DOSSIER BIS
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DOSSIER BIS
BAROmaître n° 11 - SEPTEMBRE 2010 Le dossier de la rédaction La réforme de la procédure pénale Interviews croisées Maître Henri Leclerc M. le Vice Bâtonnier Jean-Yves Le Borgne La campagne du Bâtonnat Les Secrétaires de la Conférence Avocat et politique 1 EDITORIAL SOMMAIRE P our ce second numéro, le « Baromaître » a été confronté, à deux reprises, aux problèmes posés par la neutralité du journaliste-avocat et le respect du pluralisme. Le dossier de la rédaction est consacré à un sujet d’actualité, bien qu’il s’agisse d’un véritable «serpent de mer» : la réforme de la procédure pénale qui a fait l’objet de très nombreux articles, souvent polémiques. Si un certain consensus semble se faire dans la profession sur la nécessité de la présence de l’avocat dès la première heure de garde à vue, I. LE dossier de la rédaction : La réforme de la procédure pénale . Interviews croisées de Maître Henri Leclerc et de M. le Vice Bâtonnier Jean-Yves Le Borgne . Focus sur des éléments de la réforme Comité de relecture Comité de rédaction d’autres projets, comme l’instauration d’un juge de l’enquête et des libertés en contrepartie de la suppression du juge d’instruction ou le statu quo concernant le statut du parquet sont loin de faire l’unanimité. La rédaction a reçu plusieurs projets d’articles sur tous ces sujets : elle a constamment respecté la même procédure d’examen et de sélection des textes. Mais elle a été ici confrontée à un dilemme. La nouvelle section syndicale du SAF lui a soumis un article en exigeant de le signer de son nom et en ne tolérant aucune modification (y compris la consigne du nombre de signes). Prétendant représenter l’ensemble des élèves avocats, quelles que soient leurs orientations, le journal a pris la décision de ne pas publier cet article faute d’une section syndicale représentant « l’opposition », au sein de l’EFB. Le journal est cependant conscient des limites de la fiction «apolitique» et il ne renonce pas à faire part des débats qui agitent la profession. La rédaction a donc décidé de donner la parole à deux «ténors» du barreau qui ont des conceptions souvent différentes de la réforme de la procédure pénale. Dans ce numéro, la rédaction a du veiller également à respecter une stricte neutralité en décidant de consacrer plusieurs pages aux futures élections au Bâtonnat. En invitant les trois candidats à présenter les grandes lignes de leur campagne et à réagir aux différents dossiers de la rédaction, nous avons veillé à une stricte égalité des « temps de parole » (en l’occurrence du nombre de signes) de chacun des candidats. Nous espérons n’avoir lésé personne et avoir respecté le contradictoire et une stricte égalité des armes entre les différents intervenants. Sarah Mauger 2 II. la vie du barreau . Avocat et politique . La campagne du Bâtonnat Illustration de couverture : Leopold Lemiale, retouche Marion Grateau Comité de rédaction : Grégoire Kopp (Rubrique « La vie du Barreau ») Emmanuel Froge et Léopold Lemiale (Rubrique « Dossier bis ») Sophie Joly (Rubrique « Hors des côtes ») Michael Fraysse (Rubrique « Le passé au présent ») Hadrien Pellet (Rubrique « L’agenda de l’EFB ») Fanny Léger (Rubrique « Evasions culturelles ») Mathilde Saltiel (Rubrique « Les bonnes toques ») Comité de relecture : Marion Grateau Fanny Léger Sarah Mauger Hadrien Pellet Mathilde Saltiel réformes . Inconstitutionnalité de la garde à vue de droit commun : une victoire des libertés individuelles . Le Bicentenaire du Barreau de Paris . Les élèves-avocats aux vingt ans de la Juriscup VII. évasions culturelles Directrice de la rédaction et de la publication : Sarah Mauger Directrice artistique : Marion Grateau Photographes : Marion Grateau, Leopold Lemiale . Cour d’assises : le chantier des VI. l’agenda de l’EFB . Le numerus clausus pour les avocats : corporatisme ou œuvre de raison ? III. DOSSIER BIS : Les Secrétaires de la Conférence . La Conférence . Paroles d’anciens . « Ma Berryer »: récit d’un . Portraits des douze Secrétaires de la Conférence . Interview Berryer . Richard Malka : la robe et la plume . Pierre Olivier Sur : Dans les yeux du bourreau . Christiane Feral – Schuhl : Cyberdroit, le droit à l’épreuve de l’internet VIII. les bonnes toques . Manger bio : la panacée de l’homme moderne ? . Les bistrots parisiens . Les recettes du baromaître : les tartines candidat IV. hors des côtes . Comment effectuer un stage dans les institutions européennes . Le LLM : Intérêts & Perspectives V. le passé au présent . L’affaire du sang contaminé devant la Cour de justice de la République . Cour d’appel de Metz : Des messins sans frontières ERRATUM Parmi quelques coquilles, deux grossières erreurs et un oubli se sont glissés dans le premier numéro du « Baromaître », le Comité de rédaction vous prie de bien vouloir l’excuser et sera plus vigilant à l’avenir : • Le texte de l’interview de M. Bernard Stirn publié n’était pas la version finale qu’il avait pris la peine de corriger. Nous lui présentons toutes nos excuses et signalons à nos lecteurs que M. Bernard Stirn n’a pas appartenu au cabinet du ministre de l’Education nationale. Il était le Directeur de cabinet du secrétaire d’Etat à l’Education nationale. Ses propos ont été recueillis par Martin Guérin et Lucie Pernet. • L’article intitulé « la QPC à l’aune du contrôle de conventionalité » était l’œuvre de Anne-Sophie Pallacin et non Anne-Sophie Piquei 3 DOSSIER DE LA REDACTION : « La réforme de la procédure pénale » Interviews croisées de Maître Leclerc et de Maître Le Borgne DOSSIER DE LA REDACTION Interviews croisées de Maître Leclerc et de Maître Le Borgne Les projets de réforme de la justice pénale sont de véritables « serpents de mer » : certains sont abandonnés, d’autres retardés, d’autres encore à l’étude... Nous voulions recueillir vos points de vue sur ces projets. qui se déroule au procès, en ces temps d’exhalation des droits des victimes, rencontrerait des oppositions qu’il faudrait savoir contourner. CONCERNANT LE ROLE ET LE STATUT DU PROCUREUR Procureur et Juge d’instruction : Considérez-vous que l’instauration d’un juge de l’enquête et des libertés (JEL) soit une contrepartie suffisante à la suppression du juge d’instruction ? Maitre Leclerc : L’existence d’un juge de l’enquête et des libertés indépendant n’ayant pas de pouvoir d’investigation propre mais ayant un fort pouvoir de contrôle et le monopole des décisions judiciaires pendant l’enquête préalable est une évolution nécessaire et souhaitable. C’est une garantie des libertés et du bon fonctionnement de la justice. Mais, plusieurs précautions sont, bien sûr, nécessaires. « A chaque fois que la liberté individuelle avance, il se trouve de bons esprits pour préférer le bon vieux temps » J.Y. Leborgne Maître Le Borgne : L’essentiel de l’intérêt de cette innovation réside dans le fait que ce juge de l’enquête et des libertés devra être déconnecté de toute tâche d’enquête : sa seule mission consistera à apprécier les actes attentatoires aux libertés. Il aura ainsi un point de vue distancié et objectif ; c’est ce qui le différencie fondamentalement du juge d’instruction qui est intéressé à la manifestation de la vérité. Le juge de l’enquête et des libertés doit être un « juge à statut » c’està-dire qu’il ne doit pas pouvoir être affecté à un autre poste du jour au lendemain comme c’est le cas pour l’actuel juge des libertés et de la détention. Il devra être tenu informé des enquêtes en cours afin de pouvoir s’assurer de leur bon déroulement et il devra pouvoir ordonner le passage d’une enquête du stade secret et unilatéral au stade contradictoire ; en ce 4 Jean Yves Le Borgne Henri Leclerc sens le juge de l’enquête et des libertés me paraît être un progrès pour notre procédure pénale. A terme, le juge du siège devra avoir, face à lui, un représentant du Parquet et un représentant de la défense à égalité. Le parquet reste encore bien trop aujourd’hui une sorte d’alter ego du juge, ne serait-ce que par la qualité de magistrat qu’ils partagent : cela heurte le principe de l’équilibre des armes. L’indépendance du Parquet ferait de ce dernier une partie privilégiée au procès dont le caractère équitable serait ainsi vicié. Est-il selon vous nécessaire de réformer le statut du Parquet ? Maître Leclerc : J’ai quitté le groupe de travail mis en place par la Chancellerie sur la réforme pénale où je représentais la profession d’avocat lorsque la Ministre de la Justice a annoncé que la question du statut du Parquet serait exclue de la concertation postérieure à la publication de la première partie de l’avant-projet de réforme. À mon sens le Parquet doit être beaucoup plus indépendant qu’il ne l’est actuellement. S’il peut rester hiérarchisé, il ne doit pas recevoir d’ordres du pouvoir politique concernant tel ou tel dossier particulier. Je ne suis pas contre les instructions générales qui permettent de définir une politique pénale. La nomination et l’avancement des magistrats du Parquet devraient être conformes aux décisions du CSM. Maître Le Borgne : Je ne pense pas que l’on doive opportunément envisager l’indépendance du Parquet. Et cela pour au moins trois raisons. D’abord parce qu’il est normal qu’il soit hiérarchisé : cela permet, en effet, d’appliquer sur l’ensemble du territoire français une politique pénale unique et identique. Ensuite, parce qu’il n’y a pas, pour le magistrat du parquet, comme pour le juge du siège, cette même nécessité d’indépendance absolue. Enfin, cette indépendance ne semble utile que pour empêcher les ordres de l’exécutif « de ne pas faire », je veux dire de ne pas poursuivre. Il faut ici rappeler que seule l’instruction de poursuivre est légale par la voie d’instructions écrites. Pourquoi ne pas envisager de faire de l’instruction de ne pas poursuivre un délit ? Procureur et « plaider coupable » : Que pensez vous du projet d’appliquer à tous les délits la procédure de « plaider coupable », faisant entrer dans son champ des infractions comme la corruption et le trafic d’influence. N’est-ce pas une façon d’accroître encore le pouvoir des procureurs qui pourront négocier les peines dans le secret d’un cabinet ? Maître Leclerc : Nous n’avons pas en France une justice pénale contractuelle : l’introduction de la procédure de « plaider coupable » est à ce titre une révolution. Il faut reconnaître qu’en France, dans l’hypothèse où les faits sont reconnus, nous avons un système un peu absurde : la personne est entendue par la police, lors de multiples interrogatoires, puis par le juge d’instruction dans le cadre de l’interrogatoire de première comparution, puis au cours de l’information enfin par la juridiction qui le juge pour rejouer la scène des aveux. Sans déposséder le juge de ses prérogatives, comme c’est le cas aux États-Unis, nous pourrions réfléchir à mettre au point une procédure spécifique, plus rapide mais qui respecterait toutes les garanties d’une bonne justice. En revanche il faut bien voir que, surtout en matière criminelle (puisqu’on en parle aussi), l’aspect de scène théâtrale avec une sorte de reconstitution verbale publique du crime Maître Le Borgne : Je ne considère pas que la comparution sur reconnaissance préalable de culpabilité -pour l’appeler par son nomsoit un véritable pouvoir du Parquet ; celui-ci n’ayant que la capacité de proposer une peine, peine qui devra être acceptée par le justiciable en présence de son avocat, puis être homologuée par un magistrat du siège. Le procureur dispose avec la CRPC de la même faculté que dans un procès : celle de proposer une peine. De la même façon, l’homologation par le juge est une forme de jugement. La seule différence de la CRPC et un procès classique tient dans le fait que l’intéressé n’a pas à donner son avis sur la peine requise par le procureur. Il faut à mon sens faire évoluer la CRPC dans deux directions. La procédure de CRPC est aujourd’hui applicable aux délits punis d’une peine d’amende ou d’une peine d’emprisonnement inférieure ou égale à cinq ans : il faudrait, selon moi, étendre cette faculté procédurale à tous les délits. Par ailleurs, il serait nécessaire d’ouvrir dans les textes la possibilité d’une discussion entre la défense et le Parquet sur le quantum de la peine. Cette faculté qui existe déjà, en fait, pour les avocats qui jouissent d’une certaine autorité personnelle, devrait être inscrite dans les textes afin d’accroître le rôle de l’avocat dans la procédure de CRPC. «Il faut reconnaître qu’en France, dans l’hypothèse où les faits sont reconnus, nous avons un système un peu absurde». H. Leclerc CONCERNANT LES GARDES A VUE Le nombre de garde à vue a dépassé les 800 000 en France, êtes-vous favorable et pensez vous qu’il serait techniquement réalisable d’assurer la présence des avocats dès la première heure de garde à vue ainsi que l’accès au dossier de procédure pour assister leur client durant les interrogatoires ? Maître Leclerc : Sur la garde à vue, deux problèmes subsistent. Le premier tient à la présence même de l’avocat : cette question est en passe d’être résolue, peut-être à assez court terme par le Conseil 5 DOSSIER DE LA REDACTION : « La réforme de la procédure pénale » DOSSIER DE LA REDACTION Focus sur des éléments de la réforme Interviews croisées de Maître Leclerc et de Maître Le Borgne Le contrôle de l’enquête par le juge, le tribunal et la chambre de l’enquête et des libertés L constitutionnel ou un peu plus tard par la Cour européenne des droits de l’homme. Restera bien évidemment à assurer son financement. Le second tient à la question de l’autorité qui contrôle et prolonge la garde à vue. Ce doit être un juge : si la réforme s’opère, le juge de l’enquête et des libertés. Maître Le Borgne : Je préfère agir en amont qu’en aval : s’il n’y a plus de garde à vue abusive, la question ne se pose plus… La garde à vue devrait être limitée aux infractions d’une gravité particulière. Le problème, vous me direz, serait alors de contrôler cette qualification « d’infraction d’une gravité particulière ». On pourrait alors envisager de créer un référé pénal auprès du juge de l’enquête et des libertés qui serait alors chargé de trancher entre la qualification retenue par la police ou le procureur et celle proposée par l’avocat. Cette surveillance effective de la garde à vue par le JEL aurait le mérite de répondre aux exigences posées par le récent arrêt Medvedyev. CONCERNANT LA REFORME DE LA COMPOSITION DES COURS D’ASSISES Dans le cadre de la réforme de la procédure pénale, le ministère de la Justice prévoit de revoir la composition des cours d’assises de première instance, un jury populaire (neuf jurés tirés au sort parmi la population) qui siège depuis la Révolution aux côtés de trois magistrats. Selon le projet de la Chancellerie, le jury populaire ne serait plus convoqué qu’en appel et un tribunal criminel composé de cinq magistrats professionnels viendrait remplacer la formation mixte. Que pensez-vous de ce projet ? 6 Maître Leclerc : Je suis très attaché aux jurés en raison de leur origine consubstantielle à la fondation de la démocratie en France. Si le système actuel, qui date de 1942, faisant statuer les magistrats professionnels et les jurés en même temps, peut parfois transformer les jurés en une sorte d’ « alibi », ce n’est cependant pas la règle. Les jurés sont des citoyens consciencieux ; ce sont les témoins indispensables de la façon dont la justice est rendue dans notre pays. Depuis que les magistrats professionnels siègent avec les jurés, on ne peut pas ne pas sentir l’influence considérable qu’ont les magistrats sur les verdicts... Une réelle réflexion s’impose, mais pas en quinze jours. Cela nécessite du temps. Maître Le Borgne : Le jury est une institution qui s’attache à la République et, en un sens, à la démocratie. C’est le lien entre le peuple et la justice et c’est un lien réel et non théorique. La justice est ainsi rendue par le peuple français et non au nom du peuple français. La proposition faite par le rapport Léger d’une procédure criminelle « allégée », mais sans suppression du jury, me semblait intéressante : lorsque les faits sont reconnus et que des éléments matériels viennent corroborer ces aveux, une procédure simplifiée, écourtée, me semble envisageable. Une mixité de la cour ? Je n’y suis pas forcément opposé. On pourrait imaginer en première instance de faire varier le nombre des jurés et des magistrats professionnels. Mais, en ce qui concerne une réforme de la procédure criminelle de jugement, il me paraît plus intéressant de se pencher sur un projet de simplification de cette procédure que sur une modification de la composition des cours d’assises. Propos recueillis par Sarah Mauger - promotion Jacques Attali - série N et Arnaud Touati promotion Jacques Attali – série H a proposition phare et sans doute la plus décriée de l’avant-projet de réforme vise à la suppression du juge d’instruction. L’information judiciaire supprimée, le cadre unique des investigations préalables à la saisine d’une juridiction de jugement serait alors l’enquête judiciaire pénale confiée au Parquet. Les magistrats du ministère public auraient la direction exclusive de la police judiciaire. Pour garantir le caractère contradictoire, équitable et impartial de l’enquête judiciaire et garantir le respect des libertés individuelles, les rédacteurs de l’avant-projet prévoient l’établissement dans chaque tribunal de grande instance d’un magistrat indépendant et impartial: le juge de l’enquête et des libertés (JEL). L’article 311-1 alinéa 1er de l’avant-projet dispose que l’objet de l’enquête judiciaire pénale est de rechercher et de constater les infractions à la loi pénale d’en collecter les preuves et d’en identifier les auteurs. L’enquête est conduite par le procureur de la République sous le contrôle du JEL, du tribunal de l’enquête et des libertés (TEL) et, le cas échéant, de la chambre de l’enquête et des libertés (ChEL). La désignation du JEL par le président du tribunal intervient suite à la demande d’une partie à l’enquête ou sur réquisition du ministère public. Conformément aux dispositions de l’article 211-3 de l’avant-projet qui définit ses missions, le JEL statue sur les demandes des parties qui ont été refusées par le procureur de la République ou auxquelles ce dernier n’a pas répondu. Toute demande d’acte doit donc d’abord être adressée au procureur de la République. Garanti de l’impartialité et du caractère contradictoire de l’enquête, le JEL a la possibilité d’assister aux actes qu’il ordonne ou autorise pour en vérifier le bon déroulement (article 311-20). Le JEL est seul compétent pour ordonner un placement sous contrôle judiciaire, sous surveillance électronique ou sous le régime de la détention provisoire. Il autorise la prolongation de la garde à vue au-delà de 48 heures. Enfin, il autorise les actes d’investigations les plus coercitifs tels que les sonorisations et fixation d’images dans des lieux et véhicules privés, la prolongation des interceptions de correspondances émises par voie de télécommunication et les perquisitions de nuit ou au domicile de personnes protégées. Enfin, le JEL peut statuer sur l’issue de l’enquête judiciaire pénale lorsque l’une des parties à l’enquête judiciaire conteste la décision de règlement prise par le procureur de la République. C’est alors son ordonnance qui saisit la juridiction de jugement. Le TEL est une formation collégiale de premier degré. La liste des tribunaux de grande instance disposant d’un TEL sera fixée par décret. Le TEL a compétence exclusive pour statuer en matière de prolongation de la détention provisoire. Il pourra également être saisi sur renvoi d’une demande d’une partie lorsque le JEL l’estime nécessaire en raison de la complexité ou de la gravité d’une affaire. Le TEL dispose alors des mêmes prérogatives de contrôle de l’enquête que le JEL. La Chambre de l’enquête et des libertés (ChEL) est une formation de second degré présente au sein de chaque Cour d’appel. Elle connait des appels formés par les parties contre les ordonnances du JEL et du TEL et des requêtes en nullités. A cet égard, le projet de réforme prévoit pour le JEL et le TEL le droit de déposer d’office des requêtes visant à l’annulation d’actes d’enquête. La ChEL ne semble pas disposer en revanche du pouvoir d’évocation par lequel la chambre de l’instruction peut aujourd’hui se saisir de l’information judiciaire. 7 DOSSIER DE LA REDACTION : « La réforme de la procédure pénale » Focus sur des éléments de la réforme Le statut de partie dans l’enquête judiciaire pénale L e Livre III de l’avant projet de réforme consacré à l’enquête judiciaire pénale contient, au Titre Ier, un Chapitre II dédié aux parties. L’article 312-1 distingue la partie pénale (équivalent du statut actuel de mis en examen), la partie assistée (i.e. le témoin assisté) et la partie civile auxquelles il confère, sauf disposition légale contraire, les mêmes droits. L’attribution de qualité de partie pénale dans l’enquête judiciaire pénale répond aux mêmes conditions de fond et de procédure que l’octroi du statut de mis en examen. A quelques différences près! Sur le fond, il doit exister contre la personne des indices graves ou concordants rendant plausible sa participation à la commission d’une infraction en tant qu’auteur ou complice (article 312-4). L’obtention de cette qualité est ici facultative. Le statut de partie pénale est obligatoire en matière criminelle, lorsque sont prises des réquisitions aux fins de placement sous contrôle judiciaire, sous surveillance électronique ou en détention provisoire et lorsque l’affaire présente un certain degré de complexité. La notion de complexité, notion purement subjective, est ici abandonnée à l’appréciation souveraine de l’autorité de poursuite. Sur la forme, le statut de partie pénale ne peut être attribué qu’après une première audition au cours de laquelle la personne a été informée de l’infraction dont elle est soupçonnée qu’elle ait été ou non placée en garde à vue. La notification de l’attribution de partie pénale est faite, après un entretien de notification des charges, soit par un officier de police judiciaire sur instructions écrites du procureur de la République, soit par le procureur de la République lui même, en présence d’un avocat choisi ou commis d’office qui aura eu préalablement accès au dossier de la procédure. La notification du statut de partie pénale par le procureur de la République est obligatoire pour les crimes et délits punis de 10 ans d’emprisonnement ou lorsque celui-ci précède la saisine du juge de l’enquête et des libertés en vue d’ordonner une mesure de sûreté. Enfin, en matière contraventionnelle et délictuelle, l’attribution du statut de partie pénale peut être notifiée par courrier. A l’issue de l’entretien de notification des charges, la personne suspectée ou son avocat peut demander une requalification de la/des infraction(s) retenue(s) et l’attribution du statut de partie assistée. La personne mise en cause peut également contester l’attribution du statut de partie pénale devant le juge de l’enquête et des libertés qui statue après un débat contradictoire qui, le cas échéant, se déroule concomitamment au débat sur la mesure de sûreté requise par le procureur de la République. L’attribution du statut de partie assistée peut intervenir sur décision du procureur de la République d’office ou sur demande de l’intéressé (possibilité d’un recours gracieux en cours d’enquête) ou sur ordonnance du juge de l’enquête et des libertés statuant sur une contestation de l’attribution du statut de partie pénale ou de refus d’attribution du statut de partie assisté. Sur le fond, il doit exister des indices rendant plausibles la participation en tant qu’auteur ou complice d’une infraction de la partie assistée. Sur la forme, l’attribution du statut de partie assistée répond aux mêmes exigences procédurales que celles applicables à l’attribution du statut de partie pénale. Par ailleurs, l’article 312-23 dispose qu’est nulle l’audition d’une personne réalisée sans qu’elle bénéficie du statut de partie pénale ou de partie assistée lorsque d’une part, le statut de partie assistée a été attribué par le JEL dans les conditions mentionnées ci-dessus et, d’autre part, lorsqu’il existe des indices graves et concordants rendant plausible la 8 DOSSIER DE LA REDACTION Focus sur des éléments de la réforme participation de la personne mise en cause à une infraction alors que celle-ci avait demandé a être placée sous le statut de partie assistée. L’exigence est donc plus stricte que celle qui impose dans le code de procédure pénale actuel de placer la personne mise en cause sous le statut de témoin assisté dès lors qu’il existe des indices graves et concordants. La prescription de l’action pénale dans l’avant-projet de réforme de la procédure pénale La constitution de partie civile peut être effectuée par toute personne qui se prétend lésée par une infraction lors du dépôt de plainte ou en cours d’enquête. Elle est adressée directement au procureur de la République ou par déclaration devant le service de police judiciaire. Le procureur de la République lorsqu’il fait droit à la constitution de partie civile, l’informe par voie électronique, courrier recommandé ou télécopie directement ou par le biais des services de police judiciaire. es rédacteurs ont pris la peine de préciser à l’article 111-1 de l’avant-projet la finalité qui devait être celle de la procédure pénale : assurer la répression des infractions à la loi pénale. Indiscutablement, l’économie générale de cet avant-projet favorise les besoins de la répression. Mode d’extinction de l’action pénale selon la nouvelle terminologie énumérée par l’article 121-5 de l’avant-projet, la prescription et les règles qui la régissent connaissent quelques modifications substantielles. La constitution de partie civile peut être contestée par les autres parties devant le JEL qui statue par ordonnance motivée après avis du procureur de la République et observations écrites de la partie civile contestée. Le procureur de la République doit refuser la constitution de partie civile pour des raisons de droit (article 312-31). Il peut la refuser pour des raisons de fait (article 312-32) ou lorsqu’il constate une carence de la victime (312-33). Enfin il déclare la constitution de partie civile sans objet lorsqu’il propose une alternative à la saisine de la juridiction. La personne qui s’estime lésée peut alors contester la décision de refus du procureur de la République devant le JEL après avoir, en principe, versé une consignation préalable. En premier lieu, il convient de relever que le droit commun de la prescription en matière pénale est marqué par l’allongement des délais la prescription de l’action pénale des crimes et des délits. Les crimes aujourd’hui prescrits par 10 ans seraient, demain, prescrits par 15 ans tandis que, pour les délits, une distinction en fonction du quantum de la peine encourue devrait être opérée. Aux termes de l’article 121-6 de l’avant-projet, le délai de prescription de trois ans passerait ainsi du simple au double pour les délits faisant encourir une peine supérieure à trois ans d’emprisonnement et demeurerait inchangé pour les délits punis d’une peine de prison inférieure ou égale à trois ans. L En second lieu, l’avant-projet vise à donner davantage de lisibilité aux règles dérogatoires de prescription en regroupant sous un même paragraphe l’ensemble des délais de prescription applicables aux infractions terroristes, aux infractions à la législation sur les stupéfiants, aux infractions sexuelles et aux délits et contraventions de presse. Par ailleurs, l’avant-projet fixe le point de départ de la prescription au jour de commission de l’infraction et non au jour où celle-ci vient à être constatée. Ainsi la notion d’infraction clandestine ou d’infraction occulte, consacrée à maintes reprises par la jurisprudence de la Chambre criminelle de la Cour de cassation, disparaîtrait pour toutes les infractions aux biens et ne serait opérante que pour les seules atteintes volontaires à la vie (article 121-7 de l’avant-projet). En dernier lieu, l’avant-projet de réforme précise d’une part quels sont les cas d’interruption de l’action pénale et consacre d’autre part les cas de suspension de l’action pénale créés par la jurisprudence. Est interruptif de prescription tout acte ou décision de la police judiciaire ou des autoritaires judiciaires tendant à la recherche et à la poursuite des infractions et à la condamnation de leurs auteurs. Est également interruptif de prescription et, c’est là que réside la nouveauté, tout acte mettant en mouvement l’action pénale y compris s’il émane de la partie civile. Enfin, pour ce qui est des cas de suspension, les rédacteurs ont entendu consacrer les notions d’obstacle de droit et d’obstacle de fait absolu et insurmontable élaborées par la jurisprudence. Roman Pinosch – promotion Jacques Attali – série A 9 DOSSIER DE LA REDACTION : « La réforme de la procédure pénale » Cour d’assises : le chantier des réformes Plusieurs projets proposent de modifier le fonctionnement et la composition de cette juridiction bicentenaire. A lors que la garde à vue et la suppression du juge d’instruction monopolisent l’attention des grands médias, la réforme de la Cour d’assises fait figure de grande oubliée. Peut-être parce qu’il n’est pas question de changer radicalement le visage de cette juridiction, qui a peu évolué depuis sa création en 1811 à l’exception de réformes ponctuelles. Reste que la Cour d’assise ne devrait pas être épargnée par la « fièvre » réformatrice insufflée - avec plus ou moins de bonheur - par l’hyperprésidence. DOSSIER DE LA REDACTION Cour d’assises : le chantier des réformes «Mais toutes ces réformes, pour la plupart encore au stade embryonnaire, sont supplantées en audace par la révolution qui se préparerait à la Chancellerie: la suppression des jurys populaires en première instance.» Pour l’heure, nous nous contenterons d’une brève revue des enjeux de la réforme de la juridiction criminelle, en réservant nos critiques et réflexions pour de futurs billets. Le débat sur la réforme des assises a été relancé par les travaux du comité de réflexion piloté par le haut magistrat Philippe Léger. Le rapport remis en septembre dernier au Président de la République préconisait de « moderniser la cour d’assises et améliorer les garanties entourant la procédure criminelle », à travers quelques mesures phares : la motivation des arrêts de cour d’assises, un allégement de la procédure en cas de reconnaissance préalable de culpabilité, et l’attribution à la partie civile d’un droit de récusation pour les jurés d’assises. La première, si elle venait à être consacrée par le législateur, constituerait un bouleversement considérable. Rappelons qu’aux termes de l’article 353 du code de procédure pénale, « la loi ne demande pas compte aux juges des moyens par lesquels ils se sont convaincus ». Le comité Léger propose l’abolition de cette règle héritée de la Révolution, au motif que l’absence de motivation serait source d’arbitraire, constituerait un frein à l’acceptation de la décision de justice par les parties, et serait de surcroit susceptible de constituer une violation du droit à un procès équitable au sens de l’article 6 de la Convention Européenne des Droits de l’Homme (CEDH). Mais sur cette question, comme pour l’attribution d’un droit de récusation à la partie civile, l’emballement n’est pas de mise: la Chancellerie n’a pas encore fait savoir quelle suite elle comptait donner à ces propositions. de culpabilité » (CRPC) par la loi Perben II du 9 mars 2004, qui l’avait cependant circonscrite au correctionnel. En transposant cette innovation en matière criminelle, le Gouvernement espère désengorger les tribunaux. Cette réforme a d’ores et déjà suscité une vive inquiétude au sein de la magistrature. L’autre chantier en cours concerne l’allégement du huis clos en cour d’assises des mineurs. Cette réforme a été « déclenchée » par le procès des membres du « Gang des Barbares », jugés dans la tristement célèbre affaire Ilan Halimi. Conformément aux règles en vigueur, ce procès s’était déroulé en huis clos en raison de la présence d’une accusée mineure à l’époque des faits. Cette situation avait provoqué l’indignation de l’avocat des parties civiles, Me Szpiner, qui avait appelé à une modification législative en faveur 1. Les Echos, 4 mars 2010: le plaider-coupable étendu Mais toutes ces réformes, pour la plupart encore au stade embryonnaire, sont supplantées en audace par la révolution qui se préparerait à la Chancellerie : la suppression des jurys populaires en première instance. La presse a révélé début juin qu’une réflexion était menée sur ce sujet. Place Vendôme, on s’est empressé de préciser qu’il ne s’agissait que d’une « piste de travail », pour désengorger les cours d’assises et de réduire les délais d’audiencement. Déjà, des voix se sont élevées de part et d’autre pour défendre cette institution bicentenaire, qui associe le peuple français au jugement des infractions les plus graves. Bien loin d’un simple « toilettage », c’est donc une véritable réforme des assises qui se profile. S’agissant de la juridiction la plus « médiatique » du paysage judiciaire, on peut s’attendre à ce qu’elle fasse l’objet de débats passionnés. L’introduction d’une procédure de « plaider-coupable » devant les cours d’assises, en revanche, est d’actualité plus brûlante : cette proposition du rapport Léger a été reprise par la garde des Sceaux, qui a présenté en début d’année un projet de loi en ce sens en Conseil des ministres1. On se souvient que cette pratique anglo-saxonne avait été introduite dans notre droit sous le nom de « procédure de comparution sur reconnaissance préalable 10 de la publicité de l’audience. Une proposition de loi a été adoptée en ce sens à la mi-février par l’Assemblée nationale : elle fait de la publicité la norme devant les assises de mineurs, l’accusé gardant la possibilité de réclamer le huis clos à la Cour, qui resterait libre de refuser. On peut légitimement s’interroger sur le bien fondé d’une réforme mise en oeuvre à la hâte afin de permettre la levée du huis-clos lors du procès en appel de Youssouf Fofana et de ses comparses. Des voix se sont également élevées pour dénoncer une atteinte à la philosophie de la justice des mineurs2 . A.G - promotion Jacques Attali – série E 2. Le Figaro, Allégement du huis clos en cour d’assises des mineurs, 16/02/10 11 DOSSIER DE LA REDACTION : « La réforme de la procédure pénale » DOSSIER DE LA REDACTION Inconstitutionnalité de la garde à vue de droit commun : une victoire des libertés individuelles U n séisme vient de frapper le monde judiciaire. Il a pour hypocentre la rue de Montpensier. Par sa décision N°2010-14/22 QPC en date du 30 juillet 2010, le Conseil constitutionnel a en effet déclaré contraire à la Constitution le régime de droit commun de la garde à vue3 . La magnitude du séisme aurait cependant pu être bien plus forte, le Conseil constitutionnel s’étant refusé à réexaminer la constitutionnalité du régime dérogatoire de la garde à vue en matière de criminalité et délinquance organisées4, déclaré conforme à la Constitution en 20045. Cette décision salutaire vient refréner les déformations dont souffre depuis plusieurs années la procédure pénale française, et devrait mettre un terme à la banalisation alarmante du placement en garde à vue, devenu « la première forme de châtiment public6 ». Ce sont du moins les modifications des règles de la procédure pénale et des conditions de sa mise en oeuvre qui ont conduit le Conseil constitutionnel à considérer qu’un changement de circonstances justifiait qu’il soit procédé à un réexamen d’ensemble des dispositions régissant le recours à la garde à vue de droit commun, alors qu’il s’était déjà prononcé sur sa constitutionnalité en 19937 . Ce changement de circonstances procède du renforcement considérable du poids de la phase policière – régie par le secret et mue par une « logique non judiciaire d’efficacité de l’enquête8 » – dans la procédure pénale. A tel point que « la garde à vue est ainsi souvent devenue la phase principale de constitution du dossier de la procédure en vue du jugement de la personne mise en cause9 ». Le bouleversement de la procédure résulte également de la mise en œuvre du traitement dit « en temps réel » des affaires, pratique généralisée en 1995 pour raccourcir les délais d’audiencement et limiter le nombre de jugements par défaut10 . Est également en cause l’augmentation considérable du nombre d’officiers de police judiciaire11, engendrée par les réformes successives de l’article 16 du Code de procédure pénale qui ont abaissé les exigences de grade et d’ancienneté. Son corollaire : une explosion statistique du nombre de gardes à vue12, qui s’appliquent « à l’assassin comme au débiteur de pension alimentaire à jour de ses obligations mais qui n’a pas déclaré son adresse à son exconjoint13 ». Or, comme l’a rappelé Me Denis Garreau, avocat aux Conseils, lors de l’audience publique du 20 juillet dernier, la garde à vue est « un temps et un lieu d’insuffisance, de déséquilibre de droits au profit des nécessités de l’enquête et au détriment des libertés individuelles ». Le Conseil constitutionnel a donc considéré que cette évolution, accompagnée de « la quasi-disparition de la phase d’instruction14 », appelait une évolution corrélative des garanties encadrant le recours à la garde à vue, son déroulement et la protection des droits de la défense. La censure est fondée exclusivement sur le principe de « rigueur nécessaire ». Le Conseil constitutionnel s’est en effet abstenu de contrôler à l’aune du principe de dignité de la personne les conditions matérielles dans lesquelles les gardes à vue sont mises en œuvre, seules les dispositions législatives qui par elles-mêmes violeraient ce principe pouvant faire l’objet d’une censure. Est en outre réfuté l’argument tiré de l’arrêt Medvedyev de la Cour européenne des droits de l’homme15 , selon lequel le contrôle du Parquet ne satisferait pas à l’exigence constitutionnelle de protection de la liberté individuelle par l’autorité judiciaire16 , car pour le Conseil, celle-ci comprend à la fois les magistrats du siège et du parquet17 . Le salut est donc venu de l’article 9 de la Déclaration des Droits de l’Homme et du citoyen de 1789, qui dispose que « tout homme étant 12 3. Articles 62, 63, 63-1, 63-4, alinéas 1er à 6, et 77 du Code de procédure pénale. 4. Articles 63-4, alinéa 7, et 706-73 du Code de procédure pénale. 5. Décision n° 2004-492 DC du 2 mars 2004. 6. Jean-Marie Delarue, contrôleur général des lieux de privation de liberté, dans l’ouvrage de M. Aron précité. 7. Décision n° 93-326 DC du 11 août 1993, qui avait conduit à valider des dispositions touchant aux conditions de placement d’une personne en garde à vue, au contrôle du Parquet sur la mesure de garde à vue et au report de l’entretien avec un avocat à la vingtième heure de garde à vue. 8. Commentaire de la décision n°2010-14/22 QPC, Cahiers du Conseil constitutionnel. 9. Décision n°2010-14/22 QPC, §16. présumé innocent jusqu’à ce qu’il ait été déclaré coupable, s’il est jugé indispensable de l’arrêter, toute rigueur qui ne serait pas nécessaire pour s’assurer de sa personne doit être sévèrement réprimée par la loi ». Sur ce fondement, le Conseil constitutionnel, a exercé un contrôle de proportionnalité entre la gravité des mesures portant atteinte à la liberté individuelle et les objectifs qui motivent ces atteintes. Ayant relevé que le placement en garde à vue et la prolongation de la mesure ne sont soumis à aucun seuil de gravité des infractions en cause et que le régime de droit commun de la garde à vue ne permet pas à la personne interrogée, pourtant retenue contre sa volonté, « de bénéficier de l’assistance effective d’un avocat, […] qu’au demeurant, la personne gardée à vue ne reçoit pas la notification de son droit de garder le silence », le Conseil constitutionnel juge que les dispositions du Code de procédure pénale relatives à la garde à vue de droit commun « n’instituent pas les garanties appropriées à l’utilisation qui est faite de la garde à vue compte tenu des évolutions » qu’il a rappelées, et doivent être déclarées contraires à la Constitution. 10. Le traitement « en temps réel » consiste en l’obligation pour l’OPJ de solliciter la décision du procureur de la République sur l’action publique alors que la personne en cause est encore présente dans les locaux du service de police ou de gendarmerie.11. Sur la période 1993-2009, leur nombre a plus que doublé, passant de 25 000 à 53 000. Le commentaire de la décision paru aux Cahiers souligne que cette augmentation résulte de « réformes successives dont le nombre et la fréquence impressionnants ne sont malheureusement pas inhabituels s’agissant de la procédure pénale ». 12. Que le Conseil constitutionnel ne manque pas de souligner dans sa décision, rappelant que plus de 790 000 mesures de garde à vue ont été décidées en 2009. Dans son ouvrage « Gardés à vue », Mathieu Aron estime pour sa part leur nombre entre 850 000 et 900 000 pour cette même année. 13. Commentaire de la décision précitée. 14. Ibid. 15. CEDH, grande chambre, 29 mars 2010 Medvedyev et autres contre France, n° 3394/03. 16. Article 66 de la Constitution. 17. Si une telle interprétation est admissible au regard de la Constitution, elle est néanmoins en contrariété directe avec la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme, qui affirme sans ambigüité que « le magistrat [garant de la légalité de la privation de liberté] doit présenter les garanties requises d’indépendance à l’égard de l’exécutif et des parties, ce qui exclut notamment qu’il puisse agir par la suite contre le requérant dans la procédure pénale, à l’instar du ministère public » : arrêt Medvedyev précité. 13 DOSSIER DE LA REDACTION : « La réforme de la procédure pénale » DOSSIER DE LA REDACTION : « La réforme de la procédure pénale » Inconstitutionnalité de la garde à vue de droit commun : une victoire des libertés individuelles En jugeant inconstitutionnelle la disproportion tenant tant au champ d’application de la garde à vue qu’à l’insuffisance des droits de la défense, le Conseil constitutionnel rétablit un équilibre en faveur des libertés individuelles. Cette décision fait écho au combat mené depuis plusieurs années par les avocats18 pour que la garde à vue cesse d’être le symptôme d’une procédure pénale archaïque dans laquelle le respect des droits de la défense croule sous le poids des nécessités de l’enquête. Elle laisse cependant en suspens la portée de l’exigence d’une présence effective de l’avocat en garde à vue – le rôle de l’avocat en garde à vue se résumant jusqu’à présent à une « visite de courtoisie », pour reprendre les termes du Bâtonnier Christian Charrière-Bournazel. Certes, le Conseil constitutionnel condamne l’interdiction générale du concours effectif de l’avocat durant les interrogatoires. Mais le droit général à l’assistance d’un avocat en garde à vue n’est pas expressément reconnu. Souhaitons donc que la Chancellerie, qui a jusqu’alors fait preuve d’une obstination déconcertante à nier l’évidence – l’inconventionnalité de la garde à vue19 française – ne se contentera pas de tirer a minima les conséquences de l’inconstitutionnalité de la garde à vue, et n’attendra pas une condamnation de la France par la Cour européenne des droits de l’homme pour remédier à son inconventionnalité. L’absence de contrôle de la garde à vue par une autorité judiciaire au sens que la jurisprudence de la Cour donne à cette notion20 demeure, et une défense effective ne peut être assurée sans qu’un accès au dossier soit garanti à l’avocat. Si le Conseil constitutionnel vient donc d’offrir une victoire aux droits de la défense, le combat pour les préserver est loin d’être achevé. Il n’appelle aucune trêve. Florent Bouderbala – promotion Jacques Attali – série E Coordinateur du Pôle pénal et libertés publiques de l’AEA [email protected] Le regard des candidats sur la procédure pénale Est-il selon vous nécessaire de réformer le statut du Parquet ? Maître Christiane Feral-Schuhl: La réforme qui est projetée sans étude d’impact budgétaire et sans création d’un statut pour le Parquet, ne permet pas d’envisager, quelles que soient les modalités techniques, une contrepartie suffisante à la suppression du juge d’instruction. La réforme doit nécessairement passer par la mise en adéquation de notre législation avec la jurisprudence de la Cour Européenne des Droits de l’Homme qui a dit et jugé pour droit, à plusieurs reprises, que le Parquet ne pouvait pas être considéré comme une autorité judiciaire au sens de l’article 6 de la Convention européenne des droits de l’homme. Il convient donc de modifier le statut du parquet pour lui donner une totale indépendance afin que la réforme de la procédure pénale puisse être véritablement enclenchée. A cet égard, le fait que le projet de réforme ait rappelé que les magistrats du Parquet avaient la faculté de désobéissance, est un pis-aller : je rappelle que depuis la déclaration universelle des droits de l’homme de 1789, les fonctionnaires ont un devoir de désobéissance face aux instructions illégitimes !!! Ce point constitue donc un recul dans la proposition de réforme et non une avancée. 14 Maître PierreOlivier Sur: Il est selon moi parfaitement normal que le Parquet soit hiérarchisé et que le Ministre de la Justice puisse lui donner des instructions relevant de l’intérêt général, afin d’appliquer une politique pénale uniforme sur l’ensemble du territoire. Le ministre tient sa légitimité des instances représentatives dans le cadre d’un processus démocratique. Et le procureur tire sa légitimité du concours de l’ENM. Il est dépositaire d’un mandat public. L’avocat est soumis lui à un mandat civil, qu’il tient de son client. Il ne peut le trahir. En ce sens, il existe un équilibre, ou un parallélisme entre procureur et avocat de la défense, que l’on devrait impérativement retrouver dans les textes. Ainsi le procureur ne doit-il pas disposer de plus de pouvoirs que l’avocat de la défense : s’il peut demander un élargissement de la saisine in rem, l’avocat doit pouvoir le faire également ; s’il peut demander une enquête ou une expertise complémentaire, l’avocat aussi ; s’il peut demander un maintien en détention provisoire, l’avocat peut demander une remise en liberté. La procédure serait ainsi parfaitement équilibrée. Car ni le Procureur, ni l’avocat de la défense n’a l’imperium - seuls les juges du siège indépendants et inamovibles en disposent. Maître Brigitte Longuet: Je considère que l’instauration d’un juge de l’enquête et des libertés est une contrepartie suffisante à la suppression du juge d’instruction, si l’avocat a un véritable pouvoir de contre enquête et qu’il existe une égalité des armes avec le Parquet. Par ailleurs, je crois à la séparation des pouvoirs, mail il existe aussi la nécessité absolue d’avoir une politique pénale cohérente. Le statut du Parquet s’inscrit dans cette double contrainte contradictoire qui régira toute réforme du Parquet. Est-il selon vous nécessaire de réformer le statut du Parquet ? Maître Christiane Feral-Schuhl: La réforme qui est projetée sans étude d’impact budgétaire et sans création d’un statut pour le Parquet, ne permet pas d’envisager, quelles que soient les modalités techniques, une contrepartie suffisante à la suppression du juge d’instruction. La réforme doit nécessairement passer par la mise en adéquation de notre législation avec la jurisprudence de la Cour Européenne des Droits de l’Homme qui a dit et jugé pour droit, à plusieurs reprises, que le Parquet ne pouvait pas être considéré comme une autorité judiciaire au sens de l’article 6 de la Convention européenne des droits de l’homme. Il convient donc de modifier le statut du parquet pour lui donner une totale indépendance afin que la réforme de la procédure pénale puisse être véritablement enclenchée. A cet égard, le fait que le projet de réforme ait rappelé que les magistrats du Parquet avaient la faculté de désobéissance, est un pis-aller : je rappelle que depuis la déclaration universelle des droits de l’homme de 1789, les fonctionnaires ont un devoir de désobéissance face aux instructions illégitimes !!! Ce point constitue donc un recul dans la proposition de réforme et non une avancée. Maître Pierre-Olivier Sur: Il est selon moi parfaitement normal que le Parquet soit hiérarchisé et que le Ministre de la Justice puisse lui donner des instructions relevant de l’intérêt général, afin d’appliquer une politique pénale uniforme sur l’ensemble du territoire. Le ministre tient sa légitimité des instances représentatives dans le cadre d’un processus démocratique. Et le procureur tire sa légitimité du concours de l’ENM. Il est dépositaire d’un mandat public. L’avocat est soumis lui à un mandat civil, qu’il tient de son client. Il ne peut le trahir. En ce sens, il existe un équilibre, ou un parallélisme entre procureur et avocat de la défense, que l’on devrait impérativement retrouver dans les textes. Ainsi le procureur ne doit-il pas disposer de plus de pouvoirs que l’avocat de la défense : s’il peut demander un élargissement de la saisine in rem, l’avocat doit pouvoir le faire également ; s’il peut demander une enquête ou une expertise complémentaire, l’avocat aussi ; s’il peut demander un maintien en détention provisoire, l’avocat peut 18. Combat dont il a notamment été question lors du débat du 14 juin 2010 sur la garde à vue organisé par l’AEA, et sur lequel revient E. Enyegue dans son article. demander une remise en liberté. La procédure serait ainsi parfaitement équilibrée. Car ni le Procureur, ni l’avocat de la défense n’a l’imperium - seuls les juges du siège indépendants et inamovibles en disposent. Maître Brigitte Longuet: Je considère que l’instauration d’un juge de l’enquête et des libertés est une contrepartie suffisante à la suppression du juge d’instruction, si l’avocat a un véritable pouvoir de contre enquête et qu’il existe une égalité des armes avec le Parquet. Par ailleurs, je crois à la séparation des pouvoirs, mail il existe aussi la nécessité absolue d’avoir une politique pénale cohérente. Le statut du Parquet s’inscrit dans cette double contrainte contradictoire qui régira toute réforme du Parquet. Concernant les gardes à vue Maître Christiane Feral-Schuhl: La présence des avocats dès la première heure de garde à vue, mais également de toute procédure dans laquelle il y a une privation des libertés individuelles, est une nécessité reconnue par la Cour Européenne des Droits de l’Homme. Le rôle de l’avocat d’assistance aux personnes privées de libertés, que ce soit en garde à vue ou dans d’autres circonstances, a bien été rappelé par la jurisprudence de la Cour : l’accès au dossier est ainsi l’une des prérogatives de l’avocat. Sur le nombre de gardes à vue, la très grande majorité est mise en œuvre pour de petits délits. Je suis favorable à la suppression de la garde à vue pour ces petits délits. Cantonner la garde à vue aux délits graves et aux crimes permet d’assurer la présence de l’avocat dès la première heure de garde à vue sans aucun problème d’organisation pour l’Ordre. Le droit à réparation ouvert contre l’Etat pour faute ou carence fautive des fonctionnaires de police, est ouvert théoriquement. Il n’est pas mis en œuvre car il n’est pas suffisamment connu de nos concitoyens et un fonds spécifique d’aide devrait être créé pour ce type d’abus de garde à vue. La création d’un fonds en faveur des victimes de gardes à vue abusives pourrait constituer un signal fort complémentaire à l’attention des fonctionnaires de police pour éviter les dérives que nous connaissons aujourd’hui, dérives qui viennent malheureusement de l’utilisation de la sécurité à des fins médiatiques et électorales. possibles. C’est le sens de l’association que j’ai créée avec Francis Teitgen et Fabrice Orlandi « Je ne parlerai qu’en présence de mon avocat ». C’est aussi une des raisons pour lesquelles j’ai présenté ma candidature au Bâtonnat : défendre cette cause au nom de toute une profession. Maître Pierre-Olivier Sur: J’ai été moi-même poursuivi en diffamation pour avoir expliqué publiquement en 2003 que les conditions de garde à vue en France étaient moyenâgeuses. Défendu par Henri Leclerc et Basile Ader, j’ai gagné en première instance mais perdu en appel. Alors je me suis juré que je soulèverais tous azimuts la nullité des procédures de garde à vue devant toutes les juridictions et toutes les tribunes Concernant la réforme de la composition des cours d’assise Maître Brigitte Longuet: 800.000, c’est trop ! La garde à vue doit répondre à une évidente nécessité. L’avocat doit être présent pendant les auditions de son client et doit avoir accès au dossier. Toutefois, une telle réforme doit être financée pour que les jeunes avocats commis d’office n’aient pas une surcharge insupportable de travail avec une disponibilité 24 heures sur 24. La garde à vue doit répondre à une évidente nécessité. L’urgence n’est pas l’indemnisation mais de fixer strictement les critères permettant la garde à vue car son usage a sombré dans l’excès. Maître Christiane FeralSchuhl: Le projet de réforme du jury d’assise n’est pas justifié. En un temps où l’on reproche à la justice d’être extrêmement distante des citoyens et où la confiance dans l’institution judiciaire n’a jamais été aussi faible, supprimer la présence des citoyens en 19. Le législateur a 11 mois pour remédier à l’inconstitutionnalité du régime de droit commun de la garde à vue, les effets de l’abrogation des dispositions déclarées contraires à la Constitution étant reportés au 1er juillet 2011. 20. V. arrêt Medvedyev précité. première instance des affaires criminelles constituerait une erreur supplémentaire. Chaque citoyen français, qui a pu participer un jour dans sa vie à un jury d’assise, en est généralement profondément changé car il peut toucher du doigt l’extrême humanité et fragilité des situations et de notre condition humaine. Cette fragilité est celle de toutes nos institutions, qui repose sur la confiance. Eloigner davantage l’institution judiciaire du citoyen, c’est prendre un risque de défiance définitive de ceux-ci vis-à-vis de la justice. Le parallèle entre l’Ordre des Avocats et son Barreau peut être fait : tout ce qui sera mis en place pour rapprocher l’Ordre des Avocats de Paris de son Barreau est fondamental. C’est mon projet pour le Bâtonnat à venir. Maître Pierre-Olivier Sur: Je suis très attaché à notre système actuel et à la force transcendantale de l’intime conviction qui est accessible tant aux professionnels qu’aux non professionnels. Nous sommes tous appelés à chaque instant de notre vie à être le juge de l’autre Maître Brigitte Longuet: Le peuple est souverain. Pourquoi supprimer le cas emblématique où des citoyens sont associés à la décision de Justice alors que la Justice est déjà mal perçue dans la population ? La Nation et la Justice doivent être réconciliées et non pas séparées. 15 LA VIE DU BARREAU LA VIE DU BARREAU Avocat et politique Le rôle majeur des avocats dans la vie politique française n’est pas chose nouvelle. Comme le rappelle l’historien Gilles Le Béguec dans son livre « La République des avocats », une large partie de la classe politique des IIIe et IVe Républiques était membre du Barreau. Qu’il s’agisse de Raymond Poincaré, de Robert Schuman, d’Edgar Faure, de Pierre Mendès-France, de Vincent Auriol ou encore de René Coty, la supériorité de leur formation Avocat et politique et de leurs réseaux, ainsi que leur éloquence, les prédestinaient à dominer la vie politique. Ces hommes politiques avaient souvent derrière eux une longue carrière d’avocat, tandis que désormais, ces deux types de carrière sont devenus moins aisément conciliables. En effet, à partir des années 1960, la concurrence grandissante entre les cabinets a eu pour conséquence d’obliger les avocats à consacrer toujours plus de temps à leur clientèle. Si certains avocats tels Robert Badinter, Jean-Louis Borloo, Patrick Devedjian, Jean-Marie Bockel ou encore Arnaud Montebourg ont perpétué cette tradition en embrassant une carrière politique une fois leur carrière de plaideur entamée, depuis une dizaine d’années, un nombre croissant d’hommes politiques opte pour le chemin inverse en enfilant la robe après des années de vie publique. Phénomène de mode ou vraie tendance de fond, comment cette passerelle est-elle possible ? Que signifie ce regain d’intérêt ? Et quels risques comporte-t-il ? Les modalités de reconversion des politiques en avocats A fin de devenir avocat, une demande dérogatoire d’inscription au Barreau de Paris peut être déposée au Conseil de l’Ordre. L’octroi de cette dérogation repose principalement sur des conditions de diplômes et de qualifications professionnelles21 . Quasi-automatique pour les conseillers d’Etat, magistrats et docteurs en droit, elle dépend de l’expérience professionnelle pour d’autres professions : 5 ans pour les notaires, huissiers, greffiers de tribunal de commerce, administrateurs et mandataires judiciaires, syndics, maître de conférence en droit ou en scienceséconomiques ; 8 ans pour les juristes d’entreprise, de syndicats ou de cabinets d’avocat, ainsi que pour les fonctionnaires de catégorie A ou assimilés. S’agissant des parlementaires, l’interprétation de ces critères est laissée à l’appréciation du Conseil de l’Ordre qui décide au cas par cas, puisqu’ils sont assimilés à des fonctionnaires de catégorie A. 16 21. Voir notamment l’article 11-2 de la loi n° 71-1130 du 31 décembre 1971 portant réforme de certaines professions judiciaires et juridiques qui indique que la profession d’avocat est accessible aux « personnes ayant exercé certaines fonctions ou activités en France, [titulaires] d’au moins une maîtrise de droit ou de titres ou diplômes reconnus comme équivalents pour l’exercice de la profession » ; le décret n° 91-1197 du 27 novembre 1991 organisant la profession d’avocat qui prévoit ces équivalences ; l’arrêté du 25 novembre 1998 qui fixe la liste des titres ou diplômes reconnus comme équivalents à la maîtrise en droit pour l’exercice de la profession d’avocat. L’intérêt de prêter serment pour les politiques L ’avocature peut répondre à diverses préoccupations, plus ou moins nobles et avouables, pour les politiques. Si cette nouvelle orientation professionnelle peut être dictée par des préoccupations d’intérêt général, comme la poursuite de combats politiques à travers les arcanes judiciaires une fois un mandat terminé, il peut également s’agir d’intérêts strictement financiers liés au complément de revenus tiré de cette nouvelle activité. Plus pragmatiquement, prêter serment peut également représenter une porte de sortie honorable après un passage en ministère ou une défaite électorale, afin de conserver un certain statut social avant de se remettre en selle politiquement. De la défense de l’intérêt général à celle d’intérêts privés, une confusion des genres ? C ette reconversion des politiques en avocats n’est pas sans risque, ainsi qu’a pu le rappeler le député du Nord, M. Christian Vaneste, lors d’une question au gouvernement le 16 février dernier22. Celui-ci stigmatisait une confusion des genres et une faille déontologique permettant aux parlementaires d’exercer une fonction de conseil déguisée, alors qu’il leur est interdit d’en débuter une qu’ils n’exerçaient pas lors de leur entrée en fonction. Toutefois, la garde des Sceaux a estimé dans sa réponse qu’un ensemble de garde-fous existe et « encadre suffisamment l’exercice de la profession d’avocat pour prévenir les conflits d’intérêts avec un mandat électif » : « l’article 117 du décret du 27 novembre 1991» indique que « l’avocat investi d’un mandat de député, de sénateur ou de membre du Parlement européen est soumis aux incompatibilités édictées par les articles L.O. 149 et L.O. 297 du code électoral ». Ces dispositions lui interdisent de plaider contre l’État ainsi que dans les affaires dans lesquelles des poursuites pénales sont engagées pour crimes et délits commis contre la nation, l’État et la paix publique ou en matière de presse ou d’atteinte au crédit ou à l’épargne. Il ne peut plaider ou consulter pour le compte d’entreprises nationales ou de sociétés bénéficiant d’avantages publics, faisant publiquement appel à l’épargne ou intervenant pour le compte ou sous le contrôle d’une personne publique dans certains secteurs d’activité et dont il n’était le conseil avant son élection. Il ne peut non plus plaider ou consulter contre l’État, les sociétés nationales, les collectivités ou établissements publics à l’exception des actions en responsabilité des dommages causés par tout véhicule dirigées contre une personne morale de droit public et relevant de la compétence des juridictions judiciaires. Ces interdictions sont étendues à la société dont l’avocat fait partie et à ses associés ». Ces dispositions sont-elles réellement suffisantes ? Qu’en est-il des politiques n’exerçant pas de mandat électif ? Ne peuvent-ils pas tout de même être placés au cœur de conflits d’intérêts ? Le fait de mettre leurs réseaux « publics » au service d’intérêts privés ne peut-il pas comporter un risque de trafic d’influence ? Face à ces interrogations, trois personnalités politiques ayant prêté serment ont accepté de nous rencontrer afin d’aborder ce sujet et de nous expliciter leur démarche. Morceaux choisis. Grégoire Kopp – Promotion Jacques Attali – série M Les politiques ayant prêté serment ces dernières années Selon le Bâtonnier de Paris, M. Jean Castelain, le Barreau de Paris compte environ 80 hommes et femmes politiques pour 22 000 inscrits. Parmi eux, nous ont notamment rejoints ces dernières années : . François Baroin (2001) . Hervé de Charrette (2001) . Noëlle Lenoir (2001) . Christian Pierret (2002) . Claude Goasguen (2003) . Dominique de Combles de Nayves (2004) . Jean-François Copé (2007) . Frédéric Salat-Baroux (2007) . Dominique de Villepin (2008) . Noël Mamère (2008) . Manuel Aeschlimann (2009) . Christophe Caresche (2009) . Frédéric Lefebvre (2009) . Georges Tron (2009) . Jean Glavany (2010) . Rachida Dati (2010) . Pierre Joxe (2010) . Dominique Perben (2010) 22. Voir la question écrite au gouvernement n° 71676, publiée au JO le 16 février 2010, page 1592, ainsi que la réponse y afférant, publiée au JO le 11 mai 2010, page 5361. 17 LA VIE DU BARREAU LA VIE DU BARREAU Avocat et politique Avocat et politique Entretien avec Noëlle Lenoir Première femme membre du Conseil constitutionnel, Ministre déléguée aux Affaires européennes de Jean-Pierre Raffarin, Noëlle Lenoir est avocate depuis 2001 et désormais associée en charge du pôle Europe du cabinet Jeantet. Elle a accepté de nous recevoir pour nous parler de son parcours aux confins du droit et de la politique. Afin de bien comprendre vos propos, pourriez-vous s’il vous plaît nous présenter votre parcours ? Ainsi, vous savez, j’ai fait de la politique, mais je ne suis pas une politique. Je viens d’être réélue maire d’une petite commune proche Paris, mais j’ai toutefois renoncé à mon mandat pour être simple conseiller municipal car être maire à temps plein était un peu incompatible avec mes fonctions. J’ai donc décidé d’aider pour certains dossiers, mais de ne pas prendre de responsabilités. Je ne suis ainsi pas UNE politique au sens où ma carrière politique n’a pas été issue de mon militantisme. A l’heure actuelle, je fais ce que j’ai toujours fait : auparavant du côté du juge, un peu particulier, puisqu’il s’agit du juge administratif ou du juge constitutionnel, à présent du côté de l’avocat, même si c’est différent comme exercice. Sur le site Internet du cabinet Jeantet, vous présentez votre métier actuel d’avocat comme un aboutissement. Est-ce de la com’ ou le ressentez-vous vraiment comme cela ? Evidemment, si demain on me propose de devenir Premier Ministre, peut être que je ne réfléchirai pas très longtemps et que j’accepterai ! Ce n’est pas un aboutissement au sens d’une fin, mais simplement, je pense que pour quelqu’un ayant choisi comme moi de ne pas avoir une carrière à 100% politique, mais de rester dans un domaine d’expertise, le métier d’avocat conjugue un certain nombre d’avantages. Certes, c’est un métier extrêmement prenant, extrêmement insécurisant, puisque vous êtes libéral et que moi qui ai été fonctionnaire pendant plus de 30 ans, je sais que c’est très sécurisant. Même si les revenus sont moins importants, vous ne vous posez pas la question de savoir si vous aurez encore des revenus le mois suivant, si vous aurez encore des clients, si cela va marcher pour vous ! Je me suis toujours passionnée pour la politique.Chez moi,on était très politisé et tout le monde était avocat ou magistrat. J’ai donc passé le concours du Sénat à la sortie de Sciences Po et j’ai travaillé à la Commission des lois en tant que chargée du budget de la justice, du droit des étrangers et du droit pénal. J’étais ainsi en contact avec des parlementaires qui étaient un peu en dehors de l’arène des conflits politiques majorité/opposition, puisque le Sénat a un rôle qui n’est pas d’avoir le dernier mot sur des textes. « Il n’y a pas un dossier Ces sénateurs, qui avaient déjà un certain âge, étaient dans lequel il ne soit pas issus d’une génération d’après-guerre, pour certains utile d’avoir un réseau, de la Résistance. Elus pour 9 ans, beaucoup avaient dans le public de très grandes chances d’être réélus, ils avaient donc comme dans le privé ». un peu plus de recul et ce mélange entre le droit et la politique m’a beaucoup plu. Noëlle Lenoir Je suis ainsi entrée en politique un peu différemment, car j’ai toujours travaillé dans la proximité du milieu politique : 10 ans au Sénat ; ensuite j’ai été directeur juridique de la CNIL, collège composé pour partie de politiques, députés ou sénateurs. Cette institution avait le vent en poupe car c’était tout nouveau : j’y suis entrée en 1982 alors qu’elle a été installée en 1979. On découvrait les fichiers de la police, il y avait donc un aspect un petit peu défenseur des libertés, avec des parlementaires assez actifs. Après, je suis entrée au Conseil d’Etat, et là ça a été le bras de l’état : entre les membres du Conseil d’Etat, la Haute Administration, les milieux gouvernementaux, les cabinets ministériels, il y a une très grande proximité. Et ensuite, j’ai été appelée à devenir le directeur du cabinet du ministre de la justice, donc là aussi, c’est de la politique. 18 Ce métier est donc extrêmement prenant, mais je ne dis pas asservissant, car il déborde beaucoup sur la vie personnelle, puisqu’il faut énormément travailler dans les cabinets d’affaires. Mais c’est un métier qui est d’abord passionnant : j’aime passer d’un thème à l’autre. Bien que j’aie une spécialité, je ne pourrai pas faire tout le temps la même chose ! Et puis il y a un rapport avec les clients qui est différent, il y a un aspect créatif, il y a du relationnel, de la recherche, de l’imagination, de la stratégie, de l’expertise juridique, c’est très complet, mais surtout, cela correspond à mon tempérament assez indépendant. J’imagine que votre expérience politique, où l’on se meut tous les jours dans des rouages de différentes institutions, vous sert à présent dans votre métier d’avocat ? C’est sûr qu’il n’y a pas un dossier dans lequel il ne soit pas utile d’avoir un réseau, dans le public comme dans le privé. Notamment dans le public, c’est vrai que si je veux appeler le directeur de cabinet de n’importe quel ministère, je peux l’avoir tout de suite. Si je veux contacter la Commission européenne, à quel niveau que ce soit (évidement on ne parle pas aux Commissaires européens), j’ai des moyens d’accès qui tiennent compte non seulement du fait que j’ai fait de la politique, mais également d’un parcours assez long, varié, diversifié. Puisque j’ai été au Sénat, je connais un peu le milieu politique, majorité/ opposition ; j’ai fait de la politique locale, donc je connais aussi tout le niveau des élus locaux ; j’ai été au Conseil d’Etat, qui est aussi un vivier, donc j’ai un relationnel étendu à presque tous les secteurs d’activité de la vie publique, et même privée, des affaires. J’ai été à la Justice, je connais les magistrats ; j’ai travaillé au sein de la Commission européenne et j’ai présidé un Comité d’éthique, je connais donc les rouages de la Commission ; je fréquentais beaucoup de parlementaires européens, puisque j’ai été ministre. Je connais pas mal de membres de gouvernements européens, je connais un peu l’international puisque j’ai travaillé à l’UNESCO… « En matière politique ou gouvernementale, on a des difficultés à transformer le monde, tandis qu’un dossier, c’est plus ponctuel, il y a un début, un milieu et une fin ». Noëlle Lenoir Donc tout ceci s’ajoute, se cumule, et si vous aimez bien les gens et si vous savez garder des liens de fidélité, ça fait un environnement qui est très riche et qui est très utile aussi dans les affaires. pense que dans une société où les gens ne sont ni bons ni méchants, où la tendance naturelle est quand même d’être égoïste, intéressé, etc., il est intéressant de défendre un certain point de vue. Pour une personne qui a choisi comme vous de se consacrer à la politique, c’est sûrement en raison de convictions, d’envie d’œuvrer pour l’intérêt général. N’est-ce pas désormais difficilement conciliable avec la défense d’intérêts privés ? Est-ce pour vous un autre biais pour défendre vos idées ? C’est sympa d’essayer de résoudre un problème. Je ne peux pas vous donner trop d’exemples concrets mais, même si vous avez une entreprise qui est prise dans un cartel (et ce n’est pas bien un cartel !), il y a aussi toujours des aspects à défendre. Surtout qu’à présent le plus souvent, l’évolution des procédures fait que les entreprises reconnaissent l’essentiel, mais défendent tout de même un certain nombre de points de vue, d’intérêts. Vous avez aussi des dossiers en droit communautaire où l’on met en cause l’existence d’un monopole de l’Etat. C’est bien, ce n’est pas bien … mais ce n’est pas forcément mal de faire évoluer les situations ! Pour l’instant, il n’y a pas de situation que j’ai faites évoluer que je regrette. Et puis vous verrez quand vous serez avocat, il faut à la fois se mettre complètement dans son dossier, être au service du client, adopter son point de vue, l’aider à le faire valoir, à défendre sa thèse, ses intérêts, mais il ne faut pas s’identifier totalement à ses clients. Je l’ai vu quand j’ai commencé la profession, j’avais tendance à m’identifier, à la limite j’étais parfois plus soucieuse des intérêts d’un dossier que le client lui-même ! C’est une question qui est très française, puisqu’ici on distingue l’intérêt général, qui est forcément l’intérêt de l’Etat et des collectivités publiques, forcément bon, des intérêts particuliers qui sont forcément inférieurs. J’ai eu la chance pour l’instant d’avoir des clients dans lesquels je crois et de ne pas œuvrer dans un sens qui n’est pas conforme à mes convictions. Mais vous avez raison, la grande différence entre le métier d’avocat et par exemple la fonction de Ministre, c’est que quand vous êtes Ministre, vous avez le sentiment d’un peu faire avancer les intérêts du monde ou de la France. Mais vos convictions, vous avez beaucoup de mal à les faire passer. Ainsi, quand vous êtes dans le public vous avez de fortes convictions, mais on vous demande souvent de défendre celles qui sont déterminées par les lignes de la majorité en place, du gouvernement, ou les lignes du parti si vous êtes dans l’opposition. Il y a donc à la fois une gratification morale tirée du fait que l’on défende des idées et pas des intérêts, mais du point de vue de l’efficacité, c’est parfois un peu décevant. Ces mêmes idées ne peuvent-elles pas justement être défendues au travers d’intérêts particuliers de certaines entreprises ? Je trouve que le droit est assez fascinant car c’est un levier, un moyen d’action, pour faire fonctionner une société. S’il n’y a pas de droit, il y a rien, c’est l’anarchie. Je ne suis pas pour la loi et l’ordre au sens strict, mais je Justement, qu’en est-il de l’adaptation au métier d’avocat ? Je pense que l’adaptation au métier d’avocat, c’est qu’il faut toujours avoir la maîtrise, qu’il ne faut pas que l’émotionnel soit présent. Il faut également allier une expertise toujours impeccable, sans faille, et un sens stratégique, ne serait-ce que pour présenter des arguments, et puis peut-être faire plus. Ce qui m’intéresse aussi, c’est l’alliance entre le droit et la stratégie. C’est un peu ce que je vous ai dit en matière politique ou gouvernementale, on a des difficultés à transformer le monde, tandis qu’un dossier c’est plus ponctuel et donc il y a un début, un milieu et une fin. Tandis qu’en général, quand vous êtes Ministre, vous poussez des dossiers mais c’est votre successeur ou encore celui d’après qui en récolte les fruits. . 19 LA VIE DU BARREAU LA VIE DU BARREAU Avocat et politique Avocat et politique s’adapter à cette valorisation du temps de travail… « Il faut faire attention aux conflits d’intérêts. Cela devrait être réglementé ». Noëlle Lenoir Cela fait plus de 5 ans que je suis avocate et effectivement, cela a été une forte adaptation. C’est un élément de stress, mais l’on s’y met. Quand on est associé, ce n’est pas tellement la question de la facturation qui se pose, c’est surtout de rapporter un certain chiffre d’affaires. C’est un mal nécessaire, mais je comprends maintenant et j’admire tous ceux qui vendent des chaussures, sont bouchers, font du démarchage à domicile, tous ceux qui doivent convaincre les autres qu’ils ont quelque chose à leur vendre, à leur fournir. Evidemment on peut gagner beaucoup plus d’argent que les fonctionnaires, mais c’est vraiment un stress. Finalement, vous vous y retrouvez et ne regrettez pas ce choix ? S’agissant du phénomène de régulation actuel, qui prend de plus en plus d’ampleur notamment avec la crise, pensez-vous que le fait pour des cabinets d’avocats de bénéficier de l’expertise d’anciens politiques permette de mieux maîtriser cette soft law ? Vous savez, je pense qu’en réalité, les politiques qui s’inscrivent au Barreau font du lobbying. C’est une forme nouvelle de lobbying. Mais ne pensez-vous pas qu’en étant à la fois parlementaire et avocat, il puisse y avoir des risques de conflit d’intérêts ? Oui, il faut faire attention aux conflits d’intérêts. Je trouve qu’on devrait réglementer cela. Je ne suis pas contre, mais je pense que c’est un autre métier et j’estime que je ne fais pas ce métier là. Quand je suis devenue avocate pour la première fois, avant d’être nommée au Gouvernement, sans l’avoir préparé ni prémédité, j’étais présidente d’un Comité d’éthique à la Commission qui s’occupait de tous les aspects de santé, de biotechnologie, de technologie de l’information, etc. Et bien, j’ai considéré que je devais démissionner, que je ne pouvais pas à la fois présider le Comité d’éthique, me prononcer sur des textes, et puis éventuellement avoir comme client des industries pharmaceutiques, des entreprises de télécommunications… Vous rejoignez ainsi Arnaud Montebourg qui a choisi de ne plus exercer comme avocat à partir du moment où il s’est investit pleinement en politique... Oui voilà, une carrière politique en soi, cela remplit son temps ! Dernière question s’agissant de la gestion des clients : estce que la pression du chiffre d’affaires, chose nouvelle par rapport au travail dans l’administration, c’est quelque chose d’aisé ? Ne serait-ce que facturer son temps, 20 Non, je ne regrette pas. Parfois je suis un peu fatiguée, mais je ne regrette pas, et c’est là que je me dis que pour un avocat, il ne faut pas tomber malade ! Dans les cabinets d’avocats d’affaires prévaut un business model inventé par les anglo-américains, c’est-à-dire le paiement au temps, un service en continu, avec de jeunes qui travaillent 25h / jour, etc. C’est un business model qui est bien car très formateur pour les jeunes, très responsabilisant, permettant d’avoir tout de suite de grosses responsabilités, mais qui devrait parfois tout de même être un peu revu. Je trouve qu’il y a un côté un peu productivisme et je pense que le devoir d’un avocat c’est aussi de ne pas conseiller au client de faire des trucs inutilement. Donc pour conclure, selon vous le fait que des politiques embrassent la profession d’avocat, de manière encadrée, permet de redynamiser notre profession ? Oui, je pense qu’il y a deux pratiques. La pratique de lobbying : vous êtes politique et en fait vous donnez un coup de pouce à certains dossiers, vous présentez les industriels aux avocats… Ca c’est autre chose que le métier d’avocat. Pour ma part, c’est vrai que d’avoir une carrière et un certain nombre d’années derrière moi me facilitent un peu la tâche. Cela me donne accès à l’information et donc c’est formidable, mais en tant qu’avocate, je travaille beaucoup sur les dossiers vous savez ! Propos recueillis pour le Baromaître par Grégoire Kopp – Promotion Jacques Attali – série M Entretien avec Jean Glavany Actuellement Député des Hautes-Pyrénées, Président du Grand Tarbes et du Pays du Val d’Adour, Jean Glavany fut notamment Ministre de l’agriculture et de la pêche et Secrétaire d’Etat à l’enseignement technique au sein du gouvernement Jospin entre 1998 et 2002. Il vient de prêter serment cette année et a accepté de nous recevoir pour évoquer son futur métier d’avocat. Pourquoi avoir voulu devenir avocat et pourquoi maintenant, en cette année 2010 ? Je débute sans projet professionnel précis. Dans le cadre de mes fonctions de député, cela m’a permis de mettre une corde de plus à mon arc car, je reçois dans ma permanence, chaque semaine, des citoyens qui sont souvent dans des situations juridiques, voire judiciaires, délicates sinon pénibles. Il m’est arrivé de temps en temps d’avoir envie d’aider certaines causes, mais je ne veux pas mélanger les genres. Je ne veux pas le faire systématiquement et concurrencer les avocats du Barreau de Tarbes. Par ailleurs, j’ai 61 ans et je ne sais pas si ma vie politique va durer encore très longtemps. Je sais bien que nous allons tous être amenés à travailler de plus en plus longtemps, mais je pense qu’il faut savoir s’arrêter aussi dans la vie politique. J’ai l’intention de m’arrêter avant 70 ans pour laisser la place aux jeunes. Mais, n’ayant pas du tout l’intention de ne rien faire, c’est aussi la préparation de cet après qui est entrée en ligne de compte quand j’ai souhaité devenir avocat. d’autres choses que je m’interdis. Je n’ai pas envie d’être avocat d’affaires. Je pense que, déontologiquement, quand on est parlementaire de la République, ce n’est pas bien. je n’ai pas envie non plus de traiter des dossiers sur lesquels j’aurai pu travailler lorsque j’étais Ministre : cela devrait heurter la morale publique, même si parfois cela passe inaperçu. Quand je vois un ancien Ministre du Budget être avocat fiscaliste, je trouve cela extrêmement choquant d’un point de vue éthique23 . Je n’ai pas envie non plus de monnayer mon carnet d’adresses... C’est pourquoi je me demande si, pour être à l’abri, non pas de tout reproche, mais de certains soupçons, et être en accord avec ma conscience et mon éthique, je ne vais pas plutôt m’orienter vers le droit public. Certains avocats, notamment les plus jeunes en ces temps de crise, peuvent manifester un certain scepticisme, voire un sentiment d’hostilité vis-à-vis de l’inscription de politiques au Barreau, tandis que d’autres, M. le Bâtonnier notamment, s’en réjouissent. Qu’en pensezvous ? Reconnaissons que quand je parle de tout cela avec des cabinets d’avocats qui nous sollicitent, car il faut le dire, nous sommes sollicités, j’ai bien conscience que, si j’entre dans un cabinet d’avocats, ce ne sera pas pour prendre la place d’un jeune, car évidemment, ce que l’on me demandera, ce n’est pas ce que l’on va demander a un jeune entrant dans la profession. Toutefois, je ne sais pas encore quel type de structure je souhaite intégrer, ni quel type de droit je souhaite pra tiquer. Pensez-vous que votre carrière politique vous permettra d’être un bon avocat ? Je ne sais pas si je serai un bon avocat, je n’ai pas de certitudes ! Simplement, plus qu’un théoricien du droit, je suis un praticien du droit puisque je suis législateur depuis une vingtaine d’années... J’ai produit C’est donc l’envie de continuer à porter vos combats d’une façon différente ? Mais avez-vous déjà plaidé ? Oui, c’est exactement cela. Je n’ai pas encore porté la robe et je suis, pour ainsi dire, en « stand-by ». Je suis pour l’instant domicilié dans le cabinet d’un ami, qui m’héberge et me parraine, mais je n’ai pas encore choisi le domaine dans lequel je souhaiterais me spécialiser. Il y a également des choses que je ne peux pas et ne veux pas faire et c’est une manière complémentaire de répondre. Certaines affaires sont sous le coup de l’incompatibilité, voire de l’illégalité. Lorsque l’on est parlementaire, on ne peut pas plaider contre l’Etat : c’est la moindre des choses. Mais il y a 23. Contacté par le Baromaître, l’intéressé n’a pas pu répondu favorablement à nos demandes d’entretiens « Traiter des dossiers sur lesquels j’aurai pu travailler lorsque j’étais Ministre : cela devrait heurter la morale publique ». Jean Glavany 21 LA VIE DU BARREAU LA VIE DU BARREAU Avocat et politique plusieurs normes juridiques : des lois, des projets de lois, des propositions de lois, etc. Je l’ai fait en tant que Ministre, à deux reprises, je suis allé défendre des textes devant le Conseil d’Etat, j’ai signé des décrets... J’ai également enseigné les institutions politiques, le droit constitutionnel à Sciences-Po, comme maître de conférences pendant quelques années. J’ai donc une expérience de praticien et il y a peut-être une forme de cohérence dans l’action juridique à se dire « Tiens, voilà, j’élabore du droit, de la norme juridique, pourquoi ne pas continuer dans cette voie-là, dans ce rapport au droit ? ». Mais, honnêtement, je ne sais pas du tout si je serai un bon avocat ! C’est aussi la souplesse du métier qui a pu vous inciter ? Absolument, je ferai ce métier uniquement par plaisir. Je ne rentrerai pas aujourd’hui dans un dossier pour m’ennuyer, parce je suis libéré d’un certain nombre de contraintes. Je ne le fais pas pour l’argent, car je gagne ma vie et je suis très privilégié puisqu’en tant que parlementaire, je bénéficie d’une indemnité qui me procure largement de quoi vivre. A la différence d’un jeune avocat, je n’ai pas besoin de gagner ma vie et je ne suis donc pas contraint de m’occuper de dossiers qui m’ennuient. Je peux ne venir que pour le plaisir, ce qui va me permettre de continuer à mener mes combats politiques autrement. Propos recueillis pour le Baromaître par Grégoire Kopp – Promotion Jacques Attali – série M Entretien avec Noël Mamère Député de la Gironde et Maire de Bègles, Noël Mamère fut également jour-naliste, député européen et candidat à l’élection présidentielle de 2002. Avocat depuis le 7 mai 2008, il a bien voulu nous rencontrer afin de nous expliquer ce choix et ses aspirations. Pourquoi avoir choisi d’exercer ce métier après une carrière aussi diversifiée que la votre ? J’ai commencé mes études par quatre années de droit, ainsi que Sciences Po par équivalence : en troisième année de droit, je suis entré en deuxième 22 Avocat et politique « Il y a conflit d’intérêts. L’Ordre des Avocats devrait donc fixer des règles beaucoup plus précises afin de définir le périmètre dans lequel on peut exercer la profession d’avocat tout en ayant des fonctions électives. » Noël Mamère année de Sciences Po. J’ai suivi les cours du CAPA pendant trois mois parce que cela me plaisait beaucoup, mais j’étais déjà journaliste. Ce double cursus m’a appris à faire de la recherche, à organiser ma pensée selon un plan en deux parties/deux sous-parties et m a permis d’acquérir une solide culture générale. Pourquoi avoir choisi de prêter serment ? Pourquoi j’ai prêté serment ? Parce que j’ai eu une vie avant la politique et que j’espère être assez fort pour avoir une vie après la politique. Je ne veux pas reproduire ce que tant d’hommes politiques ont fait, contribuant à scléroser un peu la vie politique française. Si vous voulez, avocat, c’est un peu le prolongement naturel de l’idée que je me fais de mon métier. Défendre des personnes pour prolonger des combats politiques que je mène depuis longtemps, à la fois en tant que journaliste et en tant qu’homme politique. C’est la raison pour laquelle, depuis ma prestation de serment en 2008, je considère que la priorité doit être donnée à mes fonctions de député et de maire. Actuellement, mon activité d’avocat se fait plutôt à titre extraordinaire. J’ai plaidé trois fois, toujours, à la demande de confrères avocats qui sont aussi des amis. La première fois, devant la Cour d’appel de Montpellier pour des faucheurs volontaires qui refusaient le prélèvement ADN. Nous avons gagné, la Cour de cassation a confirmé l’arrêt de la Cour d’appel et cela fait aujourd’hui jurisprudence. La deuxième fois, c’était pour défendre Olivier Besancenot contre la société TASER qui l’avait attaqué en diffamation : un sujet sur lequel je m’étais déjà impliqué en tant que député puisque je l’avais accueilli à l’Assemblée Nationale pour le soutenir quand il avait été attaqué. Je n’étais pas encore avocat et il se trouve que son avocat, qui était aussi le mien, m’a dit : « Eh bien maintenant que tu as prêté serment, tu vas venir avec moi plaider ! ». La troisième fois, c’était contre le maire de Nîmes qui était accusé de prise illégale d’intérêts. Je reçois de nombreuses lettres, demandes de personnes qui s’imaginent – sans doute en raison de ma notoriété – que je vais pouvoir résoudre leur problème lorsque les avocats qu’ils ont rencontré n’ont pas réussi à obtenir gain de cause. Mais pourquoi avoir prêté serment à ce moment là, en 2008, au cours de vos mandats ? Parce que les circonstances m’y ont conduit, le Bâtonnier Monsieur Charrière-Bournazel, très ouvert, et des amis qui étaient à l’époque avocats m’ont incité à faire cette demande. Et c’est vrai qu’avec l’affaire des faucheurs de maïs OGM, une fenêtre s’est ouverte et je l’ai saisie, bien que ce soit arrivé un peu tôt. Comprenez-vous le recours que le COSAL (Contre Ordre Syndicat des Avocats Libres) a intenté contre votre admission au Barreau ? « Ce que je voudrais, c’est concevoir mon rôle d’avocat dans un secteur particulier (…) qui serait en quelque sorte le prolongement des combats politiques que je mène depuis longtemps ». Je précise d’emblée que le COSAL a perdu. Je pense que je ne connais pas la personne qui anime le COSAL. J’ai regardé leur site parce qu’on m’a demandé de le faire. Je trouve que j’aurais pu l’attaquer, c’est de l’acharnement, mais bon… Donc plutôt une réaction vis-à-vis de votre personne que vis-à-vis des politiques entrant dans la profession en général ? Je pense que c’est plutôt une réaction contre moi. Je pense que ce Monsieur que je ne connais pas semble avoir beaucoup de haine envers moi et je le plains car je considère la haine comme une seconde souffrance, mais moi ça va, je vis bien, parce que je ne hais personne. S’agissant d’autres politiques qui ont choisi d’entrer dans de grands cabinets d’affaires, ne pensez-vous qu’il y a une contradiction entre le fait d’être député, mandat électif dépositaire d’une part de souveraineté de l’Etat, et le fait de défendre des intérêts privés dans le cadre de ces nouvelles fonctions ? Rappelons qu’un député n’a pas le droit de plaider contre l’Etat. Mais oui, il y a une contradiction sur laquelle j’insiste. Je ne me considère pas comme meilleur que les autres, mais je pense qu’il y a quand même une grande différence entre quelqu’un qui prête serment et qui n’a plaidé qu’à titre bénévole, même si je ne vais pas m’en vanter car je sais qu’il y a de jeunes avocats qui n’ont pas de clients et qui sont sans doute bien plus talentueux que moi et c’est de la concurrence faussée si je puis m’exprimer ainsi, je tiens à le préciser quand même. Mais aujourd’hui, être avocat me coûte plus cher que ce que cela ne me rapporte, ne serait-ce que par les cotisations que je verse au Barreau. Mais ce n’est pas grave. La réalité, c’est qu’entre un Mamère qui prête serment et un Copé qui entre dans un grand cabinet, payé avec un forfait « solide », supérieur à son indemnité de député, et qui, de plus, collabore avec un cabinet qui travaille beaucoup pour le CAC 40, chargé, entre autres, de l’étude de la privatisation de GDF, je trouve qu’il y a conflit d’intérêts. L’Ordre des Avocats devrait donc fixer des règles beaucoup plus précises afin de définir le périmètre dans lequel Noël Mamère on peut exercer la profession d’avocat tout en ayant des fonctions électives. Il y a plein de gens comme ça. Monsieur Copé c’est le plus voyant, mais il y en a plein ! Avant qu’il soit ministre, Monsieur Tron avait même une peur bleue que le COSAL gagne en se disant, « ça va me tomber dessus » quand je prêterai serment !24 Plus concrètement, en quoi pensez vous que l’expérience engrangée dans vos précédents métiers puisse vous servir dans votre métier d’avocat ? Cela s’appelle la VAE : « Valorisation des Acquis et de l’Expérience ». Je suis comme de nombreuses personnes, arrivées à un certain âge, avec une certaine expérience que je souhaite valoriser. La France est un pays très archaïque pour cela : on a beaucoup de difficultés à accepter cette idée. La France est un pays dans lequel il faut obtenir des diplômes. Malheureusement, comme le savez, vous appartenez à une génération qui est titulaire de diplômes et qui entre très tard dans la vie active. On offre à des bac + 5 ou bac + 6 des stages : c’est ça le vrai problème de notre pays. La valorisation des acquis de l’expérience est très compliquée à faire entrer dans les mentalités. La preuve, on licencie quelqu’un qui a 53 ans aujourd’hui, considéré comme un moins que rien, alors qu’on a encore beaucoup à apporter, au moment même où l’on reporte l’âge légal de la retraite. C’est tout de même paradoxal ! L’expérience c’est quelque chose de significatif, qui a un sens, et une utilité pour la société ! Propos recueillis pour le Baromaître par Grégoire Kopp – Promotion Jacques Attali – série M 24. Contactés par le Baromaître, les intéressés n’ont pas souhaité répondre favorablement à nos demandes d’entretiens. 23 LA VIE DU BARREAU La campagne du Bâtonnat Election au bâtonnat de Paris Election au bâtonnat de Paris En fin d’année se dérouleront les élections ordinales, au cours desquelles l’ensemble des avocats inscrits à l’ordre du Barreau de Paris désigneront leur Bâtonnier et, depuis le Décret du 14 octobre 2009, leur vice Bâtonnier. Invités du Baromaître, les trois candidats nous ont fait part de leur avis sur nos dossiers et tiennent à présenter aux élèves avocats les grands traits de leur campagne. L Qu’est ce qu’un Bâtonnier ? e bâtonnier est le représentant des avocats et le garant du respect de la déontologie et de la discipline. Il est ainsi à la fois conseil et gardien des avocats de son barreau, institué dans le ressort de chaque Tribunal de Grande Instance. Désigné au moment du rétablissement de l’ordre en 1810 par le Procureur général afin de permettre à Napoléon de « couper la langue aux avocats qui s’en servent contre le gouvernement »25 , le Bâtonnier est depuis 1830 indépendant et élu par ses pairs, ce qui lui vaut désormais le qualificatif de « primus inter pares ».26 Élu pour deux ans aux termes d’un scrutin secret majoritaire à deux tours, le Bâtonnier préside aujourd’hui le Conseil de l’ordre, qu’il gère, représente l’Ordre en justice, prévient et concilie les différends professionnels des avocats entre eux ainsi que les litiges entre avocats et clients/magistrats. Il reçoit les plaintes des tiers et est également l’autorité de poursuite devant le Conseil de discipline. Enfin, il est la voix de l’Ordre sur les sujets d’actualité. Il est le « chef des avocats », autrefois chargé de porter la hampe de la bannière de la confrérie de Saint Nicolas selon certains, arborant majestueusement le bâton prieural sous l’égide de Saint Yves selon d’autres. Le nouveau vice du Bâtonnier D epuis 2009, le Bâtonnier n’est plus seul. Il est assisté d’un vice Bâtonnier dont la candidature est présentée avec la sienne. Leurs mandats sont liés, par la durée et par une 25. Source : site Internet du Barreau de Paris 26. Le premier parmi ses pairs 27. Article P.65 du Règlement intérieur du Barreau de Paris certaine complémentarité de fonction. C’est ainsi que Jean-Yves Leborgne, Vice Bâtonnier en exercice, est en charge de l’activité pénale du barreau de Paris, et s’est vu déléguer les fonctions qui y correspondent. L La personnalité émergente : le dauphin ’élection ordinale a vocation en réalité à désigner un « dauphin ». Ce dauphin accompagne le Bâtonnier avant de lui succéder. Il prend connaissance des affaires de l’Ordre et peut, à l’issue du mandat de son prédécesseur, être opérationnel rapidement. Il a ainsi le loisir de préparer réformes et adaptations en prenant connaissance des impératifs de sa fonction. Le Vice Bâtonnier élu est qualifié de « vice dauphin ». Certaines inquiétudes demeurent toutefois sur les modalités de la relation entre Vice Bâtonnier et dauphins/vice-dauphin. L Comment se déroulent les élections ? es élections sont tenues « dans les trois mois qui précèdent la fin de l’année civile, aux dates fixées par le conseil de l’ordre ».27 Aux alentours de novembre, les candidats devront procéder à une déclaration de candidature, la liste définitive devant ensuite être validée. La « profession de foi » de chacun des candidats sera ensuite publiée au bulletin du barreau de Paris (édition spéciale élections). Vers le début du mois de décembre, les élections ordinales proprement dites se dérouleront sur deux jours, par vote électronique ou papier. Le scrutin est secret, majoritaire, et comporte deux tours. En décembre 2008, Jean Castelain avait été élu dauphin à 378 voies près. 8838 suffrages avaient été exprimés, sur près de 18.000 avocats de la place parisienne. Ce sont donc près de la moitié des avocats qui se mobilisent pour élire à leur tête une personne qui leur ressemble. Nous espérons que les jeunes avocats, conscients des moyens d’adaptation et d’accompagnement dont dispose leur Bâtonnier et sensibles au cadre de leur profession, se précipiteront vers les urnes. Hadrien Pellet – Promotion Jacques Attali – série J 25 LA VIE DU BARREAU La campagne du Bâtonnat LA VIE DU BARREAU La campagne du Bâtonnat Interviews croisées des candidats Présentation de Maître Longuet et de Maître Chemouli Interviews croisées des candidats de dynamiser l’ensemble des activités libérales et les rendre plus compétitives. Les avocats y trouveront un nombre considérable de moyens permettant le développement de leurs activités. Tout en conciliant l’héritage éthique de la Profession et le défi lancé par l’Union Européenne portant sur les prestations de services au sens large, une urgente modernisation de notre profession s’impose. Cette modernisation implique l’accès à de nouvelles activités (actes d’avocat, agent littéraire et artistique, agent sportif, intermédiaire en assurance, fiduciaire, lobbyiste, mandataire en transactions immobilières, CIL…). Comme tout développement, notre extension ne se fera pas sans les outils de développement propres aux PME et la modernisation des structures existantes. L’avocat est amené à travailler avec d’autres professionnels et en ce sens, l’interprofessionnalité (c’est-à-dire un travail en complémentarité avec les autres professions) doit se développer. La candidature de Brigitte Longuet avec Hervé Chemouli répond à tous ces objectifs. Êtes-vous favorable à une modification de la scolarité à l’EFB ? Maître Christiane Feral- Schuhl : Il me paraît nécessaire d’intégrer dans le tronc commun des matières telles que la comptabilité, la psychologie, les ressources humaines…. à l’image de ce que font certaines grandes écoles. Nous devons mieux aider les avocats à prendre la mesure de l’exercice libérale et de l’approche entrepreneuriale. Maître Pierre-Olivier Sur : Côté élèves-avocats, il faut limiter la scolarité à un an dont six mois de stage à l’étranger et six mois en cabinet avec (le samedi et en soirées) quelques grands cours ainsi que des ateliers de foisonnements dans des cabinets labellisés. Côté enseignants, il faut relever et diversifier le niveau avec : une notation obligatoire des professeurs, un cobranding ouvert sur les grandes écoles, du coaching, une ouverture aux réseaux, etc. Maître Brigitte Longuet : Totalement. Je suis pour une formation pratique ; c’est au sein des cabinets que la formation est la meilleure, le retour à l’Ecole ne doit être que ponctuel pendant des périodes limitées. La réussite à l’examen d’entrée doit conférer le titre d’Avocat et non plus le titre d’élève Avocat. Êtes-vous favorable à une augmentation de la rémunération minimum des avocats stagiaires ? Maître Christiane FeralSchuhl : En premier lieu, il faut faire respecter la rémunération minimum de la collaboration conseillée par l’Ordre ou l’UJA. C’est, dans un second temps, en fonction de la situation économique générale, que pourra être examinée la question de l’augmentation des minima proposés et 26 leur adaptation aux nouvelles formes de collaboration. Maître Pierre-Olivier Sur : Non, car cela entraînerait par un jeu de dominos la nécessaire augmentation de la rémunération minimum des collaborateurs et l’impossibilité micro-économique pour les cabinets de faire face. Maître Brigitte Longuet : Les syndicats d’Avocats, tous unis en janvier 2007 ont obtenu une rémunération minimum pour l’élève avocat. Il est temps maintenant de les interpeller pour revoir cette rémunération ; Une augmentation sera plus facile à obtenir dans le cadre de la réforme de la scolarité que je préconise avec Hervé CHEMOULI et qui s’accompagnera de l’exonération des charges sociales. Avez-vous toujours voté aux élections professionnelles ? Maître Christiane Feral-Schuhl : Que ce soit Yvon Martinet ou moi-même, nous avons toujours porté un grand intérêt à l’Ordre et donc, aux élections professionnelles. Nous y avons même été très impliqués puisque j’ai dirigé, en 2004, avec Bruno Marguet, la campagne du Bâtonnier Yves Repiquet. Yvon Martinet a quant à lui dirigé, en 2000, la campagne du Bâtonnier Paul-Albert Iweins et, en 2006, avec Didier Chambeau et Patricia Savin, celle du Bâtonnier CharrièreBournazel. Il me paraît très important que les jeunes avocats s’intéressent à l’avenir de leur profession et prennent la mesure du choix du Bâtonnier qu’ils élisent. Maître Pierre-Olivier Sur : Non, je me souviens d’un avion raté, c’était avant qu’on puisse voter par internet… une fois, juste une fois… mais sinon, depuis ma prestation de serment en 1985 toujours ! Ce serait amusant de rechercher les registres d’émargements des élections qui en attestent. (Vous me donnez une idée, je sais où en retrouver quelques-uns). Et si j’ai prêté serment en novembre 1985 plutôt qu’en janvier 1986 comme la plupart de ma promotion, c’est que Frédéric Nouel avait réuni ses camarades et constitué un petit groupe pour leur permettre ainsi de voter en faveur de son père. En effet il se présentait au Bâtonnat en novembre 1986 et à l’époque il fallait un an d’ancienneté pour qu’un jeune avocat puisse voter. C’est donc mon premier souvenir de campagne au Bâtonnat. A l’Ecole du Barreau ! Maître Brigitte Longuet : Je n’ai pris conscience qu’après une dizaine d’années d’exercice, de l’utilité des institutions ordinales. Ma démarche, actuelle s’inscrit dans la volonté de moderniser l’Ordre face aux exigences européennes et de donner à l’Avocat toute sa place dans la société de demain. Quelle profession auriez-vous embrassé si vous n’aviez pas été avocate ? Maître Christiane Feral- Schuhl : Avocat. Cette profession est d’une grande richesse. Elle m’a beaucoup apporté depuis que j’ai prête serment en 1981. Je voudrais communiquer à chacun d’entre vous l’enthousiasme qui est le mien et faire que chaque avocat du Barreau de Paris soit fier de son appartenance à ce Barreau. Maître Pierre-Olivier Sur : J’aurais été à la barre d’un bateau à voile. Marin, c’est mon deuxième métier. Maître Brigitte Longuet : Avocat spécialisé dans une discipline que je ne pratique pas ou peu dans l’un des nouveaux champs qui s’offrent aux Avocats (agent littéraire, agent artistique … ) Qui sont Brigitte Longuet et Hervé Chemouli ? Une candidate au Bâtonnat et un candidat au ViceBâtonnat qui, au-delà de leurs propres cabinets, ont toujours travaillé pour leurs Confrères et continuent encore à s’engager pour la Profession. Brigitte Longuet : successivement membre du Conseil de l’Ordre et Présidente de la Commission Formation du Conseil National des Barreaux (2002-2008) puis membre de la Commission Nationale de Concertation des Professions Libérales à Bercy (2003 – 2010). Hervé Chemouli : successivement membre du Conseil de l’Ordre et du Conseil National des Barreaux (2000-2005), Secrétaire de la Conférence (1982) et actuellement directeur financier adjoint de l’Union Internationale des Avocats. Une candidature pour le Bâtonnat et le Vice-Bâtonnat pourquoi ? Leurs expériences au service de la Profession, la proximité acquise et développée avec l’ensemble des confrères, les combats menés et ceux qu’ils envisagent, animent leur volonté de présenter leurs candidatures pour ces responsabilités. Brigitte Longuet a élaboré, à la demande de M. Hervé Novelli, Secrétaire d’Etat (chargé du Commerce, de l’Artisanat, des Petites et Moyennes Entreprises, du Tourisme, des Services et de la Consommation), un rapport sur les professions libérales. La profession d’avocat y est évidemment et nécessairement concernée. Brigitte Longuet préconise 33 mesures permettant Et pour les jeunes ? Ces défis sont ceux des jeunes. Notre candidature s’inscrit dans l’exercice de la profession d’avocat au XXIème siècle. La formation des jeunes doit tenir compte de ces nouveaux enjeux et si l’idée d’une formation commune avec les autres professions s’inscrit dans cette évolution, il semble que l’instauration d’un examen national d’entrée aux Ecoles d’avocat et une formation en alternance avec des stages pendant la durée de la formation peuvent constituer un régime plus adapté pour les élèves-avocats que l’actuelle EFB. La réforme envisagée du CAPA doit aller plus loin : accentuer les épreuves sur la déontologie certes, mais assouplir beaucoup plus le régime d’obtention du CAPA par un unique contrôle continu et favoriser les cours pratiques, notamment en gestion, comptabilité, langues (par exemple le chinois). Face à la crise, les difficultés de recrutement, la mobilité professionnelle des jeunes est d’autant plus d’actualité. Les recruteurs requièrent une plus-value. Les futurs confrères doivent donc savoir exploiter les stages effectués dans les entreprises, dans les institutions et associations. Enfin, la profession d’avocat doit rester attractive. Les jeunes entrent dans la profession en l’idéalisant. Il ne faut pas qu’ils soient déçus. Or, leurs charges sont beaucoup trop lourdes dès la 3ème année d’exercice. Il faut y remédier. La majorité des jeunes souhaite faire leur carrière dans un même cabinet d’avocats. Il faut valoriser et comprendre leurs souhaits et accompagner ceux qui souhaitent, après un certain nombre d’années d’expérience, leur installation dans leur propre structure. 27 LA VIE DU BARREAU LA VIE DU BARREAU La campagne du Bâtonnat La campagne du Bâtonnat Présentation de Maître Sur et de Maître Paley-Vincent Présentation de Maître Feral-Schuhl et de Maître Martinet activité, en France comme à l’étranger • Organiser, en liaison avec les Commissions ouvertes, les alertes sur les évolutions législatives et réglementaires, pour permettre un lobbying efficace afin d’intervenir en amont, avec le CNB, sur les textes concernant la Profession • Créer la Fondation Barreau de Paris Solidarité (Journée des Droits fondamentaux, congé de solidarité libérale, prix annuel décerné à un avocat ou un cabinet d’avocat…) pour promouvoir nos valeurs de dignité, d’humanité et de désintéressement. armes entre les personnes morales et les personnes physiques, en termes d’honoraires, de déductibilité d’impôt, et de récupération de la TVA. Nous avons déposé une QPC sur ce sujet et nous ne lâcherons pas. De même, nous nous préoccuperons de l’aide juridictionnelle, des structures d’exercice et de la défense du périmètre du droit. - Nous défendrons les valeurs portées par la profession à l’étranger où nous ne nous déplaçons pas pour inaugurer les chrysanthèmes ou boire du champagne : Sarajevo en 1995 pendant le siège de la ville ; Conakry en 2000 pour Alpha Condé jeté en prison par le dictateur Lansana Conté ; Phnom Penh en 2010 pour que les victimes des crimes contre l’humanité puissent se constituer partie civile, ce qui est une première en droit pénal international. Nous serons de tous les combats pour les libertés publiques, avec les jeunes avocats. Pour un batonnier vigie des libertes • Défendre les libertés publiques, mais également les libertés économiques et professionnelles • Créer la Cour d’arbitrage de l’Ordre des avocats de Paris unifiant l’ensemble des procédures ordinales • Veiller à ce que les technologies ne portent pas atteinte à la vie privée et aux libertés individuelles. Quelle communication pour diffuser notre programme ? Aimer le Barreau… au point de vouloir en devenir les Bâtonniers. C’est notre marque de fabrique. Et c’est l’enthousiasme que nous voulons transmettre à la profession via l’EFB. Catherine Paley-Vincent : J’ai siégé au Conseil d’administration de l’EFB et donné des cours de Pratique de l’introduction d’instance, devenu Foisonnement. Pierre-Olivier Sur : J’y enseigne depuis 15 ans et j’anime à la Mutualité une conférence sur les « Grandes figures du Barreau ». Nous avons tous les deux prêté serment à 22 ans, été secrétaires de la Conférence, élus au Conseil de l’Ordre, membres du CNB ou de l’UJA, et pour Catherine Paley-Vincent président du Comité d’Ethique. Pendant nos mandats nous avons défendu les valeurs de transparence, de déontologie, de discipline et plaidé pour un rayonnement de notre Barreau. Quel est – concrètement – notre programme ? - Le produit d’assurance perte de collaboration pour les avocats ayant jusqu’à cinq ans de Barreau est prêt à fonctionner. Il est aujourd’hui entre les mains de l’Ordre et de l’UJA. Si nous sommes Bâtonniers, nous le mettrons en œuvre. - Notre association « Je ne parlerai qu’en présence de mon avocat » est en première ligne dans le combat pour la présence de l’avocat en garde à vue. Nous sommes parmi les initiateurs de cette action qui est aujourd’hui celle du Barreau tout entier. Nous nous réjouissons du grand nombre de confrères qui ont téléchargé nos conclusions de nullité de garde à vue sur le site de l’association. Si nous sommes élus, nous poursuivrons le combat, et nous organiserons la profession pour y faire face. - Nous défendrons le justiciable en remettant en cause l’inégalité des 28 Avec nos directeurs de campagne Serge Perez et Kami Haeri, nous n’avons pas eu recours à une boîte de com. Notre blog www. poscriptum.fr a été mis en place avec les moyens du bord, de même que notre association Je ne parlerai qu’en présence de mon avocat. Nous sommes heureux de nos succès jusqu’à présent : notre blog a reçu en quatre mois plus de 9 000 visiteurs différents… et nous twittons pendant nos réunions publiques. Très spécifiquement concernant l’EFB, nous avons débattu avec vous le 29 juin 2010. Quels étaient les thèmes abordés : - Dessiner une trajectoire d’excellence à l’issue d’une scolarité nécessairement réduite à un an. - Evaluer les professeurs : seuls les meilleurs enseigneront à l’école. Nous valoriserons la fonction par la création d’un titre « Enseignant EFB ». - Etablir un co-branding avec les grandes écoles : faire intervenir leurs enseignants dans leurs spécialités (HEC, ESSEC, Sciences Po, Ecole Polytechnique) et inviter des professeurs étrangers. - Rendre les stages à l’étranger plus accessibles. D’autres écoles l’ont fait. Nous le ferons. - L’EFB doit savoir parler argent et carrière. L’école doit coacher le futur avocat pour l’aider à mieux aborder la relation qu’il établira avec son cabinet d’une part, et les clients d’autre part. Le jeune avocat doit être préparé au cap des six premiers mois de collaboration, et à celui des deux ans. - Aider le futur confrère à développer et valoriser ses réseaux. - Investir l’Université le plus tôt possible. Allons y parler, dès la première année, de notre métier ! - Trouver un équilibre entre carrière et vie de famille, en développant pour les jeunes pères et mères les outils d’un travail à distance sécurisé grâce à un package technologique fourni par l’Ordre ; - Enfin, dédramatiser la question de la spécialisation acquise en Master 2. La seule spécialisation qui compte, c’est l’enthousiasme et l’EFB doit être l’école de l’enthousiasme ! Vos questions, nos réponses, tout est en ligne : surpaleyvincent.com C.Féral-Schuhl, cofondatrice de FERAL-SCHUHL / SAINTE-MARIE (www.feral-avocats.com) , cabinet dédié aux technologies (classé pour la 10ème année consécutive « leader » par les guides professionnels). AMCO, ancien administrateur de la CARPA, Présidente de l’Association pour le développement de l’informatique juridique, auteur de Cyberdroit, (Dalloz, 10ème édition, sept. 2010). Y.Martinet, cofondateur de SAVIN MARTINET ASSOCIES (www.smaparis.com), cabinet dédié au droit de l’environnement et du développement durable, ancien Premier Secrétaire de la Conférence, Ancien Président de l’UJA, ancien membre du CNB et du conseil d’administration de l’EFB ; diplômé d’HEC. Chacun est aussi médiateur, arbitre et expert juridique international dans sa spécialité. Pour un ordre partenaire • Accompagner les avocats dans la dématérialisation des procédures applicable à compter du 1er janvier 2011 et la mise en œuvre effective de l’acte d’avocat • Créer une centrale d’achats pour négocier, au profit des 22 000 avocats, des accords-cadres avec des prestataires référencés (informatique, bureautique, e-rooms mutualisées, archivage, prêts, gestion de trésorerie, épargne salariale….) et des structures d’aide à la personne (crèches associatives, SOS Nounou….) • Défendre la profession face aux administrations (franchise sociale, crédit d’impôt pour l’aide juridictionnelle, …) et juridictions (délais, présentation des dossiers de plaidoiries, harmonisation des pratiques …) Pour un barreau solidaire • Mutualiser l’information utile aux avocats pour l’exercice de leur Etre avocat au Barreau de Paris en 2010 : une chance Via nos questionnaires et échanges, élèves-avocats et jeunes avocats ont exprimé le besoin de réformer l’EFB et la collaboration. Nous proposons trois objectifs : Une formation d’excellence • Ajouter des matières au tronc commun (gestion, ressources humaines, psychologie, langues, …) • Se professionnaliser via des instituts spécialisés (ex. l’Institut de Droit Public des Affaires) • Mettre en œuvre le contrat d’apprentissage Une collaboration confiante • Intégrer à notre Règlement intérieur les principes de la collaboration libérale, base des contrôles déontologiques • Négocier des accords-cadres pour permettre au collaborateur ou au cabinet avocat de souscrire une assurance facultative Perte de collaboration libérale traitée comme la prévoyance Madelin, garantissant 60 à 70 % de la rétrocession de base sur 1 à 2 ans (ex. assurance protection des mandataires sociaux) • Créer un label Chance collaboration pour les cabinets s’engageant sur la gestion sociale et des carrières Une installation facilitée • Fusionner les Bureaux des carrières et des structures en un Bureau du développement professionnel, chargé de l’observatoire des activités et, avec l’UJA, de la bourse aux projets d’installation et d’association • Favoriser l’installation via la centrale d’achats qui pré-négociera des contrats cadres pour que le jeune avocat profite des meilleures conditions économiques et de solutions de financement adaptées • Etendre la pépinière aux cabinets individuels voulant se regrouper et aux jeunes installés, créant un lien inter générationnel 29 LA VIE DU BARREAU LA VIE DU BARREAU Le numerus clausus pour les avocats : Corporatisme ou œuvre de raison ? Michèle Alliot Marie a ravivé les flammes de la polémique en évoquant l’instauration d’un numerus Clausus pour les études d’avocats. Il viserait à endiguer la croissance effrénée du nombre d’avocats français : plus 44% en dix ans. Le débat passionne, choque et fait se rencontrer des opinions souvent antagonistes. Q uand certains rêvent d’une « grande profession du droit », d’autres œuvrent à mieux délimiter leurs domaines d’intervention. Par opposition, les « petites professions du droit » graissent les contours de leurs métiers. Des pourparlers se sont engagés, élevant les frictions jusqu’au dithyrambe. Avocats et notaires se sont ainsi rapprochés pour pallier la multiplication des « avocats avec des revenus très faibles » et sécuriser les domaines d’intervention des notaires. L’idée d’un numerus clausus à alors été évoquée. C’est dans ce contexte, visant à doser savamment les spécificités professionnelles,que doit se mettre en place l’inter-professionnalité, que l’on ne manque pas de présenter comme la panacée. Dans cette optique, la commission Attali a énergiquement plaidé pour une suppression de tous les numerus clausus affectant les professions juridiques (mandataires des procédures collectives, avocats au Conseil d’État, huissiers et notaires). L’idée d’un numerus clausus ne convient donc pas à tout le monde. Dans le même temps, nombreux sont ceux qui objectent, pour enterrer la question, que l’on ne décompte « que » 50.000 avocats en France, dont près de 22.000 à Paris, tandis que l’Angleterre en compte plus de 150.000. Les avocats français ne sont toutefois pas les équivalents des solicitors anglais, lesquels bénéficient d’un spectre large de fonctions, du notaire au juriste, et de l’avocat préparateur de dossier au simple conseiller juridique. Une dualité de situations qui n’aura pas échappé à notre Garde des Sceaux, laquelle affirmait en juin dernier que « la profession devait se pencher sur la question d’un numerus clausus ». C’était ouvrir la boîte de Pandore. La question du numerus clausus pour la profession d’avocat est en effet l’Arlésienne des apprentis avocats : on en parle beaucoup mais personne ne sait bien de quoi il retourne. Types de numerus clausus et force de propositions L e terme numerus clausus signifie littéralement « nombre fermé », ce qui peut être perçu comme la fixation d’un nombre limité d’admission à un concours selon la note attribuée (études médicales françaises), mais peut également justifier une politique fondée sur la discrimination d’origine 30 Le numerus clausus pour les avocats : Corporatisme ou œuvre de raison ? financière, comptabilisant l’expérience acquise, ou justifiée par une démarche de sélection intellectuelle, cette dernière étant la plus communément admise. Concernant les avocats, la proposition revenant le plus fréquemment sur le tapis est celle de la fixation arbitraire d’un nombre d’avocats aux entrées de centres de formations régionaux afin d’assurer un emploi à la sortie de l’école pour chacun. Cette vision est très fortement contestée, dans la mesure où elle repose sur une fixation arbitraire des besoins du marché et ne prend pas en considération les spécialités. D’autres propositions visent à limiter légèrement l’accès aux CRFPA. Ainsi, adoptant une vision de minimis, le Cercle du barreau propose certaines modifications du concours d’entrée : il s’agirait d’adapter l’arrêté du 11 septembre 2003 en levant les moyennes nécessaires à l’admission (fixées à 10), pondérer la voix de l’avocat lors de l’examen et revoir la liste des épreuves en fonction des spécialités afin d’ouvrir la voie de la spécialisation plus tôt aux élèves avocats, ceux-ci ayant une forte tendance à choisir leurs options en fonction de considérations d’opportunité. “La restriction de l’arrivée des avocats sur le marché n’est pas un bon pari sur l’avenir” Jean-Yves Leborgne Des difficultés de mise en œuvre L ’examen du CRFPA deviendrait, si l’on fixait un nombre maximum d’entrées, de facto un véritable concours. Cela ne diminuera pas le nombre de candidats. S’il faut dès aujourd’hui songer au devenir des nombreux candidats qui devront se réorienter (le CAPA étant déjà pour nombre de khâgneux, Sciences-po, médecins et politiques une voie royale de réorientation), l’érection en concours de l’examen du CRFPA aurait pour avantage d’unifier le concours à l’échelle nationale, et ainsi de corriger les disparités entre Instituts d’Études Judicaires. Par ailleurs, l’idée même d’un numerus clausus s’oppose à la mise en œuvre de la grande profession du droit et aux termes même du décret D’Allarde de 1791 : « Il sera libre à toute personne de faire tel négoce ou d’exercer telle profession, art ou métier qu’elle trouvera bon ». Une polémique à fleur de robe : protectionnisme ou vœu pieu L ’objectif affiché est partagé par le plus grand nombre. Il s’agit de faire correspondre l’offre à la demande sur le marché du droit et ainsi de trouver du travail pour tous. Mais les véritables justifications du numerus clausus sont plus profondes. Ce dernier permettrait en effet : 1° de réagir contre l’impossibilité pour le marché d’absorber les avocats parisiens au sortir de l’EFB. 2° d’assurer la répartition géographique de la profession et de désengorger la capitale. Les bruits de couloir et les discussions avec les avocats témoignent de ce malaise. Le responsable des ressources humaines d’Ernst & Young confiait ainsi récemment à une élève-avocate d’Assas.net que le marché ne pourra jamais absorber les 1.300 élèves-avocats qui viennent de sortir de l’École. S’agissant du second motif, le numerus clausus des médecins avait vocation à lutter contre la désaffection des régions. Les objectifs sont louables sur le principe. Mais, lucides, certains avocats émettent le plus grand nombre de réserves. Maître Leclerc se dit hostile à l’instauration d’un numerus clausus, arguant que « cela reviendrait à faire peu à peu de la profession d’avocat une profession calquée sur celle, archaïque, des officiers ministériels, titulaires d’une charge ». Le Vice Bâtonnier Jean-Yves Leborgne est quant à lui plus partagé sur la question. Concédant que « la restriction de l’arrivée des avocats sur le marché n’est pas un bon pari sur l’avenir », il préfère l’idée « d’une sélection intellectuelle par voie de concours à une sélection par privilège social ou réseau relationnel ». La solution serait donc, pour le moins, d’adapter l’examen aux nécessités de notre temps. Mais là encore, si pour certains, « l’examen du CRFPA est ultra sélectif et revêt tous les aspects d’un numerus clausus », pour d’autres, l’examen doit être rendu plus difficile aux vues du taux de réussite qui avoisine les 50% dans certains Instituts d’Études Judiciaires, très élevé en comparaison des grandes écoles, conscients toutefois que certains CRFPA n’acceptent pas plus de 10% d’élèves. La suggestion de Madame la Garde des Sceaux est déjà un apophtegme. Elle aura atteint, sur les bancs de l’École de Formation du Barreau, le rang de « verbatim ». Aujourd’hui, le débat reste entier. Les admis au CRFPA froncent les sourcils pendant que les ajournés s’insurgent en dénonçant un « concours dissimulé en examen ». Le numerus clausus n’est encore aujourd’hui pas autre chose qu’une chimère. .. Le regard des candidats sur le numerus clausus Le nombre d’avocats a augmenté de 44 % en dix ans ; l’effectif atteint désormais un peu plus de 50300 avocats en France. Pensez vous qu’il faille instaurer un numerus clausus à l’instar de la proposition faite par le Garde des Sceaux ? Maître Christiane Feral- Schuhl : Le numerus clausus est contraire au caractère libéral de la profession d’avocat. Il convient néanmoins de ne pas se voiler la face car la situation économique pose de nombreux problèmes aux confrères. Il convient d’en tenir compte et de multiplier les opportunités (reconversions, nouvelles formes de collaboration, assurance facultative perte de collaboration, pépinière…). En toute hypothèse, ce n’est pas en période de crise qu’il faut prendre une telle décision. Il suffit de rappeler les effets pervers du numerus clausus pour les médecins. Maître Pierre-Olivier Sur : La théorie du mur de protection est souvent illusoire. Regardez la ligne Maginot, le mur de Berlin, et même le monopole du droit ! Mais le fait qu’un tiers des filles et un quart des garçons quittent la profession au bout de 5 ans pose la question de l’orientation de fin d’études et des débouchés. Il faut certainement rendre l’accès plus difficile en rehaussant les notes d’admission (ce qui ne relève pas du Bâtonnier mais d’un double arrêté ministériel de 2003 et 2005) et ainsi revaloriser le diplôme de l’école qui sera marqué par l’excellence. Maître Brigitte Longuet : Une profession dont les effectifs diminuent est une profession en déclin ; Nous avons heureusement une profession jeune et c’est un facteur de dynamisme. L’avocat doit investir de nouveaux champs d’activité, c’était le thème de mon intervention au campus (disponible sur mon site www.longuet-chemouli.fr) que je déclinerai pendant toute ma campagne car il est essentiel et conditionne l’avenir de notre profession. Je suis favorable à l’organisation d’un examen d’entrée national sélectif mais pas à un numerus clausus. Hadrien Pellet – Promotion Jacques Attali – série J 31 DOSSIER BIS : Les Secrétaires de la Conférence DOSSIER BIS La Conférence La Conférence Conférence intime Un peu d’histoire : les grands noms Gardienne de l’art oratoire et de la rhétorique, de la Conférence : la Conférence du stage est la vitrine du Barreau de Paris depuis près de deux siècles. Elle se compose de douze jeunes avocats, élus pour un an par leurs pairs à l’issue d’un concours jugeant, sur trois tours, leur capacité à discourir, émouvoir et convaincre. Pour se faire une idée de l’importance de cette institution, il suffit simplement d’indiquer que parmi les anciens secrétaires l’on ne trouve pas moins de trois Présidents de la République, des dizaines de ministres, des académiciens et de nombreux parlementaires. Pour nous, les élèves-avocats, le regard candide et toujours curieux des édifices qui jalonnent la profession, l’on peut se demander ce qu’il faut penser de ce mystérieux cénacle. S es missions, ses illustres anciens, la promesse d’entrer à grands coups d’éclat dans le cercle fermé des pénalistes à succès, suscitent des réactions contrastées. La Conférence force l’admiration et le respect des passionnés du prétoire, elle fait fantasmer les candidats, mais elle suscite aussi la jalousie de certains, crée des controverses, énerve parfois ou constitue une simple curiosité pour ceux qui un soir, juriste ou non, se sont aventurés au Palais pour assister à la conférence « Berryer ». Quoiqu’il en soit la Conférence ne laisse pas indifférent car elle change le destin de ceux qui la rejoignent. Qui sont ces douze avocats et quelles sont leurs missions? Quels sont les critères de sélection ? Comment fonctionne cette école de l’éloquence ? Quelle est sa légitimité ? Quels ont été les faits marquants de la Conférence ? Les dérapages ? Faut-il tenter sa chance ? Afin de répondre à toutes ces questions avec un maximum d’objectivité, le Baromaître a rencontré les douze secrétaires actuels et plusieurs de leurs aînés (Henri Leclerc, Jean-Yves Leborgne, Benoit Chabert et David Marais), il s’est plongé dans les archives de la Conférence, a suivi les débats de la 23ème Chambre, a assisté aux premiers tours du concours, a beaucoup ri dans la Salle des Criées lors des facétieuses « Berryer » et aura même envoyé au casse-pipe sa rédactrice en chef, Sarah Mauger. Vous pourrez ainsi vous faire votre propre opinion. (Retrouvez le texte de sa Berryer en ligne) Silence on tourne… 32 28 C Les origines ou l’indépendance du jeune barreau : e que l’on appelle aujourd’hui la formation continue des avocats se nommait sous l’ancien régime « conférences de doctrine ». L’organisation d’une partie de ces conférences était laissée aux jeunes avocats. Ils avaient pour mission de mettre en place des simulations afin de discuter de questions générales, de délivrer des consultations gratuites, appelées « conférences de charité » et de demander devant l’Ordre l’assistance gratuite dite « pro bono » au bénéfice des plus démunis. Ceux que l’on appellera plus tard « secrétaires » pouvaient alors s’exercer à l’art de la plaidoirie. Ainsi naquit la Conférence. Cette niche de futurs orateurs n’a alors cessé de se développer sous la direction du Bâtonnier. Au cours du XIXème siècle, les organisateurs de ces conférences prennent le nom de « secrétaires ». En 1835, ils sont au nombre de douze, en 1844, la durée de leurs fonctions est limitée à un an et en 1852, par décret du 22 mars, le concours de la Conférence est officiellement institué. Les candidats s’affrontant alors sur des énoncés purement juridiques de type « Grand O » et qui diffèrent des sujets plutôt fantaisistes que l’on connaît aujourd’hui. A partir de cet instant, les secrétaires vont chercher à gagner en autonomie en désignant eux-mêmes les lauréats du concours et en s’affranchissant de l’influence du Conseil de l’Ordre : une lutte pour l’indépendance, si caractéristique de la profession. A cette période correspond aussi l’instauration de la condition de diplôme et du stage obligatoire pour devenir avocat, c’est ainsi que la Conférence est appelée la « Conférence du Stage ». Aujourd’hui, le stage tel qu’il existait autrefois n’est plus, ainsi la Conférence du stage s’appelle désormais « la Conférence », tout court. L La troisième République, l’âge d’or : e cénacle de la Conférence fournit à la France la plupart de ses grands orateurs, étonnante pépinière d’élus nationaux et de dirigeants de l’Etat Républicain. Jules Ferry (7ème secrétaire), Léon Gambetta (3ème secrétaire), Raymond Poincaré (1er secrétaire), Alexandre Millerand (7ème secrétaire) et Paul Reynaud (1er secrétaire) seront appelés aux plus hautes fonctions de l’Etat sous la IIIème République en tant que Ministres, Présidents du Conseil et Présidents de la République. 28. Remerciements à Yves OZANAM (archiviste de l’Ordre) pour son aimable accueil téléphonique et tous ses précieux renseignements L’on parle alors de « l’Ecole de guerre du Barreau » et de ses « polytechniciens en toge » pour désigner cette institution, formation privilégiée des cadres de la nation et la Conférence va parfaitement incarner le modèle méritocratique, valeur centrale de la « République des libertés ». Toutefois, comme nous l’indique Gilles Le Béguec29 « l’on y croise beaucoup de fils de bonne famille parisienne ou les cadets méritants du monde des professions judiciaires de la France provinciale ». Les partis dits « ouvriers » sont peu concernés, même si Léo Lagrange (6ème secrétaire) sera l’un des ministres du Front Populaire. Quoiqu’il en soit, la débâcle de 1940 signe la rénovation de la Conférence et probablement la fin de ce que l’on pourrait appeler « l’âge d’or de la Conférence » La Conférence plus loin du pouvoir, plus proche des prétoires : D epuis la libération, l’implication en politique des secrétaires se fait moindre, chacun se recentre sur son activité initiale : le métier d’avocat. L’exemple sans doute le plus représentatif est celui de Jean-Denis Bredin (1er secrétaire) qui, loin de la politique, voue sa carrière à la profession ainsi qu’aux arts et aux lettres en tant qu’académicien. La Conférence devient alors le fief du Bâtonnat de Paris : On peut citer notamment, les Bâtonniers Ader (6ème secrétaire), Stasi (1er secrétaire), Farthouat (1er secrétaire), Lafarge (2ème secrétaire), Repiquet (7ème secrétaire) Charrière-Bournazel (1er secrétaire) Castelain (12ème secrétaire) sans que les candidats aux prochaines élections n’échappent à la règle, Yvon Martinet (1er secrétaire), Hervé Chemouli, Pierre-Olivier Sur (12ème secrétaire) et sa colistière Catherine Palay-Vincent (1ère secrétaire). Elle fournit bien sûr pléthore de grands pénalistes: Sans prétendre à l’exhaustivité : Jacques Verges (1er secrétaire), Henri Leclerc (2ème secrétaire), George Kiejman (2ème secrétaire), Thierry Levy (2ème secrétaire), Léon-Lef Forster (9ème secrétaire) ou encore Francis Szpiner (2ème secrétaire) Olivier Schnerb (1er secrétaire) et Jean-Yves Leborgne (4ème secrétaire). En revanche, concernant la politique, l’on observe plutôt un schéma inverse : Robert Badinter a toujours refusé de se livrer à cet exercice, ainsi que Roland Dumas, François Mitterrand et Nicolas Sarkozy, pour ne citer qu’eux. L’on objectera bien sûr le parcours d’Arnaud Montebourg (1er secrétaire) mais c’est bien évidement l’exception qui confirme la règle. En outre, la Conférence a opéré aujourd’hui une véritable mutation en s’assurant un réel brassage socioculturel et politique. En effet, si la Conférence a pu longtemps être affiliée à la droite républicaine, aujourd’hui les secrétaires revendiquent « mener des combats plus à gauche » et leurs parcours sont divers, loin de la reproduction des élites, stigmatisée sous la IIIème République. En somme, la Conférence s’est rapprochée de sa véritable vocation : la défense pénale. 29. Gilles le BEGUEC, L’aristocratie du Barreau, vivier pour la République, les secrétaires de la conférence 33 DOSSIER BIS : Les Secrétaires de la Conférence DOSSIER BIS : La Conférence La Conférence A La Conférence à l’œuvre : Les succès de la Conférence : Réforme des conditions de la garde à vue : Les mystères de la Conférence : L Des combats menés par la Conférence, deux très récents méritent d’être relatés. La controverse au sujet de la présence de l’avocat avec accès au dossier dès la première heure de la garde à vue agite l’ensemble de la profession depuis les fameuses décisions rendues par la Cour Européenne de Strasbourg à l’encontre de la Turquie. C’est toute la question de la manifestation de la vérité, de l’aveu et des droits de la défense qui est en jeu. A ce titre, conférences, débats et interventions publiques ont eu lieu entre les plus hauts responsables du Barreau et de l’Etat, mais c’est aux secrétaires de la promotion 2010 qu’il est revenu l’honneur de porter ce combat devant les juridictions. Le 1er mars 2010, les douze secrétaires se sont réunis devant la 23ème Chambre correctionnelle sous le regard des médias et en présence de notre équipe. Après quelques hésitations tenant à l’incompréhension de la procédure par le prévenu, dont on peut se demander s’il ne fût pas légèrement instrumentalisé, les secrétaires ont soulevé, dès le premier jour de sa mise en application, une Question Prioritaire de Constitutionnalité (QPC). La question a passé tous les filtres pour arriver finalement en discussion devant le Conseil Constitutionnel et le 20 juillet 2010, Emmanuel Ravanas, 1er secrétaire, s’est chargé de la plaidoirie finale. Le vendredi 30 juillet, le Conseil Constitutionnel a déclaré, faisant l’effet d’un coup de tonnerre, le régime de gardes à vue pour les délits et les crimes de droit commun inconstitutionnel. Il demande dans sa décision, l’abrogation des articles 62, 63, 63-1, 63-2 et 77 du Code de Procédure Pénale et donne au législateur jusqu’au 1er juillet 2011 pour rénover le droit de la procédure pénale. la manière d’autres institutions, la Conférence a ses codes, ses signes distinctifs et ses rites que seuls les initiés connaissent. Elle constitue une fratrie au sein d’une famille composée des anciens que l’on appelle « mère et père de conf ». « On vit ensemble, mais on ne s’est pas choisis » résume l’un des secrétaires. Mais dans cette famille, comme dans toute autre, il y a les secrets de famille. Les missions de la Conférence : es secrétaires représentent le jeune Barreau parisien en France et à l’étranger. Ils organisent le concours de la Conférence, la Conférence « Berryer » ainsi que la petite Conférence, véritables écoles de l’éloquence. Mais la mission principale des secrétaires de la Conférence reste la défense pénale. L La défense pénale es secrétaires assument, tous les jours de la semaine pendant un an, des permanences au cours desquelles ils ont pour mission de : - Plaider les dossiers de renvoi devant la 23ème Chambre du Tribunal Correctionnel de Paris, chambre des comparutions immédiates. - Prendre en charge les débats contradictoires devant les juges d’instruction et les juges des libertés et de la détention, lorsque les faits reprochés au mis en examen qui souhaite un avocat commis d’office, sont de nature criminelle. Les secrétaires assurent de même, par roulement, une permanence quotidienne au Pôle Financier de la rue des Italiens pour assurer les débats contradictoires des personnes déférées souhaitant un avocat commis d’office. Enfin, depuis toujours, l’assistance d’office des accusés devant la Cour d’Assises constitue une des missions de la Conférence. Lors des « Assises Expresses », un secrétaire se voit confier, à quelques jours de l’audience, la défense d’un accusé qui, n’ayant pas de défenseur, sollicite en urgence qu’un avocat lui soit commis d’office. 34 Nullité de procédure et rénovation du dépôt : Après avoir procédé à la visite du dépôt et de la souricière du Palais de justice de Paris, les secrétaires de la Conférence, promotion 2009, ont rendu un rapport décrivant leur état lamentable. Pour le dépôt, qui accueille les personnes à l’issue de leur garde à vue, il a été notamment relevé d’importants problèmes d’insalubrité, d’absence de support médical, de fouilles à répétition et de nombreux cas de violences entre personnes déférées. Pour la souricière, zone d’attente des détenus écroués avant qu’ils ne soient entendus par un magistrat, les secrétaires ont dénoncé les conditions de leur enfermement : à trois dans des cellules d’une superficie de 3 m², urinoir compris, ils doivent parfois attendre sur un banc en bois pendant 23 heures, voir plus dans certains dossiers. En réaction, les secrétaires de la Conférence, suivis dans cette voie par le Bâtonnier Charrière-Bournazel, ont décidé de soulever systématiquement devant les juridictions parisiennes la nullité de la rétention subie par leurs clients au dépôt du Palais de justice de Paris et d’exiger leur libération immédiate sur le fondement de l’article 803-3 du Code de procédure pénale. Le travail des secrétaires a porté ses fruits puisque le jeudi 28 mai 2009, la 23ème chambre du Tribunal Correctionnel a annulé 5 procès-verbaux de comparution immédiate, considérant que les conditions de rétention au dépôt n’étaient pas décentes. Le même jour, la Chancellerie annonçait l’affectation en urgence d’un million d’euros pour rénover le dépôt à partir de juillet 2009. D La sélection des candidats : ès que l’on évoque le recrutement, les secrétaires deviennent soudainement moins loquaces et nous entonnent une chanson classique « il faut plaire, émouvoir et convaincre » ou « être soi-même » avant de nous indiquer que euxmêmes ne connaissent pas les critères de sélection des candidats entre les différents tours, « critères qui ne leurs seront communiqués qu’en temps utile par leur 11ème secrétaire, lui-même initié par son père de conf ». Alors bien sûr, certaines histoires circulent et l’on peu, à titre d’illustration, lire le témoignage d’un ancien secrétaire, sous le couvert de l’anonymat, relatant dans la presse la mise en scène de l’annonce de sa sélection au poste de secrétaire. Le candidat, futur lauréat ne se doutant de rien, serait véritablement kidnappé en pleine journée et emporté dans une pièce sombre pour s’y faire bousculer pendant un certain laps de temps avant qu’on ne lui annonce, tel un rite expiatoire, qu’il sera l’un des douze. A côté de ces histoires invérifiables, circulent certaines accusations sur l’existence d’une forme de « cooptation », une sélection plus fondée sur le relationnel que sur l’adresse et dont bénéficieraient 35 DOSSIER BIS : Les Secrétaires de la Conférence DOSSIER BIS : La Conférence La Conférence je dirais, avec le recul, qu’il s’est agit d’une « crise mal gérée », tant par les secrétaires en exercice que par le conseil de l’Ordre. De toute façon, si les secrétaires en exercice sont un peu gâtés, cela ne pose aucune difficulté, à condition qu’ils soient irréprochables et totalement au service de leur mission ». L Tenter la conférence ? certains des secrétaires. Le Baromaître a mené l’enquête auprès des intéressés. Ils s’en défendent catégoriquement ; Jean-Yves Le borgne,Vice-Bâtonnier et ancien 4ème secrétaire, ajoutant même qu’ « aucune intervention, même involontaire, auprès des secrétaires en poste n’est possible. Si la liste finale des secrétaires est approuvée par le Conseil de l’Ordre, ce n’est en rien pour contrôler la qualité de cette dernière, mais simplement pour vérifier qu’aucun nouvel élu n’est pas en délicatesse avec les règles de notre Ordre ». Bien que très probablement un fantasme de recalés ou de déçus du concours, tout ce qui est secret ou impalpable excite toujours l’imagination et pousse à croire aux mythes que l’on se forge parfois soi-même, amenant ainsi à penser que participer à la « Berryer », au concours Lysias ou à écrire des articles dans le Baromaître favorisera peut être un jour les chances de se faire « kidnapper » à son tour. A Les « dérapages » : limentées par plusieurs journaux, de nombreuses histoires concernant les finances passées de la Conférence continuent de se raconter, bien qu’aucune n’ait pu être véritablement confirmée. On évoque ainsi pèle mêle des escapades à Ibiza, en Patagonie ou à Rio pour les fameuses délibérations secrètes d’entres tours ou encore supposées les virées dans des clubs de strip-tease avec les confrères belges au frais de l’Ordre… Le budget aurait ainsi été « explosé » par les secrétaires : un trou de 100.000 € ayant été évoqué. Bien que largement invérifiables, ces histoires ont écorné l’image de la Conférence du Stage et même s’il est regrettable de « résumer la Conférence à quelques agapes » selon Me Eolas30 , il revient aujourd’hui au 12ème secrétaire chargé des finances, Eddy Arneton, d’apaiser les esprits des détracteurs, de tempérer et de redonner confiance. Comme le résume Benoît Chabert, ancien 1er secrétaire : « La Conférence du stage c’est 12 jeunes insolents. Ils ont une famille, dans laquelle le Bâtonnier joue le rôle du père et le Conseil de l’ordre celui du conseil de famille. Il y a toujours eu des difficultés entre le Bâtonnier en exercice et sa promotion, ses « enfants pas sages ». J’ai en tête quelques conflits: le sujet « fromage ou dessert ? », le Bâtonnier Mario Stasi était alors allé lui-même arracher les affiches dans le Palais. Concernant les difficultés de la « promotion Gauvain » 36 30. « Journal d’un avocat » Blog de Maître EOLAS : www.maitre-eolas.fr a Conférence est bien évidemment un tremplin incomparable permettant de « gagner entre 5 et 10 ans de connaissance du palais » précise Benoît Chabert. Dès leur élection, les secrétaires gagnent en légitimité auprès de leurs pairs et trouvent une oreille attentive de la part des magistrats, devant lesquels ils auront l’occasion de plaider aux assises. Pour les femmes, c’est l’occasion de pénétrer un milieu souvent décrit comme « macho » et qui, à tort, laisse peu de place à celles que notre célèbre blogueur appelle les « gazelles du palais ». La Conférence c’est en outre une véritable école de l’éloquence « tu y plaides trente fois plus que tes collègues du même âge (…) après on n’a plus peur de rien » nous souffle l’un des secrétaires. Elle insuffle la confiance en soi indispensable au plaideur : « un avocat timide trahit sa profession » rappelait il y a peu le Bâtonnier CharrièreBournazel. Toutefois,entrer dans la Conférence comporte de larges contreparties qu’il ne faut pas sous-estimer. Il y a le concours où « chaque étape est difficile » et où l’angoisse et le stress sont à leur paroxysme « on donne tout, c’est atroce », « il faut être dingue pour s’infliger ça », nous racontent les Secrétaires. Une fois entré, la charge de travail est énorme, la vie personnelle sacrifiée, les secrétaires réalisent « deux années en une ». Ils doivent alors mener de front une collaboration et leur mission de secrétaire, allant pour certains jusqu’à se faire « remercier » par leur cabinet. Cela peut ainsi faire réfléchir certains jeunes avocats bien installés et en pleine ascension qui risqueraient dès lors de ne plus retrouver leur place après cette année au sein de la Conférence. «Il faut trouver une solution car les légitimes exigences d’un contrat de collaboration ne doivent pas être un frein pour les candidats au concours de la conférence » précise Jean-Yves Le Borgne, conscient des difficultés rencontrées par les secrétaires et leurs aspirants. Les secrétaires enchaînent alors pendant toute une année les audiences, les dossiers, les dénouements tragiques ou heureux allant même jusqu’à physiquement parfois payer de leur personne. Il faut avoir un moral d’acier car il n’est jamais anodin d’être responsable du destin de ses clients. Enfin, il y a le devant de la scène. Les secrétaires doivent être infaillibles en toutes circonstances car chaque année ils sont attendus et devront affronter les critiques parfois acerbes de la profession. Ame trop sensible s’abstenir. A N Constat, critique et rénovation : Gardien de la plaidoirie: vec ses controverses et la modernisation de la profession, la Conférence ne doit elle pas aussi réaliser son introspection ? L’on peut tout d’abord débattre à volonté sur les sujets proposés au concours, leur caractère parfois « puéril », clin d’oeil à l’activité de l’invité31. Il semble aussi que la Conférence « Berryer » ne fasse pas l’unanimité, même si son « peuple » rit bien souvent à « gorges déployées », une partie des personnes rencontrées critiquent les méchancetés gratuites et pensent qu’elle est devenue un « spectacle parisien à la mode ». Benoît Chabert, nous confiant ainsi, ne pas en « comprendre l’utilité, le secrétaire doit être brillant dans la méchanceté, je préfère l’être dans l’éloge. Il est plus facile d’être un « bon méchant », qu’un « bon gentil ». Qui plus est, à l’inverse du « sadisme » que l’on pourrait leur prêter, les secrétaires nous avouent eux-mêmes qu’au contraire, c’est l’estomac noué que chaque soir ils investissent l’estrade. Ensuite, certains se demandent s’il est bien légitime d’accorder autant de prérogatives à un petit collège d’élus dans un secret le plus absolu. Ainsi, le « quasi monopole » des commissions d’office en matière criminelle obligerait quelques brillants pénalistes, qui ne se reconnaissent pas dans le concours de la Conférence, à migrer vers les juridictions où les secrétaires ne trustent pas tous les dossiers. D’autres regrettent également que les secrétaires ne soient pas tous des pénalistes pure souche. Issus du droit des affaires, du droit social ou immobilier pour certains, ils sont moins les habitués de la 23ème chambre que la Conférence pouvait connaître par le passé. Enfin, la Conférence n’est pas tout, nombreux sont les ténors du barreau qui ne sont pas passés par le concours, Patrick Maisonneuve, Olivier Metzner, Thierry Herzog ou encore l’« acquittator » Eric Dupond-Moretti. L’éloquence ne serait pas l’apanage des secrétaires, « La vraie éloquence se moque de l’éloquence » avançait Blaise Pascal. ous avons vu les douze secrétaires de la promotion 2010 en scène pendant les « Berryer », lors des premiers tours du concours de la Conférence, devant la 23ème Chambre et il serait bien sûr faux de dire qu’ils sont dénués de talent. Bien que parfois inégaux, ils atteignent souvent les sommets de l’éloquence sans oublier de faire avancer l’état de droit devant le Conseil Constitutionnel. Ils sont à n’en point douter la fine fleur du Barreau de Paris et dans le futur il en sera certainement encore ainsi. Mais au-delà des critiques et du sempiternel clivage entre réactionnaires et progressistes, il semble que la Conférence souffre surtout de son propre statut et des mystères qui l’entoure. Beaucoup surfent sur les on-dit, les poncifs ou résume la Conférence à ce qu’elle n’est pas :A la seule partie visible de l’iceberg. Il ne faut pas notamment, pour nous élèves-avocats, faire le raccourci entre la Conférence et la Berryer, mais plutôt s’inviter une demijournée sur les bancs de la Chambre des comparutions immédiates pour se rendre compte du travail des secrétaires. Enfin, essentiellement, il ne faut pas oublier que le cénacle et ses douze gardiens jouent un rôle fondamental dans la préservation de ce qui fait toute la spécificité de la profession d’avocat et que l’on ne retrouve nulle par ailleurs: La plaidoirie. Cet « acte sublime qui révèle l’avocat et lui confère toute sa noblesse » pour Jean-Denis Bredin. La conférence a changé de peau durant ces deux derniers siècles, de la politique à la défense pénale pure et dure, elle continuera d’évoluer dans des directions aussi imprévisibles que le recrutement de ses troupes. Cependant, « quelque forme qu’elle revête de siècle en siècle, l’éloquence ne cessera de se faire écouter » 32. Les élèves-avocats seront bien évidemment aux premières loges. Léopold Lemiale – promotion Jacques Attali - série N. 31. Exemples de sujets du premier tour de la conférence 2010 : Faut-il grandir ? L’image a-t-elle un poids ? Le diable dit-il la vérité ? La copie vaut-elle mieux que l’original ? Peut-on rallumer les étoiles ? Y a-t-il toujours un rapport ? Les nouvelles sont-elles bonnes? L’homme est-il le meilleur ami de la femme ? Retrouvez tous les sujets et les invités sur le site de la Conférence http://laconference.typepad.fr 32 Jean-Denis Bredin Qu’est la plaidoirie devenue ? Mélanges Buffet 37 DOSSIER BIS : TITRE Les Secrétaires de la Conférence DOSSIER BIS : Portraits des secrétaires de la Conférence Emmanuel Ravanas Emmanuel est collaborateur chez Linklaters, au sein du département immobilier. Il a prêté serment en 2004. Il est un peu fantôme, car tout le monde parle de lui, le lit, le voit dans la presse, mais quand il s’agit de le croiser, Emmanuel est loin. Il est ministre… de la Conférence. C’est un secrétaire bienveillant. D’aucuns soulèvent sa calvitie, mais dans une atmosphère toujours amicale, car Emmanuel fait preuve d’une bonhommie extraordinaire. Il écoute, et ne se fâche jamais. Il est ce père des secrétaires à l’aura rassurante. S’il n’y a pas vraiment de classement chez les secrétaires, lui est véritablement le premier, ce représentant investi et organisé, ce dernier détail pouvant toutefois tourner à l’excès. En tant que 1er secrétaire, il représente la Conférence du stage. Il prononce également l’éloge d’un ancien avocat décédé lors de la rentrée solennelle du Barreau de Paris. Emmanuel sait d’ores et déjà quel avocat il présentera. Il est un homme de cœur, et ses convictions sont une source intarissable d’argumentations : la QPC, les discours, la Berryer, sont autant de tribunes qu’il prend plaisir à usiter afin de changer les choses. Les paroles d’Emmanuel sont toujours un plaidoyer. Ses déplacements sont les traces d’un monstre d’organisation. Emmanuel est le médium de la Conférence, la pierre angulaire d’un groupe uni non seulement sous la bannière de l’éloquence, mais également par des idéaux communs, qu’Emmanuel défend avec passion. Dans la même lignée : Paul Reynaud, Jean-Denis Bredin, le Bâtonnier Mario Stasi, Raymond Poincaré, Pierre Masse, le Bâtonnier Christian Charrière-Bournazel, Jacques Verges, le Bâtonnier Jean-René Farthouat, Benoît Chabert César Ghrenassia César est diplômé du Master droit de la communication de l’université d’Assas. Il est passionné de Cinéma et de Littérature et est spécialisé en droit de la propriété littéraire et artistique. C’est donc un comédien qui a choisi la robe d’avocat comme costume de scène. Le 2ème secrétaire n’a pas forcément une fonction harassante mais César le fait à fond. Le 2ème secrétaire est un électron libre, un perturbateur au grand cœur, un secrétaire de l’appoint et de l’à propos. Il retracera par ailleurs un grand procès lors de la rentrée solennelle du barreau de Paris. Surtout, il a à cœur de défendre les valeurs de la Conférence qu’il considère comme la dernière école qui forme encore au métier d’avocat sans autre critère d’admission que celui du talent. On y apprend à défendre les libertés avec comme seule arme, son éloquence. 38 Il fait preuve de la même intransigeance en audience et lorsqu’il se produit comme secrétaire. Il connaît par cœur le Code pénal et sait que l’on ne saurait être puni pour avoir fait mourir de rire. Avant chaque Berryer, la salle des criées bruisse de la même question. «César est-il en forme ?». S’il l’est ce sera une véritable comédie. S’il ne l’est pas ce sera un drame. Chacune de ses prestations est un spectacle mais cet humour désopilant cache quelqu’un de fin et de lettré. Il aime les mots ; les doux, les derniers, les gros, mais surtout les bons. Il s’efforce de rire de tout. C’est essentiel pour lui car il s’agit du seul moyen de frôler l’extra lucidité sans pour autant perdre pied. Dans la même lignée : Edgar Faure, Georges Kiejman, le Bâtonnier Philippe Lafarge, Thierry Levy, Francis Szpiner Guillaume Pellegrin Admis au barreau en 2008, il a fait ses classes à l’université de la Sorbonne en passant par HEC. Il est aujourd’hui collaborateur au sein du cabinet Bredin Prat où il travaille principalement sur des questions de contentieux commercial et de droit pénal des affaires. En tant que 3ème secrétaire, il est chargé de la communication des secrétaires et des relations publiques. C’est Guillaume qui était physionomiste à la porte de la Conférence lorsque nous lui avons fait part de notre projet d’article sur la Conférence du stage. Nous le remercions de nous avoir fait rentrer malgré nos baskets. Comme Tony Gomez en d’autres lieux, il n’a que des amis. Il travaille 168 heures par semaine. Comment fait-il ? « C’est facile !» nous a-t-il confié. Il a récemment fait l’acquisition d’un scooter à trois roues qui lui permet de dormir assis à chaque feu rouge, ce qui lui suffit largement. Il officie avec brio à la 23ème chambre où il n’a encore que des amis qui s’appellent tous Hamidovic. Lors de chaque soirée de la Conférence, il parvient talentueusement à suspendre le temps avec des interventions justes et précises, tissées comme de la dentelle, qui laissent souvent l’assemblée silencieuse. Rassurez vous, ce n’est pas que personne n’écoute mais bien que tout le monde est d’accord. J’oubliais, si vous le croisez un jour à la barre de la 23ème chambre, ne lui dites pas que le port de la moustache lui irait à ravir. Merci. Dans la même lignée : Henri Leclerc, Léon Gambetta 30. « Journal d’un avocat » Blog de Maître EOLAS : www.maitre-eolas.fr 31. Exemples de sujets du premier tour de la conférence 2010 : Faut-il grandir ? L’image a-t-elle un poids ? Le diable dit-il la vérité ? La copie vaut-elle mieux que l’original ? Peut-on rallumer les étoiles ? Y a-t-il toujours un rapport ? Les nouvelles sont-elles bonnes? L’homme est-il le meilleur ami de la femme ? Retrouvez tous les sujets et les invités sur le site de la Conférence http://laconference.typepad.fr Portraits des secrétaires de la Conférence Thomas Heintz Thomas Heintz vient de Toulon. Mais, traitre ou âme fantasque, il préférera le ballon rond à celui de rugby. L’analyse de son passé laisse révéler quelques photographies compromettantes. Thomas, lui, ne se cache pas et provoque. Il est le charmeur de la bande. Les candidates aux Berryer n’ont d’yeux que pour lui et certaines vont jusqu’à lui montrer plus que la décence ne le permet. Il travaille chez Fleury Mares avec Jean Louis Delvolvé, preuve que le glamour qu’il incarne n’a pas sa place en cabinet. C’est que l’on peut être un secrétaire sans perdre son sérieux. En tant que 4ème secrétaire, il organise la Conférence Berryer, rôle qui lui sied comme un gant. Ses diatribes enflammées et sa voie portante traduisent les passions de ce secrétaire extraverti et sans vergogne. La salle des criées fait résonner sa voix, à laquelle il aime ajouter quelques effets de manche. Il lui est arrivé de déverser le contenu d’une bouteille sur son torse de mâle. Les femmes ont apprécié. Les hommes en ont pris de la graine. Vous le croiserez souvent aux alentours du palais de justice, chevauchant sa vespa dans un style bien à lui, avant de vous recaler de la Berryer pour port de basket prohibé. Demandez-lui sa carte de visite. Il la donne avec parcimonie, mais elle se vend très cher. Dans la même lignée : Jean-Yves Le Borgne, Bertrand Perrier, César Campinchi Solenn Le Tutour Solenn est l’aînée. Cela ne signifie pourtant rien, ou justifie peut être seulement le fait qu’elle a le plus la tête sur les épaules. Pourtant Solenn véhicule une image faussement sérieuse. Lorsqu’on lui demande conseille, elle vocalise. Lorsqu’on lui pose une question, elle ironise. La journée, Solenn est collaboratrice chez Bird and Bird. La belle affaire. Ca lui a appris à être chic, à avoir cette classe qui lui colle à la peau. Ses domaines d’intervention démontrent son originalité : aviation, risque industriel, contentieux divers. Elle est une ancienne « assassienne », titulaire d’un DEA en droit de la communication qui a émigré à Leicester pour y suivre un cursus LLM. Solenn est une « affairiste » hors norme, ayant acquis ses lettres de noblesse à Londres chez Chadbourne & park. En tant que 5ème secrétaire, elle est responsable de la défense des minorités. Cette fonction est mouvante, et Solenn l’adapte avec brio aux exigences de la protection des parties faibles : la 5ème est ainsi passée de la protection des minorités à la 32 Jean-Denis Bredin Qu’est la plaidoirie devenue ? Mélanges Buffet protection des mineurs, et œuvre désormais à la protection contre les discriminations. Ses camarades la décrivent fraîche et remplie de vie, caractère que l’on ressent, que l’on respire quand elle pose sur vous ce regard bienveillant qui vous met en confiance. En bref, Solenn est la communicatrice de la bande, en français, en anglais, parlé ou chanté. Ce que Solenn conçoit bien, elle l’énonce clairement. Et les mélodies pour le dire lui viennent aisément. Dans la même lignée : Lucine Vidal Naquet, Georges Izard Kee-Yoon Kim Admise au Barreau de Paris en 2008 elle a usé les bancs de l’université d’Assas, de Science Po Paris et de l’ESSEC. Elle est aujourd’hui collaboratrice au sein du cabinet Bredin Prat, spécialisée en droit social. En tant que 6ème secrétaire, elle est chargée des relations avec l’international. Alors qu’elle n’était encore que stagiaire auprès d’un ancien secrétaire de la Conférence, elle a assisté à sa première Conférence Berryer, dont l’invité était « Gad Elmaleh » ; c’est ce soir-là que sa vocation de secrétaire est née. Les portes de l’avenir étant ouvertes à ceux qui savent les pousser, elle fait aujourd’hui preuve d’enthousiasme et de facétie lors de chacun de ses one woman show. Très mutine, elle a comme passion le 4ème degré et les contrepèteries qu’elle distille à l’envie lors de ses discussions. Finalement Kee-Yoon ressemble un peu à l’Eyjafjok…., enfin l’Eyjafjalla…., bref, ce volcan islandais qui a tant fait parler de lui. Une fois qu’elle se réveille tout le monde le sait. En vraie parisienne, elle a toujours un temps d’avance sur les tendances même si malheureusement sa robe d’avocate ne laisse apparaître que ses chaussures que vous découvrirez dans les magazines de mode du mois suivant. Chers lecteurs, s’il vous arrivait de la croiser au détour d’un couloir du palais de justice, attachez vous à ne pas écorcher son doux prénom ou sa maman qui n’est jamais très loin d’elle vous le fera répéter plus d’une fois. Dans la même lignée : Henri Ader, Jules Grévy Franck Fischer Bertaux Franck est le littéraire incompris, le coquet coquin et le « bijou » des secrétaires de la Conférence. Il manie la langue de Molière comme nul autre. Si le onzième se doit de veiller au respect des règles d’éloquence 39 DOSSIER BIS : TITRE Les Secrétaires de la Conférence DOSSIER BIS : Portraits des secrétaires de la Conférence qui irriguent la Conférence depuis la République des avocats, Franck, lui, s’évertue bec et ongles à en défendre l’élocution. Franck articule, explique, explicite, défend, démontre, sans oublier ni syllabe, ni pied, hémistiche, temps, contretemps, et soupir. Lorsque Franck parle, il récite les lignes qu’il lit en vous comme dans un livre ouvert. Et il prendra le temps de vous l’expliquer. En tant que 7ème secrétaire, il est responsable des relations avec les barreaux francophones. Il véhicule l’image de Paris et de la Conférence, que l’on croirait Dandy en ne voyant que lui, mais que l’on sait plus hétéroclite. Franck est l’incarnation de l’humour permanent, pertinent souvent, digne d’un chou blanc parfois, mais jamais déplacé. Il a la culture qui conduit ses paroles, et sait faire preuve de modération. Attention à ne pas lui chercher querelle, il vous mettrait, à la manière de Molière, quelques vers dans le nez. Dans la même lignée : Cardinal Pierre Gerlier, le Bâtonnier Paul Iwens, Jules Ferry, Alexandre Millerand Karim Makram Ebeid Karim est collaborateur chez Gide bien que certains bruits de couloir révéleraient que Karim se serait fait la malle. Un secrétaire de la Conférence, c’est de la verve, de l’éloquence, et surtout de l’audace. Ses amis secrétaires le décrivent comme un bon samaritain, un avocat généreux et intègre. Il est l’homme « violent et sympa ». C’est qu’en effet, il est « sympa sauf avec les candidats », car Karim se révèle en Berryer ! En tant que 8ème secrétaire, il est responsable du site internet et du blog de la Conférence. Mais Karim nous confie, au détour d’un grand soir, que ses missions peuvent être tout autres et que chaque secrétaire fait vivre la Conférence à sa manière. Fan de Rock n’ roll, Karim est un peu le Jimmie Page de la Conférence. Lorsqu’on lui confie une guitare, il en double les cordes, dynamitant les candidats à la Berryer et semant bon an mal an des graines de culture grunge dans les sillons traditionnels de la Conférence. Dans la même lignée : Christophe Jamin, Philippe Lefèvre 40 Vanessa Boussardo Vanessa est titulaire d’un DEA de droit privé général et d’une maîtrise de droit des affaires. Elle fait aujourd’hui du droit pénal chez FTMS et associés, avec Pierre Olivier Sur. Car le pénal, c’est ce qui lui permet de révéler ce caractère mordant qui accompagne ses palabres. Vanessa est douce, élégante, mais également surprenante et ses piques en Berryer sont douloureuses. Vanessa est le secrétaire qui ne saurait mentir : elle est la voix de la vérité, la sage qui prodigue ses conseils en toute transparence. En tant que 9ème secrétaire, elle organise la petite Conférence, la joute des Conférences et le concours Taittinger. Elle est l’aggreg’ de la Conférence, la professeur de l’éloquence. Des personnalités, elle serait Fénelon. Des antiques, elle revêtirait la toge de Platon. Vous la croiserez surement au détour de la 23ème chambre, où vous éviterez ses salves et sa terrible verve. Vanessa n’est terrible qu’avec ceux qui le méritent. Gare à la morsure. La 9ème est-elle travailleuse ? Elle arrive au cabinet tous les matins à 7h30 et n’a de relâche que pour entretenir le mystère qui l’entoure. Ceux qui la prendraient pour une Dati se fourvoieraient. Sous ses robes stylisées se cachent une avocate retorse. Dans la même lignée : le Bâtonnier Paul Arrighi, Leon-Lef Forster Zoë Royaux Zoë Royaux ou quand Fifi Brindacier rencontre Olympe de Gouges. Elle pratique essentiellement le droit civil et le droit social mais la Conférence reste son terrain de jeu préféré. Avant de prêter serment, elle voulait déjà passer le concours de la Conférence : pour elle c’était la voie royale pour plaider des dossiers passionnants. En tant que 10ème secrétaire, elle est chargée d’organiser chaque mois le planning de travail des 12 secrétaires. Elle répartit en fonction des préférences et disponibilités de chacun, les permanences aux comparutions immédiates, au pôle financier et aux mises en examen criminelles. Le vendredi et le lundi sont souvent des journées très chargées pour elle, et ça « c’est moche » mais elle s’attelle à cette tâche avec cette infaillible motivation qui la caractérise. Il y a heureusement une solidarité assez spontanée entre les secrétaires pour pallier les problèmes du dernier instant. Elle avoue sans détour qu’elle a du mal à dormir les veilles de chaque Conférence Berryer à cause du trac qui la ronge mais, qu’une fois dans l’arène, c’est là qu’elle se révèle entièrement. Pour la rassurer, nous devons reconnaître que le trac va souvent de pair avec le talent. Enfin, un conseil à tous les futurs candidats de la Conférence du stage : quand vous vous adresserez aux secrétaires ne dites pas « Messieurs les secrétaires » mais bien « Mesdames et Messieurs les secrétaires ». On vous aura prévenu. Portraits des secrétaires de la Conférence Dans la même lignée : Michel Konitz Yassine Yakouti Yassine est le cadet, le génie précoce. D’abord Stagiaire chez Sherman et Sterling en droit des affaires puis chez Freshfields, il a su rattraper ses aînés avec fougue et entrain. Il est volontaire et force le destin. C’est un produit de l’université de Sceaux et de l’EDHEC mais l’école de commerce n’a en rien entaché sa fibre d’avocat. Sa famille originaire de Nanterre regarde avec admiration et fierté ce secrétaire qui n’a prêté serment qu’en 2008.Yassine avance vite. Très vite. Passionné par le droit pénal et le monde judiciaire, il pense qu’il est fondamental pour tout jeune avocat d’essayer de connaitre très vite la vie du palais et l’adrénaline de l’audience, les coups de blues à la buvette, les moments d’euphorie devant un JLD… En tant que 11ème secrétaire, il organise le concours de la Conférence afin de sélectionner la relève. Il est également le garant des traditions de la Conférence qui ne se transmettent que de père en fils. Yassine est aussi bienveillant. Il est le secrétaire qui adresse toujours un petit regard encourageant avant la Berryer. Il sait ce que c’est. Il est l’enfant du mérite, la voie de la volonté, mais tout va peut être un peu trop vite. Il part souvent se ressourcer dans le désert où, pourtant, il est toujours possible de le joindre. Yassine est l’homme qui vouvoie quand on le tutoie, soutient quand tout le monde casse, reprend quand ses aînés ont la langue qui fourche. Attention à ne pas juger sans connaître. Yassine est un secrétaire que l’on ne voit pas de prime abord, mais que l’on ne peut ignorer par la suite. On peut discerner chez Eddy une certaine prétention. Elle est indispensable à la fonction et procède de sa mission de douzième. On ne confie pas ses deniers à n’importe quel quidam. Lorsque l’on observe Eddy de près, on peut le surprendre à jouer avec ses boutons de manchette. Si Eddy procède de la même manière avec les billets, l’Ordre peut dormir sur ses deux oreilles. Ainsi, quand on parle de budget, Eddy veille au grain. On ne dit pas n’importe quoi. On n’accuse pas sans savoir. La dépense dispendieuse est son pire ennemi. Quand Eddy signe, c’est pour le bien de la Conférence. Eddy est cet homme captivant qui jette sur vous un regard magnétique. Lorsqu’il parle, on l’écoute. Et il vous le fait gratis. Dans la même lignée : le Bâtonnier Jean-Castelain , Pierre-Olivier Sur, Claude Lussan Dans la même lignée : Jean Chamant Eddy Arneton Eddy est un patron. Il a étudié à Bordeaux et à la Martinique le droit civil et le droit des assurances, domaines qu’il a pratiqués au sein d’un cabinet jusqu’en juin dernier. Parallèlement à sa collaboration, il pratiquait le pénal dès sa première année de Barreau. Désormais, seul le pénal le guide, ce qui l’a d’ailleurs conduit à présenter la Conférence. Aujourd’hui, il a le bâton de la justice dans une main, et le bouclier du financier dans l’autre. Et il fait grand cas des deux… En tant que 12ème secrétaire, il est le trésorier de la Conférence et décide ainsi de toute sortie en numéraire. Les secrétaires le disent « droit » et investi. Il est entier et ne passe pas par quatre chemins, quoi qu’il les aurait comptés préalablement. Quand Eddy s’investit, il n’y a pas deux poids deux mesures : il se consacre intégralement. 41 DOSSIER BIS : TITRE Les Secrétaires de la Conférence Paroles d’anciens secrétaires de la Conférence Maître Benoît Chabert, ancien 1er secrétaire de la Conférence Pourquoi avoir présenté le concours de la Conférence du stage ? Que pensez-vous de cette institution ? J’ai présenté ce concours pour 3 raisons : le désir de plaider devant la Cour d’assises ; le service du justiciable défavorisé ; et enfin, le goût du défi. La Conférence est intimement liée au droit pénal. Un secrétaire doit plaider pour convaincre. Celui qui s’écoute plaider est perdu. L’avocat qui plaide aux Maître Jean-Yves Le Borgne, ancien 4ème secrétaire de la Conférence Avez-vous déjà été secrétaire de la Conférence ? Que pensez-vous de cette institution ? J’ai été collé deux fois au concours de la Conférence ; la troisième fois j’ai été élu au poste de quatrième secrétaire de la Conférence. Le quatrième avait alors à organiser la Maître Henri Leclerc, ancien 2ème secrétaire de la Conférence 42 DOSSIER BIS : Paroles d’anciens secrétaires de la Conférence Vous avez été élu 1er Secrétaire de la Conférence. Quel est le rôle d’un premier ? Je rêvais d’être 7ème en passant le concours car c’était la place d’un bon ami. Je voulais être dans sa lignée. Je n’avais pas un instant pensé à la place de premier. Une promotion est toujours définie par son premier : « promotion Chabert », « promotion Ravanas »…c’est pourquoi les douzième ont toujours voulu être Bâtonnier, pour inverser l’ordre des choses (rire) A l’époque, il existait une tradition, selon laquelle le premier nouvellement élu appelait les anciens premiers secrétaires qui pouvaient décider de lui déléguer des dossiers. Parmi eux, Jacques Vergès, il m’a confié plusieurs dossiers extraordinaires ; j’ai ainsi défendu l’assassin d’un Bâtonnier de province, des membres du GAL. Le premier doit remplir trois missions difficiles : - Le discours lors de la rentrée du Barreau de Bruxelles. La tradition veut que le Premier secrétaire soit chahuté pendant son discours, l’objectif étant de rétablir le silence. A mon époque, le Bâtonnier était outré par cette pratique, il m’a donc été facile en « jouant le jeu » de m’attirer un certain « capital sympathie ». - Le toast lors du dîner de gala des Anciens Secrétaires. J’en garde un souvenir affreux. Jean Marc Varaut, ancien premier était venu me voir pour me féliciter : « Vous avez une très belle voix » m’avait il dit, la pire des insultes (rire). - Le discours de rentrée du Barreau de Paris. Le Premier doit faire l’éloge d’un avocat qu’il aura choisi préalablement. J’en garde au contraire un excellent souvenir. J’avais choisi - sur les conseils de Jean René Fartois de faire l’éloge de Maître Paul Baudet qui avait défendu Jacques FESCH, accusé d’avoir tué un policier, après le braquage d’une bijouterie. Enfin, être Premier c’est aussi être un chef de bande. Il y a deux types de premier : les génies et les chefs scouts ; j’appartiens à la seconde catégorie. Conférence Berryer qui, il faut le dire, était tout de même plus « sage » de mon temps. Par la suite, j’y ai fait la contre critique à de nombreuses reprises. L’exercice me plaisait beaucoup, mais « l’humour Berryer » me paraît peu conciliable avec mes fonctions actuelles ; on verra plus tard… A l’époque, il existait également, parallèlement à la Conférence Berryer, la Conférence Tronchet qui était une conférence d’improvisation : je regrette qu’elle n’existe plus, même si je dois reconnaître que lorsque j’étais le secrétaire de cette conférence, très peu de candidats s’y présentaient, à tel point que, plus d’une fois, j’ai dû improviser moi-même le discours et jouer ainsi tous les rôles. Le concours de la Conférence est une institution d’exception et, à vrai dire, je serais même favorable à ce qu’il redevienne obligatoire pour les jeunes avocats. Si l’exercice est difficile, il est extrêmement formateur ; il y a une dimension oratoire dans toutes les spécialités de notre profession, l’exercice est donc utile à tous. Par ailleurs, il s’agit d’un concours au mérite et je trouve cela très respectable. Il n’y a aucun favoritisme possible. J’ai présidé le concours de la Conférence pendant six mois et, tout naturellement, je faisais part, sans arrière-pensée aucune, de mon point de vue sur certains candidats aux secrétaires : ces derniers devenaient soudain de marbre ne laissant en rien transparaître leur avis mais gardant jalousement leur prérogative de choix que je n’avais d’ailleurs nullement l’intention de leur disputer. Ceci pour vous dire qu’aucune intervention, même involontaire, n’est possible auprès des secrétaires en poste. C’est notamment ce que je trouve appréciable dans ce concours. Si la liste finale des secrétaires est approuvée par le Conseil de l’ordre, ce n’est en rien pour contrôler la qualité de cette dernière, mais simplement pour vérifier qu’aucun nouvel élu n’est en délicatesse avec les règles de notre Ordre. Que pensez-vous de l’institution des secrétaires de la Conférence ? Quelle est leur légitimité ? Je suis actuellement Président de l’Association Amicale des Secrétaires et Anciens Secrétaires de la Conférence du Barreau de Paris. La Conférence est souvent contestée et mise en cause. Ce qui me semble important, c’est qu’il s’agit de l’un des derniers lieux où on cultive l’art de la parole et de ce discours spécifique qu’est la plaidoirie. C’est la parole qui fait l’homme et le discours qui assure le lien social. Il ne peut y avoir de justice pénale et même de procès sans parole. La Conférence doit évoluer : une culture trop grande du discours pour le discours doit changer, même s’il faut pour cela s’écarter un peu des traditions. La Conférence ne se justifie que dans l’optique de la plaidoirie : son objet n’est pas la beauté du discours, mais la conviction qui ne peut se fonder que sur la bonne connaissance du droit, du dossier de la personne que l’on défend et alors seulement vient la rhétorique, ou l’éloquence si vous préférez. Une de mes toutes premières plaidoiries m’a marqué. J’étais en comparution immédiate - l’ancien « flag » - je plaidais alors pour un yougoslave accusé de se servir régulièrement dans des bouteilles de lait qui attendaient dans la rue d’être rentrées dans les magasins. Commis d’office, j’étais satisfait de ma plaidoirie, le Président du Tribunal me félicitait alors que mon client venait d’être condamné à six mois ferme... J’étais absolument furieux : je ne pouvais pas avoir bien plaidé alors que mon client venait d’être condamné à cette peine ! On ne peut pas séparer la plaidoirie de la défense ! assises est une sorte de vitrail qui donne de la lumière à des personnalités parfois fades. Les vitraux sont parfois beaux, mais ils ne sont que des vitraux dont l’objectif est de donner de la couleur à une lumière blanche. La Conférence est élitiste mais c’est une très belle institution qui met en avant le talent oratoire et non simplement la réussite financière. Vous êtes vous déjà présenté à la Conférence Berryer et que pensez vous de ce concours d’éloquence ? Non, je n’ai pas passé la Berryer. C’est un exercice que je n’aime pas ; critiquer des confrères m’agace. Le secrétaire doit être brillant dans la méchanceté ; je préfère l’être dans l’éloge. Il est plus facile d’être un « bon méchant », qu’un « bon gentil ». C’est devenu un spectacle parisien à la mode, mais je n’en comprends pas l’utilité. Est-il possible de mener de front une collaboration et une mission de secrétaire ? Je connais les difficultés qu’ils rencontrent. Je réfléchis actuellement à un système qui rende compatible l’exercice d’un mandat de secrétaire avec une collaboration. Cela pourrait passer par une mutualisation de la charge d’un secrétaire pour un cabinet. Bien sûr, cela ne résoudrait pas tous les problèmes ; de nombreux cabinets souhaitent bénéficier d’un collaborateur à plein temps. Mais, il faut trouver une solution car les légitimes exigences d’un contrat de collaboration ne doivent pas être un frein pour les candidats au concours de la Conférence. 43 DOSSIER BIS : TITRE Les Secrétaires de la Conférence DOSSIER BIS : En bref Ma Berryer : Récit d’un candidat Les rôles des secrétaires La petite Conférence Les numéros qui accompagnent chaque secrétaire ne sont pas révélateurs d’un classement. Ils correspondent à une fonction, qui est propre à chacun, et qui serait attribuée en fonction des multiples personnalités qui composent la conférence du stage. La petite Conférence est organisée par le neuvième secrétaire avec l’Association des Elèves Avocats de l’EFB. Il a lieu chaque année et a pour but, entre autres, de préparer les élèves avocats au concours de la Conférence. - Le premier secrétaire est appelé le primus inter pares, représentant ses pairs auprès de l’Ordre et plus généralement lors de l’ensemble des évènements qui les concernent. Il prononce un discours à la mémoire d’un avocat à la rentrée du Barreau de Paris. - Le deuxième secrétaire est la face cachée du premier, le « fou du Roi », l’électron libre. Si le premier secrétaire est le Ying, lui serait le Yang. Il veille à l’équilibre. Il prononce également un discours lors de la rentrée solennelle, sur un grand procès. - Le troisième secrétaire est responsable des relations avec la presse et avec les magistrats. Il ouvre le concours de la conférence. - Le quatrième secrétaire est en charge de la conférence Berryer. - Le cinquième secrétaire est en charge des questions relative à la défense des minorités, des discriminations, l’objet exact variant en fonction des nécessités. - Le sixième secrétaire représente l’Ordre vis-à-vis des barreaux étrangers. - Le septième secrétaire assure les relations avec les barreaux francophones. - Le huitième secrétaire est responsable du site web de la conférence et des blogs et, normalement, de l’organisation du colloque de la Conférence. - Le neuvième secrétaire organise la Petite conférence (Cf. encadré) et le prix Taittinger. - Le dixième secrétaire est chargé de la défense pénale et distribue les permanences des secrétaires en fonction des emplois du temps. - Le onzième secrétaire est le « gardien des traditions » et, à ce titre, est souvent directement visé lors de la contre-critique des Berryers (Cf. encadré). Il organise le concours de la Conférence. - Le douzième secrétaire est le trésorier de la Conférence. Il organise les sorties officielles. Le concours de la Conférence Le concours de la Conférence est une tradition. Elle permet de sélectionner chaque année la relève, de choisir les candidats qui « plaisent, émeuvent, convainquent ». Le premier tour se déroule sur 24 séances, de janvier à juillet, chaque mercredi à la bibliothèque de l’Ordre. Deux sujets sont proposés aux candidats 15 jours à l’avance, qu’ils ont le choix de traiter par l’affirmative ou la négative. Chaque séance se déroule en présence du Bâtonnier ou de l’un de ses représentants et d’un invité issu du monde judicaire, universitaire ou de la presse. Le concours de la Conférence a ainsi vu s’exprimer des grands noms du droit, comme Jean-Denis Bredin, Robert Badinter, Guy Canivet et Jean-Louis Debré. A l’issue de ce premier tour, où chaque année près de 120 avocats se présentent, 36 sont sélectionnés. Ils sont, au cours du deuxième tour qui se déroule en septembre, invités à discourir sur un sujet tiré au sort cinq heures avant leur passage. Les 24 candidats sélectionnés aux termes du deuxième tour déclameront en octobre lors de l’une des trois séances du troisième tour. Ils auront cinq jours de préparation. Les douze candidats sélectionnés parmi les 24 candidats du troisième tour se verront alors confiés leur fonction de secrétaire, qu’ils exerceront à compter du mois de janvier de l’année suivante. Responsable 2010 :Yassine Yakouti, 11ème secrétaire 44 Elle est organisée en trois tours, le jury étant pour chacun composé de plusieurs secrétaires de la Conférence et d’un invité de renom. La petite Conférence est ouverte aux élèves de la promotion entrante sur simple inscription auprès du neuvième secrétaire. Le premier tour à lieu au cours des deux premiers semestres de l’année. Le candidat choisit son sujet, qu’il traitera par l’affirmative ou par la négative, parmi deux sujets proposés 15 jours à l’avance et diffusés sur le site de la Conférence et de l’AEA. A l’issue du premier tour, huit candidats sont sélectionnés pour le deuxième tour. Le deuxième tour est organisé sur une journée, les sujets à traiter étant tirés au sort cinq heures avant le passage, pour une prestation d’une dizaine de minutes. Quatre candidats accéderont ensuite au troisième tour. Le troisième tour a lieu sur une soirée. Les sujets sont transmis aux quatre candidats cinq jours à l’avance et le lauréat est désigné à l’issue des quatre prestations. Responsable 2010 :Vanessa Bousardo, 9ème secrétaire La Berryer A peu près une fois par mois, le quatrième secrétaire organise au sein de la Salle des Criées du Palais de Justice de Paris la célèbre « Conférence Berryer », du nom de l’avocat initiateur de la « plaidoirie engagée » sous la troisième République, baptisée la « République des avocats ». Maître Berryer fut le défenseur de grandes causes et des grands hommes, des généraux Ney et Cambronne, dont le mot ne lui aura pas échappé, à Louis-Napoléon en 1840. Il fut avocat, bâtonnier et académicien, autant de titres à la convergence desquelles se situent la probité, l’éloquence et la littérature. La « Berryer » est un exercice respectant des règles bien précises : les douze secrétaires, présidés par un invité d’honneur, au rang desquels on peut citer Salvador Dali, Bernard Pivot, Patrick Bruel, Fabrice Lucchini, Claude Nougaro ou même Nicolas Sarkozy, ouvrent les portes de la Salle des Criées, en retard, et s’installent devant un public agité. Puis l’un des secrétaires, revêtant pour la cause la fonction de rapporteur, dresse un portrait « aigre-doux » de l’invité, qu’il sera invité à corriger un fois l’exercice terminé. Puis vient le tour des candidats, de deux à quatre selon la Berryer, qui déclament durant une dizaine de minutes leur discours préparé sur l’un des sujets diffusé préalablement (notamment sur le site de la Conférence). La fin de chacun des discours marque l’ouverture des « hostilités », chaque secrétaire, tour à tour, étant invité à critiquer le candidat de toute leur verve. Parfois moqueur, souvent féroce, toujours fin, les critiques fusent et rares sont les secrétaires qui ménagent les candidats. Beaucoup ont qualifié la Berryer de « lynchage ». Ce n’est pas toujours faux. Mais tous connaissent l’exercice et les commentaires des secrétaires sont tous exempts de méchanceté. Les douze secrétaires ayant émis leurs critiques, le dernier mot est confié à l’invité. La Berryer s’achève toujours sous les feux d’une contre-critique, ancien secrétaire, dissimulé dans l’audience, qui condamne un à un les secrétaires, les traitant avec d’autant plus de fougue que les secrétaires auront laissé libre court à leur brûlante inspiration. Une « mise en abîme » à laquelle on assiste toujours avec délectation. Responsable 2010 :Thomas Heintz, 4ème secrétaire Ma Berryer : Récit d’un candidat « Sarah on ne peut écrire que sur ce que l’on connaît », m’a dit un des Secrétaires de la Conférence. C’était un mercredi. La Berryer avait lieu le vendredi soir, je me suis laissée convaincre… Pourtant, je savais ce qui m’attendait. J’avais vu les affichettes clairsemées dans le Palais et je m’étais rendue un soir à la Berryer pensant assister à un concours solennel dans la Salle des Criées : j’avais découvert un concours d’éloquence parodique. En fait, le spectacle s’apparentait à une sorte de corrida avec mise à mort des candidats. Noyée dans la foule des spectateurs médusés, visiblement moqueurs mais tacitement admiratifs, je me disais que jamais je ne pourrai participer à ce genre d’exercice. « Silence, on tourne ? » : tel était le sujet que je devais préparer. Je saute dans un taxi, au mépris de l’état désastreux de mes finances de stagiaire et j’en profite pour téléphoner à mes amis. La nouvelle s’est déjà propagée : Sarah passe la Berryer. Minuit, je pianote fébrilement sur mon ordinateur, je griffonne toutes les idées qui me passent par la tête et les titres de films qui me viennent à l’esprit. Six heures : je suis debout, je réveille l’équipe du Baromaître. Ils seront tous présents à dix heures dans notre salle de réunion : la chef de rédac va au casse pipe, il faut sauver l’honneur du Journal. Je récolte les blagues des uns, les références des autres. Je me rassure, mais j’ai maintenant beaucoup trop de notes : plus de vingt pages ! Je m’enferme chez moi : il faut trier, rédiger... Un plan ? La Berryer permet de s’en passer... J’essaie d’écrire : des phrases de quinze lignes à mourir d’ennui et parfaitement imprononçables. Réécrire, recommencer. 20 heures : j’ai fini. Un ami m’appelle : « Tu as lu le blog d’Eolas ? ». Le célèbre avocat bloggeur conseillait de ne pas parler droit, de ne pas attaquer les secrétaires et de ne pas attaquer l’invité. J’ai tout faux. Mais il est trop tard pour recommencer, trop tard pour renoncer. Demain, à la même heure, je serai dans l’arène. Une nuit sans fermer l’œil, mais quand je me réveille il est midi. Panique. Je passe l’après midi chez deux amis : ils me font répéter encore et encore... 18 heures : je rentre prendre une douche et je rejoins l’équipe du Journal. Ils m’attendent aux « Deux Palais ». Ils m’ont commandé à boire. Je bois, je bois : sans le moindre effet apparent. C’est l’heure, j’avance mécaniquement dans le Palais, j’y suis : je passerai la seconde. Le quatrième secrétaire se lève, me présente : « je suis une bonne élève, sûrement très chiante » ; ça va, je m’attendais à pire. Je me lève à mon tour ; je commence à parler ; mes deux metteurs en scène sont à côté de moi. La salle semble rire, j’entends des applaudissements, mais je suis loin. Je déroule mon discours, comme j’imagine qu’on monte un col en vélo, j’ai passé les points difficiles, les blagues qui ne font rire que moi, évité les zozotements possibles, les mots sur lesquels j’ai trébuché tout l’après-midi. Ça y est, j’ai fini. Soulagement. Vient alors le moment où le douzième se lève, réajuste ses boutons de manchette, fredonne une mélodie qui me rappelle vaguement quelque chose... Mes amis sont inquiets. Ce que je redoutais le plus s’avère un soulagement : j’ai fini. J’essaie de rester concentrée, mais les kirs commencent à faire leur effet et les deux nuits blanches se font sentir. Je me souviens de la 10ème Secrétaire qui monte sur la table pour imiter un cours d’ « aérobite », du septième qui me « chie dans le cou » (c’est une réplique de film, mais je l’ignorais), de la cinquième qui fredonne l’air de Princesse Sarah. Et puis c’est tout. Le reste, on me le racontera après.Vous vous réveillez, c’est fini : Princesse Sarah est redevenue stagiaire, le carrosse est redevenu citrouille... Mais, vous vous dîtes en vous-même : « c’était bien ». Sarah Mauger – Promotion Jacques Attali – série N 45 DOSSIER BIS : TITRE Les Secrétaires de la Conférence DOSSIER BIS : SOUS-TITRE Interview Berryer Emmanuel RAVANAS : Le premier sera-t-il le dernier ? A la Conférence, les numéros ne sont qu’indicatifs : tout le monde attaque mais surtout tout le monde défend. Il n’y a pas de Juda ! Alors pas de question de préséance, l’aventure se vit tous ensemble et c’est bien souvent que le premier se retrouve dernier. L’ordre des choses en somme ! César GHRENASSIA : La Conférence permet-elle de franchir le Rubicon ? Ne faut-il pas avoir déjà franchi le Rubicon pour se présenter au concours et affronter les épreuves du succès ou de l’insuccès? Aller où nous mènent les signes de ces Dieux qu’on distingue de plus en plus mal et l’injustice d’ennemis qui n’entendent pas même se cacher. Après, les dés sont jetés et il faut suivre son numéro. Bien sur, si j’avais eu la chance de m’appeler Jacky j’aurais pu vous répondre en chanson ; mais le barreau de Knokke le Zoute ne compte qu’un seul Secrétaire élu pour une heure seulement. Guillaume PELLEGRIN : L’ambition étanche-t-elle la modestie ? Interview Berryer Kee-Yoon KIM : Fait-il plus chaud chez Castel ou au dépôt ? Zoë ROYAUX : La femme est-elle un homme comme les autres ? Je ne peux pas répondre à cette question : je me suis toujours fait refouler à l’entrée du dépôt. Ceci dit, il paraît que le dépôt est désormais un endroit chaleureux et accueillant depuis les travaux annoncés en 2009 à la suite de la guérilla menée par la promo 2009 (conclusions de nullité déposées systématiquement lors de chaque audience devant la 23e chambre des comparutions immédiates). Mais nul n’a encore pu constater de ses propres yeux... Il est donc manifestement encore temps d’y passer la nuit pour témoigner et obtenir le Renaudot et/ou le Grand Prix des lectrices de Elle. Chez Castel... mais vous nous avez pris pour des baltringues ? Quitte à choisir, je préférerais les Planches. Malheureusement, c’est techniquement incompatible avec les 14h de sommeil par jour nécessaires pour garder le teint soyeux et le poil frais. On n’a rien sans rien. La femme devrait-elle forcément être un homme comme les autres !? Mais non!!! D’ une part elle pourrait être un homme différent et d’ autre part et surtout être une femme! Juste une femme! Libérons les femmes de cette oppression masculine! Arrêtons ces comparaisons handicapantes! Et puis nous savons que la société contraint la femme à être belle, de bonne humeur, et même d’ humeur égale sous peine d’ être démasquée comme étant en train de vivre ses « menstruations », épilée, bonne cuisinière, drôle sans être vulgaire bien sûr, jamais saoule, sportive mais pas trop sinon elle ne peut être que lesbienne, pas liftée mais pas ridée, pas grosse mais pas obsédée par son poids, ferme non pas dans son caractère mais juste au niveau des cuisses, du ventre...? non sauf pendant les grossesses.... Par toutes ses qualités contraintes imposées.. La gemma n’est pas un homme comme les autres… Bien au contraire! Messieurs, vous qui rêvez d’être une femme comme les autres...à vos épilateurs il n’est jamais trop tard pour bien faire! Franck FISCHER BERTAUX : La nuit voit-elle le jour ? Malheureusement, cette question ne veut rien dire en raison d’une mauvaise utilisation du verbe « étancher » ; qui plus est elle ne s’applique pas du tout à moi, qui souffre d’un manque total d’ambition, en grande partie lié à une absence de charisme et à un physique quelconque. Je vous remercie malgré tout de me l’avoir posée ; quelqu’un d’aussi modeste que moi est toujours ravi d’entendre dire par les autres tout le mal (ou le bien) qu’il pense de lui-même. Chaque nuit. Chaque jour. Jamais de rendez-vous manqué. Le miracle se renouvelle toujours. Pour mon plus grand bonheur. Ce moment où la nuit voit le jour, d’aucuns disent qu’il survient entre chien et loup. A cet instant, chacun gagne la liberté supplémentaire d’être éventuellement pris pour celui qu’il n’est pas... Pour l’avocat que je suis, l’expression prend également un autre sens. Elle porte la symbolique de cet arbitrage perpétuel auquel nous sommes contraints entre loyauté et indépendance, de cet effort de justesse que nous devons tous à tous les oiseaux de nuit déférés à la pique du jour... Thomas HEINTZ : La ponctualité étant la politesse des rois, les Secrétaires manquent-ils d’éducation à défaut d’éloquence ? Karim MAKRAM-EBEID : Faut-il avoir lu la Princesse de Clèves pour être cultivé ? Cher Baromaître, Comment oses-tu ? Toi qui met en parenthèse la vie d’une cohorte, d’une myriade, que dis-je, d’une multitude, de lecteurs dont le quotidien est suspendu à la parution aléatoire de chacun de tes numéros. Ton hôpital se moque bien de la charité. Du reste, si tu nous fais ce procès-là, c’est que tu nous connais mal. Nous sommes toujours à l’heure. Cette heure parfaite où l’impatience d’une audience courageuse rencontre les espoirs d’orateurs incertains, comme deux corps qui ont attendu l’étreinte, emplis de doutes et d’espoirs, et qui observent d’un œil brillant la lézarde sur le plafond, se disant en eux-mêmes : « c’était bien ». Celle du chat et de la souris. A la bonne heure. Solenn LE TUTOUR : Faut-il aimer sa famille ? La famille c’est comme le chou-fleur. Certains adorent, d’autres abhorrent. Moi j’aime le gratin de chou-fleur, autant dire que j’aime la famille, même quand elle est gratinée. Crue elle peut-être crue-elle, mais bien préparée, bien mijotée avec délicatesse respect et générosité, quel met des plus exquis ! Qu’elle soit de sang ou d’amitié, la famille c’est un délice! 46 S’agissant de ta question, elle ne manque pas de m’étonner, voire de me choquer, tant elle confine à l’insulte à un chef d’Etat en exercice. Aussi ne m’attarderai-je pas à de longs développements et me contenteraije de rappeler les paroles de notre guide suprême que tu as, semble-t-il, honteusement oubliées, au mépris de tous sens civique et patriotique (si ce n’était pas le cas, tu n’aurais pas posé cette question). Ainsi, « l’autre jour, je m’amusais, on s’amuse comme on peut, à regarder le programme du concours d’attaché d’administration. Un sadique ou un imbécile, choisissez, avait mis dans le programme d’interroger les concurrents sur “La Princesse de Clèves”. Je ne sais pas si cela vous est souvent arrivé de demander à la guichetière ce qu’elle pensait de “La Princesse de Clèves”… Imaginez un peu le spectacle ! ». Il n’est donc pas nécessaire d’avoir lu la Princesse de Clèves pour devenir un puit de science. Le régime à suivre pour le devenir est bien plus simple : un visionnage hebdomadaire du JT de 20h (je conseille les JT sur Canal + ou M6, ils sont plus courts) doublé d’une lecture attentive des textes imprimés sur les paquets de biscuits et/ou de céréales suffit amplement pour acquérir un bagage culturel des plus solides et ne pas devenir un illettré comme bon nombre de mes confrères. Vanessa BOUSARDO : Etre une Vanessa est-ce le paradis ? Malgré leurs avances insistantes, je n’ai pas eu de relation avec Gainsbourg, Kravitz ni Johnny Depp!!! En dépit des apparences, ce n’est pas tous les jours paradisiaque... Plus sérieusement, la détresse de la plupart des gens que l’on défend au quotidien donne parfois l’impression de toucher du doigt l’enfer...sur terre. Yassine YAKOUTI : La Conférence respecte-t-elle une politique des quotas ? Les œillades d’un borgne, les cavalcades d’un boiteux et les discours d’un sourdmuet ont ceci en commun qu’ils n’arrivent pas vite, voire jamais, au but. Voilà, j’espère ne pas avoir été trop long. Eddy ARNETON : Est-il dur d’être aimé par des comptes ? La réunion du 28 juillet 2010 a pris fin, l’œil torve-vif, phénomène rare rencontré uniquement chez les pratiquants de jardinage naturiste, ils entonnent une chanson paillarde d’origine Hutue : « Jetons-les à l’eau, Jetons-les à l’eau, Point de bobos pour les Masos ! ». Ils sont prêts à en découdre avec les souillons de la Nation ; l’exemplarité anciennement condamnée dépose alors contre la vermine. L’objectif du gouvernement est clair, la mesure à venir, la voici : dans les trois mois, tous les élèves-avocats qui ne maîtrisent pas le Terré, Simler et Lequette seront renvoyés dans leurs facultés d’origine puis installés en République Dominicaine pour être certain de ne plus les voir. Les élèves-avocats honteusement frondeurs crièrent à l’amalgame : « Il convient de distinguer les élèves-avocats qui sont de futurs avocats des étudiants en droit qui risquent de devenir notaires, nous sommes crf-paiens et ef-biens, nous n’avons pas de terre, traitez-nous comme tous les juristes !», s’indigna leur chef de fil, une certaine Samau Rahger. Mais les chiffres avaient parlé aux yeux du pouvoir. Sur le livre des comptes des crimes et délits, un trop grand nombre d’élèves-avocats végète dans les trois cents camps illégaux de la Deuxième année de droit, lesquels seront démantelés sans ménagement. Le mois d’août 2010 fut alors le plus dévastateur de tous les temps. Les élèvesavocats collèrent des chewing-gum à l’entrée des Mac Do, refusèrent les sorties en Kayak, et, comble de l’horreur, pratiquèrent l’abstinence.Vaines tentatives, le spectacle prime l’Histoire. Vous le savez, être aimé par des comptes est une abjecte souffrance. Sourions, l’arme aux lèvres ! Pierre-Emmanuel Froge – promotion Jacques Attali – série H Sarah Mauger – promotion Jacques Attali – série N Hadrien Pellet – Promotion Jacques Attali – série J Photographies : Léopold Lemiale – promotion Jacques Attali – série N Le regard des candidats sur la Conférence du stage Avez-vous déjà été secrétaire de la Conférence ? Que pensez-vous de cette institution ? Maître Christiane Feral- Schuhl : La promotion 2010 emmenée par Emmanuel Ravanas est emblématique de ce que la Conférence du Stage incarne. Elle est la rencontre de la tradition et de la modernité à laquelle je suis très sensible. C’est la Conférence du Stage qui a déposé le QPC sur la garde à vue ; c’est le Premier Secrétaire de la Conférence, lors de l’audience des plaidoiries devant le Conseil Constitutionnel du 20 juillet 2010, qui a débuté les débats. Pour ne pas avoir été Secrétaire moi-même, j’ai choisi un colistier, candidat au Vice-bâtonnat, Yvon martinet, ancien Premier Secrétaire de la Conférence du Stage (promotion 1991), dont le parcours et l’activité en matière de droit pénal et des procédures pénales sont reconnus, notamment dans sa spécialité du droit de l’hygiène, sécurité, santé et environnement. Maître Pierre-Olivier Sur : La Conférence m’a tout donné. Elle m’a permis de plaider des dossiers passionnants ; « l’affaire des frères Chaumet » par exemple (1990). Le premier jour de l’audience il manquait un avocat, pour l’un des prévenus qui était aussi la dernière roue du carrosse. Philippe Lemaire et Bernard du Granrut, anciens douzièmes secrétaires, ont donc demandé en urgence à l’actuel douzième secrétaire… c’était moi… de venir occuper avec eux le banc de la défense pour ce prévenu-là. Je suis donc arrivé, comme en comparution immédiate, à l’ouverture de ce procès qui faisait la Une de tous les journaux. Il se trouve que dans la composition du tribunal, il y avait un auditeur de justice qui était le neveu d’un futur prévenu dans une autre affaire médiatique. Et ledit auditeur de justice m’a ensuite envoyé ce nouveau client. Ainsi mon aventure professionnelle a-t-elle commencé. Le Bâtonnier Francis Mollet-Viéville disait, se retournant sur sa propre carrière : « La Conférence du stage c’est mieux que le Conseil de l’Ordre, mieux que le Bâtonnat, mieux que le Conseil Constitutionnel ». Et Poincaré avait ouvert la voie en ajoutant même : « c’est mieux que… la Présidence de la République ! ». La Conférence m’a également transmis la culture de réseau. Le réseau palais. Comme avec l’UJA, les anciens membres du Conseil de l’Ordre, le cercle de pétanque du Barreau. La Conférence est ma seconde famille. Maître Brigitte Longuet : Le candidat Vice-Bâtonnier à mes côtés, Hervé Chémouli, est un ancien secrétaire de la Conférence. L’éloquence est l’un des piliers de la profession. Mais la profession est diverse dans ses spécialités et toutes ne mènent pas à la barre, a fortiori pour la conquête de nouveaux marchés. 47 HORS DES CÔTES HORS DES CÔTES Comment effectuer un stage dans les institutions européennes ? Petit guide pratique pour décrocher un stage dans une institution européenne C ela ne vous aura pas échappé, le droit européen (ne plus dire « droit communautaire », il a été enterré par le Traité de Lisbonne) est de plus en plus prégnant en droit français et les cabinets sont friands de jeunes collaborateurs maîtrisant parfaitement les rouages bruxellois. Mais, si tout le monde a suivi au moins un cours de droit communautaire à la fac, peu de futurs avocats s’y retrouvent vraiment dans le magma de règles que forme le droit européen. Alors, quel meilleur moyen pour se familiariser avec ce droit complexe et aujourd’hui inévitable que d’effectuer un stage dans une des institutions de l’Union européenne ? Ceux qui se sont renseignés sur la question ont certainement été refroidis par la procédure officielle un peu longue et fastidieuse… Pourtant, peu savent qu’il existe des chemins de traverse pour obtenir un stage à Bruxelles, Luxembourg ou Strasbourg. La mission n’est donc absolument pas impossible ! Pour quel type de stage ? D ans le jargon de la Commission, on distingue les stages « blue book », obtenus par le biais du processus de recrutement officiel, des stages « hors blue book », obtenus en candidature libre. Chacune des institutions propose, de la sorte, deux types de stages : des stages rémunérés accessibles par le biais d’une procédure encadrée et des stages atypiques non rémunérés pour lesquels la candidature est libre. L Dans quelle institution ? D ès que l’on parle de l’UE, le premier réflexe est de penser à la Commission, organe tentaculaire qui traite de multiples sujets dans ses différentes directions générales. Cependant, il existe de nombreuses autres institutions européennes qui sont toutes à la recherche de stagiaires étudiants ou jeunes diplômés. Le secrétariat général du Conseil de l’UE, le Parlement européen, le Médiateur européen, la Cour de justice et le Tribunal de première instance de l’UE, la Cour des comptes européenne, le Conseil des régions et le Comité économique et social, et enfin la Banque centrale européenne et la Banque européenne d’investissement vous tendent les bras. Les stages y sont tout aussi intéressants et peuvent même mieux correspondre à certains profils qu’un stage à la Commission. Les publicistes qui s’intéressent aux collectivités locales, par exemple, trouveront un intérêt particulier au Comité des Régions, les affairistes à la Banque centrale européenne ou à la Banque européenne d’investissement, et les mordus de procédure au Médiateur européen. 48 Les cabinets raffolent des étudiants rompus au droit européen • Les stages rémunérés Des quotas par nationalité sont appliqués à ce stade. Si vous passez le filtre de la présélection, vous ferez alors partie du livre bleu (le fameux blue book) dans lequel les directions générales viennent théoriquement piocher les stagiaires qui les intéressent. Dans la pratique, le blue book comprend 4 fois plus de candidats qu’il n’y a de stages rémunérés à pourvoir, c’est donc aux candidats de contacter les DG avec lesquelles ils souhaitent travailler afin de décrocher un stage. Vous l’aurez compris, il faut s’y prendre longtemps à l’avance (la phase de candidature est ouverte 9 mois avant le début du stage et dure 2 mois), mais ça en vaut la peine. Les cabinets raffolent des étudiants rompus au droit européen, 5 mois de stage à Bruxelles, Luxembourg ou Strasbourg font une vraie différence sur le CV. Qui peut tenter sa chance ? es critères communs à l’ensemble des institutions européennes sont les suivants : il faut être majeur (certaines institutions, comme le comité des régions, prévoient également un âge maximal de 32 ans), être ressortissant d’un Etat membre de l’UE, être diplômé ou en cours d’obtention de diplôme et parler au moins deux langues officielles de l’UE (ne vous inquiétez pas, le français et l’anglais suffisent). Comment effectuer un stage dans les institutions européennes ? Ils sont limités en nombre en comparaison de la quantité de candidats. Le Conseil, par exemple, annonce 1500 candidatures pour 95 places… Il faut cependant se méfier des chiffres avancés qui comprennent la totalité des candidatures, et notamment les nombreux dossiers incomplets ou irrecevables. Le ratio réel entre le nombre de candidatures qui ont une chance d’aboutir et le nombre de stages proposés est bien moindre. De plus, les élèves EFB étant diplômés d’une maîtrise de droit au minimum et membres du CRFPA de Paris remplissent haut la main les conditions universitaires requises. Le niveau de rémunération tourne en règle générale autour de 1100€. La durée de ces stages est de 5 mois. Chaque institution propose deux sessions à date fixe. Les stages à la Commission, par exemple, débutent en mars ou octobre, ceux du Conseil en février ou septembre. La rigidité des dates de stage les rend peu compatibles avec la scolarité à l’EFB, il est souvent nécessaire de faire une césure afin d’effectuer un stage de ce type. Le processus de candidature est assez long et comprend plusieurs étapes. Prenons l’exemple de la Commission. Après avoir retourné le formulaire de candidature (trouvé sur leur site Internet) et votre dossier, un premier examen sera effectué pour s’assurer que votre candidature remplit l’ensemble des critères requis et que votre dossier est complet : c’est l’admissibilité. Votre dossier passera ensuite entre les mains d’un comité de présélection qui note et classe les dossiers en fonction du profil académique, de la motivation des candidats et de critères complémentaires (stages, expériences à l’étranger…). • Les stages atypiques Pour ceux qui ne veulent pas se tracasser avec une procédure complexe ou qui s’y prennent à la dernière minute, il est toujours possible d’effectuer un stage dit « atypique » (ou hors blue book à la Commission). Certaines institutions donnent même la marche à suivre pour candidater librement. L’avantage principal de ce type de stage est la flexibilité dans les dates. Ces stages durent en général 3 mois, soit la moitié d’un PPI. Ils sont en revanche non rémunérés. Comment faire alors ? Il suffit de chercher dans l’organigramme de l’institution de votre choix la ou les personnes auprès desquelles vous souhaitez postuler et de recréer leurs adresses mails. Les adresses électroniques des fonctionnaires européens sont toutes sur le même modèle : prénom.nom@acronymedel’institution. europa.eu. Ainsi, l’adresse de Pierre Durand, fonctionnaire à la Commission, sera la suivante : [email protected]. Enfin, mieux vaut envoyer un CV en anglais si vous ne connaissez pas la nationalité de la personne à qui vous écrivez. Vous l’aurez compris, les possibilités de stage sont multiples. Ces stages sont prisés des cabinets et vous permettront de découvrir la chaleur bruxelloise, le charme luxembourgeois ou la gastronomie strasbourgeoise. Alors, à vos CV… Sophie Joly, Promotion Jacques Attali – série F 49 TITRE DES CÔTES HORS HORS DES CÔTES Le LLM : Intérêts & Perspectives Un Master of Laws (LLM, pour les intimes) est un diplôme de droit destiné aux étudiants étrangers permettant de suivre une année universitaire (à temps plein ou à temps partiel) dans le pays d’accueil. Il s’agit la plupart du temps d’universités anglo-saxonnes, fers de lance dans le domaine. Toutefois, ce n’est pas uniquement l’apanage des anglo-saxons car des universités venant de pays émergents se sont récemment lancées dans la bataille… L e LLM, qu’est-ce que c’est ? A quoi ça sert ? Est-ce que je dois ou peux m’y intéresser ? J’imagine que beaucoup d’entre vous ont déjà entendu parlé des LLM, que ce soit du modus operandi parfois compliqué pour pouvoir les intégrer, ou bien encore des débouchés que cela peut vous offrir. Pour faire court, et sans vouloir décourager le lectorat attentif que vous êtes, le processus est parfois long et fastidieux. En dehors des innombrables prés requis universitaires (lettres de recommandation en anglais, traduction des diplômes, score minimum de TOEFL…), l’obtention du visa (s’agissant d’un LLM aux Etats-Unis) est un moment de plaisir non dissimulé dont je vous laisse la primeur de la découverte. Ce serait toutefois dommage de s’arrêter à de basses considérations administratives, don’t you think ? Or, quoi de mieux que de parler de sa propre expérience pour vous en donner une idée un peu plus précise ? Choisir un LLM c’est un peu comme choisir un voyage, à l’exception près que l’on y part pour un an et que l’objectif est officiellement celui de travailler et accessoirement celui de renforcer son curriculum vitae. Après s’être assuré de viser une 50 Le LLM : Intérêts & Perspectives université que vous pensez raisonnablement pouvoir intégrer (tout le monde n’a pas le curriculum vitae pour Stanford ou Oxford), le cadre de vie est déterminant. La Grande-Bretagne et les Etats-Unis faisant office de référence en la matière, je m’étais essentiellement focalisé sur ces deux destinations. S’agissant des LLM anglais, il faut savoir que vous serez probablement entourés de nombreux étudiants français, ce qui n’est pas sans difficulté lorsque l’on souhaite progresser en anglais. L’avantage est l’indéniable proximité avec la France, un petit Eurostar et vous voilà à Paris. L’inconvénient, sans verser dans le cliché, réside dans les conditions climatiques tropicales presque toute l’année. Plus sérieusement, l’argument déterminant peut résider dans le coût des LLM anglais qui est nettement plus abordable que leurs homologues américains, de l’ordre de 20.000 euros l’année (nourriture et logement, compris). Personnellement, j’ai fait le choix du LLM américain et je ne le regrette pas. Il faut simplement prendre certains éléments en considération avant de postuler à ce type de programme. Tout d’abord, l’argent, beaucoup d’argent, sauf à ce que vous obteniez une bourse d’études. En effet, un LLM américain est très cher. Comptez environ 50.000 euros l’année tout compris. Oui, on Après s’être assuré de viser une université que vous pensez raisonnablement pouvoir intégrer, le cadre de vie est déterminant. est d’accord... D’ailleurs, qui dit montant prohibitif dit choix drastique en matière de faculté. Votre année J’entends par là que lorsque vous mettez ce prix là (il faut savoir de LLM que la première fonction des sera aussi celle LLM est de financer les bourses de l’enrichissement des étudiants américains, ce extra-universitaire qui fait toujours plaisir, trois petits points), mieux vaut que la formation vous délivre un retour sur investissement. En effet, tous les LLM ne se valent pas.Aux EtatsUnis, il y a le T14 (Top 14) et le reste. Un monde les sépare. Un petit tour au classement US News (actualisé chaque année) et vous aurez la fameuse liste. A mon sens, en dehors des 14 premières facultés, mieux vaut s’abstenir. En revanche, en dépit d’une proximité culturelle évidente, nul doute que vous serez dépaysés.Aux Etats-Unis, il existe deux types de facultés. Soit vous êtes dans un campus universitaire qui offre toutes les caractéristiques d’une ville (supermarchés, commerces en tous genres, restaurants, cinéma et incontournables complexes sportifs), campus où vous vivez la plupart du temps excentré mais entouré de plusieurs milliers d’étudiants. Soit vous êtes dans une université avec un effectif relativement réduit mais située en plein centre ville. Autant vous dire que si vous avez la chance d’être dans une ville américaine d’une certaine envergure, l’immersion est totale. Pour ma part, j’ai eu le privilège de faire mon LLM en plein cœur de Chicago, à Northwestern University, dans cette fameuse ville que l’on appelle la « windy city ». Je vous épargnerai un long plaidoyer sur la qualité des enseignements aux Etats-Unis. Sachez simplement que les cours étaient passionnants pour peu que vous soyez mélangés aux étudiants américains, ce qui n’est pas toujours le cas, que la qualité des infrastructures est tout bonnement époustouflante en comparaison de ce que l’on peut connaître en France mais que votre année de LLM ne sera certainement pas celle où vous travaillerez le plus. Votre année de LLM sera surtout celle de l’enrichissement extrauniversitaire. S’agissant de Chicago, entre les visites de musées, théâtres, et autres bars de jazz, on ne sait pas où donner de la tête. Sans compter l’élection présidentielle que j’ai personnellement pu vivre en direct et qui m’a offert des souvenirs impérissables. Et puis, et puis … il y a les fameuses « Bar review ». Il s’agit de soirées estudiantines hebdomadaires dont le crédo est clairement axé sur le divertissement. Bref, les sollicitations ne manqueront pas. Moralité : foncez ! Si vous en avez les moyens financiers et êtes prêt à faire un investissement, ne vous en privez pas. Une expérience comme celle-là, on ne l’oublie pas. A bon entendeur, good bye. Arnaud Touati, Promotion Jacques Attali – série H 51 le passé au présent le passé au présent L’affaire du sang contaminé devant la Cour de justice de la République L Ce devait être son baptême du feu. Ce fut bien plus que cela. Le mardi 9 février 1999, la Cour de justice de la République (CJR) siège pour la première fois de son histoire pour se pencher sur le « volet ministériel » de l’affaire dite du sang contaminé. ’enjeu : décrypter, entre avril et juin 1985, la responsabilité des politiques intervenant dans le processus décisionnel ayant entraîné des contaminations par transfusions de sang issu de donneurs séropositifs. Trois anciens membres du gouvernement sont renvoyés devant elle pour « homicides involontaires et atteintes involontaires à l’intégrité des personnes » : Laurent Fabius, Premier ministre de juillet 1984 à mars 1986; Georgina Dufoix, ministre des Affaires sociales de juillet 1984 à mars 1986; Edmond Hervé, secrétaire d’Etat à la Santé de mars 1983 à mars 1986. Le constat au départ de l’affaire du sang contaminé est aussi simple que sordide : notre pays, à la différence des autres pays européens, a maintenu tardivement à la fois l’absence de sélection des donneurs de sang, l’absence de test de dépistage, les collectes massives de sang en prison et l’absence de recours au chauffage des médicaments antihémophiliques. Cette conjonction a conduit à ce que certains ont appelé par la suite la « sinistre exception française ». Beaucoup prétendent que l’on peut faire dire aux statistiques tout et leur contraire. Pourtant, certains chiffres sont sans appel : 56% des contaminés européens par transfusion sont Français et 1 personne hémophile sur 2 soignée en France a été contaminée (contre environ 11% en Suisse et 7% en Belgique). Pour tenir compte des responsabilités gigognes ayant menées à cette catastrophe, deux types de procédures différentes sont jumelées. D’un côté, relevant de la Cour de justice, le « volet ministériel » de l’affaire concerne uniquement les élus politiques, en l’occurrence trois ministres. De l’autre, relevant des juridictions ordinaires, une procédure distincte s’intéresse quant à elle à leurs conseillers et aux responsables des différents organismes publiques en charge des questions sanitaires. Dans cette affaire, le procès qui s’ouvre devant la CJR n’est ni le premier, ni le dernier : en 1994, quatre médecins avaient déjà été jugés, et certains condamnés, devant un tribunal correctionnel pour tromperie et non-assistance à personne en danger dans le « volet non ministériel ». Les dernières procédures se sont terminées en 2003, le 18 juin, avec un non-lieu général confirmé par la Cour de Cassation pour les conseillers ministériels et les médecins poursuivis après 1994. 52 La CJR, remplaçante au pied levé de la Haute Cour M alheureusement, l’affaire du sang contaminé n’est pas le seul exemple de dysfonctionnement de l’Etat dans la gestion de risques sanitaires majeurs. Amiante, vache folle, hormone de croissance ... sont autant d’exemples qui marquent la mémoire collective au fer rouge et posent la délicate question de la pénalisation de la vie politique. La loi constitutionnelle du 27 juillet 1993 apporte une bribe de réponse : « les membres du gouvernement sont pénalement responsables des actes accomplis dans l’exercice de leurs fonctions et qualifiés de crimes ou délits au moment où ils ont été commis ». Cette réforme avait été rendue nécessaire tant le système précédent était inéquitable : devant l’ancienne Haute Cour, la décision de mise en accusation dépendait des parlementaires eux-mêmes. Victime de solidarités politiques, la Haute Cour n’était jamais saisie et devait laisser place à un système qui se voulait moins partisan. Désormais, la CJR peut être saisie par « toute personne qui se prétend lésée par un crime ou un délit commis par un membre du gouvernement dans l’exercice de ses fonctions ». Seuls des magistrats professionnels interviennent à la fois au niveau du filtrage des plaintes mais aussi tout au long de l’instruction. Les parlementaires, au nombre de douze (6 députés – 6 sénateurs), ne réapparaissent qu’aux audiences de la formation de jugement, où ils siègent au même titre que trois magistrats de carrière. Bien que dénuée de toute coloration politique au stade de la décision de renvoi, les hommes politiques jouissent toujours d’un privilège leur permettant d’être en partie jugés par leurs pairs. Dès lors, le défaut majeur - et inquiétant - de la CJR telle qu’elle a été instituée est inscrit dans ses propres gênes : elle mêle deux pouvoirs qui devraient pourtant rester séparés, l’Exécutif et le Judiciaire. Ces deux branches antinomiques de son ADN ne pouvaient qu’engendrer une sorte de procès mutant, sujet à caution, imparfait. Les ratés du procès avant même l’ouverture des débats L es imperfections ne manquent pas et les critiquent pleuvent. La CJR siège dans le 16ième arrondissement de la capitale, au Centre de conférences internationales spécialement aménagé à cet effet. Neutre, voire aseptisé, l’endroit rappelle au public qui l’aurait oublié que cette justice se veut d’exception. Drôle de lieu pour un procès, bien loin des salles d’audience traditionnelles chargées d’histoire et de symboles. Devant le Centre de conférences, les cars de CRS côtoient les ambulances de certaines victimes, du moins tant que celles-ci souhaitent encore assister à un procès où elles ne sont pas vraiment les bienvenues. De « République », de « chose publique », la Cour de justice n’en a assurément que le nom. La loi a en effet privé les parties civiles de L’affaire du sang contaminé devant la Cour de justice de la République prétoire. Elles n’ont pas non plus eu accès, en amont, au dossier et n’ont jamais pu demander d’actes d’instruction. Elles tenteront tout de même d’exister en marge du procès et prendront par la force médiatique ce que la loi organique leur avait enlevé : le droit d’exprimer leur immense souffrance et leur frustration d’être absentes du procès. Improbable justice que celle qui ignore les victimes et s’accommode d’un débat non contradictoire. En principe, il devait donc revenir au ministère public de pallier l’absence de partie civile en pointant les erreurs et les contradictions lors des audiences. Or, Jean-François Burgelin, procureur général de la Cour de cassation, présente la particularité d’avoir, à deux reprises en mars 1997 et juin 1998, requis un non-lieu dans cette affaire. Il avait notamment estimé que le manque de « perspicacité, de vigilance et de sens de l’opportunité » des ministres ne constituait pas des défaillances suffisamment « grossières et manifestes » pour les renvoyer devant la CJR. Son collègue, l’avocat général Roger Lucas, ne le dédira pas. Curieux débats que ceux qui s’apparenteraient à une « causerie au coin du feu, sans égalité des armes », comme l’estimait Sabine Paugam, avocate de l’Association française des hémophiles. Trois ministres pour trois victimes A vec une demi-heure de retard sur l’horaire prévu, l’audience est ouverte à 10h30. Edmond Hervé prend la parole le premier et lance aux magistrats : « j’assume mon action et je démontrerai ici mon innocence, notre innocence… Je suis devant vous avec détermination et confiance, au nom des valeurs républicaines qui sont les miennes ». Georgina Dufoix, quant à elle, souligne que l’arrêt de renvoi « ne correspond pas » à ce qu’elle a vécu. Elle estime toutefois qu’« il est juste de pouvoir parler devant les personnes qui ont souffert ». Laurent Fabius, lui aussi, évoque le sort des victimes : « depuis des années, pas un jour ne s’est écoulé sans que je pense à elles » et poursuit « ce procès permettra d’établir qu’il y a quatorze ans, en fonction de ce que nous savions, nous avons agi en conscience ». Ensuite, la parole est donnée aux victimes. Une erreur réparée ? Non. Elles ne sont que citées à témoigner. Ce statut désole Yves Aupic, contaminé le 25 août 1985, qui déclare : « Je refuse d’être cité comme témoin ». Il poursuit : « La qualification retenue, qui relève des crimes contre l’humanité, a été réduit à un simple accident de la route. Ici, certains juges sont des amis des ministres. Le Parquet s’est fourvoyé dans des non-lieux qui sont des insultes à la mémoire des victimes ». Et il ajoute : « Les victimes ont été écartées par une loi scélérate. Ce procès est une mascarade ». Anne Cochin, pharmacienne, dont le fils unique a été contaminé à la suite d’une transfusion après une jaunisse, manifeste une même colère. Elle interpelle Edmond Hervé: « Vous avez fait, M. Hervé, 4 500 condamnés à mort, en êtes-vous satisfait?». Puis, vers les autres: « Ignorer l’urgence du sida en juin 85, c’est ignorer les camps de concentration en juin 45. C’est tout ce que j’ai à dire ». Seul Gilles Péraud, dont le père a été contaminé après un triple pontage coronarien en mai 1985, parle sans violence: « Je n’ai pas l’esprit de vengeance.Vous aviez l’obligation de résultats, vous n’avez pas fait votre travail correctement. Je demande que vous soyez puni, vous aviez les moyens d’arrêter ça ». La douleur est intacte. Un silence respectueux s’impose. Aucune question n’est posée. Les jours passent et les débats rentrent peu à peu dans le vif du sujet. L’une des questions clés est abordée au 3ième jour du procès : Matignon a-t-il délibérément retardé l’enregistrement du test de la firme américaine Abbott pour protéger les intérêts commerciaux de sa rivale française Pasteur qui, à l’époque, connaissait de sérieux retard ? Laurent Fabius botte en touche : « Je n’ai jamais donné d’instruction pour retarder Abbott. J’ignorais tout du processus d’enregistrement ». Mais le Président insiste et s’étonne que l’ancien Premier ministre ait pu ignorer une telle situation alors que plusieurs notes qui lui ont été adressées faisaient allusions aux intérêts supérieurs de Pasteur. La réponse fuse, un brin agacé : « Il y a peut-être un point sur lequel je n’ai pas été assez clair: à aucun moment je n’ai été saisi de la question PasteurAbbott. Pour moi, ça n’a aucun intérêt. Je veux dire à la Cour que la décision que j’ai prise n’a jamais été fondée sur les intérêts de Pasteur, mais sur des considérations de santé ». En coulisse, un autre procès improbable s’est peu à peu installé, celui de Christian Le Gunéhec, Président de la Cour. A la tête de cette juridiction tant décriée, il avait le poste le plus exposé. Il en fit les frais. On lui reproche essentiellement son inexpérience à mener les débats : magistrat de la Cour de cassation, cet ancien collaborateur de plusieurs ministres de la Justice au cours des années 70 n’a jamais présidé de procès correctionnel ou criminel. Son manque de connaissance des pièces du dossier surprend aussi : il semble ne maîtriser ni les dates fondamentales, ni le rôle des différents acteurs, pas même les notions de base. Un temps, le malaise gagne même les parlementaires siégeant à ses côtés qui, avides de bonne presse, s’inquiètent que les bévues du Président emplissent les colonnes des journaux. La prise de bec sera violente mais de courte durée. Le Président met sa démission dans la balance. Tout le monde se calme. « J’ai eu l’impression que l’on voulait gagner du temps. Quand on crie au feu, on n’attend pas que les seaux soient disponibles » Dr. Pinon 53 le passé au présent L’affaire du sang contaminé devant la Cour de justice de la République Le défilé des témoins réquisitions du ministère public s’en ressentent : il est de loin le plus attaqué. Son avocat, Patrick Maisonneuve, doit répondre à la mauvaise réputation collant à la peau de son client ; il aurait été longueur d’audience, d’innombrables témoins défilent à trop absent, accaparé par ses fonctions de maire de Rennes : « Mais la barre. Certains d’entre eux rappellent qu’ils ont tiré de attendez, que je sache, on peut être maire d’une grande de ville du Nord nombreuses fois la sonnette d’alarme sans être entendus. et Premier ministre. On peut être un bon maire d’une ville du Sud-Est et En défense, l’argument est récurrent : l’information s’est perdue Premier ministre. Et être bon Premier ministre et maire de la capitale ». en cours de route et n’est jamais remontée jusqu’aux ministres. Il exprime ensuite tout haut ce que tout le monde pense tout bas : L’avocat général ironise : « De dilution en dilution, il n’arrive plus guère Hervé risque d’être le bouc émissaire de ce procès : « Le piège de d’informations utiles au secrétaire d’Etat. Les conseillers, qui sont le confort la Cour s’est refermé sur vous. Votre cour a été critiquée. Elle est sujette des ministres, deviennent franchement la malédiction des citoyens ». à l’opinion publique ou l’opinion dominante. Vous comprendrez que l’on Applaudissements du côté des victimes. Alors Hervé, debout, lui peut avoir une angoisse sur Edmond Hervé. Il y a une telle demande rétorque: « Que dire de ceux qui ne sont pas sérieux ? ». de responsabilité. Il faudra un certain courage pour ne Pourtant, quand la parole revient au docteur François pas rendre une décision de confort, qui consisterait à Le défaut majeur Pinon, à l’époque transfuseur à l’hôpital Cochin, la de la CJR est inscrit condamner quand même, mais juste un peu, un ministre muraille de certitudes des ministres se fissure.A l’aide voir deux. Ce compromis intermédiaire, qui n’aurait rien dans ses propres d’un test élaboré par le docteur Jacques Leibowitch, à voir avec l’application du droit, je l’ai vite écarté. Car il a pris conscience assez tôt de la gravité de la gênes : elle mêle deux je m’adresse à une juridiction, et je suis convaincu de situation : « J’ai été partout, explique-t-il, j’ai informé le pouvoirs qui devraient son indépendance ». Gérard Weltzer prend le relais et pourtant rester plus possible, j’ai été étonné de ne pas avoir beaucoup de égrène les très nombreuses erreurs qui parsèment séparés, l’Exécutif réactions. Quand on parlait de notre test, on nous disait le dossier. qu’il fallait attendre encore un peu, que le test de Pasteur et le Judiciaire. La défense de Georgina Dufoix sera plus brève et allait arriver. On ne faisait qu’attendre. J’ai eu l’impression plaidera aussi la relaxe. Bernard Cahen dénonce que l’on voulait gagner du temps. Quand on crie au feu, violemment l’arrêt de renvoi: « Dans ce document, on n’attend pas que les seaux soient disponibles ». un argument revient souvent: les ministres ne pouvaient Une audition est très attendue, celle de François Gros. pas ne pas savoir. Je suis le seul, ici, à avoir plaidé dans Conseiller scientifique de Laurent Fabius à Matignon, l’URSS d’Andropov. Et bien, c’était l’argument que ses titres parlent d’eux-mêmes : professeur au Collège j’entendais alors. Il est indigne de notre République et de France, secrétaire perpétuel de l’Académie des de notre justice ». Il conclut : « Condamner les ministres sciences, ancien directeur de l’Institut Pasteur, c’est sur des charges incertaines contribuerait à perturber la un brillant scientifique. Les avocats de Fabius jubilent : République, et à défigurer l’image de la justice ». Gros assume seul toutes les responsabilités sans Enfin les trois avocats de Laurent Fabius plaident vraiment se battre : « Il n’y avait pas d’instruction du longuement. Le dernier d’entre eux, le bâtonnier Bernard de Bigault Premier ministre ». Et encore: « La décision de retarder encore un peu du Granrut, martèle : « Il vous faut du courage pour aller à l’encontre le test Abbott ne relève pas du Premier ministre ». de l’opinion publique. Ce que l’on attend de vous, c’est que vous soyez Toutefois, un reproche l’ulcère : des contingences financières des juges, et des justes ». auraient guidé ces décisions : « Monsieur le président, j’ai été l’objet Le 9 mars 1999, le verdict tombe : la CJR déclare non constitués, à la d’accusations à peine voilées. On me décrit mû par des contingences charge de Laurent Fabius et de Georgina Dufoix, les délits qui leurs économiques, financières, industrielles … Cela me meurtrit, à mon âge, sont reprochés et dispense de peine Edmond Hervé, seul reconnu à ma place, compte tenu de ce que j’ai essayé de faire. Cela m’indigne ». coupable. Dans la foulée, six témoignages de moralité concernant l’ancien Lors de la cérémonie d’installation de la CJR en 1994, le conseillé à Premier ministre sont annulés. Sans doute étaient-ils devenus la Cour de Cassation Louis Gondre avait ainsi conclu son discours superflus. : « puissent vos décisions être inattaquables devant le Tribunal de l’Histoire ». Que retiendra cet autre tribunal d’exception ? A Grands noms du barreau pour des plaidoiries sans surprise L Michaël Fraysse – promotion Jacques Attali – Série H Fanny Léger – promotion Jacques Attali – Série I e jour des plaidoiries, tous les regards sont tournés vers les avocats d’Edmond Hervé. La tâche va être ardue. Les débats, à eux seuls, n’ont pas permis de l’innocenter et les 54 55 le passé au présent le passé au présent Cour d’appel de METZ : Des messins sans frontières Cour d’appel de METZ : Des messins sans frontières socialiste des avocats-avoués messins ». Ce sont ces messins qui ont, de par leur position et leur sens de l’éthique, joué un rôle dans la résistance et fait la transition entre ses parents terribles. La Cour d’Appel de Metz a échappé au scalpel de la réforme de la Carte judicaire, notamment grâce à Marcel Martin, premier président, qui a quitté ses fonctions le 30 juin 2010 au soir. Restaurons un peu cette bâtisse qui vient d’échapper à l’échafaud et dont l’avenir s’annonce radieux. L’architecture bienveillante d’un enfant abandonné à la révolution Une histoire d’annexions L L a Cour d’appel de Metz garde des séquelles de la révolution. Elle est un enfant estropié, démuni de son quatrième pan qu’on lui avait promis. Ses trois corps imposants en pleurent un quatrième, tristesse amoindrie toutefois par le temps et par le jardin qui fleurit dans son prolongement comme pour honorer la mémoire d’un frère tombé au combat. La Cour d’Appel de Metz a des bases solides, mais son personnel lui fait défaut. e 1er juin 1392, par un soir de grand brouillard, naissait l’ordre des avocats au barreau de Metz, l’un des plus anciens de France. Peu, voire pas d’organisation de la profession en ces temps encore médiévaux, et point de Palais pour rendre la Justice, qui sera l’apanage du Roi de France à partir de 1555. Dans la lutte pour l’expansion de l’influence de la couronne, et l’homogénéisation de la Justice, un Parlement est créé à Metz en En faits de mémoire, la Cour d’Appel 1633. Metz était dès lors devenue un lieu « de Justice ». L’histoire fera par la suite germer ces graines de droit comme de Metz honore celle de toute elle a su faire pousser l’ensemble des Cours de Justice de France sa famille, arborant des façades et de Navarre. Metz se dote d’un Palais de Justice à l’architecture ornées et des bas reliefs sculptés classique, en « U », qui accueillera plus tard l’ensemble des degrés comme autant de symboles du passé. Son portail imposant jette un de juridiction. La construction est entreprise en 1776 par l’architecte français œil accueillant aux visiteurs. Elle est Clérisseau, non loin de la citadelle et durera jusqu’en 1791. la Cour « veillant sur ses enfants » Mais la révolution jettera dans le Nil cet enfant du Bas Rhin et comme en témoigne le groupe de interrompra ainsi sa croissance. Les révoltes éclatent, les poings sculptures éponyme qui surplombe se lèvent, et ce palais à peine construit se voit déjà souffrir des cette entrée dantesque. Hercule destructions indues. C’est un enfant balafré qui traversera le à gauche, Minerve à droite, Metz ne retient du passé que le bon : la XIXème siècle dans l’ombre de sa mère, la France. En 1871, la Cour de Metz connaît un sort singulier. L’annexion puissance et la sagesse des Dieux des départements du Haut-Rhin, Bas-Rhin et de la Moselle à antiques. l’empire Allemand conduit à une adoption de fait de l’ensemble Pourquoi Metz développe-t-elle de la structure judicaire. La Cour se trouve une nouvelle mère ainsi sa propre mémoire ? Le Duc de Guise portait et ses enfants du Barreau de Metz sont envoyés secours aux soldats blessés de l’armée ennemie en pensionnat : celui de l’Ordre pour l’Alsaceabandonnée par le Roi en 1552. Ce geste méritait Moselle, dont le siège sera basé à Colmar. qu’on lui consacrât une aile. La Fayette, officier La Cour est alors adolescente, vivant les affres La Cour d’Appel de la garnison de Metz, s’embarquera pour les de la garde partagée. Elle sera en France entre de Metz garde des Amériques pour y défendre les insurgés. Il aura 1918 et 1940. Elle se retrouvera en Allemagne séquelles de la également son aile. Les statues que la Cour de entre 1940 et 1945. Metz est alors la cible des révolution Metz dévoile sont autant de héros : Turenne, le accusations les plus folkloriques, et les journaux maréchal de Luxembourg, le duc de Guise, le informent que « les avocats autochtones inscrits duc de Montmorency, etc. Elle les a choisis pour au Barreau de METZ se sont groupés à dater définir son identité. du 24 juin 1940 en un groupement national 56 Cour d’appel de METZ : Des messins sans frontières La Cour d’appel de Metz a alors atteint l’âge adulte. Elle prononce sa dernière condamnation à mort en 1967 et répartit ses degrés d’instance méticuleusement, en son sein. Elle a maintenant ce caractère fort et ses reflets fiers, qui lui permettent de contempler de haut le palais de l’Intendant royal, actuelle préfecture, car à Metz, à la différence des autres provinces, le pouvoir était dans la main du gouverneur, et non de l’intendant. Une Cour d’appel « Laboratoire » L a Cour d’appel de Metz est baptisée « la Cour messine ». Forte de son identité, elle a souhaité relever le défi de demain et est aujourd’hui l’une des rares Cour à s’essayer au système Chorus, base informatique destinée à regrouper les données budgétaires des 15 ministères et des établissements publics. Ce pro logiciel labellisé SAP est injecté à dose infinitésimale au sein des établissements de trois domaines clefs : l’Éducation nationale, la Justice et la Défense. Metz se positionne comme une Cour d’Appel du XXIème siècle. Sauvée de peu du couperet de la carte judicaire, elle se porte cobaye et doit faire face à un déficit d’effectifs. Quatre personnalités viennent de quitter les lieux, pour une arrivée seulement, celle de la Vice-présidente du TGI de Thionville. La Cour d’Appel de Metz a des bases solides, une structure classique et une histoire sélective. Mais son personnel lui fait défaut. C’est en 2000 que la Cour a pu fêter la multiplication de ses avocats et le succès de son activité. 231 avocats plaident devant elle et 87 cabinets se consacrent corps et âme à la défense contentieuse. La Cour d’Appel de Metz a su développer les spécialités, les altérités, les caractéristiques messines de ses « sujets », qu’elle accueille désormais de ses deux ailes ouvertes. La Cour d’Appel de Metz, Cour évanescente et fière, est à l’image de son barreau : vivante et radieuse. Hadrien Pellet – Promotion Jacques Attali – série J http://www.lorraine-café.fr Premier Président Procureur général Ressort Cabinets d’avocats Avocats au Barreau Avocats à la Cour Henri-Charles Egret Jacques SEGONDAT 3 TGI : Metz, Sarreguemines, Thionville 9 TI : Boulay-Moselle, Château-Salins, Forbach, Hayange, Metz, Saint-Avold, Sarrebourg, Sarreguemines, Thionville 149 249 29 57 l’agenda de l’efb l’agenda de l’efb Le bicentenaire du barreau de Paris Le bicentenaire du barreau de Paris L’élégance : P as la moindre file d’attente pour pénétrer à l’intérieure du grand Palais, lieu plutôt habitué des expositions de prestige. Un concert de robes en soie, de talons hauts et de smokings ont alors envahi la verrière du Grand Palais vers huit heures, donnant le ton à ces deux nuits qui se devaient d’être uniques. Au centre, autour d’une sculpture grandeur nature représentant l’emblème du Barreau de Paris, s’étendaient les larges buffets et bars estampillés « Le Nôtre », traiteur choisi pour l’occasion. Ce dernier proposant alors le meilleur de sa cuisine, à base de jambon de Belotta, de foie-gras et d’excellentes expérimentations, comme ce savoureux mélange de gaspacho et de glace dont le public pouvait se délecter dans de confortables canapés couleur noir et blanc. Cet évènement étant ainsi l’occasion pour la profession de se rencontrer, de tisser des liens, de construire son réseau et pour nous élève-avocats de se mêler dans la foule. Toute la soirée, à intervalle irrégulier, pendant que le champagne coulait à flot et que les discussions allaient bon train, plusieurs animations étaient prévues pour que la nuit reste toujours rythmée. Tandis que des dizaines de danseurs griffés tantôt West Side Story « Dieu que c’est beau ». S upprimé sous la révolution, rétabli sous l’Empire, le Barreau de Paris fêtait les deux cents ans de son rétablissement les 24, 25 et 26 juin dernier. Marqué par un cycle de conférences à l’Unesco, par la venue de centaines de confrères étrangers et par l’intervention du Président de la République dans la Salle des pas perdus, la commémoration du bicentenaire s’est achevée en grande pompe sous la nef du Grand Palais, lors de deux soirées, orchestrée de main de « Maître » par Monsieur le Bâtonnier Jean Castelain et Monsieur Jean-Yves Leborgne, Vice -Bâtonnier. Comme notre cher Bâtonnier a eu la délicatesse d’inviter, outre les 22.000 avocats du Barreau de Paris, l’ensemble des élèves-avocats de l’EFB, le « Baromaître » se devait d’en faire le compte-rendu. tantôt Matrix exécutaient leurs chorégraphies spontanées à la manière de « flash mob » au milieu des convives, dix minutes à peine plus tard, c’était au tour de danseuses vêtues de robes dorées qui, suspendues sur un fil, balayaient la salle émerveillée sur fond de musique classique. Un concert, un vrai : D urant deux sessions de 30 minutes,Thomas Dutronc est venu enflammer la scène au son de sa musique jazz-manouche et de ses solos de guitare endiablés. Artiste en vogue, qui de mieux que ce garçon qui plait, tant aux jeunes générations grâce à ses tubes qu’à ceux nombreux qui, fan de son père (Jacques Dutronc) et de sa mère (Françoise Hardy), pensent retrouver en lui une certaine nostalgie de l’époque de leurs premières années de barreau. Thomas Dutronc a finalement laissé sa place au DJ, au dance-floor et aux cotillons pour le reste d’une nuit où les plus fêtards auront usé smokings ou talons hauts et fait la fermeture des marches du « grand » Palais. C’est ainsi que pendant deux nuits consécutives, le Barreau de Paris a adressé son message « anticrise » à la profession, lui montrant qu’elle doit avoir confiance en elle et être fière de ce qu’elle accomplit. Léopold Lemiale – promotion Jacques Attali - série N Mais attention, les avocats n’ont rien déboursé puisque ces deux soirées ont été entièrement sponsorisées, Monsieur le Bâtonnier s’engageant d’ailleurs à mettre à disposition de tous l’ensemble des comptes de la soirée. Dès lors, la problématique des organisateurs pour réussir leur soirée était simple : Comment réussir à faire plaisir aux différentes générations qui composent le Barreau de Paris réunies, l’espace d’un instant, sous la même nef ? 4,8 Millions d’euros !!! V oilà qui pourrait bien résumer en ces temps d’austérité et d’annulation de « Garden Party » de l’Elysée, la figure décomplexée du Barreau de Paris. 58 Thomas Dutronc 59 L’AGENDA DE L’EFB Les Élèves avocats aux 20 ans de la Juriscup Fort de ses victoires successives, l’EFB compte bien mener la barre et représenter fièrement l’ensemble des élèves avocats parisiens dans la rade de Marseille, les 16,17,18 et 19 septembre 2010. L ’AEA avitaillera donc le Pen Kallet IX composé de 7 élèves avocats et 2 skippers pour défendre les couleurs de l’EFB. L’équipage a été sélectionné selon compétences au cours des mois de Juin et Juillet. L’équipage sera soutenu les 18 et 19 septembre par deux bateaux accompagnateurs, composés chacun d’une dizaine d’élèves avocats amateurs de voile et souvent profanes. Nul doute que, cette année encore, l’EFB s’illustrera et démontrera que les avocats parisiens ont le vent en poupe ! L’Equipe Juriscup de l’AEA Avis aux jeunes avocats et élèves-avocats férusde voile : Une place à gagner pour la Juriscup ! Chers Confrères, Chers Futurs Confrères, Notre équipe de campagne au bâtonnat participera à l’édition 2010 de la Juriscup, qui se tiendra à Marseille, du 16 au 19 septembre 2010. A cette occasion, nous organisons un tirage au sort afin d’offrir à un jeune confrère une place à bord de notre bateau – un beau bateau - qui nous est prêté par le bureau parisien d’un grand cabinet américain ! L’heureux élu ou l’heureuse élue sera avec nous pendant les régates, et participera en toute convivialité à tous les événements de la Juriscup ! Envoyez-nous votre mail de candidatureà l’adresse [email protected]. Les ultimes candidatures seront acceptées jusqu’au tirage au sort, effectué par Me Marie-Hélène Perès-Métais, huissier de justice, lors d’une petite fête organisée pour l’occasion. Avec nos sentiments nautiques, Pierre-Olivier Sur Catherine Paley-Vincent 60 Notre bateau ! Son nom ? SUR + PALEY-VINCENT... Les évènements auxquels vous convie Christiane Feral-Schuhl : • 14 septembre 2010 : 6ème réunion publique sur le thème « Pour un Barreau entrepreunarial : l’avenir au présent ». Accueil : 19h30 et débats de 20h à 21h30. Fondation d’entreprise Ricard pour l’art contemporain, 9 rue Royale - 75008 Paris. Confirmer votre venue à l’adresse suivante : [email protected]. • 22 septembre 2010 : Le Palais littéraire, présidé par M. Jean Castelain, interventions de Christiane Féral-Schuhl et d’Yvon Martinet, à la Bibliothèque de l’Ordre à 20h45, Salle haute de la Bibliothèque de l’Ordre, Palais de justice, 4 bd du Palais • 30 septembre 2010 : 40ème anniversaire de l’ADIJ, sous le haut patronage de Madame Michèle Alliot-Marie, présidé par Christiane Féral-Schul, de 9 à 19h à la Maison du Barreau, 2/4 rue de Harlay, Paris 1er. Renseignements et inscriptions : [email protected] Les évènements auxquels vous convie Pierre-Olivier Sur : • 2 septembre 2010 de 9h à 10h45 : Université d’été du MEDEF ; intervention de Pierre Olivier Sur au sein de la conférence-débat « Les mots qui fâchent : climat, austérité, bonus, trader, identité, solidarité… ». Cette conférence sera diffusée en direct sur BFM • 4 octobre 2010 : Intervention de Catherine PaleyVincent à la Maison du Barreau à 18h30 sur le thème « Barreau de famille, et barreau de proximité » EVASIONS CULTURELLES EVASIONS CULTURELLES Richard MALKA : entre robe et plume Il faut imposer ce que l’on est. La personnalité de Richard MALKA détonne dans le paysage judiciaire parisien. Un parcours fortuit, un mentor de génie, l’amour de la presse et une pulsion créatrice, tels sont les ingrédients qui tous azimuts ont conduit Richard MALKA à devenir l’avocat brillant des grands procès médiatisés et le scénariste de BD favori de plusieurs générations d’avocats. L’in-téressé a accepté de nous faire entrer dans son jardin secret et de lever le voile sur son parcours. R ien ne le destinait à la profession d’avocat. Et pourtant, Richard MALKA reconnaît aujourd’hui qu’aucune profession n’aurait mieux convenu à son caractère que celle-ci. Après un bac scientifique, il s’inscrit en droit sur un coup de tête pour suivre une amie très jolie qui avait choisi cette filière. Une fois à l’EFB, le hasard l’affecte à la 17ème chambre du TGI où il effectue son stage en juridiction et développe un goût certain pour le droit de la presse qui deviendra sa matière fétiche. Son entrée au sein du cabinet de Georges KIEJMAN, alors ministre de François MITTERRAND, constitue le premier moment fort de son parcours. Il se familiarise avec les dossiers médiatiques de celui qui devient vite son mentor et pour qui il est « un fils spirituel ». Il prête serment à 23 ans et intègre le cabinet de Georges KIEJMAN qu’il ne quittera que 7 ans plus tard pour monter son propre cabinet. Les grandes et les moins grandes affaires s’enchaînent. Un autre temps fort de son parcours est bien évidemment la défense de Charlie Hebdo dans l’affaire des caricatures de Mahomet. « C’était un procès à portée internationale, forte et historique. Je me souviendrai toujours de la salle des pas perdus remplie de plus de 500 journalistes. J’étais soumis à une pression dingue. Dans ces moments là, on est malade, le corps souffre. C’est parfois invivable pour les personnes avec qui l’on vit. Clearstream d’ailleurs, c’était pareil. » 62 Richard MALKA : entre robe et plume Du barreau à la case Des projets en pagaille Après 5 ans d’exercice, il réalise que la profession d’avocat, qui le passionne pourtant, ne le satisfait pas entièrement. Il souhaite s’épanouir autrement, ajouter une nouvelle vie à la première. Il cherche à s’orienter vers quelque chose de moins ancré dans le réel, il rêve d’une activité lui permettant de faire part belle à l’imagination. Il a envie d’autre chose en somme. De nombreux avocats avaient déjà écrit des romans, pour lui ce sera la bande dessinée. Fan de BD depuis l’âge de 15 ans, l’écriture de bandes dessinées lui apparaît comme une évidence. « C’est une absolue nécessité dont je ne pourrais me passer », nous confie-t-il. Il écrit son premier scénario, une BD de science fiction. Mais après 7 ans de galère pour se faire éditer « pendant lesquels il ne faut pas se décourager, ne pas devenir amer » nous dit-il, un ami, auteur de bandes dessinées, lui conseille d’écrire sur le milieu qu’il connait le mieux, le monde judiciaire. Fort de ce conseil, il imagine une saga mettant en scène des avocats et trouve un éditeur, Glénat, et un dessinateur, Paul GILLON, le dessinateur des « Naufragés du vent » : la série l’« Ordre de Cicéron » est née ! Le succès est immédiat tant dans le monde judiciaire que dans le milieu bédéphile. « La réception a été très bonne, car mon image était déjà celle d’un type décalé. Par ailleurs, les avocats ont été contents qu’on parle d’eux. Je n’ai eu que des réactions chaleureuses, bienveillantes. » Cet accueil enthousiaste tient à la justesse du scénario qui concilie parfaitement fiction et réalisme juridique, sans pour autant gommer les difficultés techniques inhérentes au droit. Une autre clé du succès de la série se trouve dans l’éclairage Depuis, d’autres séries ont vu le jour. « Section financière » aborde le détournement des fonds prêtés par le FMI à la Russie par des oligarques dans les années 1990. On s’arrache « La face kärchée de Sarkozy », la première BD-enquête qu’il a co-écrite avec le journaliste Philippe COHEN et dont les dessins sont signés RISS. Son dernier projet, « Pulsions », est une série plus pointue et plus trash sur un serial killer, pour laquelle Eric CORBEYRAN et Richard MALKA se sont passés le stylo toutes les dix pages, le narrateur alterne ainsi entre le meurtrier et l’enquêtrice. Travailleur insatiable, son prochain album « La pire espèce » sortira en novembre prochain. Il s’agit d’une fable animalière, dessinée par PTITLUC, qui portera sur les grands débats d’aujourd’hui, les journalistes y seront représentés en oiseaux et les avocats en taureaux… L’actualité de Richard MALKA n’est cependant pas que du côté des bulles. Il défendra à la rentrée, devant la 17ème chambre, son ami et mentor Georges KIEJMAN qui a été assigné en diffamation par Olivier METZNER à propos de l’affaire BETTENCOURT. Chocs des titans et procès médiatique assuré. Un travailleur acharné et un emploi du temps de ministre Les projets BD se multiplient et les dossiers affluent : mais comment fait-il pour jongler entre deux activités à temps plein ? « C’est assez difficile de concilier les deux », avoue-t-il, « mes A propos de l’affaire des caricatures de Mahomet, « dans ces moments là, on est malade, le corps souffre. » de ses derniers albums. Mais il ne l’envisage pas, « j’ai la chance de traiter de très belles affaires, j’évolue au sein d’un milieu très privilégié » nous confie-t-il, « et puis, les deux activités se nourrissent l’une l’autre, l’écriture influe sur la rédaction d’acte et inversement. Je pense qu’avoir des vies professionnelles multiples ne peut que bonifier les travaux que l’on fournit. » D’ailleurs, il ne conçoit pas la rédaction de conclusions comme un exercice figé et admet qu’il a la chance de pouvoir se permettre beaucoup plus de liberté lorsqu’il plaide devant la 17ème chambre qui a un aspect fortement littéraire. « Les conclusions sont souvent plus longues, plus écrites. C’est une des seules chambres où l’on écrit bien et où l’on peut plaider des heures. C’est en définitive une chambre « de luxe ». » Un grand bol d’optimisme Pour finir l’interview, nous lui avons demandé un conseil pour les futurs avocats que nous sommes et, en un mot comme en cent, il nous a bluffé d’optimisme : « Le seul conseil que je puisse vous donner, c’est « faites ce qui vous amuse ». C’est le conseil que m’a donné Georges KIEJMAN. Il ne faut pas se laisser guider par la peur ou par des considérations financières : il faut aller là où vous porte votre cœur. Si on fait le vide, on sait toujours où le cœur nous dit d’aller. Il faut simplement rester libre dans sa tête. Lorsqu’on se vit en tant qu’avocat, on devient très vite chiant et on se persuade de ne pas faire des choses qu’on ne pense pas conforme avec la profession. Mais il faut faire ce que l’on veut au moment où on le sent. Si c’est fait naturellement, ça passe. En somme, il faut imposer ce que l’on est. » historique donné au récit. C’est en lisant « L’antisémitisme ordinaire » de Robert BADINTER que Richard MALKA a eu l’idée d’écrire un scénario autour de la radiation des avocats juifs du barreau de Paris en 1941. « Le domaine était peu connu, c’était l’occasion ». Pour les amateurs de Cicéron, le tome 4 est dans les tuyaux. Un producteur américain s’intéresse de près à la série… dossiers d’avocats sont lourds avec des enjeux importants et mes bandes dessinées ont de plus en plus d’envergure. Toute une chaîne de personnes participe à l’élaboration des BD : dessinateur, coloriste, décorateur, service de presse… C’est du temps et beaucoup de responsabilité, mais c’est enrichissant. » Il reconnaît qu’il aurait pu, financièrement, arrêter la profession d’avocat pour se consacrer à la bande dessinée depuis le succès Sophie JOLY – Promotion Jacques Attali – Série F Hadrien PELLET – Promotion Jacques Attali – Série J 63 EVASIONS CULTURELLES EVASIONS CULTURELLES « Dans les yeux du bourreau » Pierre Olivier SUR Dans ce récit judiciaire, on découvre « dans les yeux de l’avocat » mais aussi dans ceux de l’une des victimes des khmers rouges, Vong Seri, le drame d’un peuple, jugé trente ans après les faits : Douch est l’ancien responsable de S-21, un camp situé dans Phnom Penh où 17 000 personnes ont péri. Le livre de Pierre-Olivier Sur permet à la fois de vivre par procuration ce procès historique, mais il invite aussi à une réflexion « pluridisciplinaire » sur la possibilité même de juger l’histoire, sur la légitimité de ce droit pénal international et, plus généralement, sur la profession d’avocat : « Je réfléchis à mon métier. Être avocat, c’est choisir l’universalité et l’empathie de l’extrême. Une fraternité d’humanité troublante avec le pire. Pour les défendre tous ». Maître Pierre Olivier Sur, selon vous le verdict a-til rendu aux cambodgiens « leur fameux sourire khmer » ? Le verdict est satisfaisant. 1. Douch est reconnu coupable de crime contre l’Humanité – ce qui signifie la fin de l’impunité pour toute la période khmère rouge et ses dirigeants puisque le jugement précise que Douch est condamné en tant que « l’un des principaux responsables des crimes commis par les khmers rouges » tandis que sa responsabilité 64 personnelle est juridiquement qualifiée de « systémique ». 2. Les victimes sont recevables en leur constitution de partie civile – ce qui est une première en droit pénal international puisque ni à Nuremberg, ni à Tokyo, ni à Jérusalem et ni devant la CPI, elles ne bénéficiaient jusqu’alors d’un tel statut qui doit s’analyser comme un « plus » qui est dû à l’influence du droit français (le tribunal qui juge Douch est onusien et cambodgien donc d’influence française pour partie). « Cyberdroit le droit à l’épreuve de l’internet » Christiane Féral-Schuhl Le récit d’un procès Au fil des pages, on découvre « S-21 », l’enceinte du tribunal et l’atmosphère qui y règne, les victimes et leurs témoignages, les incidents d’audience, l’évolution des discours de Douch, les stratégies de la défense et des parties civiles. Deux thèses s’affrontent : nécessaire obéissance à la hiérarchie ou effet aveuglant d’une volonté d’en découdre avec « l’ennemi de l’intérieur » ? Pour Douch, être réhabilité devant les tribunaux c’est être réhabilité devant l’histoire. Pour les familles des victimes et les survivants, il s’agit d’obtenir la reconnaissance de leur souffrance. L’enjeu juridique du procès était au moins quadruple. Le premier concerne la procédure. Devant ce tribunal mixte, issu en 2003 d’un accord entre les Nations Unies et le Cambodge, les victimes ont, pour la première fois en droit pénal international, la possibilité de se constituer partie civile. Paradoxalement, beaucoup ont préféré garder le silence et refusé d’entrer dans la logique d’un procès qu’elles ne comprennent pas. Le deuxième enjeu met en cause la légitimité même du droit pénal international. Le Cambodge peut-il s’en remettre à une juridiction, en partie étrangère, pour juger son histoire nationale ? La démarche suppose, au moins, la présence des victimes : « la justice pour la justice ne m’intéresse guère, l’important étant de rendre l’histoire aux premiers concernés », confie l’avocat. 3. Douch est condamné à 35 ans, moins 5 ans, moins la détention provisoire, moins les remises de peine – ce qui importe peu puisque d’une part Douch a annoncé par son avocat qu’il ferait appel et que d’autre part moi-même en tant qu’avocat des parties civiles à la française, j’avais indiqué le premier jour de l’audience que je ne me prononcerais pas sur la peine. En effet, la souffrance des victimes étant inquantifiable on ne peut la projeter sur un calcul mathématique. Ce qui compte c’est que Douch soit condamné à une peine de prison à long terme dont il ne sortira probablement pas vivant puisqu’il a près de 70 ans. 4. Le tribunal a adressé un message symbolique aux parties civiles. Dans son verdict le président leur a dit que s’ils ne recevraient aucun dommage et intérêt – Douch ne pourrait évidemment pas en assurer la charge – ils devraient considérer que « l’inscription de leur nom sur le jugement » renfermerait la mesure de leur douleur… comme le marbre d’une dalle sur un monument aux morts. Ainsi faut-il considérer le verdict prononcé ce matin. Propos recueillis sur son blog : http://www.poscriptum.fr/ Le troisième enjeu est le rayonnement du droit français dans les procédures pénales internationales : il s’agit de faire entrer « un peu plus de droit romano germanique dans la règle onusienne » Le quatrième enjeu concerne la qualification juridique des faits. En définissant et en imposant un lexique conceptuel proprement juridique (cf. « crime contre l’humanité », « violation des Conventions de Genève du 12 août 1949 »), en évaluant le « dommage causé » à travers la condamnation prononcée, le droit suppose possible de fixer un quantum d’années de prison pour l’assassinat d’au moins 17 000 victimes. Mais peut-on quantifier la souffrance des familles des victimes ? Sollicitée pour juger des individus précis accusés de crimes déterminés, la Justice est aussi un tribunal symbolique de l’Histoire, un vecteur de la mémoire nationale qui redouble ou se substitue à la recherche historique, l’enseignement et les commémorations officielles. Une réflexion autour d’un procès : pardon, oubli ou devoir de mémoire ? Confrontant le discours judiciaire, le discours de l’historien et le témoignage, l’ouvrage met en évidence la complexité des rapports entre droit et histoire, renforcée ici par la cohabitation perpétuée entre victimes et anciens tortionnaires (un ancien khmer rouge occupe actuellement le poste de premier ministre) parfois au sein du même foyer comme le montre l’histoire de la mère de Vong Seri, exécutée après que ce dernier l’a dénoncée. Au Cambodge, l’histoire reste souvent méconnue ou partiellement connue : la période n’est toujours pas enseignée à l’école. En retraçant l’histoire des Khmers rouges entre le 17 avril 1975 (prise de Phnom Penh) et le 7 janvier 1979 (libération par les forces vietnamiennes), en exhumant les méthodes de torture utilisées à S21 pour arracher de faux aveux à de soi-disant agents de la CIA, les dénonciations, les témoignages de tortures, le procès contribue au « devoir de mémoire ». Mais ne s’agit il pas là d’une projection de schèmes de pensée occidentaux ? Le procès de Douch est-il légitime pour le peuple cambodgien ? L’avocat est conscient du risque d’ethnocentrisme face à l’altérité radicale de la culture bouddhiste cambodgienne. Conscient qu’il est tributaire de son temps et de son histoire, l’avocat réfléchit à la possibilité même d’un pardon ou d’une catharsis, pour tenter de comprendre les motifs du silence des victimes, pour mieux les soutenir et les défendre. L’historiographie du Cambodge aura la spécificité d’avoir été écrite à la fois par des juges et par des historiens, ou par des avocats qui, en la circonstance, se font historiens. Cyberdroit le droit à l’épreuve de l’internet 6e édition PRAXIS DALLOZ Christiane Féral-Schuhl 58 € Les technologies de l’information et de la communication (TIC) lancent des défis à l’ensemble des disciplines juridiques. La collecte et le transfert de données à caractère personnel peuvent-ils être au service de chacun, sans porter atteinte aux libertés individuelles ou publiques ? Quel équilibre pour la cybersurveillance entre pouvoir de contrôle de l’employeur et protection des libertés et droits fondamentaux de l’employé ? La loi du 12 mai 2010 permettra-t-elle d’accorder les exigences européennes de l’ouverture du marché des jeux en ligne avec les règles protectrices de l’internaute ? La loi Hadopi et le projet ACTA suffiront-ils pour lutter contre la contrefaçon numérique ? Pour les noms de domaine, quel bilan tirer du rôle des offices d’enregistrement, notamment celui de l’Afnic, accréditée par l’arrêté du 19 février 2010, pour l’extension en « .fr » ? Les dispositifs sur la preuve et la signature électroniques, l’archivage, le dépôt légal et la cryptologie parviennent-ils à renforcer la confiance entre émetteurs et récepteurs de documents électroniques ? Comment se poursuit la construction du régime de responsabilité des intervenants : opérateur, fournisseur d’accès, d’hébergement, de contenus, de liens, gestionnaire de forum, blogueur et éditeurs de réseaux ? Comment concilier liberté et sécurité dans la lutte contre la cybercriminalité, notamment avec la loi LOPPSI 2 ? Toutes les questions sur les droits et obligations de l’internaute citoyen, parent, mineur, consommateur, créateur de site, employé, chef d’entreprise ou chargé d’une mission d’intérêt général trouvent des réponses actualisées dans cette sixième édition. Entre deux éditions l’actualité de ces questions est consultable sur www.cyberdroit.fr. Sarah Mauger – Promotion Attali – série N 65 LES BONNES TOQUES LES BONNES TOQUES Manger bio : la panacée de l’homme moderne ? Le bio ne se réduit pas à de la cosmétique alimentaire, à une tendance culinaire, à un art de vivre et de consommer ou à une des émanations de la vague « bobo ». Le paysage agricole français, et donc alimentaire, a sensiblement changé en l’espace d’une décennie, le nombre d’exploitations agricoles certifiées bios ayant presque quadruplé depuis 199833. Ainsi, il y a quelques années encore, acheter des produits bios impliquait une véritable recherche et un coût certain. L’engouement pour le bio qui envahit les rayons de nos supermarchés, donne naissance à des chaînes de magasins spécialisés (Naturalia ou Biocoop par exemple) ou à des commerces de quartier, à des marchés parisiens (Raspail, Batignolles, Brancusi) et à des restaurants qui ne jurent que par le bio (Bioboa34, Supernature35 , Rose Bakery36 ), s’impose presque comme une nouvelle morale, respectueuse de l’écosystème. L’agriculture biologique répond certes à cette attente, vivement d’actualité : se « rapprocher au maximum des conditions naturelles de vie des animaux et des plantes37 ». Il faut garder à l’esprit que se superpose à ces dimensions, un véritable code normatif. Le bio, une révolution écologique et économique N ée dans les années 1920 en France, l’agriculture biologique procède de la volonté d’agronomes, de médecins, d’agriculteurs, de chercheurs et de consommateurs de fonder un mode alternatif de production mettant au cœur de ses préoccupations l’autonomie et le respect des équilibres naturels. Cette invention d’un nouveau mode de production et de consommation correspond à une démarche dont les ramifications ne sont pas seulement agricoles et écologiques. L’agriculture biologique a en effet des vertus économiques. La limitation du nombre de produits chimiques et de synthèse 66 utilisés dans les sols accroît le besoin de main-d’œuvre et favorise ainsi l’emploi dans le secteur agricole. Grâce à la nature directe du lien entre le producteur et le consommateur, l’agriculture biologique permet d’exploiter des zones rurales dans lesquelles l’agriculture conventionnelle n’était plus suffisamment rentable, et qui de ce fait, avaient été délaissées par les agriculteurs. L’agriculture biologique est également un terreau d’innovation, contrairement à ce que pourraient laisser croire les idées de retour aux valeurs de la terre et au naturel, souvent associées au bio. Pour preuve, la recherche permet, entre autres, d’approfondir la connaissance des sols et de leur fertilité, d’identifier les espèces animales et végétales les mieux adaptées au sol et d’apporter des alternatives non chimiques aux produits de lutte antiparasites. La progression indéniable de l’agriculture biologique par rapport à l’agriculture conventionnelle témoigne de l’attractivité de cette forme d’exploitation. Selon les chiffres produits par l’Agence Bio38, groupement d’intérêt public réunissant le ministère de l’Agriculture et de la Pêche, le ministère de l’Ecologie, l’Assemblée Permanente des Chambres d’Agriculture ainsi que des fédérations professionnelles agricoles et un syndicat39, les surfaces exploitées en agriculture biologique ont crû de 16% en 2009, ce qui fixe à 24% la part des exploitations françaises produisant du bio. Un cadre réglementaire strict C réé par un label en 1972, le bio est reconnu depuis 1999 et marqué du logo AB « Agriculture Biologique ». Ce logo, propriété exclusive du ministère de l’Agriculture et de la Pêche, est facultatif et a pour principal objet d’éclairer le consommateur sur ses choix et de lui garantir que 95% du produit qu’il achète est composé d’ingrédients biologiques. En pratique, les aliments bios sont soumis à des normes strictes émises par l’IFOAM (Fédération internationale des mouvements agricoles biologiques), complétées par des dispositions européennes40 et françaises41. L’institution du logo « AB » semble avoir atteint ses objectifs de reconnaissance et d’image de qualité puisqu’en 2008, 85% des Français interrogés affirmaient connaître la marque AB et 84% l’utilisaient comme repère lors de l’achat de produits biologiques42. Les normes permettent de tracer les aliments : depuis leur production, transport, entreposage, manutention jusqu’à leur transformation, grâce au suivi d’un cahier des charges public. Pour être bios, les produits doivent obligatoirement être certifiés par 33. L’agriculture biologique, chiffres clés - Edition 2009, Agence Bio / OC 34. Bioboa, 3 rue Danielle Casanova 75001 35. Supernature, 12 rue de Trévise 75009 36. Rose Bakery, 46 rue des martyrs 75009 et Rose Bakery II, 30 Rue Debelleyme 75003 37. Selon la définition fournie par la Fédération Nationale d’Agriculture Biologique des Régions de France, organisme professionnel à vocation syndicale créé en 1978. 38. Agence française pour le développement et la promotion de l’agriculture biologique, dossier de presse publié le 19 mai 2010 39. Fédération des coopératives agricoles, Fédération Nationale d’Agriculture Biologique des Régions de France, Syndicat national des transformateurs de produits naturels et de culture biologique 40. Règlement CEE 2092/91, comportant des règles européennes pour les productions végétales et animales biologiques 41. Cahier des charges français complémentaire (CC REPAB F) aux règles européennes pour les productions animales. Les textes européens et français sont complétés et explicités par des guides de lectures officiels français. 42. Baromètre CSA/ Agence Bio réalisé en 2008 sur la consommation et la perception des produits biologiques en France Manger bio : la panacée de l’homme moderne ? des organismes agréés, le contrôle du respect des règles étant annuel. La certification bio concerne aujourd’hui une vaste gamme d’aliments bruts – fruits, légumes, grains, œuf, lait, produits laitiers, etc – mais aussi des produits transformés comme les pâtes, les biscuits, les boissons, etc. La protection de l’environnement L ’agriculture bio se caractérise par le rejet des mécaniques modernes, des engrais et pesticides de synthèse et des OGM. La logique de la protection de l’environnement n’est pourtant pas toujours respectée jusqu’au bout, ne serait-ce parce que parmi ceux qui commercialisent des produits bios, certains ont pris le parti de transiger avec les saisons et de ne pas renier la diversité et l’exotisme auxquels les consommateurs sont habitués. Ainsi, la protection de l’environnement ne semble pas être une priorité lorsque l’on consent à importer des produits bios de tous les continents. Le credo de la protection de l’environnement est également décrédibilisé par la volonté de démocratiser le bio, aussi bien au sens du nombre de consommateurs qu’au sens du prix des produits. En effet, en se transformant en phénomène de masse, porté par des marques grand public et par les grandes enseignes de la distribution, le bio est soumis à une commercialisation rationalisée, où les économies d’échelle et la sécurité alimentaire ont le maître mot. Le choix du conditionnement devient alors décisif puisqu’il ne s’agit plus d’un simple commerce de proximité ; les emballages plastiques, pour leurs vertus conservatrices, ont dès lors droit de cité dans le royaume du bio. d’origine biologique correspondant aux pollutions extérieures ou résiduelles des sols. En l’absence de certitudes quant aux conséquences réelles des produits de synthèse, des arômes, colorants et additifs sur l’organisme, les consommateurs de bio privilégieraient ces aliments dont la production fait application du principe de précaution. Manger cinq fruits et légumes par jour, oui, manger cinq fruits et légumes bios par jour, c’est encore mieux. Associer les produits bios à une meilleure santé est-il un coup marketing réussi ou une réalité ? 84% des Français considèrent que les produits biologiques sont meilleurs pour la santé que ceux issus de l’agriculture conventionnelle43. Pourtant, il n’existe aucun consensus parmi les chercheurs à ce propos. Aucune preuve solide n’est apportée jusqu’à présent, sur la plus value de la qualité bio de ces aliments. S’ils sont plus riches en vitamine C, en fer, en magnésium et phosphore, l’incidence sur la santé n’est pas clairement rapportée. Certains, tels le Professeur David Servan-Schreiber, célèbre pour sa lutte contre le cancer, conseillent de consommer des fruits et légumes bios pour leurs vertus anti-oxydantes, aussi bien à titre préventif des cancers que pour leur traitement44. Néanmoins, il n’y a aucun dogmatisme à ce sujet, mieux vaut selon le Professeur consommer des fruits et légumes non bios que de ne pas en consommer du tout. Les bienfaits seront simplement accrus en présence d’aliments bios. Si le bienfait sur la santé peut également revêtir un impact psychologique, les consommateurs et scientifiques s’entendent néanmoins sur un point, les aliments bios sont plus frais et ont plus de goût que ceux issus de l’agriculture conventionnelle. L Les vertus du bio sur la santé : entre Un avenir lumineux ? mythe et réalité es initiatives afin de développer l’agriculture biologique L es produits bios, composés à 95% d’éléments biologiques, garantissent l’absence d’organismes génétiquement modifiés (OGM), les 5% restant qui ne peuvent être garantis et la commercialisation de ses produits ne se tarissent pas. Ces démarches portent leurs fruits puisque les consommateurs se disent plus informés que par le passé sur les spécificités des produits bios et reconnaissent que l’accès 43. Baromètre CSA/ Agence Bio réalisé en 2008 sur la consommation et la perception des produits biologiques en France 44. Anti-Cancer, Editions Robert Laffont 67 LES BONNES TOQUES LES BONNES TOQUES Manger bio : la panacée de l’homme moderne ? à ces produits a été facilité45. A tel point que 44% des Français témoignent consommer tous les jours ou au moins une fois par semaine des produits biologiques46. Néanmoins, si les produits sont désormais plus accessibles, quelques obstacles à une véritable démocratisation de l’alimentation biologique persistent. Selon le baromètre 2008 lancé par l’Agence Bio, destiné à évaluer Chiche & Pois : un accès direct au bio en Ile-de-France producteur au consommateur, chacun doit pouvoir s’y retrouver. La traçabilité doit être claire » affirme Ibtissem Akremi, la gérante à l’origine de cette aventure. Chiche & Pois est une jeune société, certifiée AB, qui livre des fruits et légumes bios aux franciliens à leur domicile ou sur leur lieu de travail. Les fondatrices Ibtissem Akremi et Louise-Anne Maillerie mettent au cœur de leurs préoccupations les valeurs actuelles des consommateurs. Des paniers aux contenus présélectionnés selon la saison, choisis avec soin et goûtés avant toute mise en vente, sont disponibles du mardi au samedi. Sur simple demande, il est également possible de composer soi-même son cabas.Voici les gammes proposées : • Chiche - Légumes : cabas de légumes bios - 2 kg (9 €), 3,5 kg (14€) et 5 kg (18 €) • Chiche - Mix : cabas de fruits et de légumes Chiche & Pois offre à toutes les bourses un accès à des produits issus de l’agriculture biologique. « Du 68 Bistrots parisiens la perception des produits biologiques par les Français, 75% des sondés affirment que le prix trop élevé de ceux-ci représente un obstacle à leur consommation. L’étude met également en avant une certaine fracture au sein de la population française : les consommateurs de bio les plus représentés sont en majorité des femmes, de plus de 24 ans, appartenant aux catégories socioprofessionnelles supérieures, résidant en région parisienne. Dès lors, quand pourra-t-on légitimement intégrer des produits bios dans le panier de la ménagère ? Question de sexe, de génération, de ressources financières ? Oui, mais pas seulement. La difficile perméabilité de l’alimentation bio à toute la société démontre que celle-ci demeure un parti pris personnel, animé par des sensibilités et préférences individuelles. Ainsi, ce sont des efforts de fond, sur la durée, et surtout des initiations de proximité et des contacts directs avec les consommateurs qui permettront de rendre la consommation de produits bios aussi naturelle que leur mode de production. Celine Dadouat – promotion Jacques Attali – série M Mathilde Saltiel – promotion Jacques Attali – série G bios - 4,5 Kg (21€) • Chiche - Fruit : cabas de fruits bios - 3 kg (18€) • Chiche - Baby : cabas de fruits et légumes bios adaptés à la réalisation de 4 repas bébé (9 €) Un blog permet de consulter outre la liste des produits disponibles, des fiches recettes et pratiques sur la conservation et la préparation de tous les fruits et légumes proposés. Chiche & Pois offre également des livraisons d’autres produits bios : œufs, vins, cidres fermier, confitures et laitages, à prix défiant la grande distribution Chiche & Pois propose des fruits et légumes venant de toute l’Europe et du continent 45. Baromètre CSA/ Agence Bio réalisé en 2008 sur la consommation et la perception des produits biologiques en France 46. Baromètre CSA/ Agence Bio réalisé en 2008 sur la consommation et la perception des produits biologiques en France américain. « Nous attachons une importance capitale à la qualité des produits mais nous sommes aussi attentives à l’impact carbone de ceux-ci. Les denrées européennes viennent par le train et pour le reste nous ne distribuons que ceux qui arrivent par la voie des mers » nous explique Louise-Anne Maillerie, cofondatrice. Pour les deux fondatrices, l’objectif est clair : « Nous souhaitons diffuser nos valeurs, prouver que l’on peut être une alternative économique durant cette période de crise et ainsi commencer à créer les premiers emplois dans une logique d’insertion professionnelle et sociale ». Contact : 06 50 79 30 01 ou par mail à [email protected] Blog : www.chicheetpois.wordpress.com Bistrots parisiens Rentrer c’est aussi se retrouver. Quoi de mieux pour cela qu’un bon et chaleureux bistrot parisien où l’on pourra se raconter son été et dévoiler ses projets ? Voici une sélection de tables où il fait bon vivre. Glou Dans le haut marais, à quelques enjambées du musée Picasso, vous trouverez Glou dans une portion, une fois n’est pas coutume, calme de la rue Vieille du Temple. Salle en longueur, poutres et briques apparentes, suspensions à l’allure industrielle, tables d’hôtes et tables intimes créent une atmosphère enveloppante. Les amateurs de calme se verront mieux agrémentés dans la salle à l’étage. Le patron veille à la qualité irréprochable des produits dont la provenance est triée sur le volet. La carte, fournie et originale, va au-delà de la déclinaison classique d’entrées, de plats et de desserts en proposant des « perles rares » (comme le thon blanc fumé de l’Ile d’Yeu et crème généreuse, 12€), des « assiettes canailles » (jambon Ibaïona, 11€ ou Lomo Ibérico Bellota, 12€), et des « curiosités du moment à ne pas manquer ». Des sous-titres précisent avec humour la teneur de chaque assiette. Si vous estimez que votre sens du goût est affûté, choisissez en dessert le Yaourt Glou et tentez de percer le mystère des saveurs du coulis qui l’accompagne. Ce curieux nom, Glou, fait penser à une gouleyante gorgée de vin qui réchaufferait doucement le gosier. Vous trouverez aisément celle qui plaira à votre palais parmi la belle carte des vins à prix doux, tout aussi commentée que le menu, qui permet de choisir un petit ou grand verre (8 ou 16 cl) de vin d’exception. Pour vous en convaincre, deux exemples : Meursault 2004 Premier Cru «Les Bouchères», domaine Deux Montille (12€ ou 23€) en blanc et Châteauneuf-du-Pape 2005, domaine Banneret (9€ ou 17€) en rouge. Cinq-mars Niché dans la calme rue de Verneuil, aux abords de la Seine, le restaurant CinqMars affiche un style brut, s’ouvrant sur un bar en bois et sur une salle, plutôt petite, subtilement éclairée et avec une belle hauteur sous plafond, où chaque table bénéficie d’un véritable espace. En guise d’entrée en matière, la carte allie avec brio de grands classiques (foie gras mi-cuit), terrine maison (dont on peut se servir à discrétion) avec des originalités de saison (carpaccio de Saint-Jacques ou toasts aux pleurotes à la crème). Les plats font la part belle aux traditions de l’hexagone : saucisse de chez Conquet (charcuterie de renom distinguée par le Gault et Millau) et purée maison (20€), rognons de veau, pot au feu ou côte de veau. Les amateurs de poisson ne seront pas en reste puisqu’ils pourront choisir un thon mi-cuit (19€) ou un bar grillé (29€). En dessert, ne passez pas à côté de la spécialité de la maison : la mousse au chocolat (9,5€), numéro 2 au palmarès du Figaroscope des meilleures mousses au chocolat de Paris. Présentée dans une grande jatte, on peut plonger sa cuillère dans cette succulente mousse au chocolat autant qu’on le souhaite. Vous serez servi dans une ambiance conviviale par un personnel jeune et dynamique. 51 rue de Verneuil, 75007 01 45 44 69 13 Métro Solférino (12) ou Rue du Bac (12), RER C Musée d’Orsay Fermé dimanche et lundi 101 Rue Vieille du Temple, 75003 01 42 74 44 32 Métro Filles du Calvaire / Saint-Sébastien-Froissart (8) ou Rambuteau (11) Ouvert tous les jours 69 LES BONNES TOQUES LES BONNES TOQUES Bistrots parisiens Les recettes du Baromaître L’Ebauchoir Le Basilic A peine à une encablure du marché d’Aligre, l’Ebauchoir ne peut rougir de la qualité de ses produits et de la réalisation soignée de ses assiettes. La salle aux beaux volumes, récemment rénovée, dépeint un style rétro avec ses grands miroirs, ses tables et chaises en bois vieilli. Un charmant accueil vous mettra à l’aise avant de profiter, grâce au service professionnel et détendu, de l’ambiance chaleureuse du restaurant. A la carte, des classiques forts réussis comme le filet de bœuf, pommes de terre, confiture d’oignons et pleurotes (pour deux, 48€) et le foie de veau et purée (20€) ou revisités : lotte rôtie, beurre blanc, jus au cidre et pommes fruits (22€). En dessert, voguez entre les traditions françaises – Paris-Brest (6,5€) ou dacquoise noisette et glace noisette (6,5€) et anglosaxonnes – crumble pomme-chocolat et glace vanille (6,5€) ou Cheesecake au citron vert et mandarines poêlées (6,5€). L’Ebauchoir dispose également d’une terrasse d’une vingtaine de couverts pour profiter des derniers beaux jours. A noter, une intéressante carte des vins et la possibilité de consommer les bouteilles de vin à la ficelle. Ne manquez pas de réserver les soirs de fin de semaine. Le Basilic est un grand bistro qui anime les soirées assoupies du quartier des ministères. On se sustente dans une belle salle au décor traditionnel, miroirs et banquettes en cuir rouge. En entrée, optez pour les ravioles. Ensuite, si quelques poissons sont sur la carte, il s’agit surtout d’une adresse qui ravira les carnivores. Ceux-ci trouveront parmi les spécialités : du gigot d’agneau tranché devant vous, une belle côte de bœuf pour deux ou le canard. En matière de garnitures, ce sont les frites qui tiennent le haut du pavé. Pour des plaisirs plus sucrés, on pensera à la crème brûlée ou au mille-feuilles. Le personnel est jeune et sympathique et les patrons qui ont repris il y a quelques années le restaurant veillent à ce que l’accueil soit chaleureux. Le restaurant reçoit aussi bien des habitués du quartier, de tous les âges, que des clients friands d’une bonne cuisine de bistrot, le tout contribuant à une excellente ambiance. Le Basilic se situant au coin de deux rues peu empruntées par les automobilistes, la terrasse (chauffée et efficacement isolée l’hiver) offre un moment très agréable, plus calme que dans la salle et une vue des plus charmantes sur le jardin de la Basilique Sainte-Clotilde. 43 Rue Citeaux, 75012 - 01 43 42 49 31 Métro Faidherbe-Chaligny (8) - Fermé dimanche 2 Rue Casimir Périer, 75007 Paris - 01 44 18 94 64 Métro Varenne (13) ou Solférino (12) Ouvert tous les soirs, fermé samedi et dimanche midi Les Puces des Batignolles 70 Tartine saumon et avocat Ingrédients pour 6 personnes : - 6 tranches de pain (de préférence Poilâne ou de campagne) - 6 tranches de saumon fumé - 3 avocats (un demi par tartine) - 3 cuillères à café de crème fraîche entière - 2 citrons - 1 pincée de paprika pour les amateurs Garniture : Salade selon votre goût : roquette, mâche, bouquet varié… Assaisonnement : huile d’olive et vinaigre balsamique (plus sel et poivre). 1. Pressez les deux citrons et faites mariner les six tranches de saumon fumé dans le jus obtenu. 2. Ecrasez à la fourchette les avocats, salez. Vous pouvez ajouter une pointe de paprika si le cœur vous en dit. 3. Faites grillez les tranches de pain dans un grille-pain classique. 4. Pendant que les tartines grillent, égouttez les tranches de saumon fumé et réservez les. 5. Etalez l’avocat sur les tartines grillées. Placez une tranche de saumon fumé sur chaque tartine. 6. Ajoutez une pointe de crème fraîche épaisse (une demicuillère à café environ) et un tour de moulin à poivre. Dans le quartier animé des Batignolles, se trouve ce chaleureux restaurant qui dégage sa bonté dans son cadre gentiment rétro, agrémenté de quelques objets de bric et de broc. Lors du déjeuner, le menu composé uniquement de plats du jour alléchants dispose d’un excellent rapport qualité prix (entrée/ plat ou plat/dessert 13€, entrée/plat/dessert 16€). A la carte, pour les grandes comme les petites faims : grandes salades (environ 15 €), carpaccio de bœuf au parmesan (15,50) planche de charcuterie, poissons et mention spéciale pour les viandes (tartare de bœuf à l’italienne, entrecôte, magret de canard). N’hésitez pas à faire remplacer la salade par des frites, coupées grossièrement au couteau, très bien cuites et goûteuses. Si vous aviez encore faim après les généreux plats et si vous n’aviez pas encore lorgné avec insistance du côté des desserts, n’oubliez pas d’y jeter un œil et laissez vous tenter par le tiramisu au Nutella. Si vous passez par là un dimanche, même tardivement, et que votre appétit est sérieusement creusé, attablez vous pour le brunch (20€) : tout y est (viennoiseries, œufs…) avec des touches originales en plus. Le service est dynamique et enjoué. Une petite terrasse épousant l’angle formé par le restaurant, parfait ce très agréable bistro. Pensez à réserver le soir. 110 Rue Legendre, 75017 01 42 26 62 26 Métro La Fourche (13) Ouvert tous les jours Quoi de plus simple et rapide à préparer que des tartines ? Préparez en un rien de temps quelques tartines gourmandes que vous pourrez servir seules et tranchées, en guise de copieux apéritif, ou garnies de salade verte si vous voulez en faire une entrée ou un plat. Dégustez ! Mathilde Saltiel – promotion Jacques Attali – série G Tartine italienne Ingrédients pour 6 personnes : - 6 grandes tranches de pain ou 12 petites (Poilâne ou pain de campagne) - grosses tomates - mozzarella de buffle fraîche (en boule plutôt qu’en bûche) - bouquet de basilic, ail - huile d’olive Garniture : Salade selon votre goût : roquette, mâche, bouquet varié… Assaisonnement : huile d’olive et vinaigre balsamique (plus sel et poivre). Conseils : Les tomates et la mozzarella fraîche vont dégorgez lors de la cuisson. Pour préserver les saveurs de chaque ingrédient, pensez à découper l’ensemble des ingrédients au préalable et à les disposer dans un récipient un quart d’heure avant ou plus si vous en avez le temps. Une fois ce temps écoulé, vous pourrez retirer du récipient l’excédent d’eau qui se sera déposé au fond. Si vous souhaitez plutôt déguster ces tartines à la main, en guise d’apéritif ou façon « bruschetta », pensez que les tomates et la mozzarella « transpireront » lors de la cuisson, peu importe que vous ayez eu ou non le temps de les dégorger au préalable. C’est pourquoi il ne faut pas mettre de l’huile d’olive avec excès, sinon la tartine sera si humide et glissante qu’il sera difficile de la manger avec plaisir et facilité avec les doigts. 1. Préchauffez le four à 180 degrés. 2. Retirez la plaque du four et disposez au fond une feuille de papier sulfurisé (pour éviter une adhérence de la tartine à la plaque). 3. Retirez la chemise de l’ail. Prélevez une gousse et retirez les chemises restantes. 4. Coupez chaque grande tranche de pain en deux. Frottez-y de l’huile d’olive (avec un pinceau de cuisine si vous en possédez un, sinon à la main). Frottez-y ensuite l’ail, à votre convenance jusqu’à atteindre l’arôme souhaité (un petit conseil, quelques passages de l’ail suffisent car l’arôme de l’ail s’imprègne vite). 5. Tranchez les grandes tomates en rondelles. Disposez une ou deux rondelles sur chaque tranche de pain. 6. Découpez la mozzarella en tranches relativement épaisses (1 cm environ) et disposez une ou deux tranches sur les tomates. 7. Ajoutez une goutte d’huile d’olive. Ciselez quelques feuilles de basilic au-dessus de la tartine. Ajoutez du sel (de préférence gros sel) et un tour de moulin à poivre. 8. Mettez votre four sur la fonction grill. 9. Enfournez les tartines en les disposant sur le papier sulfurisé pendant 5 à 7 minutes en surveillant régulièrement. Dégustez ! 71 LES BONNES TOQUES Les recettes du Baromaître LES BONNES TOQUES Les recettes du Baromaître Tartine de chèvre chaud sucrée Ingrédients pour 6 personnes : - 6 grandes tranches de pain ou 12 petites (Poilâne de préférence, ou de campagne, aux céréales, aux noix ou complet) - 12 rocamadours (si vous les achetez chez le fromager, ne les demandez pas trop coulants) ou une bûche de chèvre - 6 cuillères à café de miel liquide - 1 pomme (verte de préférence, type Granny Smith, pour son acidité !) - une pincée d’herbes de Provence pour chaque tartine. Garniture : Salade selon votre goût : mâche, pousses d’épinards, bouquet varié… Assaisonnement : huile d’olive et vinaigre balsamique (plus sel et poivre) ou huile de tournesol et moutarde à l’ancienne (plus sel et poivre) ; quelques noix en plus ou pignons de pin si vous cela vous chante. 1. Préchauffez votre four à 180 degrés. 2. Retirez la plaque du four et disposez au fond une feuille de papier sulfurisé (pour éviter une adhérence de la tartine à la plaque). 3. Découpez la pomme en fines rondelles. Disposez une à deux rondelles de pomme sur le pain. 4. Découpez la bûche de chèvre en morceaux. Disposez un ou deux morceaux de bûche de chèvre ou un ou deux rocamadours sur le pain, selon la taille des tranches choisies. 5. Nappez le chèvre d’une cuillère à café de miel liquide. 6. Ajoutez une pincée d’herbes de Provence sur chaque tartine. 7. Mettez votre four sur la fonction grill. 8. Disposez les tartines sur le papier sulfurisé et enfournez les pendant 6 à 7 minutes en les surveillant régulièrement. Dégustez ! Marion Grateau – promotion Jacques Attali – série J Mathilde Saltiel – promotion Jacques Attali – série G 72 73