Sur la route de Bamako... Entretien avec Sidi Mohamed

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Sur la route de Bamako... Entretien avec Sidi Mohamed
Sur la route de Bamako...
Entretien avec Sidi Mohamed ag Ichrach ∗
Mars 1995, Philippe BAQUÉ
Préambule Ce texte est la propriété de M. Philippe Baqué. La mise en forme
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des touaregs. Merci de votre intérêt pour le site.
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Responsable de l’Armée révolutionnaire de l’Azawad, l´ARLA
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Cet interview de Sidi Mohamed ag Ichrach a été réalisé en mars 1995 à Ouagadoudou au Burkina Faso où il vivait en exil.
Sidi Mohamed ag Ichrach est membre du comité exécutif de l’Armée révolutionnaire de libération de l’Azawad (nom donné au nord du Mali par les Touaregs) et délégué aux relations extérieures et à l’information de ce mouvement. Il
est également membre de la coordination des Mouvements et Fronts Unifiés de
l’Azawad.
En avril 1992, le gouvernement de transition, succédant au dictateur Moussa
Traoré, signa un pacte de paix avec une partie des mouvements, dont l’ARLA.
Mais pendant trois ans, dans un Mali devenu démocratique, l’armée malienne et
une milice armée par elle continuèrent de massacrer les civils touaregs et maures.
Un flot de réfugiés se deversa vers les pays limitrophes du Mali. Ils seraient
plusieurs centaines de milliers en Algérie, en Mauritanie, au Burkina Faso, au
Niger, en Libye, au Sénégal... Aucun responsable de massacre n’a été inquiété ni
dénoncé par les autorités maliennes. Aujourd’hui, début 1996, un certain calme
semble régner dans le nord du Mali. Les réfugiés soumis à différentes pressions
rentrent peu à peu, dans le dénuement le plus complet.
Le gouvernement, les partis politiques et l’armée ont demandé aux réfugiés
et aux responsables des mouvements armés qui sont encore en lutte une réddition
sans condition. Jusqu’à présent l’application du pacte est suspendue. De nombreux cadres touaregs ont à titre individuel rejoint Bamako pour collaborer avec
le gouvernement. D’autres refusèrent un règlement immédiat de leur cas individuel et préfèrèrent se solidariser avec l’ensemble de la communauté touarègue
pour rechercher une solution globale. Sidi Mohamed ag Ichrach fut de ceux-là.
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Pourriez-vous faire l’historique de la résistance
touaregue du nord du Mali ?
Quand j’ai rejoint la résistance en 1987, il n’existait qu’un seul mouvement
qui s’appelait le Mouvement touareg de libération de l’Adagh et de la boucle du
Niger.
Jusqu’en 1984, c’était l’Adagh, la région de Kidal, qui fournissait le gros du
contingent. Ensuite, il y a eu l’afflux des autres communautés touarègues : ceux
de l’Azawad, ceux du fleuve Niger, ceux de l’Ouest. A ce moment, nous nous
sommes rappelés d’une lettre de 19581 dans laquelle il était mentionné pour la
première fois l’expression Azawad. Nous avons créé alors le Front populaire de
libération de l’Azawad. C’est sous cette appelation que la guerre a été déclenchée
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En 1958, plus de 400 cadres et notables touaregs des régions de l’Azawad ont envoyé une
lettre-pétition au général de Gaulle pour demander la création d’un Etat saharien indépendant.
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en 1990. L’appellation Mouvement Populaire de l’Azawad est née lors de la signature des accords de Tamanrasset en Janvier 1991. Les médiateurs, la France
et l’Algérie, et une frange du mouvement ne voulaient pas de l’expression "libération". Le FPLA a signé les accords sous cette appellation MPA, mais ensuite
chaque mouvement a continué d’exister. Le FPLA est entré en dissidence par rapport aux accords de Tamanrasset. Ensuite, sont nés le Front islamique arabe de
l’Azawad, à majorité maure, en 1991, et l’Armée révolutionnaire de libération de
l’Azawad en 1992.
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Pourquoi les mouvements ne se sont-ils plus référés explicitement à l’identité touarègue ?
Au départ le mouvement était essentiellement composé par les Touaregs. Il n’y
avait ni les Arabes, ni les Peuhls, ni les Songhaïs. Nous revendiquions une zone où
il y avait différents peuples. On ne pouvait pas se permettre de continuer de donner
aux mouvements une coloration ethnique. C’est pour cela que l’expression "touareg" a été évitée. En plus, à cette époque, les mouvements évoluaient surtout dans
une mouvance arabophone, en Libye et en Algérie. Avec la guerre que ces pays
menaient à la berbérité, il était difficile de nous réclamer ouvertement Touareg.
C’est peut-être aussi le complexe d’assumer une certaine appartenance culturelle
dans un environnement relativement hostile.
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Quelles sont les raisons du déclenchement du conflit
armé et quelles étaient les revendications des mouvements ?
La contestation touarègue a toujours existé. Même à l’époque coloniale française, le Sahara était pratiquement unitaire, non pactisé, si je puis dire. C’était une
terre qui n’était pas asservie par les Français. Dans la région de Kidal, les derniers
résistants sont morts en 1954 et 1955.
C’était déjà le début des indépendances. A part, les villes occupées par l’administration européenne, les campagnes sont toujours restées rebelles à l’ordre
colonial. L’esprit contestataire en milieu touareg, l’esprit indépendantiste, l’esprit
sécessionniste, la volonté de garder son espace, tout cela n’a jamais disparu. Beaucoup de Touaregs ont ressenti l’indépendance du Mali comme une nouvelle forme
de colonisation. Le soulèvement était permanent et le mouvement né en 19632 ,
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Suite à la brutale occupation de l’Adagh par l’armée du nouvel Etat malien, les populations
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même s’il n’a pas posé les raisons de son développement en termes politiques
très clairs, est de même essence, de même idéologie, avec les mêmes objectifs, le
même programme que le mouvement de 1990 qui existe encore et qui sera certainement plus pénible. C’est une résistance permanente qui s’inscrit dans la droite
ligne des résistants de 1916, de 1954, de 19633 .
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La conscience d’une nation touarègue a t-elle toujours existé ?
Les Touaregs ne sont peut-être pas un peuple très important du point de vue
numérique mais c’est l’un des peuples qui a le plus conscience de son identité et
de son appartenance, qui a aussi conscience, peut-être un peu trop, de sa valeur, et
qui a enfin conscience de ses possibilités. Il peut se surpasser et aller très loin. La
conscience touarègue a toujours existé. La preuve, c’est que tout minoritaires que
les Touaregs sont, ils ont pu domestiquer un espace difficile et ils ont su préserver
cet espace contre les multiples envahisseurs. Ce fut les Arabes, l’Afrique noire à
l’époque des empires, l’Europe, et aujourd’hui encore les dangers sont là. Donc il
y a toujours eu une résistance et une très grande conscience identitaire touarègue.
Au début de votre lutte, les combattants touaregs semblaient unis. Comment
en êtes-vous arrivé à la division actuelle qui affaiblit la résistance et menace son
existence ?
L’unité a existé autour de l’objectif qu’était la libération de notre terre. Les
problèmes ont commencé à apparaître à partir de 1991 lorsque l’objectif initial
a été détourné par quelques individus pour des raisons mesquines. Depuis, les
problèmes se sont multipliés. C’était d’abord des problèmes d’orientation mais
par la suite les différents groupes se sont fait la guerre, au sens propre et au figuré,
car chacun voulait être le plus apprécié par le gouvernement et paraître le plus
démocrate. A partir de ce moment, les divergences sont devenues plus aiguës car
il n’y a pas beaucoup de places pour les Touaregs au Mali et les rares qui existent,
les gens se les disputent âprement.
de la région se révoltaient en 1962-1963. Le soulèvement fut réprimé très violemment et la zone
fut placée sous administration militaire pour une trentaine d’années.
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Jusqu’en 1917, les soldats français se sont heurtés à une farouche résistance de la société
touarègue. Celle-ci perdurera jusqu’en 1954, date à laquelle furent tués les derniers résistants
armés dans l’Adagh. Les principaux chefs Touaregs qui préférèrent la mort à la soumission furent :
Firhoun ag Alinsar dans l’Azawad ; Kaosen dans l’Aïr ; Allah ag Albachir dans l’Adagh.
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Pourquoi avez-vous créé l’ARLA ?
L’ARLA est née en 1992, au plus fort du conflit entre le FPLA et le MPA.
Nous n’avons pas pu les réunir, donc nous avons voulu créer un mouvement strictement révolutionnaire pour revenir à l’objectif initial. C’était un pari difficile.
Aujourd’hui, nous constatons que nous avons échoué car nous nous sommes fait
beaucoup d’ennemis. Ne pas vouloir d’une communauté subissant la primauté
des tribus, des imams, des vieux, des hommes politiques qui se bagarrent pour les
places à Bamako, c’est un message difficile à faire passer parmi les élites touarègues. Dire ensuite que la jeunesse refuse de se faire représenter par des gens qui
ne sont pas porteurs de ses aspirations, c’était de la subversion. Les élites touarègues ont été formées spécialement pour servir le pouvoir. J’entends par élites
aussi bien les intellectuels que les chefs des fractions. Notre combat était difficile.
Le gouvernement l’a bien compris. Le jeu des partis politiques maliens a fait le
reste. Nous étions devenus pour tout le monde les principaux ennemis et on nous
a abattus.
Quels ont été vos rapports avec le FPLA, qui passait lui pour être un des mouvements les plus radicaux de l’Azawad ?
Le FPLA a été aussi un mouvement qui bien qu’ayant au départ un objectif
politique très clair a fini par se désintégrer et par perdre son influence. Le FPLA
et l’ARLA étaient dans la même mouvance. Ils avaient un projet de société moderniste. Les deux mouvements ont été désintégrés par les nombreux ennemis que
comptent les Touaregs, y compris par des Touaregs qui voulaient conserver leur
propre influence ou celle de leur tribu auprès des autorités maliennes.
Un pacte de paix a été signé en avril 1992 par une partie des mouvements, dont
l’ARLA, et le gouvernement malien4 . Mais le seul résultat de ce pacte semble être
l’affaiblissement de l’ensemble des mouvements et des misères accrues pour le
peuple touareg et maure. Que pensez-vous de ce pacte ?
L’ARLA et le FPLA ont eu tort d’avoir trop cru au pacte national. Le pacte a
beaucoup accéléré leur désintégration. ARLA et FPLA ont soutenu souvent des
positions inconciliables avec celles des autorités maliennes mais aussi inconciliables avec celles de certains mouvements5 , de certains cadres ou chefs de fractions. On a interprété nos positions comme de la surenchère. Mais si le pacte ne
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Le pacte de paix prévoyait, entre-autres, l’intégration des combattants des MFUA dans les
différents corps en uniforme, celles des cadres dans la fonction publique, la création de patrouilles
mixtes pour assurer la sécurité, une aide au développement du nord, une mission d’enquête indépendante... A part les patrouilles mixtes et un début d’intégration des combattants, aucune promesse ne fut tenue.
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Notamment le MPA, qui depuis 1991 observe une trêve avec l’armée. Son principal dirigeant,
Iyad ag Ghali est devenu officier supérieur dans l’armée malienne. Le MPA prône la collaboration
avec le gouvernement et s’est souvent opposé aux autres mouvements, allant jusqu’à une guerre
meurtrière contre l’ARLA.
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nous a pas été profitable, il n’a en fait été profitable à personne. Les Touaregs ont
toujours vécu d’espoir. Celui-ci a atteint un sommet en 1990. Depuis, il disparaît
de plus en plus. Aujourd’hui, personne n’a d’autre perspective que d’accepter tout
ce qui se dit et se fait à Bamako. En dehors de cela, il n’y a plus d’autre alternative. Quand un peuple est obligé de vivre dans un moule façonné par d’autres, ce
peuple commence à mourir à petit feu. Le pacte national n’a pas profité aux Touaregs. Avant sa signature, il n’y avait pas de réfugiés au Burkina Faso. Aujourd’hui,
ils sont 50.000. Avant la signature du pacte, il y a eu entre 2.000 et 3.000 morts
dans tout l’Azawad. aujourd’hui, 3.000 morts ont été recensés dans la seule région
du Gourma depuis 1994. Le pacte national a été l’occasion de donner la parole à
nos ennemis. Il n’a jamais été une base de négociations. Depuis sa signature, tout
le monde l’a oublié. Il a servi au gouvernement pour récupérer les gens. D’ailleurs
le gouvernement a avoué dernièrement que le pacte dans sa forme actuelle était
inacceptable.
En 1994, est apparu au nord du Mali un mouvement essentiellement composé de Songhaïs et qui s’est violemment opposé aux populations touarègues et
maures6 , avec des thèses racistes à leur égard. Comment ce mouvement Ganda
Koy, qui veut dire "les maîtres des terres" en songhaï, est-il né ?
Dans sa composante en armes, le Ganda Koy est essentiellement constitué
par des militaires de l’armée malienne, des gendarmes, des policiers qui passent
pour être des déserteurs mais sont toujours salariés par le gouvernement malien.
Cette milice soutenue par beaucoup d’hommes politiques de Bamako a été créée
pour faire le sale travail que l’armée ne peut pas faire ouvertement. Dans sa forme
civile, le Ganda Koy est un ensemble de personnes qui ont été les suppôts de tous
les régimes dictatoriaux que le Mali a connus. Dans le cadre de la démocratie,
ces gens veulent se refaire une virginité politique dans les zones sédentaires du
nord. Ils ont créé le Ganda Koy en accusant les Touaregs de semer la terreur et en
reprochant au gouvernement de ne pas protéger les populations. Dans les régions
de Gao et Tombouctou, l’électorat principal est constitué par les sédentaires. En
général, les Touaregs ne votent pas et même s’ils votaient, ils sont aujourd’hui à
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Le Ganda Koy a un soutien assez important dans la communauté sédentaire
songhaï. Comment une telle fracture a-t-elle pu apparaître entre la communauté
songhaïe et les communautés touarègues et arabe qui apparemment vivaient en
bonne entente ?
Le problème est très complexe. Dans l’Adagh, la région de Kidal, d’où je
viens, il n’y a pas de Songhaïs. C’est dans la zone du fleuve, dans les régions de
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Le Ganda Koy aurait, entre autres, commis le massacre de la tribu maraboutique des Kel
Essouk à Gao en Octobre 1994, qui fit 250 morts selon l’association des réfugiés et victimes de la
répression de l’Azawad. Le premier ministre malien reconnut qu’il s’agissait d’un pogrom.
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Gao et Tombouctou, que les différentes communautés cohabitent. Pendant longtemps, les Touaregs de cette zone ont été inféodés aux Songhaïs. Toutes les villes,
tous les villages, les arrondissements, les cercles, mêmes ceux où les nomades
étaient majoritaires, étaient dirigés par des Songhaïs. Les députés, les responsables
politiques, les responsables administratifs, les grands commerçants, les cadres,
tous étaient des Songhaïs.
Le déclenchement des opérations militaires en 1990 a semé l’éveil dans la
communauté sédentaire songhaï qui a perçu le danger constitué par une émancipation des Touaregs. Il se trouve qu’un village sédentaire étant l’équivalent de la
fraction nomade, il y a plus de fractions touarègues que de villages songhaïs. Donc
une communauté nomade conscientisée et émancipée pourrait, dans le cadre d’une
recomposition politique du nord, d’un redécoupage administratif, avoir un nombre
plus important de communes que les Songhaïs. Ils ont perçu que leur leader-ship
était en danger. C’est ce qui explique que tous les Songhaïs ont adhéré au langage
du Ganda Koy et à celui de l’armée qui refuse de négocier avec la rébellion.
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Un problème de propriété foncière a aussi aggravé
les rapports entre les communautés. Pourra-t-il
être résolu ?
L’administration coloniale avait fait signer des conventions entre les sédentaires et les nomades. Elles offraient certains espaces à l’agriculture et d’autres à
l’élevage. L’époque socialisante de Modibo Keita a enlevé aux nomades les terres
qui étaient les leurs pour les remettre aux Songhaïs.
Le pouvoir de Bamako a toujours été un pouvoir de sédentaires. Dans sa vision
du développement, l’élevage n’est pas une activité économique rentable et n’est
qu’un résidu d’activités primaires qu’il faut éliminer pour favoriser l’agriculture.
Cette analyse est aussi celle de beaucoup d’organisations non gouvernementale. Si
quelqu’un se présente à Bamako auprès d’une ONG avec un projet agricole, on lui
donnera tous les moyens. Il ne sera jamais question d’aides à l’élevage. Les Touaregs ont une expression pour désigner cette situation. Il l’appelle le "syndrome
de la tomate". Si un agriculteur plante des tomates au bord d’un puits d’éleveurs,
ces tomates deviendront sacrées. Si des chèvres mangent ces tomates, leur propriétaire sera accusé de détruire le fruit du travail d’autrui et sera sanctionné. Par
contre si quelqu’un décidait d’avoir des animaux dans un village d’agriculteurs,
cela serait impossible. Donc peu à peu, les nomades n’ont plus eu de terres et
ont été repoussés vers des zones inhospitalières. Les conventions n’ont plus été
appliquées et beaucoup de gens se battent en vain à Bamako pour récupérer leurs
terres. Aujourd’hui, l’objectif des Songhaïs est de finir de chasser les Touaregs et
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les Maures et de récupérer leurs terres, surtout dans la région de Tombouctou.
Actuellement, certains responsables des mouvements négocient avec le Ganda
Koy et proposent même de l’intégrer aux Mouvements et fronts unifiés de l’Azawad. Que pensez-vous de cette évolution ?
Cela renforce le Ganda Koy dans sa politique. Je suis sidéré de voir des gens
négocier sans l’ensemble des mouvements, sans l’Etat et sans les populations
concernées. Je ne suis pas contre des discussions avec le Ganda Koy car les Touaregs et les Songhaïs ont un espace à se partager, mais ces discussions doivent se
dérouler avec l’aval de tout le monde, notamment celui des populations qui ont
souffert du problème foncier. Des personnes ignorant ce problème ne peuvent pas
négocier à la place des propriétaires des terres que les Songhaïs ont récupéré.
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Les populations songhaïes n’ont-elles pas été écartées du pacte national ?
Aujourd’hui, les sédentaires disent que le pacte national est géré sans eux.
Mais dans l’organisme censé appliquer les résolutions du pacte, le commissariat
au nord, le commissaire est un Bambara. son premier adjoint est un Songhaï, un
de ses conseillers techniques est aussi un Songhaï. Il n’y a que le second adjoint
qui ne soit pas sédentaire. C’est un Arabe. En fait, ni les Touaregs, ni les Arabes
n’ont de responsabilités dans la gestion du pacte. On nous a embarqué dans un
cycle infernal de rencontres et de discussions qui n’ont abouti à rien.
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Aujourd’hui, quelle est la situation ? Est-ce une
époque de conflit ouvert ou une période de négociations ?
La situation est bloquée. Le gouvernement a eu sa part de Touaregs partisans
de sa politique. Les contestataires ont fait aussi le plein de partisans de leur politique. Donc le gouvernement avec une partie des Touaregs et les contestataires
avec une grande partie du peuple touareg se regardent en chiens de faïence. Chacun mesure ses forces. L’armée se prépare et renforce son matériel et ses effectifs
avec le soutien de la France. De l’autre côté, les gens en dissidence tentent de se
réorganiser.
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Que font les médiateurs que sont la France et l’Algérie ?
L’Algérie a beaucoup fait dans le passé mais aujourd’hui elle se désengage
car elle a ses propres problèmes. Elle est aussi indexée par les partis politiques,
le Ganda Koy et une partie de l’armée qui l’accusent de favoriser la rébellion.
Beaucoup de gens fondent des espoirs sur la France mais à mon avis elle se désintéresse de ce qui se passe. Elle se soucie juste de garder le Mali dans son giron,
mais ne recherche pas de solution. Elle est en période électorale et ne s’impliquera
pas plus pour le moment.
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Qui sont les gens qui s’opposent à ce qui se trame
à Bamako ?
Aujourd’hui, c’est le peuple touareg en entier qui est en rébellion contre le
Mali. C’est peut-être encore trop tôt pour savoir comment vont évoluer les rapports
de force. Mais je perçois qu’aujourd’hui, ce sont les responsables des mouvements
qui tentent de convaincre le peuple qu’il faut continuer d’espérer en quelque-chose
et de garder confiance dans le dialogue. Mais il n’y a pas de paix sans prix et le
prix de la paix c’est le pacte national. Il faut bien avouer que personne n’en parle
à Bamako.
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Apparemment les contestataires sont isolés au niveau international et leurs forces sont limitées.
Comment pourront-ils se réorganiser ?
Je ne pense pas que les hommes qui sont en exil soient plus isolés que ceux
qui sont resté à Bamako. Tout le monde est isolé sur la scène internationale. La
question touarègue n’intéresse plus personne. Quelque part cela me fait plaisir car
les Touaregs ont une vision très malheureuse de la diplomatie. Le peuple touareg
s’imagine en général que ce sont d’autres qui viendront résoudre son problème
à sa place. Le fait que la question touarègue ne fasse plus la une de la presse
et n’intéresse plus l’opinion publique internationale va pousser la communauté
touarègue à prendre elle-même son destin en charge et à ne compter que sur ellemême. Personnellement, je ne pense pas être isolé. Je suis fier d’être en exil car je
peux aller dans n’importe quel camp de réfugiés et m’adresser à mes frères. Ceux
qui sont à Bamako ne peuvent pas le faire. Mon but c’est de pouvoir garder la tête
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haute quand je m’adresse à mes frères. Je ne me sens pas isolé tant que mes idées
sont approuvées par une partie du peuple.
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Quel est actuellement votre projet de société ?
Notre projet de société a beaucoup évolué au fil des évènements. Aujourd’hui,
les Touaregs n’ont plus honte de dire qu’ils sont Touaregs. Ils n’ont plus peur
de dire que l’Azawad est leur terre et qu’ils ont le droit de demander de faire de
leur terre ce qu’ils veulent. Aujourd’hui, les gens réfléchissent et pèsent le pour
et le contre. Un peuple n’évolue que s’il se pose des questions. Par rapport à la
question la plus bloquante de la société touarègue, à savoir le tribalisme et la hiérarchisation trop stricte de la société, beaucoup de gens se posent des questions.
Les mouvements ont fait à leur détriment l’expérience des divisions dues à l’organisation tribale. Beaucoup de gens se posent des questions à ce sujet. Et ce
qu’il y a aussi de très important, c’est qu’il y a quatre ou cinq ans, les Touaregs
de l’Adagh ignoraient pratiquement tout des Touaregs du Gourma et vice versa.
Ceux de l’Azawagh ignoraient tout de ceux de Léré et vice versa. Aujourd’hui les
Touaregs se retrouvent autour d’un programme, d’une politique, d’un idéal très
difficile à atteindre mais quand un peuple prend en charge son avenir, il n’y a rien
d’impossible.
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Avez-vous des contacts avec les mouvements des
Touaregs du Niger ?
Les Touaregs du Niger sont nos frères. Ils ont exactement les mêmes problèmes que nous. Il n’y a pas les Touaregs du Niger et ceux du Mali. Les Touaregs
sont les Touaregs, c’est tout.
c journaliste
Propos réunis en mars 1995 par P. Baqué (),
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