LES LEÇONS TIRÉES ET À TIRER DE L`ACCIDENT DU CHICOUTIMI
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LES LEÇONS TIRÉES ET À TIRER DE L`ACCIDENT DU CHICOUTIMI
OPÉRATIONS MARITIMES Photo du MDN, formation d’images des Forces maritimes de l’Atlantique Sous-marin de classe Victoria LES LEÇONS TIRÉES ET À TIRER DE L’ACCIDENT DU CHICOUTIMI par Peter T. Haydon « Le 2 octobre 2004, le NCSM Chicoutimi est parti pour Halifax. C’était le quatrième et dernier sous-marin de classe Victoria que le gouvernement du Canada recevait du Royaume-Uni. Le 5 octobre, en fin de matinée, il est entré tellement d’eau par la tourelle de commandement que cela a déclenché une série de courts-circuits. Finalement, des arcs électriques sont apparus entre les câbles de l’alimentation principale et un incendie, qui s’est déclaré dans la cabine du commandant, s’est rapidement propagé jusqu’au pont inférieur, où il a causé d’importants dégâts et blessures. L’équipage a maîtrisé puis éteint l’incendie; la situation s’est stabilisée, et un appel à l’aide a été envoyé aux organismes extérieurs. Plusieurs heures plus tard, un incendie sans rapport avec le premier s’est déclaré dans un générateur d’oxygène du magasin d’armes. Rapidement maîtrisé, il n’a pas causé d’autres dégâts ou blessures. En tout, neuf membres de l’équipage ont été blessés, et un d’entre eux, le lieutenant Chris Saunders, est décédé. Dès son arrivée, le 7 octobre, l’équipe de secours a commencé à rétablir les systèmes embarqués, à dispenser des soins médicaux et à évacuer les blessés. Le sous-marin a été remorqué jusqu’à Faslane, en Écosse, où il est arrivé le 10 octobre 1. » L’ accident du Chicoutimi a provoqué un grand débat sur les sous-marins canadiens et, dans une moindre mesure, sur les politiques de la marine. L’intensité du débat était variable de même que la crédibilité des « révélations » que faisaient les médias pour entretenir la controverse. La présentation de cette affaire a été assez confuse. Les Automne 2005 ● Revue militaire canadienne questions fondamentales sont devenues encore moins claires lorsque le bien-fondé de l’achat des quatre anciens sous-marins britanniques a été contesté au Parlement. Dans l’ensemble, le débat a révélé l’absence de connaissances élémentaires des politiques navales et du rôle des sous-marins canadiens et il n’a pas clarifié la politique qui était remise en question. Le présent article aborde certaines questions clés de ce débat dans l’espoir qu’elles seront mieux comprises. Pourquoi le Canada possède-t-il des sous-marins? L a raison invoquée pour maintenir une flotte de sous-marins a toujours été que, grâce à leur invisibilité, leur endurance et leur polyvalence, ils peuvent faire des choses que les autres vaisseaux ne peuvent pas faire. Cela n’explique pourtant pas pourquoi le Canada possède une telle flotte. Si l’Énoncé de la politique de défense d’avril 2005 reconnaît l’utilité opérationnelle des sous-marins, la raison de leur maintien n’est toujours pas aussi claire qu’on le souhaiterait. Il n’est donc pas surprenant que le public ait du mal à saisir cette politique. Pour la comprendre, il faut savoir ce que peut faire un sous-marin à l’heure actuelle. Peter Haydon, chercheur supérieur au Centre for Foreign Policy Studies de l’université Dalhousie, est spécialisé dans la sécurité maritime, la politique de défense et la politique de la marine du Canada. Ancien officier de la marine canadienne, il a servi pendant 30 ans à bord de sous-marins et de destroyers et dans les services navals, à l’échelle nationale et internationale. 15 Photo du MDN BR816-194 Périscope de veille à bord d’un sous-marin de patrouille à long rayon d’action de classe Victoria Le sous-marin est désormais équipé d’un matériel électronique qui recueille des renseignements sur les autres navires et sur le rivage et qui les traite en données de ciblage ou les classe parmi les renseignements généraux sur les activités dans un secteur de l’océan. Ainsi, les sous-marins canadiens ont servi à suivre les mouvements des navires de renseignement soviétiques naviguant près de nos rives et, plus tard, à surveiller les bateaux de pêche étrangers se livrant à des activités illégales2. maritimes), il n’a plus pour seule fonction de couler des bâtiments de transport et autres navires de guerre. Il joue un rôle beaucoup plus polyvalent. Il peut être intégré aux forces navales pour assurer la surveillance à distance et participer à la défense si la flotte est attaquée. Les marines britannique et américaine intègrent couramment des sous-marins à leurs forces opérationnelles, et la Force navale permanente de l’Atlantique de l’Organisation du traité de l’Atlantique Nord (OTAN) comprend des sous-marins. Bien que le sous-marin possède encore la plupart des moyens offensifs de ses prédécesseurs (par exemple, le lancement de torpilles et de missiles et la pose de mines La technologie est en constante évolution et le sous-marin se prête à de nombreuses innovations, telles que l’emploi de véhicules autonomes télécommandés. 16 Revue militaire canadienne ● Automne 2005 « La raison invoquée pour maintenir une flotte de sous-marins a toujours été que, grâce à leur invisibilité, leur endurance et leur polyvalence, ils peuvent faire des choses que les autres vaisseaux ne peuvent pas faire. » Son prix d’achat mis à part (un sous-marin dieselélectrique coûte environ autant qu’une frégate), le sous-marin coûte moins cher que la majorité des autres navires de combat, car un équipage de 48 personnes lui suffit et il consomme moins de carburant. Un autre avantage est qu’il peut patrouiller un secteur pendant une trentaine de jours (en comptant les 20 jours pour l’aller et le retour, cela fait une autonomie de 50 jours) sans refaire le plein ni se ravitailler en eau et en vivres. Au bout d’environ 12 jours, une frégate doit refaire le plein. Un groupe de navires de combat comprenant un ravitailleur a une autonomie d’une trentaine de jours et peut surveiller un secteur plus étendu qu’un sous-marin, mais le coût est beaucoup plus élevé. Le fait que le sous-marin peut servir à entraîner les forces aériennes de surface et les forces maritimes à la guerre anti-sous-marine est un atout à l’échelle nationale et internationale. Contrairement à ce que l’on pourrait croire, la guerre anti-sous-marine n’est pas désuète. Le nombre de sous-marins augmente dans le monde3. La politique étrangère de nombreux pays possédant des sous-marins n’est pas favorable aux opérations parrainées par les États-Unis, l’OTAN et les Nations unies. La présence réelle ou présumée d’un sous-marin peut ralentir ou même prévenir une intervention en mer 4. Sur le plan politique, l’exploitation d’une telle incertitude représente un moyen de pression considérable, surtout pour un État s’opposant vivement aux mesures prises par un autre État lors d’une crise. S’il est urgent d’envoyer des forces ou de l’aide humanitaire à terre, il faut absolument éloigner le sous-marin et déployer une défense anti-sous-marine. Ce type de protection n’est efficace que si l’équipage est bien entraîné. Les leçons que les Britanniques et les Argentins ont tirées de la guerre des Malouines en 1982 témoignent des effets que la présence réelle ou présumée d’un sous-marin peut avoir sur l’ensemble des opérations5. Les sous-marins présentent un autre avantage : les flottes qui en possèdent partagent les renseignements sur leurs déploiements, et la gestion du secteur maritime permet d’éviter toute interférence mutuelle et d’assurer une plus grande sécurité. L’éventuelle présence de sous-marins étrangers dans les eaux territoriales du Canada, surtout dans les régions septentrionales, a toujours été une Automne 2005 ● Revue militaire canadienne source d’inquiétude. En déployant des sousmarins, le Canada fait partie du système international de gestion du secteur maritime et peut ainsi savoir quand des sous-marins étrangers naviguent dans ses eaux ou à proximité6. Peut-on confier de telles tâches aux navires? Non, car ils n’en ont pas les moyens. La surveillance des sous-marins étrangers, la formation à la guerre anti-sous-marine et le recours à la furtivité sont des avantages typiques des sous-marins. En outre, le sous-marin est souvent le moyen le plus économique d’effectuer certaines opérations de surveillance. Pour le gouvernement, il présente une polyvalence sans pareille; que son exploitation soit plus économique que celle des navires de surface est un atout supplémentaire. Le Canada pourrait-il survivre sans sous-marins? Oui, mais sa sécurité serait plus coûteuse et il devrait se passer de certains avantages présentés ci-dessus. En particulier, comme il ne participerait pas au système de gestion du secteur maritime, l’éventuelle présence de sous-marins étrangers dans ses eaux, surtout dans l’Arctique, poserait de graves problèmes. Par ailleurs, il ne profiterait pas des progrès énormes que fait la technologie sous-marine. Il existe une synergie naturelle entre la recherche et le développement et les sous-marins, surtout dans le domaine des sciences océanographiques. Les eaux territoriales du Canada couvrent une surface immense. Elles abritent des milliers d’espèces biologiques et possèdent d’énormes ressources potentielles. Il est donc indispensable d’accroître nos connaissances de ces régions, dont la plus grande partie est difficile d’accès. Le sous-marin constitue un atout pour la recherche scientifique dans le domaine océanique et dans d’autres domaines. Même si nos sous-marins de classe Victoria ne peuvent mener que de courtes missions sous la frange des glaces, c’est déjà mieux que rien. Dans l’ensemble, le sous-marin se prête à diverses utilisations et constitue un outil polyvalent et économique. Dans le climat d’incertitude qui caractérise le monde actuel, où les forces militaires doivent faire face à l’inattendu, le sous-marin représente un excellent moyen de défense à l’échelle nationale ou internationale et permet d’assurer la surveillance courante. Voilà pourquoi le Canada possède des sous-marins. Pourquoi le Canada a-t-il acheté les quatre sous-marins britanniques de classe Upholder? D e 1914 à nos jours, la marine canadienne a possédé des sous-marins à diverses reprises, et, depuis la Seconde Guerre mondiale, les équipages des sous-marins britanniques comptent régulièrement des Canadiens. Bien que, sur le plan opérationnel, le Canada ait toujours eu besoin de sous-marins, c’est seulement vers la fin des années 1960 qu’il a acquis une capacité acceptable en la matière en achetant trois vaisseaux de classe Oberon. 17 OPÉRATIONS MARITIMES Équipé de cette technologie, un sous-marin peut explorer le fond des mers et de vastes zones côtières, surtout dans les régions éloignées qui sont hors de portée des autres navires de combat. Il peut donc se livrer à des activités militaires telles que la chasse aux mines et la reconnaissance de la rive, mais il peut aussi mener facilement des opérations de recherche et de sauvetage, comme lorsque l’avion de Swissair s’est écrasé dans la baie St. Margaret, au large des côtes de la Nouvelle-Écosse. Il est également susceptible d’être utilisé lors d’opérations spéciales, mais cela requiert une formation considérable. Au début des années 1980, le pays a qu’au remplacement de ce qui était, « [Pour] construire envisagé le remplacement des Oberon, aux yeux de nombreux politiciens et qui deviendraient obsolètes une dizaine lobbyistes, un vestige de la guerre froide. un sous-marin dans d’années plus tard, après quelque 25 ans Le programme de remplacement des un chantier naval de service. En tant que matériel de guerre, sous-marins semblait bloqué ou moribond. canadien, il aurait ces sous-marins étaient déjà obsolètes au moment où l’on songeait à les remplacer, Un an plus tard, l’examen approfondi fallu importer la mais ils étaient encore utiles pour la de la défense a confirmé que le technologie d’un autre formation à la guerre anti-sous-marine. sous-marin diesel-électrique représentait pays ou une période Il existait alors plusieurs possibilités un moyen stratégique et opérationnel de remplacement : le type Walrus de valable. Seulement, encore une fois, d’apprentissage longue fabrication hollandaise, le Nächen un temps précieux s’était écoulé, et coûteuse. » suédois, à partir duquel le sous-marin et les sous-marins britanniques de australien de classe Collins a été conçu, classe Upholder constituaient la seule plusieurs modèles allemands, tels que le véritable option. Les bâtiments australiens TR-1700, et le modèle britannique Type 2400, tout nouveau à de classe Collins avaient des problèmes, et leur coût l’époque, qui deviendrait plus tard le sous-marin de classe montait en flèche; les Oberon étaient totalement désuets, Upholder. Construire un sous-marin dans un chantier naval et il n’y avait pas assez de temps ou d’argent pour canadien aurait présenté trop de difficultés, un tel projet construire une nouvelle classe de sous-marins au n’ayant pas été entrepris depuis la Première Guerre mondiale. Canada. Si le Canada voulait conserver une flotte de Il aurait fallu importer la technologie d’un autre pays ou une sous-marins, la seule option consistait à acheter les Upholder période d’apprentissage longue et coûteuse. Il était tout à la Grande-Bretagne. Comme l’énonce le Livre blanc sur simplement plus économique d’acheter des sous-marins la défense de 1994 : construits par un fabricant fiable que de convertir un chantier naval pour produire un effectif relativement modeste7. « les sous-marins peuvent assurer une surveillance très étendue, en profondeur comme à la surface En 1986, le projet de remplacement des Oberon était des eaux sous juridiction canadienne; [...] ils bien avancé, mais il a été interrompu lorsque le brise-glace ne nécessitent qu’un équipage peu nombreux; [...] américain Polar Sea a pénétré dans l’Arctique, en 1985. ils opèrent en gros au tiers du coût des frégates Cet événement a remis au premier plan la question de la modernes; et [...] ils s’intègrent facilement aux autres souveraineté du Canada sur l’Arctique. La possibilité que des éléments des Forces canadiennes. Le Comité a sous-marins américains, britanniques et soviétiques se également recommandé que le gouvernement livrent à des exercices de frappe stratégique et de guerre considère sérieusement l’achat de 3 à 6 sous-marins anti-sous-marine dans « nos » eaux préoccupait les médias. diesel-électrique [sic] modernes, dans la mesure du En 1986, le nouveau gouvernement conservateur a jugé possible, eu égard au contexte actuel de réductions que l’acquisition de sous-marins à propulsion nucléaire militaires dans le monde et si cela s’avérait de toute résoudrait le problème de l’Arctique. De la fin 1986 à avril évidence rentable (c’est-à-dire abordable dans 1989, poursuivant activement son programme d’acquisition le cadre du budget actuel d’équipement). Il se trouve de sous-marins à propulsion nucléaire, la marine canadienne que le gouvernement britannique cherche à vendre envisageait d’acheter des bâtiments britanniques ou français quatre sous-marins conventionnels de type Upholder et d’acquérir la technologie nécessaire pour les construire construits récemment. Le gouvernement entend et les entretenir au pays. Ce n’était pas la première fois que explorer cette option10. » la marine cherchait à acquérir ces sous-marins. Le projet, lancé trois fois auparavant, avait abouti au même résultat : Un document du ministère de la Défense nationale il coûtait trop cher8. datant de mai 1995 plaide également la cause des sous-marins : Quand le gouvernement a annulé pour cette raison le programme d’acquisition de sous-marins à propulsion « Le sous-marin présente plusieurs avantages pour nucléaire, en avril 1989, la marine n’avait plus de plan les politiques gouvernementales nationales et pour remplacer les Oberon, qui ne rajeunissaient pas. internationales. Il peut être placé ouvertement ou Après les avoir dotés de matériel nouveau pour la guerre secrètement dans un secteur suspect. Il a une anti-sous-marine, elle les avait mis au service de l’OTAN liberté d’action et une autonomie remarquables. pour compenser la baisse de ses contributions aux Enfin, on peut le retirer facilement sans s’engager moyens anti-sous-marins de surface 9. Bien qu’un plan ou sans conséquence sur le plan diplomatique11. » de remplacement ait été rapidement conçu, il n’y avait désormais plus autant d’options : la Hollande ne construisait On pourrait en dire autant de la majorité des forces plus de bâtiments de classe Walrus et la majorité des navales, mais la furtivité et l’autonomie du sous-marin lui sous-marins allemands étaient trop petits pour des opérations donnent un énorme avantage. Selon le document du dans l’Atlantique Nord. Le gouvernement tergiversait. Ministère, comme le sous-marin peut effectuer des missions Lors de son accession au pouvoir, à l’automne 1993, le de surveillance, assurer la présence de la nation et intervenir gouvernement libéral était plutôt enclin au désarmement dans le cadre d’une patrouille, il répond aux critères 18 Revue militaire canadienne ● Automne 2005 L’affaire a-t-elle été avantageuse? U ne fois surmontée l’intransigeance des politiciens, il fallait régler les détails de l’affaire. Cela a soulevé des problèmes, car il s’était écoulé trop de temps entre la mise hors service des Upholder et le moment où les Canadiens en ont pris possession. La remise en service serait donc coûteuse et complexe. Mais ce modèle était bien conçu. Il possédait de nombreuses caractéristiques du sous-marin britannique à propulsion nucléaire de classe T. Doté des contrôles automatisés les plus récents, il pouvait fonctionner avec un équipage moins nombreux que celui des Oberon. Il était assez robuste pour les opérations le long du littoral de l’Atlantique Nord et du Pacifique et il possédait un modèle complet de formation par simulation pour chaque système. Son système de lance-torpilles, de conception britannique, posait problème, car les Canadiens utilisaient des torpilles Mk 48, modèle courant aux États-Unis et en Australie. Ces torpilles et leur système de lancement, achetés lors de la modernisation des Oberon, seraient utilisables pendant des années et il ne servait à rien de les abandonner. Par ailleurs, il était logique de moderniser le système de communications pour qu’il se conforme aux normes nord-américaines. Était-ce une bonne affaire? Oui, certainement. Hormis le fait qu’il s’agissait des seuls sous-marins alors en vente, les Upholder sont des submersibles modernes, Automne 2005 ● Le prix d’achat n’était pas trop élevé, malgré la confusion semée par des explications fumeuses. Selon l’annonce officielle du 6 avril 1998 : « L’acquisition des sous-marins coûtera 610 millions de dollars et les autres frais liés au projet seront de 140 millions. Cela comprend le coût de l’instruction de l’équipage, des simulateurs, des pièces détachées, des modifications canadiennes et du soutien du projet. Afin d’obtenir le meilleur rapport qualité/prix pour les contribuables canadiens, les sous-marins seront acquis en vertu d’une entente innovatrice de location-achat, sans intérêts, d’une durée de huit ans, selon laquelle les paiements de location seront “troqués” contre l’utilisation d’installations de formation canadiennes par les forces britanniques aux bases des Forces canadiennes Wainwright, Suffield et Goose Bay13. » Compartiment des torpilles d’un sous-marin de classe Victoria Revue militaire canadienne OPÉRATIONS MARITIMES Il a fallu quatre ans pour conclure le marché avec la Grande-Bretagne. Ce retard était surtout dû au fait que, malgré la décision prise, le gouvernement manquait de détermination. Il a fallu que des personnalités américaines et britanniques interviennent pour faire sortir le Canada de l’impasse politique et convaincre le premier ministre que le programme était solide et logique du point de vue stratégique et que les sous-marins joueraient un rôle utile dans la nouvelle ère de sécurité collective 12. Il est intéressant de noter que, au terme de son investigation sur l’acquisition des sous-marins de classe Upholder (devenus au Canada des sous-marins de classe Victoria), le Comité permanent de la défense nationale et des anciens combattants est arrivé récemment à la conclusion que le gouvernement Chrétien a attendu trop longtemps pour conclure l’affaire, ce qui a compliqué la remise en service des sous-marins, mais que ce temps d’attente n’a pas été un facteur dans l’accident survenu à bord du Chicoutimi. bien construits et dont la technologie a fait ses preuves. Le Canada avait appliqué exactement les mêmes critères lorsqu’il avait acheté trois Oberon à la Grande-Bretagne dans les années 1960. À quelques exceptions près, les sous-mariniers canadiens avaient été formés sur des sous-marins britanniques, dont ils connaissaient bien la technologie. Les chantiers navals du Canada possédaient eux aussi l’expérience voulue pour entretenir des sous-marins de conception britannique. Photo du MDN BR816-179 essentiels de protection de la souveraineté. Cette protection fait désormais partie intégrante des activités navales destinées à assurer la sécurité du territoire. Malheureusement, ce qui était logique pour la marine l’était moins pour les politiciens, et le programme a été de nouveau suspendu. 19 Photo du MDN HSC2000-1634-19, formation d’images des Forces maritimes de l’Atlantique programme, jugeant qu’il était inutile ou inadéquat, la guerre froide étant terminée, ou que c’était un cas de gabegie15. Vu la tournure politique qu’a prise l’accident, peu de personnes ont résisté à la tentation de critiquer la politique de défense, de contester le besoin d’acquérir des sous-marins et de prôner l’allocation des fonds publics à d’autres programmes de défense. Ainsi, le National Post suggérait de ne pas acheter de sous-marins, qui étaient des reliques de la guerre froide, et d’augmenter les effectifs militaires : Le NCSM Chicoutimi dans le transporteur Eide. Malheureusement, l’explication du financement à contrepartie manquait de clarté et le public s’est généralement mépris sur le coût réel des sous-marins, de leur remise en service, des pièces détachées et du simulateur de formation. Le coût total, dont celui de la « canadianisation14 », sera d’environ un milliard de dollars (soit approximativement 250 millions de dollars par sous-marin), ce qui représente moins de la moitié du prix qu’a payé l’Australie pour ses sous-marins neufs et un montant nettement moins élevé que celui qu’aurait coûté leur construction au Canada. Les Upholder présentaient un autre avantage : on pouvait reprendre la formation des équipages. Le manque de formation dû à la livraison tardive des Upholder et la nécessité de désarmer les Oberon pour des raisons de sécurité étaient des préoccupations majeures. Les compétences qui ne sont pas utilisées s’émoussent rapidement, et, pour les retrouver, il faut généralement faire d’énormes efforts et payer le prix fort, ce qui revient à en acquérir de nouvelles. Comme l’expliquait un commentateur, un sous-marin est presque aussi complexe qu’un engin spatial et beaucoup plus complexe qu’un vaisseau de surface. L’équipage doit sans cesse s’entraîner pour maintenir ses compétences et la sécurité requise. Une partie de l’entraînement peut se faire sur terre avec des simulateurs, mais il faut toujours finir par s’entraîner en mer, suivant un programme méticuleux. Ce n’est que lorsque l’entraînement est terminé que le sous-marin peut être jugé prêt pour les opérations. En définitive, non seulement les Upholder étaient la seule option, mais c’était une excellente affaire d’acquérir des sous-marins modernes selon un calendrier permettant de poursuivre la formation de base. Malheureusement, dans la fièvre qui a saisi les médias après l’accident du Chicoutimi, plusieurs journalistes se sont empressés de rejeter tout le 20 « Même si le Canada se donne des priorités militaires plus vastes, dépenser des centaines de millions de dollars pour acheter des sous-marins, usagés ou non, n’est pas le meilleur moyen d’assurer notre sécurité, à l’intérieur et à l’extérieur de nos frontières. Un sous-marin n’est pas particulièrement utile pour la surveillance (qu’il est préférable de confier à des avions ou à des vaisseaux rapides, pas à des submersibles) ni pour le rétablissement de la paix16. » Beaucoup partageaient ce point de vue, d’autres s’y opposaient ouvertement 17. Ce qui ressort de cette affaire, c’est que le public comprend mal quelles capacités (pas seulement sous-marines) sont nécessaires sur le plan stratégique. Se servir d’un déplorable accident pour débattre de la défense ne profite à personne. La politique de défense doit être discutée publiquement mais dans un contexte approprié et non dans celui d’un incident regrettable. L’achat des sous-marins a été une bonne affaire, mais le public a été mal informé, ce qui n’a pas aidé la marine dans le cas du Chicoutimi. Toutefois, ce ne sont pas seulement les volets financiers et politiques du programme qui ont été publiquement passés au crible; on a aussi critiqué le retard de la mise en service des sous-marins. D’où vient le retard de la mise en service des sous-marins? P lusieurs facteurs expliquent ce retard. Premièrement, la réactivation a été beaucoup plus difficile que prévu18. C’était la première fois que les techniciens du chantier naval de Barrow mettaient un sous-marin moderne en cale et le réactivaient; ils ont dit ouvertement que, si c’était à refaire, ils s’y prendraient différemment. Suivant la tradition de « sécurité avant tout » qui anime les sous-mariniers du monde entier, ils ont tenu à vérifier et revérifier tous les systèmes avant de les mettre en fonction, surtout après une longue période d’inactivité. Quand on soumet un sous-marin à une révision approfondie ou qu’on le désarme, on démonte Revue militaire canadienne ● Automne 2005 Photo du MDN HSC2000-1634-19, formation d’images des Forces maritimes de l’Atlantique Troisièmement, lors du déploiement maritime au Moyen-Orient dans le cadre de « Par ailleurs, l’opération Apollo, le gouvernement ne il était logique de disposait pas des fonds nécessaires; il moderniser le système a donc fallu trouver l’argent dans le Deuxièmement, bien que les budget de la Marine, ce qui a mis de communications sous-marins aient été soi-disant très emporairement un terme au réarmement pour qu’il se conforme défectueux, leur réactivation a été des sous-marins. Au lieu de « canadianiser » aux normes remarquablement rapide. On a découvert les sous-marins et de former leurs équipages, des défauts, mais c’est pourquoi un il fallait aider la nation à participer à nord-américaines. » programme-pilote minutieux était la guerre contre le terrorisme. Or, le essentiel. Le protocole habituel consiste budget de la défense ne permet pas à faire naviguer le sous-marin quotidiennement pour de monter une opération d’envergure et de maintenir le vérifier pratiquement chaque système et chaque appareil. reste de la flotte. En fin de journée, on fait un rapport sur les défauts et on effectue les réparations à temps pour les vérifications du Quatrièmement, la préparation opérationnelle d’un lendemain. En cas de défaut grave, le sous-marin retourne au sous-marin exige des efforts considérables sur le plan chantier naval ou à sa base d’assistance. La liste de défauts de la formation individuelle et collective de l’équipage. dressée pendant deux mois de vérification est peut-être Amener l’équipage à être en mesure d’entreprendre la longue, mais tous les défauts détectés sont réparés. Il est traversée de l’Atlantique est un véritable exploit. L’état impossible d’évaluer l’état d’un sous-marin ou d’un autre de préparation de tous les navires de guerre est fonction de navire après un ou deux jours d’inspection; il faut faire le leur calendrier d’activités. Certains navires peuvent être bilan de la période de vérification et de rodage avant de totalement opérationnels et prêts pour les opérations les pouvoir faire une évaluation valable. plus difficiles, quels que soient les critères, mais cela exige En eaux calmes. Automne 2005 ● Revue militaire canadienne 21 OPÉRATIONS MARITIMES la plupart de ses systèmes clés pour les tester avant leur réassemblage. Cela prend du temps, mais ce n’est pas une perte de temps. une longue formation, y compris en Premièrement, ceux qui survivent à un qualification sur les systèmes d’armes. accident de cette nature se souviennent « Il est impossible L’état de préparation d’autres navires, rarement avec exactitude de ce qu’ils d’évaluer l’état d’un qui doivent mener des opérations moins faisaient au moment de l’accident. Ils s’en sous-marin ou intensives, est moins élevé, et l’accent est souviendront plus tard, parfois bien plus mis sur la sécurité du bâtiment et de tard. Parfois, leurs souvenirs sont partiels. d’un autre navire l’équipage. Les équipages retenus après Ceux qui n’étaient pas présents au moment après un ou deux la mise hors service des Oberon ont subi de l’incident ou lorsque des mesures jours d’inspection. » une formation intensive pour apprendre correctives ont été prises en entendent à manier les nouveaux sous-marins et à parler après coup et ne savent donc pas travailler en équipe sur ces navires. exactement ce qui est arrivé. Leurs récits Contrairement aux bâtiments de surface, à bord desquels ne sont pas fiables, comme les récits de ceux qui n’ont chaque membre de l’équipage a une spécialité (le mécanicien jamais été là. ne s’occupe que du système de propulsion et l’armurier, du système d’armes), un sous-marinier doit être beaucoup plus Deuxièmement, conformément à la culture des polyvalent. Pour illustrer la complexité de la formation, on sous-mariniers canadiens, qui place la sécurité au premier peut dire que la classe Victoria représente des sous-marins de rang, tout défaut ou toute anomalie fait l’objet d’une quatrième génération. Les sous-mariniers canadiens ont donc enquête immédiate et d’une réparation dans les plus dû sauter une génération et passer directement d’un navire de brefs délais, en mer. La seule option est ensuite le deuxième génération, la classe Oberon, à un sous-marin retour au port. L’équipage a été formé de manière si de quatrième génération, la classe Victoria. rigoureuse qu’il réagit instinctivement à tout incident. Cependant, en fonction du temps et des circonstances, Ce n’était pas la première fois que les sous-mariniers chaque cas est souvent spécial, et ce qui se produit n’est canadiens avaient la tâche difficile. En 1961, il n’a pas été pas forcément la conséquence directe des actions d’une facile de transformer le Burrfish américain en NCSM Grilse. personne ou d’une situation antérieure. Récupérer les trois sous-marins britanniques de classe Oberon à la fin des années 1960 et les incorporer à la L’explosion survenue à bord du NCSM Kootenay à 1ère escadre de sous-marins n’a pas été aisé19. Il n’a pas été l’automne 1969 illustre la manière dont un élément qui est facile non plus de faire fonctionner les Oberon à mesure qu’ils difficile à examiner et qui se prête mal à une inspection prenaient de l’âge et devenaient moins fiables. Nos sousrégulière peut devenir défectueux et causer un accident. mariniers, quel que soit leur grade, reçoivent une formation Une fois qu’un compartiment ou un appareil est fermé remarquable et placent la sécurité de l’équipage avant tout. hermétiquement, il n’est plus possible de l’inspecter ou de le tester, à moins de tout démonter, ce qui ne se Les sous-marins canadiens ont un état de service fait pas sans bonne raison. À partir d’un certain moment, exceptionnel. Depuis 1950, période où les premiers officiers il faut faire confiance au constructeur et aux inspecteurs. La et marins ont été affectés à la marine britannique dans marge acceptable aujourd’hui en matière de contrôle de le cadre de l’entente sur la mise en place de bâtiments qualité est probablement qu’il y a un risque sur dix mille cibles à Halifax, deux hommes seulement ont perdu la vie qu’un détail important soit passé inaperçu. La marine dans l’exercice de leurs fonctions. Le premier était l’officier n’est pas un environnement sans risques et ne le sera marinier MacLeod, décédé en 1955 lors de l’explosion d’une sans doute jamais, à moins que les coûts d’acquisition torpille à bord du sous-marin britannique Sidon; le second et d’exploitation ne deviennent phénoménaux. Il faut était le lieutenant Saunders, qui a perdu la vie dans l’accident accepter le fait qu’il y aura toujours un risque et que le du Chicoutimi. meilleur moyen de le prévenir est une formation hors pair. Pourquoi l’accident du Chicoutimi a-t-il suscité autant d’intérêt dans les médias? A u moment de l’accident, le manque de renseignements présentait un problème majeur, car personne ne connaissait vraiment tous les faits; seule une commission d’enquête pouvait déterminer avec précision les causes et les circonstances de l’accident. Les médias, toujours méfiants quand il est question de sous-marins, voulaient informer le public immédiatement, sans attendre les conclusions d’une commission d’enquête. Les journalistes en ont été réduits à glaner des renseignements ici et là. Seulement, ils n’avaient pas les connaissances techniques nécessaires pour évaluer les bribes d’information qu’ils obtenaient. Les reportages présentaient donc un mélange de vérité, de fiction et de conjectures 20. En outre, deux éléments importants ont échappé aux médias. 22 Conclusion E n guise de conclusion, il serait bon de réexaminer certaines des déclarations les plus controversées, parues dans la presse à la suite de l’accident du Chicoutimi. Le Canada n’a pas besoin de sous-marins. J’espère que les explications et les exemples fournis témoignent de la polyvalence du sous-marin et de l’excellent rapport coût-efficacité qu’il présente pour la sécurité navale. La décision prise en 1994 reposait sur des considérations politiques. La renverser maintenant serait insensé. Selon certains, le Canada devrait couper court aux dépenses et abandonner le programme des sous-marins. Ce raisonnement à court terme ne tient pas compte des avantages à long terme que procureront les sous-marins. Revue militaire canadienne ● Automne 2005 Le sous-marin est désormais un navire polyvalent de surveillance et de gestion du renseignement, qui a un potentiel considérable pour les opérations de gestion de crise et de sécurité nationale. L’évolution de sa technologie et de ses types d’opérations a été mal expliquée, surtout au Canada, mais il est facile d’avoir accès à des sources offrant d’excellentes explications 21. Le sous-marin du XXI e siècle ressemble peu au submersible du temps de la guerre froide. C’est une composante de la marine aussi logique que l’hélicoptère. Il serait insensé de rejeter cette composante, dont les nouvelles technologies accroissent l’utilité, sans comprendre les possibilités inestimables qu’elle ouvre à l’ensemble du pays ou les conséquences d’un tel rejet. Les Upholder étaient une mauvaise affaire. À moins de la moitié du prix d’achat des autres sous-marins et pour une fraction du prix de la construction de sous-marins au Canada, c’était une excellente affaire. Comme aucun autre sous-marin n’était alors disponible, il était tout à fait logique d’acheter les quatre Upholder. C’était la seule façon de poursuivre la formation des équipages sans interruption excessive. Ne pas acheter ces bâtiments serait revenu à éliminer le sous-marin de la flotte, avec toutes les conséquences que cela implique. Beaucoup de critiques semblaient fondées sur des données partielles et non sur une parfaite connaissance du dossier. Il est vrai que les autorités ont commis une grave erreur en ne donnant pas suffisamment d’explications. On savait que le Chicoutimi avait des défauts. Il n’aurait jamais dû prendre la mer. moindre bribe d’information, mais, par déontologie, ils auraient dû confirmer les données qu’ils obtenaient. Au reste, ils ont souvent eu accès à des renseignements exacts fournis par des officiers supérieurs de la marine, mais ils ont persisté à donner des détails en provenance de sources moins informées. Il est difficile de ne pas admettre la validité de la critique selon laquelle « les renseignements et les éditoriaux sur l’accident du Chicoutimi revêtaient un caractère à la fois dramatique, conjectural et accusatoire ». En l’absence d’information, les médias en sont réduits à utiliser ce qu’ils glanent. Il est rare que le personnel d’un quotidien compte un spécialiste de la défense, et, la plupart du temps, la direction confie une histoire (car c’est ainsi qu’on tend à considérer l’objet d’un reportage) à un journaliste sans nécessairement tenir compte de ses antécédents. C’est seulement lorsqu’une histoire prend de l’ampleur que l’on s’adresse aux experts; mais, à ce stade, on a peut-être déjà publié bien des données erronées. Dans l’ensemble, selon moi, le plus triste est qu’on ait laissé l’accident du Chicoutimi revêtir un caractère politique et que les facteurs politiques ont parfois semblé plus importants que les faits réels. L’accident a donné une fausse idée des raisons pour lesquelles le Canada a décidé de maintenir une flotte de sous-marins. Il met toutefois en lumière le fait que la politique de défense est effervescente et porte à la controverse, ce qui tend à retarder les décisions et à limiter les options. Pour nombre d’entre nous qui participons à l’élaboration et à l’analyse des politiques de défense, il est pour le moins navrant que le Canada ne puisse pas remplacer le matériel obsolète sans déclencher un tollé. Dans un article intitulé « Down to the Sea in Subs », David Rudd 23 prévient à juste titre ceux qui voudraient réviser la politique de défense en se basant sur un accident récent. Maintenant que la commission d’enquête a publié ses conclusions, il faut espérer que nous irons de l’avant et tirerons les leçons de cet accident. Parmi ces leçons, j’espère que figurera le besoin de présenter en temps utile une explication détaillée des nouveaux programmes d’acquisition de matériel militaire. Quand le Upholder servait dans la marine britannique, il était « premier de série » et avait fait l’objet de vérifications approfondies au cours desquelles on avait testé ses systèmes à la limite de leur endurance. Contrairement à une automobile, un nouveau type de sous-marin ne peut pas être testé deux ans avant le début de la production. Avec un peu de chance, on dispose de quelques mois pour détecter les inévitables défauts de conception et de construction. Comme dans le cas du NCSM Halifax, autre « premier de série », on s’attendait à ce que le Upholder ait des défauts. Il aurait été curieux qu’il n’en ait pas. Malheureusement, les médias « La marine n’est sont toujours trop prompts à critiquer pas un environnement un modèle qui est « premier de sans risques et ne le série » 22, et induisent les gens en erreur. On aurait tort aussi d’amalgamer sera sans doute le Chicoutimi et le Upholder. Au jamais, à moins que terme du processus de réactivation, les coûts d’acquisition les sous-marins étaient en fait très différents. Le Chicoutimi doit et d’exploitation être jugé d’après ce qui lui est arrivé ne deviennent sous son appellation canadienne phénoménaux. » seulement. Les journalistes étaient peut-être fortement tentés de saisir la Automne 2005 ● Revue militaire canadienne Pour qu’un service soit jugé légitime par le grand public, il doit, a-t-on dit, répondre à la question : « La fonction qu’il remplit oblige-t-elle la société à maintenir ce service 24? » Si le public n’est pas partisan de certains services, c’est souvent parce que la réponse à cette question est insatisfaisante. L’accident du Chicoutimi a démontré que, généralement, les Canadiens comprennent mal la raison d’être de leur marine. Je soupçonne qu’ils ne comprennent pas mieux ce que le Canada doit à sa marine depuis plus d’un demi-siècle. Je ne 23 OPÉRATIONS MARITIMES Les sous-marins sont des vestiges de la guerre froide. demande pas le lancement d’une autre campagne de relations publiques : les échecs ont été trop nombreux, et, aux yeux du public, ce genre d’entreprise sert à dorer la pilule. Je suggère plutôt de mettre sur pied, pour tout le territoire, un véritable programme d’information sur la marine canadienne afin que, la prochaine fois que celle-ci fera la une des journaux, le débat soit éclairé et porte sur des questions et des faits pertinents. NOTES 1. 2. 3. 4. 5. 6. 7. 8. 24 Paragraphe liminaire de la lettre du vice-amiral MacLean accompagnant le rapport de la commission d’enquête sur le Chicoutimi adressé au CED. Peu de choses ont été écrites sur ces opérations. L’histoire des sous-marins venus aider le ministère des Pêches et des Océans, dans les Grands Bancs, lors de l’opération Embuscade est racontée par Sean Maloney dans « Canadian Subs Protect Fisheries », Proceedings, vol. 124, no 3, mars 1988, p. 74-76. Par ailleurs, dans « The Case for Buying Four British Subs » (Maclean’s, le 6 octobre 1997), Peter Newman dépeint la participation du NCSM Ojibwa à l’arrestation d’un trafiquant de drogue, en 1993. Les chiffres précis sont contestables, car le décompte s’effectue différemment selon les cas. Mais il est clair que, sans qu’il y ait prolifération, le nombre de sous-marins dans le monde augmente depuis plus de dix ans. Rien n’indique un fléchissement de cette tendance, surtout dans les pays en voie de développement. Voir, par exemple, Daniel J. Revelle et Lora Lumpe, « Third World Submarines », Scientific American, août 1994, p. 16-24. Il semblerait que, pendant l’opération Apollo, un sous-marin non identifié a été détecté non loin du groupe amphibie américain. Il ne représentait aucune menace, mais il a fallu l’escorter jusqu’à ce que ses intentions soient connues. Voir Gary L. Garnett, « Canada Still Needs its Submarines », National Post, le 8 octobre 2004. L’amiral Sandy Woodward, commandant de la force navale britannique, décrit cette situation en détail dans le livre qu’il a écrit avec Patrick Robinson, One Hundred Days, Fontana/Harper Collins, Londres, 1992. Voir aussi l’article du commandant de la marine américaine, Joseph Lodmell, « It Only Takes One », Proceedings, vol. 122, décembre 1996, p. 30-33. Cette organisation fait partie du quartier général du commandement américain des forces de sous-marins de l’Atlantique, basé à Norfolk en Virginie. Un commandant canadien y assume une fonction de liaison. Selon la définition de l’OTAN, la gestion de l’espace maritime est « la répartition des espaces de surface et des espaces sous-marins dans chaque secteur et la mise en œuvre des procédures agréées pour permettre la coordination des effectifs dans le but de prévenir toute interférence mutuelle entre les sous-marins ou entre un sous-marin et d’autres actifs tout en permettant une utilisation optimale de tous les actifs anti-sous-marins en jeu. » Voir Patricia Kime, « Navy Should Bolster Crisis Planning for Theater ASW », Sea Power, septembre 2003. Voir le commandant E. M. J. Young, « Submarines for the Canadian Maritime Forces », Revue canadienne de défense, vol. 16, no 1, été 1986, p. 25-36. L’histoire intégrale du programme de 1987-1989 de sous-marins à propulsion nucléaire est encore 9. 10. 11. 12. 13. 14. inédite. Ce programme a suscité un intense débat portant non seulement sur son bien-fondé stratégique et sur la possibilité de le mettre en œuvre dans les chantiers navals canadiens mais aussi sur ses conséquences en matière de non-prolifération nucléaire et sur le fait qu’il donnait l’impression que le Canada augmentait son arsenal nucléaire, à un moment où le désarmement était généralement une priorité. Voir le vice-amiral S. Mathwin Davis, « It Has All Happened Before: The RCN, Nuclear Propulsion and Submarines – 1958-68 », Revue canadienne de défense, automne 1987, p. 34-40, et son article intitulé « Le Mieux est l’ennemi du Bien: the Nuclear-Powered Submarine Program », Revue canadienne de défense, automne 1988, p. 47-56. Voir Peter T. Haydon, « Canada and the RN Submarine Service: 1915-2000 », dans Martin Edmonds (dir.), 100 Years of the Trade: Royal Navy Submarines, Past, Present and Future, Centre for Defence and International Studies, Lancaster, 2001; et J. David Perkins, The Canadian Submarine Service in Review, Vanwell, Saint Catharines, 2000. Ministère de la Défense nationale, Livre blanc sur la défense de 1994, [en ligne]. [www.forces.gc.ca/ site/Minister/fr/94wpaper/seven_f.html] L’ordre de désarmer les Upholder puis de les vendre a suivi la décision de la Grande-Bretagne de n’employer que des sous-marins à propulsion nucléaire. Il n’y avait plus de place pour les quatre Upholder diesels-électriques dans la marine britannique, mais ils ne pouvaient pas être offerts en vente libre non plus, car ils contenaient une technologie dérivée du programme nucléaire. Le Canada était donc un acheteur idéal. Note documentaire du ministère de la Défense nationale, « Option Upholder », mai 1995 (obtenue par Accès à l’information). [TCO] Grâce à Accès à l’information, les médias se sont procuré quelques documents de correspondance gouvernementale interne sur le programme de sous-marins. Il était clair que l’achat avait fait l’objet d’entretiens avec les États-Unis dans le cadre de la Commission permanente mixte de défense Canada-États-Unis et que le haut-commissaire du Canada à Londres avait aussi joué un rôle important. Voir « Navy Wanted Vessels Big-time, Papers Show », Halifax Herald, le 21 octobre 2004. L’ancien ministre de la Défense, David Collenette, l’a confirmé par la suite; voir Bruce Campion-Smith, « Chrétien Fretted as Subs Rusted », Toronto Star, le 14 décembre 2004. Voir aussi Haydon, op. cit. Communiqué du ministère de la Défense nationale, NR-98.018, le 6 avril 1998. D’après des renseignements fournis par le ministère de la Défense, le prix de la « canadianisation » s’élèvera à environ 75 millions de dollars. Ce montant comprendra l’adaptation du système de lance-torpilles aux Mk 48 de l’arsenal canadien, l’amélioration 15. 16. 17. 18. 19. 20. 21. 22. 23. 24. des systèmes de communications, l’installation de nouveau matériel de guerre électronique, la modernisation du système radar et d’identification ainsi que l’amélioration du matériel de lutte contre les incendies et de l’habitabilité du bâtiment. Voir « Does Canada Even Need Submarines? », The Gazette (Sound Off), le 16 octobre 2004; et Scott Taylor, « Difficult to Get to Bottom of Sub Boondoggle », Halifax Herald, le 13 décembre 2004. « Smart Choices », National Post, le 25 octobre 2004. [TCO] Voir, par exemple, Garnett, op. cit., et Richard Gimblett, « Canada’s Submarines in Context », rapport de situation du RCMI, novembre-décembre 2004, vol. 64, no 2, p. 13-15. David Pugliese, « Subs Five Years from Full Operations », National Post, le 18 octobre 2004. J’ai servi dans la 1ère escadre de sous-marins du Canada en 1966 et 1967, années où les sous-marins de classe Oberon ont remplacé les submersibles de première génération (Seconde Guerre mondiale) de classe A. Voir, par exemple, les lacunes de la recherche de l’émission « CBC News In Depth: Canada’s Submarines », le 13 octobre 2004. Il y avait des erreurs non seulement sur le plan historique mais aussi dans la présentation de l’accident ou, du moins, dans l’interprétation des faits. C’est ce qu’ont démontré d’autres entrevues, surtout celle qu’a publiée The Scotsman, « Canada May Sue Over its Second-Hand Submarines », le 12 octobre 2004. Un des meilleurs articles est celui de Mark Hewish, « Submarines to Cast Off Their Shackles, Take on New Roles », International Defence Review, le 1er mars 2003. En 1991, durant la période d’essai du NCSM Halifax, les médias ont publié plusieurs critiques sévères, condamnant tout le programme, parlant de « bricolage » et de « mauvaise gestion » et contestant la nécessité d’une telle capacité. On m’a demandé de rédiger un article et un éditorial pour donner des précisions sur tout ce qui concerne les contrats relatifs à la construction des vaisseaux, et pour expliquer l’objet des essais du « premier de série ». Une fois que ces précisions ont été fournies, les critiques sont devenues moins confuses et ont cessé peu à peu, ce qui a mis fin au tapage. Voir Peter T. Haydon, « Canada’s New Frigates: Have We Missed Something? », Strategic Datalink, Institut canadien d’études stratégiques, no 29, novembre 1991. David Rudd, « Down to the Sea in Subs », Commentary, Institut canadien d’études stratégiques, octobre 2004. Samuel P. Huntington, « National Policy and the Transoceanic Navy », Proceedings, vol. 80, no 5, mai 1954, p. 484. Revue militaire canadienne ● Automne 2005