Objet d`étude : Le théâtre, texte et représentation. (Les textes sont

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Objet d`étude : Le théâtre, texte et représentation. (Les textes sont
Objet d'étude : Le théâtre, texte et représentation.
(Les textes sont présentés deux par deux, sur deux colonnes et en vis-à-vis).
CORPUS DE TEXTES
Texte A : Molière, Le Tartuffe, ou L'imposteur, Acte I, scène 1 (début) 1658.
Texte B : Mise en scène du Tartuffe par Roger Planchon (1967).
Texte C : Racine, Bérénice, Acte I, scène 1 (entière) 1670.
Texte D : Mise en scène de Bérénice par Jean-Louis Martinelli (2007).
Texte E : Molière, Le misanthrope, Acte I, scène 1 (début) 1666.
Texte F : Anne Ubersfeld, Le Théâtre, « le texte et la scène », 1995.
Texte A
La scène est à Paris
ACTE I, SCENE PREMIERE.
MADAME
PERNELLE,
mère
d’Orgon,
FLIPOTE, sa servante, ELMIRE, femme
d’Orgon, MARIANE, fille d’Orgon, DORINE, sa
suivante, DAMIS, fils d’Orgon, CLEANTE,
beau-frère d’Orgon (1)
MADAME PERNELLE.
Allons, Flipote, allons, que d’eux je me délivre.
ELMIRE.
Vous marchez d’un tel pas qu’on a peine à vous
suivre.
MADAME PERNELLE.
Laissez, ma bru, laissez, ne venez pas plus loin :
Ce sont toutes façons dont je n’ai pas besoin.
ELMIRE.
De ce que l’on vous doit envers vous on s’acquitte.
Mais, ma mère, d’où vient que vous sortez si vite ?
MADAME PERNELLE.
(2) C’est que je ne puis voir tout ce ménage-ci, 1
Et que de me complaire on ne prend nul souci.
Oui, je sors de chez vous fort mal édifiée :
Dans toutes mes leçons j’y suis contrariée,
On n’y respecte rien, chacun y parle haut,
Et c’est tout justement la cour du roi Pétaut.2
DORINE.
Si... (3)
MADAME PERNELLE.
Vous êtes, mamie, une fille suivante
Un peu trop forte en gueule, et fort impertinente :
Vous vous mêlez sur tout de dire votre avis.
1
Texte B
(1) Après une ouverture musicale « à la
française », la lumière montait et découvrait un
très grand tableau fermant complètement la
scène. C’était une descente de croix4, œuvre
d’un maître anonyme du XVIIe siècle. Puis
une petite porte cachée dans le tableau
s’ouvrait et Flipote entrait. Flipote, seule en
scène, dans une sorte de couloir regardait le
tableau et attendait que la discussion se
terminât dans la pièce à côté. Elle, étrangère à
la famille, ne participait pas à cette réunion.
Sur la fin de l’ouverture musicale, le tableau
du Christ montait dans les cintres, découvrant
une antichambre qui brusquement était
envahie par les portes du fond. Grande
agitation. Mme Pernelle se dirigeait vers la
sortie, porte face cour Elmire, souriante et un
peu stupéfaite de la sortie intempestive de
Mme Pernelle.
(2) Volte-face de Mme Pernelle. Nous nous
sommes efforcés de ne pas montrer une Mme
Pernelle uniquement agressive. Ici l’interprète
passait d’un ton agressif à un grand abandon.
On lui demandait une explication raisonnée et
cela créait un grand vide intérieur.
(3) Mme Pernelle menaçante allait à Dorine.
Elle redevenait agressive, mais ce n’était
qu’un mouvement de faiblesse parce qu’elle se
sentait malheureuses et fragile, elle réattaquait.
Elle commençait le procès des autres de peur
Je ne puis supporter la manière dont cette maison est tenue
La cour du roi Pétaut : c’est une cour des miracles. Le roi Pétaud était le chef traditionnel de la corporation des gueux
où régnait l’anarchie.
3
Un homme à la dévotion excessive et suspecte, ayant la manie de tout critiquer.
4
Tableau représentant Jésus-Christ lorsqu’on le descend de la croix.
2
DAMIS.
d’une objection.
Mais...
MADAME PERNELLE.
(4) Vous êtes un sot en trois lettres, mon
fils ;
C’est moi qui vous le dis, qui suis votre
grand’mère ;
Et j’ai prédit cent fois à mon fils, votre père,
Que vous preniez tout l’air d’un méchant
garnement,
Et ne lui donneriez jamais que du tourment.
MARIANE.
(5) Je crois...
MADAME PERNELLE.
Mon Dieu, sa sœur, vous faites la discrette,
Et vous n’y touchez pas, tant vous semblez
doucette ;
Mais il n’est, comme on dit, pire eau que l’eau qui
dort,
Et vous menez sous chape un train que je hais fort.
ELMIRE.
(6) Mais, ma mère,...
MADAME PERNELLE.
Ma bru, qu’il ne vous en déplaise,
Votre conduite en tout est tout à fait mauvaise ;
Vous devriez leur mettre un bon exemple aux
yeux,
Et leur défunte mère en usait beaucoup mieux.
(7) Vous êtes dépensière ; et cet état me blesse,
Que vous alliez vêtue ainsi qu’une princesse.
Quiconque à son mari veut plaire seulement,
Ma bru, n’a pas besoin de tant d’ajustement.
CLEANTE.
(8) Mais, madame, après tout...
MADAME PERNELLE.
Pour vous, monsieur son frère,
Je vous estime fort, vous aime, et vous révère ;
Mais enfin, si j’étais de mon fils, son époux,
Je vous prierais bien fort de n’entrer point chez
nous.
Sans cesse vous prêchez des maximes de vivre
Qui par d’honnêtes gens ne se doivent point suivre.
Je vous parle un peu franc ; mais c’est là mon
humeur,
(9) Et je ne mâche point ce que j’ai sur le cœur.
DAMIS.
(10) Votre monsieur Tartuffe est bien heureux sans
doute...
MADAME PERNELLE.
(11) C’est un homme de bien, qu’il faut que l’on
écoute ;
Et je ne puis souffrir sans me mettre en courroux
(4) Elle allait à Damis et sur le ton des grandes
personnes qui s’adressent aux enfants.
(5) Ici la mise en scène prenait une petite
liberté ; bien que rien ne le précisât dans le
texte, Mariane s’adressait à tous.
(6) Elmire allait à Mme Pernelle dans un
mouvement très généreux, sollicitant une
tendresse. Cet appel d’Elmire raidissait Mme
Pernelle dans son irritation. On la sentait trop
violente pour être sincère.
(7) Regroupement de toute la famille autour
d’Elmire. L’attitude et le ton de Mme Pernelle
prouvaient qu’elle était excessive.
(8) Cléante sur un ton plus sévère.
(9) Mme Pernelle se dirigeait vers la sortie,
suivie de Flipote.
(10) Jusqu’alors le mouvement général de la
famille était de retenir Mme Pernelle et là
Damis ne la regardait même pas.
(11) Mme Pernelle sur le pas de la porte se
retournait violemment vers Damis, et sur un
ton lent, froid et sévère, dénué de passion.
De le voir querellé par un fou comme vous.
DAMIS.
Quoi ? Je souffrirai, moi, qu’un cagot de critique 3
Vienne usurper céans un pouvoir tyrannique,
Et que nous ne puissions à rien nous divertir,
(12) Si ce beau monsieur-là n’y daigne consentir ? (12) Damis s’adressait à l’ensemble de la
DORINE.
famille.
S’il le faut écouter et croire à ses maximes,
On ne peut faire rien qu’on ne fasse des crimes ;
Car il contrôle tout, ce critique zélé.
Molière, Le Tartuffe, ou L'imposteur, Acte I,
scène 1 (début) 1658
Texte C
Mise en scène du Tartuffe par Roger Planchon
(1967)
Texte D
La scène est à Rome, dans un cabinet qui est
entre l’appartement de Titus et celui de Bérénice.
ACTE I, SCENE PREMIERE.
ANTIOCHUS, roi de Comagène, ARSACE,
confident d’Antiochus
ANTIOCHUS.
(1) Arrêtons un moment. La pompe de ces lieux,
je le vois bien, Arsace, est nouvelle à tes yeux.
Souvent ce cabinet superbe et solitaire
des secrets de Titus est le dépositaire.
C’est ici quelquefois qu’il se cache à sa cour,
lorsqu’il vient à la reine expliquer son amour.
De son appartement cette porte est prochaine,
et cette autre conduit dans celui de la reine.
Va chez elle : dis-lui qu’importun à regret
j’ose lui demander un entretien secret.
ARSACE.
Vous, seigneur, importun ? Vous, cet ami fidèle
qu’un soin si généreux intéresse pour elle ?
Vous, cet Antiochus son amant autrefois ?
Vous, que l’Orient compte entre ses plus grands
rois ?
Quoi ? Déjà de Titus épouse en espérance,
ce rang entre elle et vous met-il tant de distance ?
ANTIOCHUS.
Va, dis-je ; et sans vouloir te charger d’autres
soins,
vois si je puis bientôt lui parler sans témoins.
Racine, Bérénice, Acte I, scène 1 (entière)1670
Texte E
La scène est à Paris
(1) Faire démarrer une pièce par le verbe
arrêter est tout simplement magnifique.
Postulat esthétique, le spectateur est avec
Arsace invité à se poser. Antiochus appelle à
la réflexion en même temps qu’il se fixe en ce
lieu. Dès lors, nous sommes prévenus, l’action
ne sera pas le moteur de l’œuvre. La fiction
présentée démarre sur un arrêt sur image. Dès
le générique, nous sommes en mode pause.
Dès son arrivée, Antiochus se retrouve dans
l’entre deux, physiquement. Il s’inscrit en cet
espace, couloir, trait d’union entre Titus et
Bérénice, cabinet, abri de leurs conversations
amoureuses. […]
Gêne, angoisse, Antiochus pourra hésiter à
entrer. Pas plus que Titus ou plutôt tout autant
que lui, il ne peut s’adresser directement à
Bérénice et use du concours d’Arsace comme
entremetteur.
Mise en scène de Bérénice par Jean-Louis
Martinelli (2007)
Texte F
L’une des caractéristiques les plus étonnantes
ACTE I, SCENE PREMIERE
PHILINTE, ami d’Alceste, ALCESTE, amant de
Célimène
PHILINTE.
Qu’est-ce donc ? Qu’avez-vous ?
ALCESTE.
Laissez-moi, je vous prie.
PHILINTE.
Mais encor dites-moi quelle bizarrerie...
ALCESTE.
Laissez-moi là, vous dis-je, et courez vous
cacher.
PHILINTE.
Mais on entend les gens, au moins, sans se
fâcher.
ALCESTE.
Moi, je veux me fâcher, et ne veux point
entendre.
PHILINTE.
Dans vos brusques chagrins je ne puis vous
comprendre,
Et quoique amis enfin, je suis tout des premiers...
ALCESTE.
Moi, votre ami ? Rayez cela de vos papiers.
J’ai fait jusques ici profession de l’être ;
Mais après ce qu’en vous je viens de voir
paraître,
Je vous déclare net que je ne le suis plus,
Et ne veux nulle place en des cœurs corrompus.
Molière, Le misanthrope, Acte I, scène 1 (début)
1666
du texte théâtral, la moins visible mais peutêtre la plus importante, c’est son caractère
incomplet […]
Un exemple frappant, le début du
Misanthrope, qui ne souffle mot des rapports
entre les personnages et les lieux. Comment
ces personnages arrivent-ils ? En courant, ou
pas ? Lequel va devant. Ou sont-ils déjà là,
debout, assis ? Le texte n’en dit rien. Rien non
plus sur l’âge des personnages. Est-ce le
même ? Y en a-t-il un qui paraisse l’aîné ?
Lequel ? Autant d’éléments sur lesquels le
texte reste résolument muet. Ce sera le travail
du metteur en scène de donner des réponses.
Réponses absolument nécessaires : il faut bien
que les personnages se présentent de telle ou
telle façon. En outre, ni l’aspect ni la
présentation ne sont neutres : le rapport
Alceste-Philinte et, par là, le sens même du
personnage d’Alceste et de toute la pièce
seront fixés dans le premier instant. Quelles
que soient les modifications ultérieures
apportées à ces premières images, elles
devront s’inscrire en différence par rapport à
elle. Ainsi dans la mise en scène de JeanPierre Vincent (Théâtre National de
Strasbourg, 1977), Alceste est assis dans une
sorte de certitude boudeuse, côté cour, et
Philinte, debout près de lui, a l’air de s’excuser
comme un jeune garçon pris en faute. Tout le
développement ultérieur est déterminé par ce
départ ; or il est une pure création du metteur
en scène : l’incomplétude du texte oblige le
metteur en scène à prendre un parti.
Anne Ubersfeld, Le Théâtre, « le texte et la
scène », 1995
Question sur le corpus (4 points).
Dans son étude Le Théâtre, Anne Ubersfeld emploie l’expression d’« incomplétude du texte »
théâtral. A la lumière des textes du corpus, vous montrerez, dans une réponse organisée, pourquoi
les extraits de Molière et de Racine sont des textes incomplets.
Écriture : vous traiterez ensuite un seul des trois sujets suivants (16 points).
Commentaire : Vous commenterez l’extrait de l’Acte I, scène 1 de Tartuffe de Molière, du vers 1 à
32, jusqu’à :
« … Ma bru, n’a pas besoin de tant d’ajustement. ».
Dissertation : Anne Ubersfeld écrit : « La part de création et de recréation du metteur en scène est
très considérable. Il est lui-même producteur d’un nouveau texte didascalique, complément et
précision, voire contradiction du texte littéraire. »
En vous appuyant sur le présent corpus et sur vos lectures de l’année, vous direz pourquoi l’on peut
parler de « recréation » ou de « contradiction » du texte de théâtre par le metteur en scène.
Écriture d’invention : Vous êtes metteur en scène : rédigez un texte de présentation de votre mise
en scène de la scène 1, de l’Acte I de Bérénice (texte C), qui justifiera votre parti pris
scénographique : décor, éclairage, costume et jeu des acteurs.