Quel chêne pour quel vin ? La cuvée Brennus : une démarche

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Quel chêne pour quel vin ? La cuvée Brennus : une démarche
Quel chêne pour quel vin ? La cuvée Brennus : une démarche
originale en Bergeracois
Le directeur technique de la cave viticole UNIVITIS, Jean-Marie Portier a fait le choix
depuis le milieu des années 80 d’expérimenter l’élevage de ses vins en chêne pédonculé.
Satisfait, il a lancé en 2000 la cuvée Brennus, un vin de Bergerac rouge élevé en
barriques des forêts de Dordogne connues pour la qualité de ses chênes sessiles. Le
grand-père maternel de Jean-Marie Portier était feuillardier dans le sud de la HauteVienne : « c’est une bonne accroche pour présenter le personnage par rapport à notre
sujet » nous dit-il. Est-ce une prédestination pour s’intéresser aux chênes de qualité du
Sud-Ouest. C’est en tout cas certainement l’origine d’une certaine sensibilité au sujet !
M. Portier nous fait part de ses convictions et nous explique ses choix techniques.
J-M Portier : La cuvée Brennus est le résultat d’une réflexion qu’on a eut à UNIVITIS pour
faire du Bergerac élevé en barrique. Jusqu’alors, l’utilisation de la barrique ne concernait
que le Bordeaux Supérieur. Il y a eut une opportunité technique. Il s’est trouvé que pour
un intérêt technique, un besoin qualitatif, j’ai lancé l’élevage en barrique aussitôt après
les vinifications. Dans notre système administratif, ça m’a forcé d’éclater les sites
d’élevage. Il s’est trouvé que pour le 2000, on avait mis des barriques sur le site de
Villefranche-de-Lonchat en Dordogne. Le Bergerac en barriques donnait de bons
résultats. J’ai été le dire aux commerciaux.
Maintenant, en terme de production, on a du Bergerac sur la cave de Gensac, de
Villefranche-de-Lonchat et maintenant également à la cave de Port Sainte Foy.
E. Pothier : Comment le vin de Brennus à t il été élaboré ?
J-M Portier : Le Brennus est conçu à partir d’une notion de cuvée et de marque.
Dans une notion de marque, l’idéal est d’avoir un mariage de cuvée d’origine de terroirs
différents. Une grande marque est conçue de cette manière. Le château, lui, c’est la
propriété, c’est le terroir bien défini, concentré. La marque est quelque chose de plus
grand.
Autrefois, la cave coopérative avait la mauvaise réputation de tout assembler. Ça a été
une réputation très tenace. Aujourd’hui, on a essayé de réagir par rapport à ça. C’est
tout à fait l’inverse maintenant. On individualise les apports, les terroirs, quitte ensuite à
les regrouper. Mais c’est une nécessité pour nous d’individualiser les cuvées au départ,
au niveau des vinifications.
Brennus est au départ une réalité qualitative : on fait des barriques sur Villefranche, du
Bergerac ; on a des bons résultats. Qui plus est on avait choisi d’utiliser des bois de
Dordogne. On a découvert d’un seul coup une belle sélection de Bergerac rouge. Ça a été
immédiat.
E. Pothier : Mais alors, avec un tel constat comment expliquer que le chêne de Dordogne
n’est pas plus recherché par les œnologues ?
J-M Portier : C’est une question de conviction. On est dans un milieu qui a beaucoup d’à
priori. Dans le domaine de la barrique, on fait attention aux images, aux réputations.
Dans un grand château, on va utiliser la barrique de marque, qui a un grand nom et avec
des bois du centre de la France.
E. Pothier : Vous avez inversé l’image finalement. Une image qui était négative.
J-M Portier : Ce n’était pas une image négative. Non. Personne n’en parlait. On fabrique
des images. La barrique de Tronçais est une image qui a été fabriquée. C’est du
marketing. C’est tout. Dans la mesure ou il faut défendre une tendance, on essai de
dévaluer tout le reste. Très rapidement, par des arguments commerciaux, on met en
avant le grain fin. Le gros grain n’est apte qu’à l’élevage du Cognac. Ce sont des clichés
très forts. La notion du grain est mis en avant pour les grands crus ; alors que le
Limousin n’est destiné qu’au Cognac. Ce sont des choses qui font partie d’un discours
commercial.
E. Pothier : Quelles ont été les accroches qui vous ont poussé à inverser ainsi le discours
habituellement négatif concernant les chênes de Dordogne ?
J-M Portier : La première fois que j’ai fais des barriques à UNIVITIS, en 1985 ou 1986,
j’ai fais des essais avec des bois du Limousin que je connaissais bien. J’ai fais sécher et
j’ai fais fabriquer des barriques avec ses bois là. J’ai pas fait le constat que c’était
meilleur que l’autre : c’était pas moins bon. Pour moi c’était une conviction que j’ai été
vérifier.
Après, j’ai passé outre, ce n’était qu’une expérience. Le passage à la pratique n’a pas été
de suite. Je n’ai pas pensé de suite au Bergerac. Il y a eut un concours de circonstance
qui a fait que j’ai demandé à un Tonnelier s’il avait des bois de Dordogne.
E. Pothier : Vous avez demandé des bois de Dordogne précisément.
J-M Portier : Oui. Je voulais faire des vins de Dordogne. C’est une association.
E. Pothier : Vous avez cherché l’association d’images.
J-M Portier : Tout a fait. En fait, il y a eut une flopée de choses qui sont arrivés en même
temps. Il y a eut ce projet de construire une tonnellerie qu’on avait initié dans les années
1997. Malheureusement, ça n’a pas marché. Face à la disparité des bois, dans la période
d’expansion, on avait voulu acheter nous même les bois pour maîtriser
l’approvisionnement. La proximité géographique des bois permettait de renforcer la
confiance. Quand on s’est penché sur le sujet, on s’est dit qu’une tonnellerie régionale,
c’est très important, mais il faut lui donner une ligne directrice. Pourquoi ne pas mettre
en avant, de manière très traditionnelle la valeur des bois régionaux. C’était uniquement
Dordogne.
E. Pothier : C’était vraiment le local.
J-M Portier : C’est ça. …. L’histoire du Brennus a commencé comme ça. Il y a une notion
de hasard, de volontarisme. Et cette conviction qui a toujours été la mienne qu’il faut
tout rassembler. La notion de terroir c’est une région, c’est un sol. C’est un ensemble de
beaucoup de paramètres. On avait cette marque qui n’avait pratiquement jamais été
utilisée. J’ai proposé ce nom aux commerciaux. La direction a bien suivi sur le sujet. Mais
il n’y avait pas de stratégie commerciale particulière. C’était simplement une niche de
plus. Les distributeurs ont envie d’avoir leur produit ; ils vont chercher ce que les
concurrents n’ont pas. Ils sont attirés par la particularité.
Le véritable départ, ça a été la présentation du produit au guide Hachette. On a eut un
commentaire dithyrambique. Les commerciaux ont pu alors exploiter le produit. Quand
on veut faire connaître un produit original, il faut des arguments forts.
Qu’est ce que vous répondriez aux personnes qui pourraient vous dire que le vin devrait
uniquement être le produit du raisin et que la barrique apporte quelque chose d’autre
justement.
La barrique, ce sont les gaulois qui l’ont inventé. Pendant des siècles ça servait au
transport des liquides. C’est pratiquement au XIXe siècle qu’on s’est rendu compte que
les vins logés en barrique se conservaient mieux et plus longtemps que les autres. C’était
le premier constat. La recherche œnologique a travaillé là dessus. Effectivement, le
mariage du vin et de la barrique est positif.
E. Pothier : Finalement, en cherchant des chênes de Dordogne pour des vins de
Dordogne vous dites qu’il y a deux terroirs. Un terroir forestier et un terroir viticole. Et
Brennus, c’est la réunion des deux terroirs.
J-M Portier : Attendez ; il faut que je reprenne. C’est important de savoir : pourquoi la
barrique ?
Aujourd’hui, c’est plus qu’une évidence. Les scientifiques ont parfaitement démontré que
les constituants de la barrique apportaient beaucoup de qualité au vin. D’un point de vue
chimique, par exemple, on découvre de plus en plus les bienfaits du tannin. Il a des
propriétés formidables qui permettent de fixer les matières colorantes. Le tannin peut
avoir des origines différentes. Le tannin qui vient du bois de chêne est bien meilleur que
celui provenant des autres essences d’arbres.
E. Pothier : On est bien d’accord : la barrique est un moyen de révéler la qualité des
vins. Mais lorsqu’on veut identifier le terroir du chêne en disant que telle barrique est de
telle provenance et ainsi faire bénéficier le vin d’un terroir sylvicole on est dans un
équilibre entre le chêne et le vin.
J-M Portier : Là on bascule complètement. Tout à l’heure, dans l’explication, on était en
amont. Maintenant on est dans l’aval. Un vin qui n’a pas d’histoire, ce n’est pas
intéressant. Un vin qui a une histoire, c’est formidable. On est en plein marketing.
E. Pothier : Mais, c’est plus que ça. On est face à un dilemme. Il faut que la barrique
valorise le vin. Mais, il ne faut pas qu’elle s’impose. Plus on va valoriser l’image de la
barrique, son origine, son terroir…, plus il y a un risque de la voir s’imposer par rapport
au vin.
J-M Portier : Voilà, oui, la question est intéressante. Les phénomènes de mode font
aujourd’hui qu’on est décalé du process traditionnel. C'est à dire : je fais des vins de tel
type, qui sont fait pour aller dans une barrique pendant 12 mois, pendant 24 mois
comme autrefois. On assume un certain élevage pour avoir un vin donné. Ça existe
encore ça. Malheureusement, on va surtout trouver une obsession de l’aromatisation.
Mais ça a une explication. Le vin doit exprimer quelque chose. Dans les années 80, il y
avait une dérive complète. On faisait beaucoup de rendement. Plus un pied de vigne a un
fort rendement et plus le vin qui en est issu est insipide, sans expression. C’est la
résultante des années 80. Les gens qui réagissent par rapport à ça : ça sent à quoi, à
rien. Il faut aromatiser. Qu’est ce qu’on a sous la main pour aromatiser ? On n’a pas le
droit à des concentrés, mais on a la barrique. Et là ça devient l’inflation. On achète les
moins chères possibles, et on fait ça en grande quantité.
E. Pothier : Marquer le terroir du bois, c’est une volonté de chercher une authenticité ?
C’est une utilisation de la barrique avec une certaine philosophie.
J-M Portier : Pour Brennus ? C’est pour raconter une belle histoire. Ça ouvre à des tas de
possibilités, au moins pour nos commerciaux. C’est vraiment du marketing
E. Pothier : Mais cette démarche démontre quand même que vous avez une réelle
réflexion sur la barrique. Vous voyez la barrique comme autre chose qu’un simple outil
oenologique.
J-M Portier : On peut avoir des convictions. Il faut aussi une démarche logique de
vérification du bien fondé de ses idées. Il a fallu faire la démonstration que dans
certaines conditions d’exploitation, de préparation, ces bois sont d’un niveau égal aux
plus réputés.
E. Pothier : Et même qu’ils méritent d’être valorisés de façon identifiée.
J-M Portier : Exactement. Et c’est là où ça devient intéressant. Pourquoi le gros grain et
le grain fin ? Parce que sur un terroir donné, le bois va avoir une certaine façon de se
développer. Sur un autre sol, ce sera un autre comportement. Il y a une notion de terroir
au niveau de l’arbre. L’espèce va être, par ses caractéristiques la mieux adaptée dans tel
ou tel sol, avec tel ou tel climatologie. C’est ça la notion de terroir. Il y a un point
commun très fort. C’est exactement comme un cep de vigne. Ici, dans la région de
Sainte-Foy c’est le sémillon en blanc qui est le cépage parfaitement adapté à la
climatologie et au sol. C’est le Merlot à Libourne. C’est le Cabernet sauvignon dans le
Médoc.
La notion de terroir, c’est la plante qui est en parfaite adéquation avec le milieu sur un
sol donné et un climat. En plus on peut même intégrer la notion de l’homme qui est très
importante.
E. Pothier : A ce niveau technique, cette relation au sol, vous croyez à cette adéquation
de deux terroirs ?
J-M Portier : Ce n’est pas seulement une notion d’image : une synergie de deux images.
Ça vient après. Il faut faire le constat que effectivement il y a un point commun très fort.
C’est la notion de terroir aussi bien pour l’arbre que pour le cep de vigne.
E. Pothier : Comment révéler la typicité de l’interaction des chênes et des vins. Ça ne
peut se voir qu’en dégustation.
J-M Portier : Si la question est de savoir si l’on peut reconnaître le vin de tel terroir élevé
dans une barrique de tel terroir et ce qu’il va donné… Non on ne peut pas répondre
comme ça.
E. Pothier : Mais dans l’absolu, le but n’est il pas de chercher la meilleure interaction.
J-M Portier : Peut-être que demain, s’il y a un intérêt quelconque, à la limite, pourquoi
pas ? Mais pour l’instant, on est un peu jeune. C’est vrai que demain, peut-être on
trouvera un intérêt d’un point de vue scientifique. Quelque soit l’origine du bois, un
vigneron va essayer de trouver la parfaite adéquation entre son vin, d’un millésime
donné qui a ses caractéristiques particulières et le bois. C’est son obsession. Quels sont
les paramètres qui jouent ? L’origine certainement, le séchage, la chauffe. Ça demande
de l’expérience.
E. Pothier : Pensez vous que, à l’avenir, avec les difficultés économiques qui s’installent
dans la durée, ceux qui vont conserver l’utilisation traditionnelle de la barrique pour faire
du vin « élevé en fût de chêne » vont être de plus en plus à la recherche de la meilleure
adéquation possible ?
J-M Portier : La question est simple. Aujourd’hui, il y a cette tradition qui a donné des
résultats. Dans un proche avenir, c’est peut-être les copeaux dans le vin ou même de la
poudre de chêne. C’est une approche que les américains suivent sans scrupule. Nous on
a des lois qui l’interdise. La question est là. Est-ce que je reste dans des conditions
traditionnelles avec ma matière première que je mets dans le bois en fonction de règles
ancestrales ? Est-ce que j’obtiens le meilleur résultat, surtout d’un point de vue
économique.
E. Pothier : Finalement l’avenir pour ceux qui veulent continuer à utiliser des barriques,
ceux qui veulent rester dans cette tradition, vont devoir adopter une démarche de
recherche, apporter un plus à leur vin, sinon, ils n’auront aucune raison à consentir de
tels efforts.
J-M Portier : La question est vraiment importante. Je n’ai pas de réponse dans
l’immédiat. Il y a les producteurs et les consommateurs. Aujourd’hui il y a une volonté de
respect. C’est une histoire d’image. Le grand cru peut vendre très cher, il sera acheté par
une élite très riche. Mais j’ai l’impression que ces produits qui deviennent du luxe entrent
dans un milieu ésotérique, il n’y a que les connaisseurs qui peuvent en parler. Il y a un
vin qui est élaboré pour un connaisseur, c’est une minorité, c’est une niche ; et il y a une
grosse majorité de consommateurs. Et en plus, je pense qu’on n’a pas tout découvert sur
le mariage barrique – vin.
E. Pothier : Avec Brennus, vous êtes allés dans le sens d’une plus grande recherche.
J-M Portier : Pour moi, Brennus, c’est une formule intermédiaire. Dans une approche
marque, avec 100.000 bouteilles, techniquement, il faut s’adapter. Je ne suis pas puriste
jusqu’à faire un élevage traditionnel. Economiquement, c’est impossible. Je respecte les
habitudes avec un élevage pendant 12 mois. Je fais ma sélection de cuvées. Je choisis
mes bois. Mais je ne fais pas les collages en barriques. Si la marque marche, il faudra
s’adapter. Quand quelque chose commence, c’est toujours facile de maîtriser son sujet.
Dès que ça prend son indépendance, que les volumes augmentent, il y a des risques
d’industrialisation. Pour le moment, je suis l’instigateur, c’est facile à faire. On a
démontré que c’est intéressant. On a l’ensemble des résultats ; on a semé, il faut que la
récolte se développe. Maintenant le produit est passé en aval, au niveau commercial. On
est prisonnier de l’aval. Est-ce que demain on va être dans une progression
quantitative ? On est dans un créneau qualité / prix et ça se joue à pas grand chose.
Pour la réussite de Brennus, il faut que le commercial prenne à bras le corps l’histoire du
produit. Aujourd’hui, il faut être original, et l’originalité, il faut la modifier en
permanence. C’est du travail besogneux, de fourmis, ce n’est pas de l’individuel. Il faut
un ensemble d’acteurs qui se rassemble autour d’un projet et qui se l’accapare. L’avenir
le dira.