La mort et l`au-dela

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La mort et l`au-dela
Réponses brèves à quelques grandes questions sur
la mort et l’au-delà…
La réincarnation, comment expliquer sa diffusion actuelle en Occident ?
Cette croyance répond à plusieurs besoins. D’abord, le besoin d’être rassuré face à la mort, l’épreuve
majeure de tout homme qui apparaît aujourd’hui pour beaucoup comme un cul-de-sac brutal dans lequel
s’écrase la vie. Deuxièmement, le besoin d’une justice face aux inégalités de la vie. Troisième besoin,
dans une société hyper efficace et stressée : celui de dédramatiser l’existence, d’être “zen”. Après tout, si
cette vie n’est qu’une vie parmi des milliers d’autres, soyons “cool” ! Quatrième besoin, très en vogue :
celui de se réaliser pleinement soi-même par soi-même. Cinquième besoin : celui de situer son existence
dans une vision globale, comme un maillon dans la chaîne de la vie.
Cette croyance répond également à des peurs ?
La réincarnation est une croyance de temps de crise : elle se présente quand on ne sait plus que croire ni
vers quoi on va. Au tournant d’un nouveau millénaire, constatant la précarité ambiante, le durcissement
des cohabitations (fanatismes ethniques, religieux, etc.), la disparition des valeurs traditionnelles (famille,
travail, religion, société, etc.), l’homme d’aujourd’hui cherche à se rassurer, à trouver un sens à la vie.
Ensuite, certains discours « à l’emporte-pièce » ou de type fondamentaliste sur la fin du monde, l’Enfer, le
jugement, ont communiqué à beaucoup des sentiment d’insécurité, de vulnérabilité, d’inquiétude et de
peur, qui ont conduit à se tourner vers d’autres perspectives ou systèmes de croyance. Tout cela renforcé,
encore, par le vécu dramatique d’épisodes calamiteux, catastrophiques et imprévisibles, hyper médiatisés,
tels l’attentat terroriste du 11 septembre 2001 ou le tsunami asiatique du 26 décembre 2004 (plus de 200
mille victimes). Comment expliquer l’inexplicable, comment accepter l’inacceptable ?
Un autre facteur joue également : la déception du collectif et du politique. On préfère rechercher son salut
dans une harmonie individuelle avec ce qui nous entoure plutôt que de “marcher vers une libération ou
vers le progrès social” auxquels plus grand monde ne croit. L’idée de temps cyclique remplace peu à peu
celle d’une histoire en marche vers un terme.
C’est ce qu’on appelle le temps linéaire ?
Oui et que l’on doit aux textes judéo-chrétiens et musulmans de la Bible et du Coran. Ceux-ci affirment
qu’il y a un sens à l’Histoire qui n’est donc pas un éternel retour, mais qui a une origine et un terme.
Comme pour nous dire qu’à toute personne humaine est donnée un temps unique. Ce qui confère tout son
sens à ce temps biblique, par exemple dans une perspective chrétienne, c’est que nous sommes un peuple
en marche vers un accomplissement de l’Histoire en Dieu. L’Histoire des Hommes en Dieu, c’est une
Histoire « sainte ». Non parce que les hommes seraient saints, loin de là, mais parce que Dieu Lui-même
habite cette Histoire.
N’y a-t-il pas dans l’Evangile des allusions à la réincarnation ?
La Bible n’est pas contre la réincarnation… : elle ne la connaît même pas ! Relisons le passage sur le
Jugement en Mathieu 25 : il est prononcé à partir de ce que les hommes ont fait ou n’ont pas fait dans
l’ordre de l’amour, durant cette vie-ci. Il ne leur dit pas : « J’avais soif, et vous ne m’avez pas donné à
boire, pécheurs que vous êtes ! Allez, pour expier et pour vous purifier, retournez sur terre ». Non, la Bible
spécifie que « les hommes ne meurent qu’une fois » (He 9, 27-28) !
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Gymnase de Morges – Daniel Gloor – 2005 -
Entre résurrection et réincarnation, il faut donc choisir ?
Oui. La foi en la résurrection, pour les chrétiens, c’est la conviction que la personne humaine est tellement
unique et tellement aimée qu’il est hors de question qu’elle se dissolve dans le «Grand Tout». Pour eux
l’essentiel s’est exprimé au travers de Jésus-Christ qui a dit : « Je suis la résurrection…». Si les yogis
s’entraînent à quitter le cycle des réincarnations, les chrétiens entendent bien s’entraîner dès aujourd’hui à
vivre comme des ressuscités, à vivre de la Vie éternelle ! Si après la mort, c’est une telle expérience de
divinisation qui les attend, quel sens cela aurait-il de se réincarner ?
Résurrection ou réincarnation ?
Les deux doctrines sont contradictoires sur au moins trois points essentiels :
• La réincarnation qui nous affranchirait progressivement de l’enchaînement des cycles du monde
sensible est imaginée comme le résultat des forces de la nature, d’une part, et de l’effort humain d’autre
part. Alors que la résurrection est un acte de puissance et d’amour de Dieu qui sauve de la mort.
• Les réincarnations successives font de chaque “vie” un scénario provisoire, aléatoire. Naissance et mort
ne sont que des étapes dans une “histoire” qui déborde le sujet personnel en amont et en aval : je suis
“vécu” plus que je ne vis. Or la résurrection du Christ exprime avec force ce que la Bible affirme : notre
destinée en ce monde se déroule une fois pour toutes entre notre conception et notre mort. Et cette vie
personnelle et unique, débouche non pas sur une nouvelle aventure temporelle mais sur une destinée
éternelle.
• Le but final des réincarnations est une désincarnation, une abolition du corps et du monde sensible,
perçus comme domaine de l’illusion et de la souffrance. Alors que dans la vision chrétienne, nous sommes
promis à la résurrection de la chair, dans un statut qui ne sera plus celui de ce monde où règne le mal et la
mort, mais dans une plénitude de notre humanité transfigurée, corps et âme.
Pourquoi la mort nous fait-elle si peur ?
La plupart des gens ont surtout peur, à juste titre, des souffrances qui précèdent la mort, celles qui sont le
plus souvent impliquées dans la maladie ou dans l’accident. Cette angoisse est liée, au niveau de notre
«animalité», à l’instinct de conservation. Mais il y a une peur plus profondément humaine de la mort
comme telle. La considération de la mort suscite en notre esprit une sorte de vertige, car celle-ci échappe
et à notre connaissance expérimentale et à notre emprise sur les évènements. Elle fait partie de la vie
comme un terme inexorable et en même temps nous ne pouvons absolument pas nous la représenter et
encore moins projeter ce que nous ferons d’elle le moment venu. Elle nous impose une pauvreté totale, qui
nous dépossède de tout ce que nous avons, y compris de notre propre corps.
La mort est-elle redoutable ?
Non. Mais elle est toujours une violence faite à notre nature parce qu’elle sépare l’âme du corps ; elle nous
sépare également des personnes aimées qui restent ici-bas. Elle est parfois aussi un combat : «agonie»
vient du mot grec «agôn», qui signifie combat. Celui du détachement d’abord.
Le mourant peut-il être déjà en contact avec l’autre monde ?
Certains affirment qu’il y a peut-être, à la fin d’une vie, une espèce de « porosité » de la frontière entre
l’ici-bas et l’au-delà... D’ailleurs ceux qui accompagnent des mourants, le constatent souvent après le
temps du combat : d’une certaine façon, ils sont déjà passés de « l’autre côté ». La Vie (pour le croyant)
les happe, les aspire ! Dans le domaine spirituel, il se passe assurément beaucoup de choses qui nous
échappent…
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Faut-il croire au jugement de Dieu après la mort ?
Les chrétiens lisent dans le Livre de l’Apocalypse que les œuvres des hommes les accompagnent. Cela
veut dire qu’on passe dans l’au-delà avec tout ce qu’on est. On a du mal à imaginer que le Nazi Eichmann
qui se félicitait jusqu’au moment de son exécution de tous ses crimes aura le même traitement qu’un
homme qui aura essayé de faire le bien toute sa vie. Eichmann va être affronté, comme chacun de nous, au
Jugement de Dieu. Les textes bibliques parlent aussi, et prioritairement, du pardon de Dieu qui cherche à
rendre juste celui qui a perdu sa justice.
Le New Age soutient qu’il y a «une vie après la mort». Quelle différence avec le christianisme ?
Il y a une différence profonde entre un certain discours spiritualiste actuel sur la mort et le point de vue
chrétien : c’est la personnalisation. Pour le chrétien, «ce n’est pas la mort qui vient nous chercher », c’est
auprès de Dieu qu’il s’en va. En théologie chrétienne, la mort de tout homme ouvre sur rencontre de Celui
qui est à l’origine de nos vies et qui aura le dernier mot sur toutes choses. La mort est « l’heure de vérité »,
l’ultime acte de liberté : le face à face d’un homme, débarrassé de tous ses conditionnements, devant Dieu
tel qu’Il est en Lui-même. Le face à face d’un fils devant son Père. Et puis, rappelle le message chrétien,
aucun homme, depuis la mort du Christ, ne meurt seul – même le SDF, sous son carton, dans la nuit
glacée. Comme le dit un croyant : « le Christ, en quelque sorte, se jette à sa rencontre et prend sur Lui sa
mort pour l’emmener avec Lui dans la Résurrection ».
Que penser des «expériences après la mort» ? Les NDE, abréviation de "Near Death Expériences", ne
sont pas des expériences après la mort, ni un «voyage dans l’au-delà». Car la mort est un passage dont on
ne revient pas. Mais elles sont des expériences éminemment subjectives au seuil de la mort. Ces
témoignages proviennent de personnes dont l’état de mort clinique a été constaté mais qui ont pu être
réanimées. Dans leur description, on retrouve un certain nombre de point commun : elles sortent de leur
corps, elle voient la scène de leur «mort», elles se sentent aspirées dans un tunnel sombre qui débouche
dans un espace lumineux où elles rencontrent parfois des défunts de leur famille ; elles sont renvoyées sur
terre car leur heure n’est pas encore venue… Il n’y a bien entendu aucun moyen de vérifier ou d’accréditer
le contenu de ces témoignages. Les personnes qui ont vécu ces NDE restent profondément marquées par
cette expérience et en tirent des leçons de vie très positives. La plupart vivent même une certaine
« conversion » morale ou spirituelle et disent ne plus craindre la mort.
Il faut insister : ces NDE ne sont pas des preuves scientifiques d’un au-delà de la vie, mais des
témoignages personnels qui rendent compte d’une aventure très intime, à la frontière d’avec la mort dont
on ne revient pas. Aussi réconfortantes qu’elles soient, ces NDE ne sont pas du même ordre que la
démarche personnelle de la foi qui est confiance en Jésus-Christ et en sa promesse d’un amour et d’une
vie plus forts que le mal et la mort.
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Entretien : la confiance doit être plus forte que la peur !
Avec « Oscar et la dame rose » (éditions Albin Michel), l’écrivain Eric-Emmanuel Schmitt a
bouleversé des millions de lecteurs. Il témoigne de sa foi devant le « mystère de la mort ».
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Pourquoi avez-vous choisi d’aborder le thème de la mort à travers le regard d’un enfant ?
Les enfants à la différence des adultes, ont la capacité de s’étonner et de réfléchir avec une grande pureté.
Ils sont spontanément philosophes. J’ai souvent été frappé par leur lucidité lorsque, à l’âge de dix ans,
j’accompagnais mon père qui soignait des enfants à l’hôpital. Au début, j’étais effrayé par leur maladie,
mais les gamins la vivaient avec un tel naturel que j’ai très vite fini par en rire avec eux. Cet humour, s’il
choque les adultes, est salvateur pour les enfants confrontés à la maladie, et à plus forte raison à la mort.
Pourquoi les adultes ont-ils tant de mal à parler de la mort ?
On peut aisément comprendre la souffrance de parents qui ont un enfant malade : ils sont tellement
choqués, bouleversés, impuissants qu’ils ne trouvent même plus les mots pour communiquer avec leur
enfant. Mais, au-delà, il s’agit d’un problème de société aujourd’hui : la mort est devenue un sujet tabou
que nos contemporains préfèrent ignorer, éluder en se réfugiant dans un optimisme de façade. C’est le
fameux «ça va aller mieux» que l’on administre au malade qui souhaiterait dire sa souffrance et échanger
sur la condition humaine. Nous sommes tous lâches en face des sujets graves. Résultat ? Le malade est
toujours malade, toujours mourant, mais en plus seul et isolé.
Alors que le sujet de votre livre est tragique, vous le traitez avec humour. Pourquoi ?
L’humour m’aide non seulement à dédramatiser la mort, mais – et c’est là l’objet du livre – à la faire
accepter. Il n’y a pas de sagesse sans cela. «Etre vivant» c’est «être mortel». Comme disait Spinoza, non
seulement on doit accepter la nécessité, mais on doit aimer la nécessité. Si l’on sait que la vie est courte et
fragile, on éprouve l’urgence d’aimer.
Pourtant, quoi de plus scandaleux que la mort d’un enfant ?
Quand bien même l’ordre naturel est de mourir vieux, que l’on meurt à 10, 20, 40 ou 80 ans, c’est toujours
la même vie qu’on perd. C’est la même vie qu’on quitte. Nous sommes tous appelés à mourir,
Contrairement à Dostoïevski, qui se demande comment l’on peut croire en Dieu quand on voit des enfants
mourir, pour moi la mort n’est pas un argument contre Dieu. C’est un mystère qui échappe à mon esprit, je
dois m’y soumettre, même si dans mon cœur j’y vois plutôt un scandale. C’est là que le christianisme nous
aide à vivre et à penser en nous offrant ce qu’il y a de plus beau, la figure de Jésus souffrant. Sur la Croix,
le Christ réintègre la souffrance dans la vie et nous affirme que la confiance et l’amour doivent être plus
forts que la peur de la mort.
Est-ce la foi qui vous aide à accepter la mort ?
La philosophie a d’abord changé ma vision de la mort, me la faisant accepter d’une façon stoïcienne.
Ensuite ma foi a ajouté à cette sérénité la dimension de l’Espérance. Désormais, pour moi, la mort n’est
plus seulement un fait mais elle est devenue un mystère. J’éprouverai éventuellement une bonne
surprise… Ce qui me paraît obscur n’est pas forcément sans lumière.
Lecture suggérées :
Hans Küng : Le christianisme et les religions du monde, Seuil, 1986, pp.313-334
Daniel Marguerat et Denis Müller éd. : Mourir… et après ? Labor et Fides, 2004, 94 p.
Denis Müller : Réincarnation et foi chrétienne, Labor et Fides, 1986, 153 p.
Joseph Thomas : Résurrection ou réincarnation dans Etudes de février 1991, pp. 235-243
Pascal Thomas : La réincarnation, oui ou non ? Le Centurion, 1987, 151 p.
Jean Vernette : La réincarnation, PUF (Que sais-je ?), 1995, 128 pages
Jean Vernette : L’au-delà, PUF (Que sais-je ?), 1998, 128 pages
www.questiondieu.com
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