La statue de Parmentier à Neuilly et la pomme de terre. Apothéose

Transcription

La statue de Parmentier à Neuilly et la pomme de terre. Apothéose
La statue de Parmentier à Neuilly et la pomme de terre.
Apothéose plus pacifique et plus heureuse, celle de l'agronome
Parmentier, dont on a inauguré la statue dimanche denier à Neuilly, C'est,
comme on sait, l'introducteur en France de la pomme de terre, qui, bien
que cultivée et consommée dans tous les pays d'Europe (ndlr : Rodenbach
songe bien évidemment ici à la Belgique, sa terre natale), était repoussée
ici et considérée comme donnant la lèpre et d'autres maladies.
Heureusement Parmentier obtint l'appui de la cour. On raconte même qu'il
donna aux seigneurs un banquet dont la pomme de terre fit à elle seule
tous les frais, présentée sous les formes les plus diverses, sous les
déguisements les plus nombreux, - même en chemise, dit-on. Le pain et
les gâteaux étaient faits avec de la farine de froment mélangée à de la pomme de terre et l'eau-de-vie
elle-même, une eau-de-vie très forte et capiteuse, avait été retirée de la pomme de terre concentrée.
Aussi le roi Louis XVI lui donna-t-il la plaine des Sablons, où s'élève aujourd'hui le rond-point de la
Porte Maillot, et le résultat de ses cultures fut merveilleux. Ainsi sauva-t-il de la disette à plusieurs
reprises le peuple de France, en 1789, en 1816 et 1817.
Comme tous les inventeurs, comme Christophe Colomb lui-même, il eut sans doute une douleur de
n'avoir pas marqué de son nom sa découverte, car seuls quelques érudits de province ou quelques
bachelières appellent, selon le dictionnaire, le populaire tubercule du nom de parmentière.
En compensation, il a maintenant sa statue, avenue du Roule, à Neuilly, en face de l'Hôtel de Ville.
Il est représenté debout, la tête nue et penchée examinant la solanée qu'il vient de trancher ; un
couteau dans sa main droite ; en bandoulière une sorte de bissac rempli de pommes de terre.
Attirails pacifiques, comme on voit ; statue tunicate, selon la décision romaine, formant un heureux
contraste avec toutes les statues de conquérants, en casques et en cuirasses, qui peuplent les places
publiques.
Article de presse 1888 – Georges Rodenbach