mise en scène que par le scénario déroutant au suspense parfait, très épuré. Et
c’est à travers la plus grande rigueur formelle que nous découvrons le chaos le
plus confus des passions, le déséquilibre
non seulement physique, mais aussi psy-
John “Scottie” Ferguson.
Madeleine Elster, Judy Barton.
Midge Wood.
Galvin Elster.
Mardi prochain
A cause de l’annulation de la
séance du 20 janvier et pour permettre au
cycle sur le double d’avoir une certaine
cohérence, nous rattraperons la projection
de Faux semblants (Dead Ringers), de
David Cronenberg. Film américain. Couleurs. Avec Jeremy Irons. 1988. 115 min.
Les frères Mantle sont jumeaux et
gynécologues. Leur ressemblance est
frappante au point qu’ils échangent leurs
conquêtes féminines. C’est-à-dire que le
plus sûr des deux confie à l’autre les
femmes dont il s’est lassé - à leur insu,
bien entendu. Un jour pourtant, le plus timide tombe amoureux d’une actrice. Le
partage pose quelques problèmes.
Un double rôle pour Jeremy Irons.
Les mystères de la communication entre
jumeaux. Un film trouble et techniquement impressionnant.
La suite de la programmation est désormais fixée jusqu’en avril. Regardez nos
chique.
Si vous n’avez jamais vu le film, attendez encore un peu avant de lire ce
qui suit...
Un film romantique ?
Vertigo est d’abord un mélodrame,
l’histoire d’un amour impossible où même
ensemble, les protagonistes ne parviennent
pas à se rencontrer. Puis ils se perdent. La
suite montre l’illusion amoureuse dans laquelle se plonge Scottie en essayant désespérément de faire revivre une morte. Inversement, Judy aime Scottie et pour cette raison ne peut se résoudre à fuir alors qu’il l’a
retrouvée (scène d’hésitation dans la
chambre d’hôtel). Les motivations des personnages sont extrêmement complexes du
point de vue psychologique.
Cet ensemble est soutenu par une
magnifique musique de Bernard Herrmann,
compositeur
fétiche
de
Hitchcock
(L’Homme qui en savait trop version 1956,
La mort aux trousses, Psychose). Cette musique met en avant la dimension onirique, le
monde perdu du passé espagnol de la Californie dans un style romantique, d’inspiration wagnérienne (cf. la musique magique
du feu dans la Walkyrie et la mort des
amants dans Tristan et Isolde, où il y a
d’ailleurs deux Isolde). Herrmann y mêle
d’étranges effets sonores : des résonances
(traduisant la solitude), des sons à l’aspect
ténu et spectral (les conversations étouffées
dans les lieux publics, les pas sourds dans
l’allée du cimetière, la corne de brume dans
la baie...)
Ceci n’exclut cependant pas un
érotisme violent qui apparaît progressivement pour éclater au cours de la seconde
partie. “Tous les efforts de James Stewart
pour recréer la femme, cinématographiquement, sont montrés comme s’il cherchait à la déshabiller au lieu de la vêtir”,
explique le réalisateur. A propos de Kim
Novak, on peut souligner qu’Hitchcock
n’était pas tout à fait satisfait. Il aurait préféré Vera Miles (Le faux coupable, Psychose). Truffaut déclare à ce sujet : “tout
de même, je la trouve parfaite dans le
film. Elle correspondait très bien au rôle,
essentiellement à cause de son côté passif
et bestial.” Face à ce personnage se développe une sensualité fantasmée. Parlant
encore de ce personnage, Truffaut souligne encore la discrétion relative de cette
composante érotique au début, faite de
non-dits : “on la retrouve chez James Stewart, couchée et nue dans son lit. Alors
seulement elle revient à elle et cela nous
prouve qu’il l’a déshabillée, qu’il l’a vue
nue, et sans que rien n’en fasse état dans
le dialogue. Le reste de la scène est superbe [...] Il y a dans Vertigo une certaine
lenteur, un rythme contemplatif qu’on ne
trouve pas dans vos autres films”/“Exact,
répond Hitchcock, mais ce rythme est par-
faitement naturel puisque nous racontons
l’histoire du point de vue d’un homme qui
est émotif.” Le film traduit très bien cet
état d’oscillation entre fébrilité et contemplation.
L’abîme
Dès la scène d’ouverture, destinée
à expliquer le vertige maladif de Scottie,
le vide et la chute apparaissent comme des
motifs dominants. Hitchcock utilise, pour
donner au gouffre une profondeur très
physique, les possibilités que lui offre l’architecture urbaine de San Francisco. Sa
façon de filmer la ville et sa région est
d’ailleurs d’une très grande beauté plastique. Le réalisateur joue aussi sur le
brouillard pour mettre en œuvre des
contrastes entre vide et densité spatiale :
“dans la première partie, lorsque James
Stewart suivait Madeleine dans le cimetière, les plans sur elle la rendaient assez
mystérieuse, car nous les filmions à travers des filtres de brouillard ; nous obtenions ainsi un effet coloré vert par-dessus
la brillance du soleil.”
Mais le gouffre est autant psychique que physique, autant intérieur
qu’extérieur. Vertigo est tourné entre La
Maison du docteur Edwardes et Marnie.
Mais les éléments de psychanalyse y sont
nettement plus subtils quoiqu’aussi importants. Hitchcock explore les recoins les
plus obscurs de l’esprit humain, la substitution d’un double à l’être aimé et perdu,
la reconstitution d’une femme à partir du
souvenir de l’image d’une morte. Il y a un
côté malsain dans la façon dont Scottie recompose le personnage de Madeleine en
manipulant Judy. “Il y a un [...] aspect que
j’appellerai “sexe psychologique” et c’est,
ici, la volonté de recréer une image sexuelle
impossible ; pour dire les choses simplement, cet homme veut coucher avec une
morte, c’est de la pure nécrophilie”, dit Hitchcock. Nous sommes plongé dans l’univers
du fétichisme, de la maniaquerie exacerbée,
et de l’obsession. Le générique l’avait suggéré, le film est un lent cauchemar et le réalisateur refuse de conclure par un happy end
(ce qui était le cas pour La Maison du docteur Edwardes et le sera pour Marnie). Il
existe en fait deux fins à Vertigo, une avec
Scottie au bord du gouffre, mais aussi une
“rassurante” où on le voit ensuite avec
Midge dans une sorte d’accalmie. La première fin, plus abrupte et mystérieuse, propose une vision fantomatique et stupéfiante
plus homogène à l’ensemble de l’œuvre.
Pour exprimer cette violence, Hitchcock utilise abondamment des contrastes
très marqués entre des tons rouges et des
teintes froides (usage de filtres verts en particulier). A ces alternances de couleurs, il
faut ajouter une construction d’ensemble
très visible. Les symétries entre les deux
parties et les récurrences sont manifestes.
La spirale du générique envahit tout le film
(jusqu’à la coiffure de Madeleine) et une
impression de tourbillon emportant progressivement Scottie prend une intensité croissante. La composante géométrique, liée à la
structure très claire du film constitue une
sorte de cadre qui est le propre d’une cer-
taine folie, la rigueur exacerbée et hallucinatoire. Le thème du double fait partie de
cette architecture. C’est d’abord les deux visages de Kim Novak, dont on ne sait pas
toujours très bien quelle est la véritable
identité. Il faudrait repérer en détail quel
usage Hitchcock fait des miroirs pour servir
ce thème..
Cinéma et fascination
Film sur le vertige, Vertigo confronte
- pour parfois les confondre - fascination du
vide et fascination érotique. Mais cette fascination devient vite celle du spectateur devant ce film au pouvoir d’envoûtement tout
à fait singulier. C’est aussi un film sur le
cinéma. Le spectateur peut se souvenir de
Fenêtre sur cour en 1954 avec le même
Stewart, l’alter ego de Hitchcock. Deux
systèmes de doubles existent en fait : la
dualité féminine du personnage de Kim
Novak, et la dualité masculine du réalisateur et de son double. Le rôle du regard et
de la vue est d’ailleurs souligné dès le générique. “Il vous a façonnée, n’est-ce
pas ?” demande Scottie à Judy à propos
du mari. “Il vous a façonnée comme je
vous ai façonnée, mais mieux que moi.
Pas seulement les cheveux et les vêtements, mais l’apparence, les manières et
le langage. Et ces transes si belles et
fausses !...Vous étiez une élève très
douée”. Nous assistons là à une véritable
leçon de mise en scène. Hitchcock nous
montre à quel point le cinéma est un art
de l’illusion. Scottie est passif pendant la
première moitié et actif pendant la seconde. Il n’est d’abord que spectateur, il
assiste aux événements. Puis il manifeste
une intention et manipule Novak. Il projette ses fantasmes sur l’écran qu’est
Judy.
On ne sait très vite plus distinguer
ce qui est vrai et ce qui est joué. “Ce qui
me fascinait, c’était l’idée que Jimmy Stewart devait transformer la fille en la personne qu’elle avait été auparavant, au
moment du complot d’assassinat, alors
qu’elle essayait maintenant de ne plus
l’être”, explique Hitchcock. Il y a dans le
film une double machination : celle du
mari et celle de Scottie. A ceci il faut
ajouter la question du suspense, très dans
le film. L’énigme est complètement dévoilée une demi-heure avant la fin alors
que dans le livre, il fallait attendre les
dernières pages pour découvrir la véritable identité de Judy. Hitchcock décale
l’enjeu du suspense selon son procédé
habituel : le public sait ce que le personnage ignore. C’est “l’alternative