L`anorexie mentale - Eki-Lib

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L`anorexie mentale - Eki-Lib
L’anorexie mentale, une quête insatiable
de contrôle
Leur plus grande peur est de grossir et leur besoin de maigrir est si fort qu’elles cessent
de s’alimenter. Mais est-ce
ce réellement tout ce dont souffrent les anorexiques ? Sur fond
de manque de confiance en soi, que ces jeunes femmes cherchent à dissimuler derrière
une maîtrise et un contrôle hors norme de leur alimentation, l’anorexie est toujours le
symptôme d’un réel mal-être
être psychique. Anne-Laure Vaineau
Elles n’ont plus que la peau sur les os. Leur poids oscille dangereusement entre 30 et 40
kilos. Danss neuf cas sur dix, ce sont des femmes. Âgées pour la plupart entre 17 et 22
ans. Elles souffrent d’anorexie mentale. Selon l’association Autrement “Pour un autre
regard sur son poids”, qui regroupe de nombreux spécialistes des TCA (troubles du
comportementt alimentaire), 1 femme sur 100 serait concernée, et le nombre de nouveaux
cas détectés chaque année en France s’élèverait à 5 000.
Contrôler son corps, son image, sa vie c’est ce qui anime la jeune femme qui souffre
d’anorexie. En refusant de s’alimenter
s’alimenter et en niant sa faim, c’est en effet bien plus que son
alimentation qui est en jeu. « Elle s’inflige de terribles restrictions alimentaires, explique
le nutritionniste Daniel Rigaud, car, contrairement à l’anorexie vraie, où l’absence
d’appétit est liée à la perte de la sensation de faim, dans l’anorexie mentale, au moins au
début, la malade a faim, et lutte contre celle-ci.
celle ci. » Pour paradoxalement combler un vide
en elle, se rassurer, se sentir exister, l’anorexique va jusqu’à mettre sa vie en péril, le plus
plu
souvent sans en avoir conscience.
Reconnaître l’anorexie mentale
« L’anorexie mentale commence non pas quand une personne
“veut” maigrir, mais quand, sans s’en rendre compte, elle ne
peut plus rien faire d’autre que maigrir, » explique le Dr Rigaud. Alors
Alors comment faire la
différence entre une jeune femme qui aurait simplement décidé d’entreprendre un régime
de celle qui souffrirait d’anorexie ?
Certains signes sont très spécifiques : restriction, tri des aliments, indifférence à la
tentation, calcul draconien
conien des calories et, souvent, prise des repas seule et à heures fixes.
Avant toute chose, l’anorexique fait preuve d’un contrôle hors norme de son assiette. À
l’inverse, sa consommation de liquide dépasse l’entendement. Cette potomanie (nom du
trouble qui
ui y est associé) peut la pousser à boire plus de 3 litres d’eau par jour. L’objectif
? Se purifier, éliminer, mais aussi se remplir l’estomac pour écarter la sensation de
faim. Dans un but similaire, elle fait parfois usage de diurétiques et de
laxatifs. Pour “brûler des calories”, l’anorexique semble comme hyperactive,
elle bouge sans cesse. Son amaigrissement est rapide, fulgurant.
L’adolescente, ou la jeune femme selon son âge, modifie sans cesse
l’objectif qu’elle s’est fixé d’atteindre, pour perdre toujours
toujours plus de poids.
La vision qu’elle a de son propre corps n’est pas objective, elle ne se trouve
jamais assez mince, surtout pas maigre. Souvent, conséquence du chaos
hormonal provoqué par la dénutrition, ses règles ont disparu.
D’un point de vue psychologique,
hologique, sans que l’on puisse savoir avoir exactitude si ses
difficultés existaient toutes avant le déclenchement de la maladie ou si cette dernière les a
provoquées ou aggravées, les personnes qui souffrent d’anorexie mentale présentent des
symptômes bien
en identifiés :
- manque de confiance (en soi, mais aussi en l’autre)
- manque d’estime de soi
- besoin de contrôle et de maîtrise, qui se traduit par un excès de perfectionnisme
- rejet de l’image féminine (séduction, sexualité) et du désir
- peur permanente
ente d’être jugée par autrui
- sentiment d’impuissance face à l’amour, la vie, la profession, l’avenir, la guérison…
Dans un cas sur trois, l’anorexie dite restrictive glisse vers l’anorexie-boulimie.
l’anorexie boulimie. Dans
cette forme particulière, le jeûne est alors entr
entrecoupé de crises de boulimie,
boulimie qui se soldent
par des vomissements, spontanés ou provoqués. Une perte de contrôle vécue comme un
échec que la jeune malade a souvent beaucoup de mal à accepter.
Des causes difficiles à identifier
Longtemps, l’anorexie a été qualifiée de « maladie du lien », mettant en cause de manière
quasi-systématique
systématique des difficultés dans la relation mère
mère-fille.
fille. Certes, le rapport à la
nourriture intervient très tôt dans la relation mère
mère-enfant, mais est-ce
ce un élément suffisant
pour expliquer
er l’anorexie ? Si la part de responsabilité des parents dans le trouble de leur
enfant est parfois bien réelle, sa stigmatisation n’est plus d’actualité. D’abord parce que
l’origine du trouble est assurément polyfactorielle, mais aussi parce que le choix d’un
“bouc émissaire” ne fait que majorer un sentiment de culpabilité qui est déjà assez
présent dans l’entourage de ces malades.
Aujourd’hui, il est encore impossible de dire avec certitude pourquoi ce trouble touche
certains jeunes plus que d’autres. Ma
Mais
is l’on sait que ses origines sont multiples et
croisées, mêlant facteurs génétiques, nutritionnels, affectifs, psychiques ou encore
socioculturels. Comme une goutte d’eau qui serait venue faire déborder un vase déjà trop
plein, les histoires des malades évoquent
évoquent toutes un élément déclencheur, un déclic : un
régime trop strict, une remarque blessante, un traumatisme, une rupture sentimentale, ou
encore, une modification de la vie familiale (deuil, divorce…).
Quant aux raisons qui pourraient expliquer la prévalence
prévalence féminine dans l’anorexie,
plusieurs hypothèses existent. D’une part, la nourriture serait plus communément source
d’addiction chez les filles que chez les garçons, qui se tourneraient plutôt vers les
drogues, l’alcool ou les autres comportements à risques. Par ailleurs, l’adolescence est
une période plus difficile pour les filles, chez qui la transformation et la maturation
physique est plus visible. Confrontées à la difficulté d’apprivoiser leur nouveau corps,
elles auraient tendance à retourner lleurs souffrances contre elles-mêmes.
mêmes. D’autant que
l’image du corps, son poids, son allure, sont chez les adolescentes un marqueur identitaire
fort. Et d’avantage avec la mode et les diktats de la minceur qui s’imposent à elles dans
notre société.
Soigner l’anorexie
La priorité, dans le traitement de l’anorexie mentale, est la reprise de poids. Notamment
lorsque la dénutrition est telle que la jeune femme est en réelle situation de danger : sa vie
peut être en jeu et, dans certains cas, l’hospitalisation est
est même inévitable. Avec l’aide
d’un nutritionniste ou d’un diététicien spécialiste des TCA, la patiente doit parvenir à
plusieurs objectifs : retrouver et maintenir un poids normal, rééquilibrer ses apports
nutritionnels, manger normalement, sans peur ni angoisse. Ensuite, un travail
thérapeutique, avec l’aide d’un spécialiste des troubles du comportement alimentaire,
s’avère souvent nécessaire. Thérapies psychanalytiques, psychocorporelles,
comportementales et cognitives, hypnose… le choix des approches est
est nombreux et varié.
Les groupes d’entraide et de parole sont également un lieu privilégié pour la malade. Ils
permettent de témoigner mais aussi de recueillir le témoignage d’autres patientes. Entre
elles, les anorexiques se mettent en garde contre les pièges dans lesquels ne pas tomber,
se transmettent leurs espoirs de guérison. Elles peuvent parler de choses dont elles ne
parviennent pas à parler avec le personnel soignant mais aussi de sujets plus personnels et
moins médicaux (relatifs au corps, à leurs
leurs relations familiales ou amoureuses etc…).
Le rôle essentiel de l’entourage
3 questions à Pascale Zrihen, psychologue clinicienne et psychothérapeute spécialisée
dans les troubles du comportement alimentaire (TCA).
Quels sont les signaux d’alerte auxquels
auxquels l’entourage doit être attentif ?
Les parents, et l’entourage en général, doivent être vigilants dès lors que l’adolescente ou
la jeune femme qu’ils côtoient semble commencer un régime. La perte de
poids n’est-elle
elle pas trop rapide ? Sélectionne-t-elle
Sélectionne
rigoureusement
igoureusement les
aliments qu’elle mange ? En élimine
élimine-t-elle certains ? Développe-t-elle
des obsessions autour de l’alimentation (une passion soudaine pour la
cuisine, l’envie de « faire manger la famille »…) ? Ce sont autant de
questions que je les invite à se poser. Par ailleurs, ils peuvent aussi
surveiller son état psychologique. Semble-t-elle
Semble elle particulièrement stressée,
angoissée, en repli sur elle-même
elle
? Les mamans ou les amies peuvent
essayer de s’assurer que ses règles n’ont pas disparu. Les malades ont
vraiment tendance à dissimuler leur mal-être
mal
et à manipuler leur
entourage. Elles confient ensuite avoir « appris à vivre dans le mensonge ». Les proches
doivent avoir conscience qu’il n’est pas toujours évident de déceler l’anorexie.
Comment réagir lorsque
orsque l’on suspecte un ou une proche de souffrir d’anorexie ?
Dans un premier temps, les proches peuvent se renseigner par l’extérieur, auprès du
médecin généraliste, d’un nutritionniste ou de tout professionnel de santé qui pourra
ensuite les orienter vers
rs un spécialiste. Ils peuvent aussi s’informer auprès des
associations, rencontrer d’autres parents concernés. Alors, ils pourront aller vers la jeune
femme et lui faire part de leurs inquiétudes, évoquer avec elle les questions de poids mais
ne pas les stigmatiser.
tigmatiser. Ils peuvent commencer par lui dire qu’ils ne la trouvent pas en
forme, stressée, et lui proposer un soutien psychologique, afin de bien lui faire
comprendre que sa difficulté est prise au sérieux. Il est souvent très difficile de
convaincre la jeune fille de consulter. Face à une ado, voire une préado, les parents
doivent être force de persuasion et lui dire « je sais que tu ne veux pas aller voir le
psychologue, mais je te demande de venir avec moi, parce que je m’inquiète pour toi et
que tu es sous ma responsabilité ». De nombreuses patientes sont amenées à consulter
dans ces conditions la première fois. Elles sont en général très remontées contre le corps
médical au début mais au bout de quelques séances, on parvient à faire émerger des
choses et à travailler sur le trouble. Ce bras de fer peut paraître très dur, mais c’est une
nécessité pour la santé de la patiente. Dans d’autres cas, les jeunes femmes sont déjà
tellement épuisées qu’elles acceptent de consulter sans se braquer, même si elles ne
comprennent pas bien l’intérêt de le faire.
Comment l’entourage peut
peut-il
il accompagner la malade une fois son trouble pris en
charge ?
Une fois que la patiente est dans un circuit de soin, les proches peuvent être en partie
soulagés. Ils passent le relais à des professionnels qui sont là pour les aider et qui ont les
compétences pour les accompagner et de ce fait, ils peuvent déjà prendre un tout petit peu
de recul. Ce qui est important, c’est bien sûr la dimension affective, le soutien, l’amour,
les encouragements
ragements qu’ils vont pouvoir lui apporter. C’est essentiel pour ces patientes qui
sont en très grande souffrance. L’essentiel, c’est de trouver la bonne distance. Lorsque les
parents continuent de remplir l’assiette de leur fille à table et gardent un con
contrôle
scrupuleux sur ce qu’elle mange, la patiente le perçoit comme une agression. C’est une
attitude trop intrusive pour elle, trop angoissante. Il faut donc la laisser faire, la laisser
retrouver ses repères alimentaires progressivement, tout en restant vigilant. Car ils ont
néanmoins le devoir de prévenir les professionnels de santé s’ils repèrent des choses
alarmantes dans son comportement. La prise en charge de l’anorexie repose sur une
collaboration totale entre la patiente, les professionnels de sant
santéé et l’entourage.
Les formes plus rares de l’anorexie
Dès la naissance et jusqu’aux dernières années de la vie, on constate que l’anorexie
survient parfois en prenant des formes plus atypiques. Dans de nombreux cas, les causes
restent floues, et varient en fonction de l’âge.
Chez le bébé et dès les premières semaines après la naissance, certains nourrissons
développent parfois une forme d’anorexie qui peut être très grave. En effet, à cette
période de la vie plus qu’à aucune autre, les conséquences de la dénutrition sont
importantes et dans
ns certains cas, irréversibles. C’est notamment le cas des retards
psychomoteurs. Si la responsabilité de la mère n’est plus mise en cause de manière
systématique dans l’anorexie de l’adolescente ou de la jeune femme, dans la plupart des
cas, chez le bébé, le trouble est lié à un problème
conséquent d’attachement entre la mère et l’enfant.
Souvent, c’est ce qui arrive lorsque la jeune maman
est en souffrance. « La mère peut tout aussi souffrir de
schizophrénie que de dépression, affirme MarieMarie
France Le Heuzey.
ey. À la différence que, dans le
second cas, on peut l’aider à s’en sortir, et ce serait
dommage de passer à côté. »
Chez l’enfant entre 6 et 7 mois survient aussi parfois, au moment de la diversification,
une forme d’anorexie infantile. Là encore, c’est souvent une difficulté relationnelle entre
la mère et l’enfant qui se trouve à l’origine du refus de s’alimenter. Dans ce cas-là,
cas
celleci relève plus de la volonté chez l’enfant d’entrer en conflit avec elle que d’exprimer une
souffrance et concerne plus particulièrement les enfants à fort caractère. « Cette forme
d’anorexie n’est pas gravissime, souligne Marie-France
Marie France Le Heuzey, mais elle nécessite
néanmoins une prise en charge, le plus souvent une psychothérapie. »
Enfin chez les seniors,, on constate éga
également
lement plusieurs formes d’anorexies. Les
premières sont des pertes de l’appétit dont l’origine est purement mécanique. La personne
ne parvient plus à s’alimenter normalement. D’autres sont liées à un état dépressif, la
personne âgée rumine, déprime, n’a pl
plus
us le goût ni à la vie, ni à l’alimentation. Une
forme plus inquiétante est parfois indirectement la cause de médecins trop
précautionneux. Pour prévenir certaines maladies, comme le cholestérol, certains
praticiens mettent les seniors au régime. Ce qui pe
peut
ut leur faire très peur, et parfois, les
pousser à l’anorexie stricte, semblable à celle du type phobique. Dans ce cas, l’anorexie
s’explique par une peur incontrôlable de la mort. La personne assimile le fait que
l’alimentation entraîne certaines maladies (cholestérol, hypertension…) et, par peur de
mourir, refuse de s’alimenter.