Salicyles

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Salicyles
Intoxication par les salicylés
S. Achour, GH. Jalal, N. Rhalem, R. Soulaymani
1. Cas clinique :
Une femme de 40 ans présentant des antécédents psychiatriques, a été admise aux urgences dans
un tableau de coma avec polypnée, hypotension, tachycardie et hyperthermie. L'interrogatoire de
la famille a révélé une prise probable d'aspirine. Le Centre Anti Poison du Maroc a été alors
contacté, et le médecin de garde a conseillé d’effectuer un bilan notamment, un ionogramme qui
a objectivé une acidose avec hyperglycémie et la recherche toxicologique qui a pu confirmer
l'intoxication aux salicylés.
2. Introduction
Dans le cadre des intoxications aigues médicamenteuses, les salicylés viennent en seconde
position après les psychotropes avec un pourcentage de 7.12 %. L'intoxication aux salicylés est
potentiellement grave chez l’enfant et le vieillard. Elle se caractérise par une symptomatologie
polymorphe.
Sa prise en charge nécessite une bonne connaissance de la physiopathologie pour une meilleure
conduite thérapeutique.
3. Toxicocinétique :
• L'absorption digestive des salicylés est totale et rapide.
• La liaison aux protéines plasmatiques est de 50 à 80 %.
• La demi-vie plasmatique est de 2 à 4 heures et demie. En cas de surdosage elle est de
18 à 36 heures.
•
l'aspirine est rapidement hydrolysée en acide salicylique et acide acétique au niveau
digestif (estomac, intestin) ; sanguin et hépatique.
L'acide salicylique se conjugue à la glycine et à l’acide glucoronique dont l'élimination est
urinaire, par filtration glomérulaire, puis il subit une réabsorption tubulaire, essentiellement
passive, qui est diminuée lorsque le pH urinaire est alcalin d'où l'intérêt majeur de l’alcalinisation
des urines lors du traitement.
4. Mécanisme d’action et toxicité :
Les salicylés entraînent un blocage de la phosphorilation oxydative : l’ATP n’est pas produite
d’où libération de la chaleur qui peut être à l’origine d’une hyperthermie majeure.
L'intoxication aux salicylés se caractérise par un état de catabolisme exagéré et par un
déséquilibre acido-basique. En outre, on lui reconnaît trois phases biochimiques qui doivent
guider l'évaluation du patient et peuvent faciliter le traitement de son état.
Phase 1:
Au début de l’intoxication aigue, les dérivés salicylés stimulent le centre de la respiration. Ils
entraînent ainsi une hyperventilation source d’une alcalose respiratoire que le rein cherche à
corriger en réabsorbant les ions H+ et en excrétant dans les urines des ions HCO3 (Tableau 1).
Cette phase peut durer jusqu'à 12 heures chez l'adulte, mais elle peut être absente chez le jeune
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enfant.
L’hypercatabolisme provoque alors une accumulation de métabolites acide (corps cétoniques,
acides aminés, acides lactiques etc.…)
Phase 2 :
Au cours de cette phase, l’hyperventilation persiste, mais le plasma devient moins alcalin à cause
de la surproduction d'acides et de la perte de bicarbonates. On est alors en présence d'un tableau
mixte d'alcalose respiratoire est d’acidose métabolique. Cette étape peut durer 12 à 24 heures.
Phase 3 :
Cette phase peut survenir, chez un adulte, 24 heures après l'ingestion de salicylés alors que chez
le jeune enfant, elle peut parfois s’observer quatre à six heures après la prise.
Elle se caractérise par l'acidité du plasma et de l’urine. C'est habituellement au cours de cette
phase que les complications surviennent car dans un plasma acide la fraction non ionisée de
salicylates augmente, et ceux ci traversent plus facilement les membranes cellulaires.
Ils accèdent alors au système nerveux central et provoquent une confusion, des convulsions
etc.…
Le rein réabsorbe les salicylates non ionisés mieux que l’ion salicylate, ce qui limite ainsi leur
élimination rénale.
En général le décès survient à ce stade, dans les cas ou la salicyurie est très élevée, la diffusion
de la substance dans le système nerveux central peut expliquer une détérioration clinique brutale
survenant dès la phase 1.
pH plasmatique
pH urinaire
Phase I
Alcalin
Alcalin
Phase II
Alcalin
Acide
Phase III
Acide
Acide
Tableau I : différentes phases de l’intoxication salicylée : caractéristiques plasmatiques et
urinaires.
4.1. Doses toxiques :
Les doses toxiques de salicylés sont les suivantes :
Chez l'enfant : 100 mg /kg
Chez l'adulte : Aux doses de 150 à 300 mg/kg, le risque est modéré.
A partir de 300 à 450 mg /kg le risque est important.
Au-delà de 500 mg /kg le risque est létal.
4.2. Manifestations cliniques :
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La plupart des manifestations cliniques de l'intoxication aux salicylés sont reliées à
L’hypercatabolisme, au passage du médicament dans le système nerveux central et au
déséquilibre acido-basique (Tableau II).
Cependant, il ne faut pas négliger la déshydratation dont souffre le sujet intoxiqué et qui peut
camoufler des déficits électrolytiques souvent plus importants qu’ils n’apparaissent.
Intoxication légère
Intoxication modérée
Intoxication grave
- Nausées
- Polypnée importante
- Polypnée importante
- Vomissements
- Excitabilité, agitation
- Dépression respiratoire
- Acouphène,vertige, céphalées
- Tachycardie avec hypotension
- Hyperthermie sévère
- Polypnée légère
- Hyperthermie modérée
- Hémorragie digestive
- Confusion, convulsions
- Coma, décès
Tableau II : Manifestations cliniques de l’intoxication aux salicylés
Chez la femme enceinte, l’intoxication aux salicylés expose le fœtus au risque d’acidose,
d’hémorragie néo-natale, de fermeture prématurée du canal artériel d’où l’indication de son
extraction en cas d'acidose maternelle grave.
4.3. Diagnostic positif :
Outre l'anamnèse, le diagnostic repose sur la recherche des salicylés dans le liquide gastrique,
le sang ou dans les urines (par colorimétrie et réactifs de trinder). En cas de résultat positif, on
effectuera un dosage plasmatique (prélèvement de cinq ml de sang veineux) par techniques
colorimétriques ou enzymatiques.
Selon le monogramme de Done, Il existe une bonne corrélation entre les taux plasmatiques et la
gravité de l'intoxication : (figure I)
Ce monogramme met en évidence la gravité de l’intoxication selon les salicylémies :
• Une salicylémie Inférieure à 300 mg par litre correspond aux taux thérapeutiques
• Une salicylémie entre 300 et 600 mg par litre traduit une intoxication modérée
• A des taux de 600 à 900 mg par litre l’intoxication est grave
• Lorsque la salicylémie est de plus de 1300 mg par litre, l’intoxication est
potentiellement mortelle (1 mg par litre d'aspirine est égale à 6,25 micromoles par litre).
5. Traitement :
5.1 Lavage gastrique
•
Le lavage gastrique a un intérêt limité vu l'importance des vomissements dus à ce type
d'intoxication.
5.2 Charbon activé
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Le Charbon activé est administré aux doses suivantes :
- Chez l'adulte : 50 à 100 g à l’admission puis 25 à 50 g toutes les 2 à 4 h.
- Chez l'enfant la dose initiale est 1 à 2 g /kg, puis 0.25 à 0.5 g/ kg toutes les 2 à 4h
L’administration du charbon activé est arrêtée lorsque la salicylémie est revenue au taux
thérapeutiques ou s’il survient une complication due au charbon activé (iléus notamment)
5.3. La réhydratation
La mise en route d’une réhydratation doit se faire dès l'admission afin d'assurer une bonne
diurèse (supérieur à 0,5 ml/ Kg /h)
On utilise une solution mixte faite de sel isotonique et de glucose isototonique et hypotonique à
raison de 20 ml / Kg /h.
Dès que la diurèse est assurée, il est nécessaire d'ajouter une solution de chlorure de potassium
(KCL) au soluté mixte à 0,45% afin de prévenir l’hypokaliémie qui entraînerait une baisse du
pH urinaire.
Il faut éviter toute surcharge liquidienne chez les sujets dont la fonction cardiaque est
compromise.
5.4. L’alcalinisation des urines
L’alcalinisation des urines repose sur l’apport du bicarbonate à 14‰ : 250 ml/ heure avec 3 g de
kcl à poursuivre pendant 24 heure jusqu’à obtenir un pH
Elle permet une bonne épuration rénale de l’aspirine, sous réserve d'une correction préalable de
la déshydratation et de l’hypokaliémie.
5.5. Traitement symptomatique
Repose sur les mesures suivantes :
- Le refroidissement par des moyens physiques s’il existe une hyperthermie.
- La prescription de pansements gastriques en cas de vomissements.
- La Ventilation artificielle est d'indication large en présence d’une hyperpnée (rappelons que
toute sédation est formellement interdite en absence de Ventilation artificielle).
- L’épuration extrarénale est à discuter dans les cas suivants : Salicylémie supérieure à 9,4 mmol
/l ou 300 mg /l, syndrome de détresse respiratoire de l'adulte "ARDS", acidose réfractaire et s’il
existe une atteinte grave du système nerveux central.
Attitude préconisée dans le cas rapporte
La patiente a bénéficié :
-
d'un lavage gastrique sous intubation ventilation assistée puisqu’elle était dans le coma.
-
d’une alcalinisation (apport de bicarbonate).
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-
et d'un refroidissement par les moyens physiques pour combattre l’hyperthermie.
-
L’évolution sous traitement a été favorable.
6. Conclusion :
L’intoxication aux salicylés doit être traitée de façon méthodique. On ne parviendra pas toujours
à éviter le décès de personnes qui tardent à se présenter après l'ingestion,
Cependant, si l'on tient compte des mécanismes physiopathologique de ce type d'intoxication
lors de la prise en charge, les résultats thérapeutiques sont en règle optimaux.
Références
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5. Descotes J., Testud F., Frantz P. Les urgences en toxicologie. Paris Maloine,
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Médecine sciences Flammarion. Pp 2000: 93-97.
7. Danel V., Barriot P. Intoxications aigues en réanimation, 2ème édition. Paris: Arnette.
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11. Mary O., Amdur D., Doull J., and al. Casarett and doull’s toxicology. Pergamon Press
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