Histoire Des Arts « Les Raisins de la colère »

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Histoire Des Arts « Les Raisins de la colère »
Histoire Des Arts « Les Raisins de la colère » INTRODUCTION :
Les Raisins de la colère est un roman de John Steinbeck publié en 1939 qui lui vaut le prix Pulitzer en 1940 (il reçoit le prix Nobel
de littérature en 1962 pour l'ensemble de son œuvre). Cette même année, le cinéaste américain John Ford porte cette œuvre à
l’écran. Afin de saisir ce qu’a voulu dénoncer Steinbeck dans son roman, il est important de connaître le contexte historique des
Etats-Unis dans les années 30.
Ainsi, nous allons présenter brièvement la crise économique et sociale de l’époque, puis nous allons revenir sur une scène du film,
l’expulsion de la famille Graves, et par l’analyse filmique de cette sÉquence, nous verrons comment Ford dénonce les méfaits du
capitalisme.
1) LE CONTEXTE ÉCONOMIQUE ET SOCIAL:
Le film « Les Raisins de la colère » s’inscrit dans un contexte historique et social bien particulier, celui de l’Amérique des années
trente, décennie de ce que l’on appelle la Grande Dépression aux Etats–Unis.Elle démarre en 1929, le 24 octobre ou jeudi noir par
un krach boursier à Wall Street entraînant la faillite des banques puis de nombreuses entreprises. Le chômage explose.
Les Joad, une famille de fermiers, vivent précisément ces difficultés et sont contraints de migrer d’Oklahoma pour chercher du
travail car ils ont été expulsés de leurs terres par la banque. L’expulsion permet aux banques endettées de rembourser leurs dettes
et à l’Etat américain de mettre en place des grands travaux (construction de routes...) pour faire redémarrer l’économie. On appelle
Okies ces migrants. Cet exode est aussi dû pour beaucoup à la sécheresse, à l’érosion des terres et au « Dust bowl », série de
tempêtes de poussière, véritable catastrophe écologique qui a touché les grandes plaines de Etats-Unis pendant près d’une
décennie. Ainsi, le film raconte le périple des Joad qui quittent leur terre natale pour chercher un emploi. Comme des milliers de
fermiers, ils vont arpenter la Route 66 pour regagner la Californie.
La Route 66 (officiellement U.S. Route 66) était une route américaine qui
joignait Chicago dans l'Illinois à Santa Monica (limitrophe de Los Angeles à
l'ouest) en Californie entre les années 1926 et 1985.Les Américains la
surnomment The Mother Road ou Main Street USA. La Route 66 a été
officiellement déclassée le 27 juin 1985. Si elle n'a plus d'existence « officielle »,
elle conserve un caractère mythique et est sans doute la plus connue des routes
américaines. (phrase extraite du livre de Steinbeck: « Highway 66 is the mother
road, the road of flight. »La route 66 est la route-mère, la route de la fuite.)
Organigramme : De la crise économique à la crise sociale
Les réponses politiques : Roosevelt et le Welstate fare (Etat providence)
Le président Hoover ne trouve pas de vraie parade à cette crise, il faut attendre le président Roosevelt et son fameux New Deal
pour que l’économie redémarre. A partir de 1933, pour faire face à la crise, le président américain Roosevelt, met en place une
politique interventionniste (le New deal) où l’Etat finance de grands chantiers pour relancer l’économie et réduire le chômage.
Ceci est montré dans le film avec le camp gouvernemental propre et accueillant qui s’oppose aux « camps-prisons » des gros
propriétaires terriens protégés par la complicité d’une police répressive. La crise s’achève en 1940.
Dans le film, tout comme dans le roman, ce contexte de crise économique et sociale est très bien dépeint, notamment à travers
la scène de l’expulsion de la famille Graves qui se fait chasser de ses propres terres par une grande société qui les a rachetées
pour y développer une agriculture mécanisée, symbole du capitalisme.
2) ANALYSE FILMIQUE DE LA SCÈNE DE L’EXPULSION DE LA FAMILLE GRAVES : Comment Ford dénonce les
méfaits du capitalisme:
Le réalisateur Ford évoque clairement cette crise avec la scène de l’expulsion de la famille de Muley Graves. Comme évoqué
précédemment, il faut savoir qu’à cette situation de crise économique, s’ajoutent de très mauvaises conditions climatiques durant
l’année 1935 pour les états du sud des Etats- Unis ce qui fragilise d’autant plus la population rurale vivant principalement de
l’agriculture. Ces « Dust bowl », véritables tempêtes de poussière dévastent les champs cultivés provocant la ruine des petits
fermiers (incarnés par Muley Graves dans le film) qui doivent se résoudre à quitter leurs terres sous la pression des gros
propriétaires et des banques.
L’étude de la séquence oppose clairement par une série de champs – contre champs la famille du paysan au conducteur du tractopelle qui pour survivre se met au service d’un capitalisme sans âme qui dévaste tout sur son passage.
Annoncée par un gros plan sur le visage du fermier-narrateur et un fondu enchaîné, cette scène correspond au troisième flash-back
relatant le souvenir de l’expropriation de Muley Graves lui-même.
Plan 1 – Comme souvent chez Ford, l’espace du cadre est réduit, dédoublé, ici par le toit et les colonnes de la véranda, obligeant
le regard à suivre la diagonale formée par les personnages. Tous sont de dos, les enfants et la mère réfugiés dans l’encadrement à
gauche, les hommes en avant, orientés vers une masse sombre et grossissante qui cristallise l’intensité dramatique de cette scèneclimax du film. Le geste de protection esquissé par l’homme situé à gauche de Muley en direction des enfants ajoute à l’émotion.
Plan 2 – Brutal changement d’échelle du plan, rapproché et au niveau du sol. L’énormité de la machine, le grincement métallique
de la chenille et le grondement du moteur Diesel envahissent l’image de leur monstruosité. Image éminemment symbolique de
l’invasion du territoire par la mécanique capitaliste.
Plan 3 – (Idem que 1). Après avoir pulvérisé la clôture, le tracteur poursuit sa course folle, rectiligne, butée, et menace d’écraser
les hommes, pris d’un mouvement de panique. Geste dérisoire de résistance : Muley épaule son fusil et tient le « monstre » d’acier
en joue.
Plan 4 – Plan moyen large en contre-plongée sur le conducteur-robot arborant des lunettes de protection (symbole de l’anonymat
du processus de l’expropriation). L’homme stoppe sa machine dont on peut contempler les entrailles de métal. La structure de la
séquence est en place : une alternance champs contrechamps comme figure d’opposition duelle entre deux points de vue
contradictoires.
Plans 5 à 14 – Une série de champs-contrechamps. En contrechamp du 4, le plan 5 montre clairement l’inégalité du rapport de
forces. Les frêles silhouettes alignées des trois fermiers, pauvrement armés, tentent de s’opposer au tracteur (en amorce à droite,
plans 5 et 9). Ils n’ont plus que leur corps à opposer à la marche du destin.
Dans les plans 6 (reprenant le 4 en plus rapproché), 8 et 10, la contre-plongée accroît la domination du conducteur : ses semelles,
au premier plan, suggèrent l’écrasement des métayers. Exaspéré par leur vaine résistance, l’homme ôte ses lunettes (6).
L’anonymat ainsi levé instaure le dialogue. Muley et son fils sont filmés en plan rapproché (plan 7), soit à égalité avec leur
adversaire : la fatalité a un visage connu, celui du fils de Joe Davis, appartenant à la même communauté. Mais le contrechamp
(plan 8, reprise de 6) retourne la situation : ce fils de paysan, qui participe à la démolition de son propre clan, s’estime « agressé »
par le fusil de Muley, pourtant en état de légitime défense. Dans l’incompréhension et les hurlements pour couvrir le grondement
du tracteur et pouvoir s’entendre, le face-à-face se poursuit. Muley (9) veut savoir ce qui divise à ce point le groupe que l’un de
ses membres n’hésite pas à se retourner contre lui. Réponse(10) : « Trois dollars par jour », pour subvenir aux besoins d’une
famille. L’argent qui, selon la logique implacable des puissants, aliène les faibles pour en faire des individualistes cyniques (« Les
autres, qu’ils se démerdent »). Ils vont alors à l’encontre de l’intérêt commun, rompent les relations de proximité et brisent l’unité
(au même titre que la succession de champs-contrechamps).
À l’argent et sa puissance amorale, Muley oppose (11) le lien viscéral qui le rattache à sa terre, source de vie et d’union, lieu
d’histoires anciennes et d’héritage familial : affrontement du verbe et des regards qui résume toute la problématique du film. Le
fils Davis ne peut plus que remettre ses lunettes (12), signe de son aliénation et de sa déshumanisation. Il redevient un anonyme au
service de la machine qu’il conduit (et qui le mène) et des puissants : « C’est celle [la terre] de la compagnie. » Dépossédé, Muley
ne peut plus que menacer en vain en levant son fusil (13). Une nouvelle repartie imparable du conducteur (14) clôt les échanges et
annonce la fin de la logique conflictuelle des champs contrechamps.
Plan 15 – Le tracteur se remet donc en marche, et le funeste destin avec lui. Au début du plan (15a), les chenilles, comme
métonymie de la monstruosité destructrice du pouvoir financier, envahissent l’écran. Ford saisit l’engin au ras du sol, oriente le
regard sur la terre qui est violée par son action et accompagne d’un panoramique sa trajectoire inexorable. Résignée et
impuissante, la famille regarde passer le tracteur (15b) qui commence à renverser sa masure comme un fétu de paille.
Plan 16 – Changement d’axe en contre-plongée sur les visages décomposés des Graves (16a). Comme durant tout le film, Ford
choisit de ne montrer que les conséquences de la destruction sur les hommes plutôt que de s’attarder sur l’acte luimême (en horschamp) dont le fracas nous parvient néanmoins. Un nouveau panoramique de droite à gauche suit les traces de chenilles pour nous
amener à constater les dégâts avec les Graves (16b). À l’arrière-plan, la machine du capital, têtue et oublieuse déjà de l’acte
dérisoire de résistance et du désastre humain qu’elle laisse derrière elle, poursuit sa ligne.
Plan 17 – Reprise partielle du plan 16. Le panoramique passe des trois personnages, désolés et silencieux comme des statues
(17a), à leurs ombres couchées sur la terre défigurée (17b). De la vie à trépas. Les hommes ont été dépossédés de leur terre sur
laquelle l’obscurité est tombée. Seules leurs ombres, c’est-àdire le souvenir fantomatique de leur présence – et les morts comme
Granpa –, peuvent y demeurer à présent.
CONCLUSION
Ce film montre bien le mécanisme de la crise à travers les mésaventures de la famille Joad.
Ford dénonce et expose les rouages de la machine capitaliste qui détruit tout sur son passage, à l’image des Caterpillar. Ainsi le
groupe des petits fermiers est écrasé par les gros propriétaires terriens, qui sont eux-mêmes dépendants du troisième groupe des
financiers que la police répressive protège.
Le discours social du film pourrait se résumer à cette maxime : l’argent et la loi unis pour exploiter le peuple. Au niveau politique
Ford fait référence au New Deal du président Roosevelt qu’il présente comme une solution possible, plus humaine face à
l’individualisme et l’inhumanité qu’il voit dans le capitalisme.
Le titre en question
* « les raisins de la colère », « the grapes of wrath » Il provient d’un chant anti-­‐esclavagiste très connu aux Etats-­‐Unis : « The battle hymn of the republic » : Mine eyes have seen the glory of the coming of the Lord:/ He is trampling out the vintage where the grapes of wrath are stored ; / He hath loosed the fateful lightning of his terrible swift sword : / his truth is marching on» = “mes yeux ont vu la gloire de la venue du Seigneur : / Il foule aux pieds la vendange où sont conserves les raisins de la colère; / Il a dégainé l’éclair fatal de son épée terrible et prompte, / Sa vérité s’est mise en marche”) * Le titre provisoire du film était "Highway 66" (en référence à l'autoroute empruntée par les migrants pendant la Grande
Dépression, qui traverse les Etats-Unis d'Est en Ouest, et est surnommée "Mother Road" soit la route-mère)
* Maquillage et parfum interdits!: John Ford interdit tout maquillage et parfum sur le tournage pour rester en cohérence avec le
ton du film et ne pas le dénaturer.
* L'horreur des camps d'émigrés: Avant de commencer le tournage, le producteur Darryl F. Zanuck envoya des enquêteurs sous
couverture dans les camps d'émigrants pour voir si l'écrivain John Steinbeck n'avait pas exagéré à propos des conditions
misérables et du traitement injuste dont étaient victimes ces derniers. Il fut en réalité horrifié de découvrir que l'écrivain avait en
fait minimisé ce qui se passait dans ces camps.
* Une fin alternative au livre: La fin originelle du roman était beaucoup trop controversée pour pouvoir être montrée sur grand
écran en 1940. Elle devait en effet mettre en scène Rose-of-Sharon Rivers (Dorris Bowdon) accouchant d'un nouveau-né mort-né
et offrant ensuite son lait à un homme mourant de faim dans la grange.