Leonard Cohen - Le retour du fils prodige

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Leonard Cohen - Le retour du fils prodige
GUILLAUME BOURGAULT-CÔTÉ
Édition du samedi 21 et du dimanche 22 juin 2008
Mots clés : Leonard Cohen, Spectacle, Musique, Montréal
Monsieur Leonard Cohen est en ville. Dans sa ville. Ce Montréal
qui lui sert de point de repère depuis 73 ans. Et qui trépigne
aujourd'hui de revoir sur scène -- à compter de lundi -- un de ses
plus grands artistes, poète prodige, fils prodigue, et homme de
toutes les élégances.
Quinze ans que Montréal n'a pas vu Leonard Cohen sur scène: on
n'y croyait plus trop. Ne restait qu'un filet d'espoir pour souhaiter
le retour du plus lucide des pessimistes. Il aura finalement fallu
que le grand homme soit victime d'une fraude pour que «l'envie»
d'une tournée revienne: faut-il dire merci à la coupable?
Chose sûre, la situation a indirectement fait le bonheur de dizaines de milliers d'amateurs du
chanteur. La tournée mondiale du sieur Cohen se fait à guichets fermés. Les critiques sont toutes
très élogieuses. Dans son complet première classe, le poète-chanteur fascine. Comme toujours.
On l'a décrit de bien des façons depuis 50 ans: prince des rabat-joie ou chantre du pessimisme,
Cohen a le «désespoir élégant et altier», rappelait cette semaine au Devoir son biographe, Ira B.
Nadel. Mais l'homme a changé depuis son séjour 1999. «Il n'est pas aussi pessimiste qu'on le dit. Il a
beaucoup moins de hauts et de bas depuis ses 60 ans. Il est moins erratique.» En somme: l'amateur
de bouteilles de Château Latour vieillit bien.
Et entre la mélancolie, les amours écorchées, cet érotisme latent et mille références religieuses et
mystiques, le charme de son oeuvre et de sa personnalité reste intact. Énigmatique, envoûtant,
déroutant: Cohen.
«Je suis surpris de l'intérêt incroyable qu'on lui porte, indique son biographe depuis Vancouver. Le
monde entier s'intéresse à Leonard Cohen. La biographie que j'ai écrite sur lui [Le Canadien errant,
Boréal, 1996] a été traduite en une douzaine de langues. Les Japonais la lisent. Les Polonais la
lisent. Les Français la lisent. Quand Cohen entre en scène, peu importe où, il reçoit une immense
ovation avant même d'avoir chanté quoi que ce soit. On le respecte comme on respecte les plus
grands.»
Normal: c'est «simplement un artiste génial», dit, avec beaucoup d'admiration dans la voix, Musia
Schwartz. Cette survivante de l'Holocauste, très impliquée dans la communauté juive montréalaise
-- dont Cohen est évidemment le plus célèbre représentant --, était la meilleure amie du poète
Irving Layton, le mentor littéraire de Cohen, décédé en 2006. Mme Schwartz connaît ainsi Leonard
Cohen depuis plus de 45 ans.
«Personne n'écrit comme Cohen, dit-elle. C'est un virtuose du langage, mais qui sait aussi composer
de magnifiques musiques, ce qu'on oublie parfois de dire.» Elle se rappelle que, même à ses débuts,
avant qu'il ne commence à chanter (Cohen avait 33 ans et cinq livres derrière lui quand son premier
disque est sorti, en 1967), Cohen attirait les foules avec sa seule poésie. «Les gens venaient
l'entendre de partout. Il y avait toujours un énorme cercle de fans autour de lui.»
On le voit d'ailleurs dans un documentaire de l'ONF paru en 1965, Ladies and Gentlemen, Mr.
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Leonard Cohen. On y brosse le portrait d'un jeune poète qui vole la vedette à ses collègues lors des
soirées de poésie organisées un peu partout au Canada. Sa voix grave, son regard pénétrant, son
sens inné de l'art oratoire (il a été champion dans le domaine lors de ses études à l'université McGill)
et surtout ses textes séduisent des auditoires qui remplissent les petites salles et font la queue pour
faire signer leur livre. Un poète-vedette: le phénomène est quand même rare...
Il s'explique par le «talent fou» de Cohen, indique Mme Schwartz, mais aussi par sa «grande
sincérité». Son biographe Nadel parle d'un «homme parfaitement honnête et authentique,
réellement modeste, rempli d'autodérision sur lui et son talent».
Le photographe Jean-François Bérubé, qui a réalisé la plupart des photos de Cohen qui paraissent
aujourd'hui dans Le Devoir, évoque aussi quelqu'un d'une simplicité complète. «Pour la dernière
séance en 2007, je l'ai rejoint dans le parc devant chez lui, dit-il. La porte de sa maison était
ouverte. Il m'a fait visiter, m'a présenté ses voisins, sa cour... Il est profondément simple et c'est
aussi pour cela qu'il est admirable», dit-il. Pour un photographe, Cohen est d'ailleurs un sujet
parfait: l'homme est extrêmement photogénique et il adore la relation avec la caméra.
Créateur d'images
Le poète et animateur Michel Garneau, qui a traduit ces dernières années les poèmes de Cohen
(étrange musique étrangère et Le Livre du constant désir), apprécie tout autant l'homme de lettres
que l'ami Cohen.
«C'est un créateur d'images, d'abord et avant tout. Il réussit à communiquer des images très fortes,
une vérité sensorielle qui fait que cette image fonctionne. Il a des moments de vérité dans la
métaphore qui sont exceptionnels, et qui donnent des poèmes ou des chansons parfois
éblouissants.» Il en cite deux à travers son répertoire: Hallelujah (qui a bénéficié de multiples
reprises ces dernières années) et Joan of Arc.
Mais Cohen est aussi «un homme extrêmement chaleureux, affectueux, drôle, tout simple», ajoute
Michel Garneau. Qui plus est: un homme très facile d'approche... pour autant qu'on réussisse à
l'approcher, son statut de vedette internationale et sa quête de tranquillité élevant bien des
barrières. «Ce n'est pas quelqu'un qui est confortable avec le fait d'être constamment le centre
d'attention», dit Ira Nadel.
Il faut mesurer l'impact de l'artiste: l'immense site LeonardCohenFiles.com -- la référence des
références -- recensait la semaine dernière un total de 1485 reprises de chansons de Cohen à
travers le monde. Des piliers du folk (Graeme Allwright, Joan Baez, Judy Collins), du country
(Johnny Cash, Emmylou Harris), du rock (Jeff Buckley, Rufus Wainwright, Bob Dylan, U2, Beth
Orton, John Cale, Nick Cave) et du jazz (Nina Simone) ont tous chanté Cohen. Même Richard Abel
s'y est risqué!
Pour The Edge, guitariste du groupe U2, Cohen est «une voix prophétique, d'une portée presque
biblique». La chanteuse Jennifer Warnes, qui a contribué à relancer la carrière du maître dans les
années 1980 avec son disque-hommage Famous Blue Raincoat, estime quant à elle que «ses
chansons ouvrent les coeurs avec une barre de fer».
Et elles se révèlent indémodables. «Cohen, c'est un peu comme Brassens en France, dit Michel
Garneau: il n'a jamais eu d'immenses succès, mais ses livres et ses disques se vendent
continuellement. Le premier autant que le dernier. C'est une vague de fond.»
Montréal
Leonard Cohen a des fans partout au monde. Mais nulle part ailleurs qu'à Montréal peut-il compter
sur un bassin de fidèles aussi fidèles. Normal: c'est sa ville. Son chez-lui. «Lui qui est étranger
partout, dit le poète Garneau, il l'est moins à Montréal que n'importe où ailleurs.»
Si Cohen a toujours eu des pieds-à-terre de par le monde (New York, Los Angeles, la Grèce...), il n'a
jamais quitté Montréal. «C'est une ville fondamentale pour lui, explique Ira Nadel. Il y est
constamment revenu, c'est l'atelier de sa vie.»
«Son attachement à Montréal a toujours été constant», ajoute Musia Schwartz. Michel Garneau
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raconte que Cohen «a souvent pris l'avion pour venir passer une ou deux journées à Montréal, en
plein milieu d'une tournée, simplement pour respirer la ville. Il y a une continuité émotive entre lui
et Montréal, quelque chose qui lui permet de reprendre son souffle.»
Élevé dans le chic Westmount -- sa famille possédait une compagnie de confection de vêtements --,
Cohen a plus tard établi ses pénates près du parc du Portugal, où il habite toujours. La Main, les
rues Saint-Dominique et Vallières (où se trouve le centre zen qu'il parraine), c'est son Montréal.
Michel Garneau habitait déjà le quartier quand Cohen l'a découvert, au début des années 1970. «Il
est tombé en amour et s'est acheté une petite maison», se rappelle-t-il. Un choix qui marquait une
rupture avec le style de vie cossu de sa famille. «Un jour, la mère de notre ami commun Mort
Rosengarten est venu frapper à ma porte, raconte Garneau. Je lui ai dit que Mort n'était pas là. Sa
mère en a alors profité pour me demander si Mort et Leonard étaient heureux [de vivre dans ce
coin]. Elle ne comprenait pas: "leurs grands-pères ont travaillé si fort pour sortir d'ici, et eux
reviennent à la première occasion!".»
À Montréal, Cohen a habité dans un «véritable trou» (selon Michel Garneau), un petit hôtel situé sur
la rue Sainte-Catherine et qu'on peut voir dans le vieux documentaire de l'ONF. Il a eu des
appartements rue Stanley et de la Montagne, a fréquenté bien des cafés (dont le fameux bistro
Chez Lou Lou) et des snack-bars de toutes sortes (on le voit d'ailleurs chez Ben's dans le film de
1965): un Montréalais parmi d'autres.
Une de ses chansons les plus célèbres, Suzanne, se déroule ici, près du fleuve. Cohen y évoque
notamment les symboles religieux de Montréal. Son roman Beautiful Losers a aussi un ancrage
fondamental dans la ville.
C'est donc réellement son chez-lui que l'artiste retrouvera lundi, devant quelque 3000 spectateurs
qui ont payé le fort prix pour le revoir. Il aura bien sûr son chapeau, son complet, ce sourire
immense sous les traits profonds de son visage... et toute une collection de classiques à laquelle
s'abreuver.
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