Grossesse après anorexie, boulimie : est-ce possible

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Grossesse après anorexie, boulimie : est-ce possible
Grossesse après anorexie,
boulimie : est-ce possible ?
J’ai fait la connaissance de Nathalie Decoo récemment.
Nathalie a créé une association de lutte contre les Troubles
Alimentaires en Belgique. Si l’amitié n’a pas de frontières,
malheureusement les TCA non plus ! J’ai trouvé très
intéressant de demander à Nathalie de relater son expérience
de « maman anorexique ». Voici son témoignage :
Laissons tomber le contexte purement médical, puisque la
plupart des médecins vous diront que si vos cycles menstruels
sont revenus normalement, vous pouvez donc procréer.
Facilement, peut-être, difficilement, probable, suivant «
combien guéri » vous êtes. Drôle d’expression, mais vu que le
terme de guérison est très discuté, basons-nous sur notre
ressenti, notre quotidien.
L’anorexie est une bombe ! Pour moi certainement ! Et une
bombe, ça fait beaucoup de dégâts. Je m’explique.
Après une longue période d’anorexie durant l’adolescence, et
une grande stagnation dans un état plus ou moins acceptable
pendant les années qui suivirent, j’ai fortement douté de
pouvoir un jour fonder une famille.
En effet, fin des années 80, début des années 90, les TCA
n’étaient pas bien connus du tout, pas médiatisés, et les
centres spécialisés plus qu’épars. Après 4 mois en psychiatrie
générale dans un grand hôpital, je suis donc sortie sans
un kilo de plus et avec une famille complètement éclatée. Si
bien que j’entendrai souvent le genre de phrases à la maison
comme « si on devait tenir compte de ses opinions et de ses
goûts, où irait-on ? » « personne ne voudra jamais de toi,
difficile comme tu es » Quelques phrases parmi d’autres qui
ont fini par me transformer en iceberg.
L’iceberg a toutefois fini par fondre. C’est La rencontre.
L’Amour !
Difficile d’annoncer de but en blanc à l’autre : « tiens, au
fait, je traîne un boulet derrière moi, l’anorexie ». Cette «
omission » évidemment s’est retournée contre moi, je suis
tombée plus malade que jamais, j’ai cru mourir, vraiment.
J’ai pourtant réussi à remonter la pente, grâce à mon mari à
qui je cachais tout pour nous protéger et à quelques personnes
clefs à ce moment-là ! On mettra deux ans à rétablir
l’équilibre physique et moral.
A l’approche des 30 ans, mon envie de materner s’est à nouveau
manifesté. Je n’étais pas enceinte, je ne prenais pas de
contraceptif depuis bien longtemps pourtant… stérile ?
Jusqu’au jour où une simple tasse de thé m’a retourné
l’estomac, c’était violent. Je mettrai quand même trois
semaines à réaliser que je suis belle et bien enceinte.
C’est alors que vient le moment euphorique du test de
grossesse…. Positif… vite chez le médecin pour une prise de
sang… Positive… et là, une grande joie… enfin, je suis
comme tout le monde, je suis capable d’avoir un enfant.
Quand tous les petits inconvénients du début de grossesse sont
passés, j’ai commencé à ressentir des contractions. Il m’a
fallu un certain temps avant de comprendre que c’étaient des
contractions. Visite chez le gynécologue. Obligation de rester
allongée le plus possible, et sous médicaments contre les
contractions dès le quatrième mois. A 25 semaines, les
médicaments n’y suffisant plus, j’ai été hospitalisée… jusqu’à
la fin.
Mais ce qui m’a le plus déstabilisée à ce moment-là, c’est le
regard des autres, des soignants. Dans mon anamnèse, on
pouvait lire : anorexie. Et revoilà que de petites phrases
s’insinuaient à nouveau dans les conversations.
De ma famille, ça a été du genre : « tu pourrais au moins
nourrir ton bébé » « comment peut-on vouloir un enfant quand
on est comme elle » ; du côté des soignants, on regardait mon
assiette…et ça, ça fait mal ! Après avoir tant lutté, j’avais
une étiquette sur le front « Attention anorexique en puissance
» J’exagère peut-être, mais je l’ai vécu ainsi…et je suis
repartie dans mes pensées d’hospitalisation en psychiatrie.
Rester hospitalisée me devenait insupportable. Les médicaments
faisaient battre mon coeur en permanence à 100-120 pulsations
par minutes, épuisant. Je ne dormais plus et manger devenait
plus que difficile. Je me renfermais.
Cela n’est pas passé inaperçu, sûrement pas, mais le personnel
médical n’était pas paré à faire face à un tel mal être.
L’ignorance, les faux-semblants semblaient plus simples.
Cela paraît à peine croyable, mais il en était ainsi. A
presque 37 semaines de grossesse, on a arrêté mon traitement,
j’allais enfin être libérée, au sens propre comme au figuré.
Tout le monde semblait s’attendre à ce que j’accouche d’un
bébé minuscule. Notre enfant est né, tout à fait
normalement…poids normal, taille normale. Je mettrai un an
pour me remettre de cette épreuve. Oui, cette première
grossesse était une épreuve, mais je ne regrette rien. De tout
ce que j’ai vécu à la maternité, j’ai tiré
beaucoup d’enseignements. Cela a m’a aidé à progresser.
Par ailleurs, deux autres grossesses suivront, tout aussi
difficiles, mais avec une maturité grandissante et une autre
vision de moi-même.
On a beau parfois être déclarée « guérie » par les médecins,
je ne me suis jamais considérée comme telle, il reste des
traces, visibles ou non de cette terrible maladie.
Il est toutefois important, lorsque l’on envisage une
grossesse, lorsque l’on est enceinte, et qu’on a souffert de
TCA, de ne pas occulter nos fragilités. On peut se sentir
mieux que jamais pendant une grossesse, certaines femmes la
vivent ainsi, mais ces neufs mois peuvent aussi nous rendre
vulnérables. Mieux vaut être accompagnée médicalement
et psychologiquement de manière adéquate.
Nathalie Decoo
Association Anorexie Boulimie Ensemble

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