Les enjeux de la consommation durable

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Les enjeux de la consommation durable
Séance d’ouverture :
Les enjeux de la consommation durable
Fabienne Barthélémy
Centre de sociologie des organisations
[email protected]
La consommation
quotidienne
durable :
entre
problème
public
et
pratique
Si la consommation durable semble être aujourd’hui un thème en vogue, il est
difficile de trouver une définition de ce que recouvre ce terme. Les principaux
ouvrages de référence en matière de consommation durable ne dressent pas à
proprement parler de définition de cette notion. En revanche, ils ont pour
dénominateur commun de se référer à la consommation durable comme
élément inscrit sur l’agenda public. Les ouvrages reprennent la conception
transmise à travers les textes internationaux : ils s’accordent à penser que la
consommation durable, en tant que problème public, trouve ses origines au
sommet de la terre qui s’est tenu à Rio de Janeiro en 1992. C’est ce sommet
qui a contribué à ériger la consommation durable en sujet clé des politiques
publiques environnementales internationales et nationales. Autre dénominateur
commun entre les principaux ouvrages sur le sujet, la consommation durable
s’ancre dans des pratiques quotidiennes. Ainsi, la consommation durable
regroupe les questions qui portent notamment sur l’énergie des ménages et
l’économie domestique, la promotion des produits labellisés « verts », le
commerce et les boutiques équitables. C’est donc en tant que problème public
et pratique quotidienne qu’est envisagée la consommation durable dans les
principaux écrits scientifiques qui traitent du sujet.
Au croisement de ces deux axes, trois thématiques se dégagent des ouvrages
de référence autour de la consommation durable. D’une part, ils se livrent à un
examen critique des modes de conception des politiques publiques en matière
de consommation durable, définies depuis le sommet de Rio de Janeiro de
1992. D’autre part, ils proposent une vision renouvelée des consommateurs :
ce sont des acteurs complexes influencés par des valeurs et des croyances et
1
non exclusivement rationnels. Dans cette perspective, sont privilégiées les
approches qui resituent le consommateur dans son contexte social.
Un examen critique des politiques publiques
Les ouvrages de Maurie J. Cohen et J. Murphy, de Dale Southerton et alli et
d’Edwin Zaccai prennent pour point de départ un examen critique des
politiques publiques qui sont développées dans le domaine de la consommation
durable. Dale Southerton et alli analysent en quels termes la consommation
durable est devenue un élément clé des politiques nationales et transnationales contemporaines et la manière dont la relation entre consommation
et durabilité a été comprise. Ils révèlent les limites de ces approches et
proposent une vision plus structurelle de l’organisation des systèmes de
consommation et de production. Les politiques actuelles, notamment celles
promues par l’OCDE, encouragent le recours à des campagnes d’information et
d’éducation comme si la consommation était un problème de choix individuels
et comme s’il suffisait que le consommateur soit informé sur les dommages
qu’il commet par ses modes de consommation pour les transformer. Ce constat
est également dressé par l’ouvrage d’Edwin Zaccai : en matière de politiques
publiques, les instruments en matière d’information sont les outils préférés
pour le changement même si leur impact est faible. Ces campagnes sont plus
faciles à introduire que des changements structurels à travers des instruments
de régulation ou taxation. E. Zaccaï va plus loin et dresse une liste de
contradictions qui rendent complexe le développement de modes et de
politiques de consommation durables. Il met notamment en évidence la nature
quelque peu incongrue des appels à limiter la consommation dans des sociétés
où, au contraire, les consommateurs sont encouragés à soutenir la croissance
économique et où l’accroissement de la consommation est encore identifié
comme un modèle de bien être.
Une conception renouvelée des consommateurs et des modes de
consommation
C’est une conception renouvelée du consommateur qui est proposée dans ces
ouvrages de référence.
Selon Maurie J. Cohen et J. Murphy, les décideurs politiques ont une
conception néo-classique des consommateurs et des marchés. Les
consommateurs sont pensés comme autonomes et rationnels. Ils sont
autonomes dans le sens où leurs décisions de consommation ne sont pas
influencées par les autres consommateurs et rationnels dans le sens où ils sont
des êtres égoïstes intéressés uniquement par la maximisation de leurs
profits. Le marché est un lieu où les consommateurs expriment leurs
préférences en demandant des produits. Dès lors, si le marché ne fonctionne
pas correctement, deux possibilités : soit l’information n’est pas
convenablement accessible, soit les prix ne sont pas précis. Cela se traduit par
des politiques qui préconisent davantage d’informations, comme les éco-labels.
Le but de l’ouvrage coordonné par Maurie J. Cohen et J. Murphy est de
proposer une vision plus complexe et riche de la consommation. Il s’agit
2
notamment de montrer que les consommateurs sont influencés par ce que les
autres consommateurs achètent. Edwin Zaccaï met en évidence que les
objectifs de consommation citoyenne peuvent entrer en contradiction avec
d’autres objectifs de consommation : les mouvements de défense des
consommateurs n’ont pas toujours été favorables par exemple aux critères
écologiques de peur que cela entraîne une hausse des prix. Les
consommateurs tirent profit de la compétition en matière de pression des prix
ce qui décourage les prix plus élevés des standards de production durables
(sociaux et écologiques). Autre vision développée par les ouvrages
coordonnées par Maurie J. Cohen et E. Zaccaï : les consommateurs ne sont pas
non plus des êtres égoïstes et rationnels ; leurs pratiques sont influencées par
des croyances éthiques et des valeurs. C’est ce constat que dresse également
l’ouvrage de Micheletti (2004). Les consommateurs choisissent des produits
pour des raisons autres que des calculs purement rationnels. Leur
consommation est reliée notamment à leur identité religieuse, ethnique,
nationale, de classe.
Resituer le consommateur dans son contexte social
Corrélativement à cette image renouvelée du consommateur, c’est une
approche de la consommation plus complexe que celle développée dans les
politiques publiques actuelles qui est soutenue dans ces ouvrages. Dale
Southerton, Bas Van Vliet, Heather Chappells, en guise d’introduction à leur
ouvrage « Sustainable consumption », proposent une approche structurelle de
la consommation durable : ils n’envisagent pas ce domaine comme lié
uniquement aux choix individuels des ménages mais comme une organisation
sociale dont il faut comprendre les rouages. Les routines et habitudes de
consommation sont notamment à prendre en compte. Gert Spaargaren s’inscrit
dans la même direction. Il propose une variante des théories de la
modernisation écologique des années 1970-1980 qui mettent la technologie et
la production au cœur des changements environnementaux. De son côté, il
pointe l’importance des comportements sociaux des consommateurs. Il dessine
avec Mol (2002) une théorie sociologique sur le changement environnemental
en mettant en évidence la dimension sociale de l’écologie, de la nature et de
l’environnement. Ainsi naît une seconde génération des théories de la
modernisation écologique qui s’intéresse non seulement aux aspects
technologiques des produits mais également à la manière dont les
consommateurs s’approprient ou non ces produits et services. Sont privilégiés
les lieux où se fait la jonction entre l’offre et de la demande de consommation
(le domicile, le restaurant, la station-service, l’aéroport etc.). Les produits sont
alors appréhendés comme un composant des pratiques sociales des
consommateurs. Les innovations sont analysées dans leur contexte social,
directement reliées aux pratiques des consommateurs. Gert Spaargaren fait
état d’un besoin pour les sociologues de l’environnement de conceptualiser les
comportements de consommation durable, les styles de vie et routines
quotidiennes observées. Dans cette perspective, la théorie de la structuration
d’Anthony Giddens ou la théorie des pratiques sociales de Pierre Bourdieu
fournissent selon l’auteur un cadre conceptuel fécond pour analyser les
pratiques de consommation en resituant l’individu dans un contexte social et
3
en se centrant sur l’analyse de ses pratiques sociales. Ces théories permettent
d’étudier le processus de diffusion d’innovations environnementales et
l’émergence de styles de vie nouveaux dans le domaine de la consommation
durable. Le style de vie d’un individu est défini par Giddens comme « un
ensemble plus ou moins intégré de pratiques sociales qu’un individu embrasse,
non seulement parce que ces pratiques répondent à des besoins utilitaires,
mais parce qu’elles donnent une forme matérielle à un récit identitaire »
(Giddens, 1991). Appliqué au domaine de la consommation durable, ce
concept peut être utilisé pour mener des études empiriques autour de la
durabilité des styles de vie des individus. Ce modèle fournit également une
voie pour promouvoir de nouvelles manières de définir les indicateurs des
politiques environnementales en les désindexant d’un langage technique
uniquement compréhensible des seuls acteurs institutionnels de la sphère de
production. Il permet de leur donner une dimension sociale et de les rendre
accessibles aux consommateurs (Spaargaren, 2004). Les décideurs politiques
sont en effet confrontés à la nécessité de traduire le langage technique et de
l’adapter aux rationalités de la vie quotidienne (Spaargaren, 2001) pour
impliquer davantage les consommateurs dans les politiques définies. L’auteur
argumente en faveur d’une démarche qui consiste en une heuristique
environnementale définissant les règles à suivre pour les consommateurs afin
d’accéder à des modes de consommation plus durables (Spaargaren, 2004).
Pour aller plus loin :
Cohen, M.J., Murphy J., (eds) Exploring Sustainable Consumption.
Environmental Policy and the Social Sciences, Oxford : Elsevier, 2001.
Giddens, A., Modernity and Self-Identity, Cambridge, Polity Press, 1991.
Micheletti, M., Follesdal A., Stolle D., (eds) Politics, Products and Markets.
Exploring Political Consumerism Past and Present, New Brunswick: Transaction
Publishers, 2004.
Mol, A.P.J., Spaargaren, G. “Ecological Modernization and the Environmental
State”, in : Mol, A.P.J. and Buttel, F.H., The Environmental State under
Pressure, Oxford : Elsevier Science Ltd., 2002, pp. 33 - 53.
Southerton, D., Chappells H., Van Vliet B., (eds) Sustainable consumption: the
implications of changing infrastructures of provision, London: Edward Elgar,
2004.
Spaargaren, G., “The Ecological Modernization of Social Practices et the
Consumption-Junction”, Discussion-paper for the ISA-RC-24 conference
‘Sustainable Consumption and Society’, Madison, Wisconcin, June 2-3, 2006,
http://www.ksinetwork.nl/downs/output/publications/II6%20SpaargarenMadison2006.pdf
4
Spaargaren, G., “Sustainable consumption : a theoretical and environmental
policy perspective”, in Southerton, D., Chappells H., Van Vliet B., (eds)
Sustainable consumption: the implications of changing infrastructures of
provision, London: Edward Elgar, 2004, pp. 15-31.
Zaccaï, E., (ed) Sustainable Consumption, Ecology and Fair Trade, London :
Routledge, 2007.
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