Au cœur de l`aumônerie de prison

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Au cœur de l`aumônerie de prison
dossier
Au cœur
de l’aumônerie de prison
reportage
Comme dans toutes les prisons de France, les différentes
religions proposent des activités permettant aux détenus de
pratiquer leur foi. À la Maison d’Arrêt de Strasbourg, l’aumônerie
catholique est composée de cinq personnes, deux femmes,
dont une religieuse et une laïque, et trois prêtres.
Le Père Francis Brignon est l’un d’entre eux. Aumônier depuis
plus de 10 ans, il est bien connu des 280 professionnels qui
travaillent au cœur de la prison située dans le quartier de
l’Elsau. Avec lui, découvrons un univers méconnu où Dieu est
présent.
Une prison surpeuplée
Dans la Maison d’arrêt de Strasbourg, 760 personnes sont incarcérées dont 35 femmes. Les détenus
de l’Elsau (nom donné à la prison en
raison de sa situation dans le quartier de l’Elsau), sont condamnés à
des peines inférieures ou égales à
deux ans, ou en attente de procès
(cela peut durer plusieurs années
en cas d’appel). Elle date de 1988,
sa capacité d’accueil à l’ouverture
était de 444 places. Aujourd’hui, le
nombre de détenus dépasse souvent
le chiffre de 700, le record : 826 ! Un
détenu partage donc sa cellule de
9 m² avec un, voire deux détenus. Le
directeur de la maison d’arrêt a pour
obligation d’accueillir toute personne envoyée par la justice, même
si la capacité est déjà largement
dépassée, l’intendance doit suivre.
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En rejoignant l’aumônerie, réservée
à toutes les confessions religieuses
(catholique, protestante, musulmane, juive, bouddhiste), le père
Francis explique son rôle : « d’une
certaine manière, nous faisons partie de la prison. Nous circulons
librement en journée et allons voir
qui nous demande. Je vais toujours
vers celui qui me sollicite, sans jugement. Je suis là principalement
pour écouter, accueillir, accompagner ceux qui en font la demande,
leur proposer une main tendue. Je
suis là aussi pour les aider à discerner, petit à petit ce qui les a amené
en prison. Le Père Francis prépare
la salle pour accueillir les 35 détenus qui vont arriver pour célébrer
la messe. Il salue les premiers arrivants et prend de leurs nouvelles.
Il leur demande un coup de main
pour installer les chaises, l’autel, le
cierge pascal.
S'échapper de la cellule
La célébration est un temps fort qui
permet aussi à certains détenus de
respirer un air de liberté. « Quand
vous êtes enfermés 24 h sur 24, vous
avez parfois l’impression que les
murs vont vous écraser, témoigne
l’un d’entre eux. Alors, venir à la
messe c’est pendant deux heures
« s’échapper » de la cellule ».
Le temps du pardon permet de ne
pas oublier les conséquences des
actes posés.
« Je ne peux oublier la ou les victimes qui ont amené ces hommes
en détention. Il ne s’agit pas de faire
comme si de rien n’était, je ne peux
pas approuver ce qu’ils ont fait
mais j’essaie de les aider à prendre
conscience de leur acte, confie le
Père Francis. Il arrive parfois que
certains détenus se sentent euxmêmes victimes et qu’ils oublient
qu’ils sont fauteurs d’un crime,
© D.R.
En ce dimanche matin, le Père Francis, comme l’appellent les détenus,
franchit le détecteur de métaux
puis les nombreuses portes qui
l’amènent au centre de la Maison
d’Arrêt. Là, après quelques mots
chaleureux échangés avec les surveillants, il récupère sa clé, qui lui
permettra de rentrer librement
dans chaque cellule.
Ce qui frappe immédiatement,
c’est le bruit des portes de fer qui
claquent avec un bruit sourd résonnant dans tout le quartier pénitentiaire, puis le bruit des clés. Tous
les détenus entendent ce qui passe
hors de leur cellule.
Carrefours d’Alsace, novembre 2014
© Jean-Pierre Bertrand
dossier
Francis Brignon, aumônier de prison
d’un viol ou d’autre chose. Je suis
tenu par le secret de ce qui peut
m’être révélé, parfois des aveux.
Je ne peux alors qu’encourager la
personne, avec douceur et fermeté, à oser avouer ce qu’elle a fait
pour l’aider à être en cohérence
avec elle-même. Mais ce n’est pas
moi qui peux le faire à sa place.
Lorsque j’écoute ce qu’ils me racontent de leur vie, je comprends
mieux. Nous sommes un peu cet
oxygène qui vient de l’extérieur et
qui leur permet de respirer et de
pouvoir déverser le trop plein.
Reprendre confiance
L’aumônerie est un lieu de neutralité où ils peuvent être eux-mêmes
et reprendre un peu confiance en
eux-mêmes ».
À la fin de la célébration,
un détenu vient à notre rencontre, il a envie de parler :
« Dieu ne nous juge pas. Si Dieu
nous a laissé libres d’aller à l’erreur, c’est pour nous relever… Si
Dieu nous a créés, c’est parce qu’il
aime les Hommes. Il nous a créés
à son image. Après, il nous laisse
le choix d’être le bon ou le mauvais. Moi, j’avais choisi de faire le
bien, mais j’ai croisé les mauvaises
personnes au mauvais moment et
par la suite, j’ai commis le mal. Et
maintenant je paye pour le mal que
j’ai fait et j’espère que je deviendrai
meilleur par la suite… »
« Les aumôneries apportent un
appui considérable pour aider
les détenus à s’apaiser et à comprendre ce qui se passe dans leur
vie. » affirme le directeur que nous
rejoignons dans son bureau. Ils ont
souvent besoin de se ressourcer,
de s’interroger sur eux-mêmes, ce
qui motive la demande de culte.
C’est une quête individuelle » et
un surveillant, croisé dans le couloir, de renchérir « les aumôneries
sont essentielles dans la vie des
prisonniers. Beaucoup d’écoute et
peu de jugement… Et pour nous,
surveillants, c’est un sourire, une
évasion, une attention lors des
grandes fêtes, au moment où nous
aimerions plutôt être auprès de
notre famille ».
Remonter le moral
Dans sa petite cellule, nous rencontrons Jean-Patrick, un détenu
multi récidiviste. L’aumônerie, il
connait bien. Il avoue « Heureusement qu’il y a les aumôniers, car
sans eux, le temps serait long, ça
remonte le moral. » Quelques cellules plus loin, Patrice nous précise « Si aujourd’hui il n’y avait
pas d’aumôniers, je pense que la
prison n’aurait pas de sens. Avec
eux on peut parler, c’est important
pour nous. Avec l’aumônier, je
n’ai pas l’impression d’être jugé.
Je me sens libre de dire ce qui ne
va pas, ce qui me tracasse… Avec
lui, c’est l’extérieur qui vient nous
rendre visite presque tous les
jours ». Philippe, lui, rythme sa
vie en détention par la liturgie des
heures en commençant très tôt le
matin par l’office des Laudes.
« J’ai la chance que les frères franciscains m’apportent le Magnificat et j’ai la chance d’avoir une
Bible. Prier me donne une règle
de vie, essentielle pour tenir. »
La prison en Alsace
Au total, 1765 personnes détenues au 6 octobre 2014
Personnel pénitentiaire
832 membres
235 Magistrats
1200 avocats
100 personnes du service
d’insertion et de probation
Carrefours d’Alsace, novembre 2014
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dossier
« Pouvoir parler, être écouté, c’est primordial »
« C’est mon Créateur, je lui appartiens, je dois tout lui donner. Mais
c’est pas facile car il y a a beaucoup
de tentations dehors » nous dit un
autre détenu.
C’est la tentation qui vous a amené
ici ?
« Inconsciemment oui. Si j’avais pris
conscience de la Parole de Dieu et si
je l’avais valorisée, je ne serais pas là
aujourd’hui. Dieu, en fait, nous
accepte tel qu’on est. »
« Dieu est déjà là quand je viens et je
dis aux personnes détenues que je
visite, qu’elles ne sont pas seules,
qu’Il peut leur donner une force.
J’entends, j’écoute, mais je ne vis pas
ce qu’elles vivent, j’ai ma vie à moi.
Il peut se passer parfois des
semaines avant que la personne ne
puisse me dire ce qui l’a amenée là.
Et quand je le sais, la place de la
victime entre aussi en moi et à un
moment ou à un autre on en parle »,
affirme Francine, aumônier dans le
quartier des femmes. Elle avoue ne
jamais savoir de quoi sera faite la
rencontre avant de la vivre. Le quartier des femmes accueille 35 femmes.
Besoin d'un confident
Tanya, que nous rencontrons dans
l’atelier de travail où elle met des
fruits secs en sachet, nous dit combien le rôle de Francine est essentiel
pour elle : « J’ai besoin de quelqu’un
qui m’écoute et ne me juge pas.
la messe, l’aumônerie propose des
groupes bibliques, des groupes de
prière ou de discussion», précise le
Père Francis.
« C’est un moment de partage, dans
la mesure où on dialogue, on
échange après la lecture. C’est vraiment convivial », explique Patrice.
« Avant de rejoindre un groupe de
partage, je bous d’impatience,
témoigne Gilles qui participe aux
trois groupes hebdomadaires. C’est
un réel plaisir d’échanger sur sa foi,
sur l’actualité avec les autres détenus, de prier ensemble. »
« Cette Bonne Nouvelle nous
Kamel Aouadi musulman et JeanMarc Jacquot catholique sont aumôniers de prison à Mulhouse. Ils partagent depuis 17 ans une fraternité
dans le respect mutuel. L’un prépare
les demandes de visite en cellule
pour l’autre. De manière hebdomadaire, l’un comme l’autre, réunit
autour de la Parole 30 à 40 détenus :
Coran pour l’un, Bible pour l’autre.
Le chemin proposé est constitué
d’étapes : certains passent du déni à
la prise de conscience de la faute qui
a occasionné la sanction, avant
d’imaginer le principe d’une réinsertion. Pour d’autres la réconciliation
avec un milieu familial éprouvé fera
l’objet d’attentions particulières du
côté musulman. Les deux traditions
se retrouvent fidèlement autour du
projet : accompagner d’abord vers la
reconnaissance de soi avant d’ouvrir
un chemin vers Dieu. Les deux cultes
regroupent alternativement les détenus dans un lieu de culte unique qui
conserve de manière visible les objets
cultuels des autres ; une particularité
rendue possible grâce au Concordat.
Jean-Louis Achille
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© Jean-Pierre Bertrand
L’interreligiosité dans les
prisons alsaciennes
Francine est vitale pour moi. Dès
qu’elle a un moment disponible, elle
est là pour m’écouter. Elle remarque
de suite si ça va ou pas. On parle de
tout, de mon affaire, de mes
enfants… On a besoin ici d’avoir
d’un confident. L’aumônerie représente ce climat de confiance. On
peut dire les choses. On a besoin de
parler, de se libérer sinon, on étoufferait. Francine est neutre. On sait
que ce qu’on lui dit n’ira pas plus
loin ». Elle ajoute « Dieu c’est notre
Père, donc il est là pour tout. On
écoute sa Parole. Pour moi, ça
représente beaucoup. »
Dans ce lieu difficile qu’est la prison,
Dieu est encore présent ?
« Oh oui, pour moi, tous les jours ! »
« En plus des visites régulières et de
Carrefours d’Alsace, novembre 2014
remonte le moral », ajoute Patrick.
La prison reste au quotidien un univers dur et déshumanisé. Une détenue nous fait comprendre combien
ce manque de liberté est difficilement supportable, « ici, c’est très,
très dur. Mais j’ai demandé au Seigneur force et santé. Je voudrais un
jour retrouver la liberté, continuer
mon travail comme avant… »
La dignité perdue
Tanya parle de sa perte d’identité :
« On va dire qu’ici, c’est un passage
obligé où on met sa vie en suspens.
On ne peut rien prévoir. Je suis sur
une passerelle, mais je ne sais pas où
elle mène, ni quand elle finit. 2 ans
c’est long… Ici, on perd sa dignité,
son intimité, le goût de ce que l’on
n’attends plus rien, je ne pense plus
rien. Je navigue entre deux eaux.
Pour moi, la liberté sera de ne plus
avoir de barreaux, ne plus avoir de
tour de clé dans la serrure, ne plus
croiser des personnes que je n’aurais
jamais croisées sans venir ici. Mais la
liberté fait peur aussi, car ça veut dire
tout recommencer à zéro, gérer une
famille, reconstruire une relation…
Ici on ne m’aide pas à ressortir. On
est assisté pour tout. Il faudra réapprendre beaucoup de choses, le goût
de certaines choses, les odeurs. On
n’a pas droit au parfum, aux soins,
on perd sa féminité, toutes ces choses
je devrai les redécouvrir ».
Geneviève Kirmann et Marc Larchet
L’œcuménisme à la Centrale d’Ensisheim
François Schielé est depuis un an en mission dans les aumôneries de prisons du Haut-Rhin (Colmar, Ensisheim
et Mulhouse). À la Centrale d’Ensisheim l’équipe catholique, composée de cinq personnes, travaille en
collaboration étroite avec Ruth Rauscher, salutiste, représentant l’aumônerie protestante.
Contrairement aux maisons d’arrêt
où se retrouvent des personnes
jeunes, la majorité des détenus de
la Centrale d’Ensisheim, réservée
aux longues peines, ont dépassé la
quarantaine. Les aumôniers (qu’ils
soient catholiques, protestants,
musulmans, juifs ou, depuis peu,
témoins de Jéhovah), interviennent
sur demande des détenus. Sur les
deux cents prisonniers, près de
quatre-vingts sont ainsi visités
toutes les semaines et une vingtaine
participent aux activités régulières
des aumôneries catholique et protestante.
Il y a bien sûr des liens privilégiés
entre ces deux structures dont la
gestion est commune, mais l’œcuménisme vécu respecte la spécificité confessionnelle de chacun. La
messe hebdomadaire laisse la place
une fois par mois à un culte protestant, tandis que la grande activité
qui rassemble les personnes incarcérées est la pause-café du samedi
après-midi où l’on débat autour
d’un article de journal, ou sur un
thème de réflexion.
Récemment un détenu sur le point
de quitter l’Établissement pénitentiaire pour poursuivre sa peine dans
une autre Centrale confiait : « J’espère
de tout cœur que je pourrai retrouver
cette ouverture que j’ai vécue ici avec
l’aumônerie. » François Schielé
Vivre une retraite en prison
Après en avoir parlé avec les prisonniers qui viennent au temps de Parole du samedi, j'ai pris l'initiative, l'été
dernier, de proposer durant 4 après-midis successifs une "réflexion biblique méditative" d'une heure, suivie
d'un temps convivial.
tage qui clôturait chaque rencontre.
Ils ont exprimé que cette démarche
leur avait permis :
- d'accéder à une forme d'harmonie
- d'approcher un texte connu sans
arrière-pensée et de le découvrir
autrement
- d'avoir une approche plus sensible...
Ce fut pour moi comme pour tous les
participants une expérience enrichissante et nous avons été nourris non
seulement par la Parole méditée, mais
aussi par le groupe qui s'est constitué
et qui lui a servi de support.
Père Alain Schmitt, aumônier de la
Centrale d'Ensisheim
© Jean-Pierre Bertrand
Le but de cette démarche était d'entrer dans un texte biblique et dans le
thème qui y était contenu, avec l'ensemble de sa personne, son intelligence, sa sensibilité, son corps. À
partir de la respiration et d'une
prise de conscience de sa position
corporelle, entendre différemment
un texte avec le soutien d'une
musique appropriée et d'une image
qui a été imprimée pour chaque
participant. La première méditation
a pris appui sur le psaume 41 et une
reproduction du "Philosophe méditant" de Rembrandt. J'ai été agréablement surpris par le nombre de
participants à ce temps méditatif. Il
y a toujours eu 8 présents et au total
12 personnes y sont venues. Le
groupe a vécu ce temps avec une
forte intériorité qui est devenue de
plus en plus sensible au fil des
séances. Les participants ont souligné l'importance du temps de par-
Carrefours d’Alsace, novembre 2014
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mange… il faut partager les 9 m2 avec
une autre, parfois deux autres… J’en
suis déjà à ma 18e codétenue. Chaque
fois s’adapter, partager ce petit
espace, son intimité, c’est difficile,
c’est ce qu’il y a de plus dur à vivre
ici. Je suis passée par tous les stades,
incompréhension, colère, révolte,
déception... Alors maintenant, je