Mon engagement pour les droits humains est ma raison de vivre

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Mon engagement pour les droits humains est ma raison de vivre
40 ans au service de la dignité humaine
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Révoltée par les crimes commis pendant la guerre d’Algérie, Danielle Mérian a
commencé à militer à l’ACAT en 1975. Cette avocate passionnée par le combat
pour les droits de l’homme lutte sur tous les fronts : disparus d’Argentine,
abolition de la peine de mort, condition des prisonniers en France…
Souvenirs d’une éternelle « Acatienne ».
Des disparus d’Argentine aux prisons
françaises : une lutte sur tous les fronts
Apprendre à déplacer les montagnes
Danielle
Mérian
© DR
Mon mari et moi sommes devenus membres de l’ACAT
en 1975. Hélène Engel, dans sa tournée systématique
des curés et pasteurs, s’était entendu répondre par notre
curé à Boulogne-Billancourt : « C’est de la politique,
voyez les Mérian ». Hélène est immédiatement devenue
une amie intime. Elle m’a appris qu’on pouvait déplacer les montagnes… à plusieurs. De son vivant, nous
avons atteint 16 000 membres. Il était vital, pour nous,
d’entrer dans une association chrétienne œcuménique :
nous combattions la torture depuis la guerre d’Algérie
qui a clôturé notre enfance, et si des chrétiens ont été
admirables pendant cette interminable guerre, d’autres
ont été la honte de la République. Le combat pour les
droits humains a animé toute ma vie : je suis née en 1938
sous le statut d’esclavage de l’incapacité juridique de la
femme mariée, j’ai connu l’occupation allemande et j’ai
fait mes études de droit pendant que mon fiancé faisait
la guerre en Algérie. Quand nous avons donc découvert que des protestantes avaient lancé une association
œcuménique pour l’abolition de la torture, nous, catholiques, avons adhéré avec enthousiasme à l’unité des
chrétiens pour combattre ce crime.
Dans les débuts de l’ACAT, nous organisions des weekends de jeûne et de prière dans les églises pour nous
mettre un peu dans les conditions d’inconfort de froid
et de faim des prisonniers politiques que nous défendions à distance. Je me souviendrai toujours du curé de
Saint-Roch pleurant devant l’importance de la quête le
dimanche où nous étions intervenus à la messe.
Pendant des années, nous manifestions le jeudi devant
l’ambassade d’Argentine pour soutenir les « folles » de
la place de Mai, les Grands-mères à Buenos Aires qui
tournaient inlassablement pour demander où étaient
leurs enfants assassinés et leurs petits-enfants volés
par les militaires. Par les examens ADN, Jeanne Dupouy
a pu les aider à retrouver plus de cent adoptés.
Je me suis par ailleurs attelée, avec Jean Kammerer et Pierre
Toulat, à étendre notre objet aux exécutions capitales.
Nous avons travaillé trois longues années à convaincre
les adhérents d’ajouter ce combat à notre lutte. Mon meilleur souvenir : une petite religieuse âgée qui a entrepris
une correspondance avec un jeune homme de 17 ans qui
avait assassiné une vieille dame pour lui voler quelques
sous, et qui est devenue son amie […] J’ai ensuite animé de
longues années le groupe de réflexion sur les exécutions
capitales et ai participé au groupe de réflexion d’Amnesty
International avec qui l’ACAT a beaucoup travaillé dans
nos débuts. Mon regret : que l’ACAT ait voté seulement
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40 ans au service de la dignité humaine
« Mon engagement
pour les droits
humains est ma raison
de vivre »
en 1982 l’extension des statuts, soit après l’abolition par
la France de la peine de mort en 1981. J’avais espéré que
nous serions prophétiques. J’ai également œuvré à une
nouvelle modification des statuts : la reconnaissance
d’association reconnue d’utilité publique. Quand on a
découpé Paris et l’Île-de-France en quatre régions, je me
suis retrouvée responsable de l’équipe d’animation régionale 28 sans l’avoir demandé : un jour que je suis arrivée
en retard à la réunion, mes camarades en avaient profité
pour m’élire ! Nous allions nous ressourcer, une fois l’an,
à l’abbaye du Bec Hellouin chez les « dames » qui nous
accueillaient à bras ouverts et demandaient toujours au
pasteur Boniol de prononcer l’homélie à leur messe.
Je me souviens avoir plaidé pour l’ACAT comme partie
civile devant la Cour de Versailles pour un prévenu dont
les policiers avaient cassé un bras en garde à vue. Les
magistrats avaient le nez sur leurs papiers et ne m’ont
jamais regardée. J’ai représenté l’ACAT dans différents
collectifs : le collectif « Octobre 2001 » crée pour le 20e
anniversaire de l’abolition de la peine de mort, et qui
est à l’initiative de 23 propositions en matière pénale et
pénitentiaire dont certaines sont toujours d’actualité ;
le collectif « Trop, c’est trop » ayant pour but d’obtenir
le numerus clausus en prison : dans une seule place,
ne mettre qu’un seul homme réforme à ce jour encore
retardée. Nous avons organisé de nombreuses manifestations avec des artistes sur les places publiques. Pendant un mois sur la place de l’Hôtel de Ville à Paris, nous
avons monté une cellule de neuf mètres carrés à la craie
sur le sol dans laquelle nous avons installé trois lits de
la pénitentiaire, un lavabo et un WC. Nous expliquions
aux passants qu’en France, on entassait quatre hommes
dans neuf mètres carrés et vendions notre ouvrage
9 m². J’ai fait un nombre considérable de conférences
dans toute la France sur l’état de nos prisons, l’entassement comme du bétail des prisonniers, dans l’insalubrité pour les vieilles prisons et l’isolement pour les
modernes. Aujourd’hui, je fais partie de la commission
Vigilance sur les lieux d’enfermement. Elle alerte les
parlementaires et la société civile que nous nous efforçons de faire bouger.
Des défis renouvelés pour l’ACAT
J’aimerais voir l’ACAT s’engager dans deux voies qui
sont des causes qui m’animent aujourd’hui : je souhaiterais qu’elle travaille sur une nouvelle forme massive
de torture comme arme de guerre, le viol ; j’aimerais
également la voir s’intéresser à une forme de torture
massive : l’excision, qui est d’ordre privé mais qui intéresse les gouvernements, nombreux à violer leur propre
constitution qui interdit l’excision en pratiquant la politique de l’impunité totale, ce qui les rend complices
institutionnels de ce crime. Mon engagement pour les
droits humains est ma raison de vivre et je le poursuivrai jusqu’au bout de mes forces.
Chrétiens, nous croyons en l’amour
de Dieu qui donne à l’homme sa dignité.
Chaque geste d’amour construit un monde plus
humain. Dieu est présent auprès des oubliés,
nous avons l’audace de croire que nos actions
et nos prières témoignent de cette présence.
Nous affirmons que l’abolition de la torture
est possible : Jésus-Christ n’a-t-il pas vaincu la mort !
La force de l’Esprit de Dieu peut vaincre les faiblesses.
Il peut changer le cœur de ceux qui oppriment.
Nous affirmons que vivre selon l’Évangile est
incompatible avec l’acceptation de la torture.
Nous ne pouvons pas laisser faire.
Nous nous joignons à tous ceux qui n’acceptent
pas que l’Homme soit défiguré.
C’est pourquoi nous appelons tous les hommes
et toutes les femmes à être solidaires pour bâtir
un monde sans torture.
Lettre des chrétiens proclamée au Bourget le 11 décembre 1988
à l’occasion du 10e anniversaire de la Déclaration universelle
des droits de l’homme

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