Jour d`espoirs à taule emploi

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Jour d`espoirs à taule emploi
Société
Jour d’espoirs à taule emploi
17 février 2013 à 19:46
Un détenu lors d'un entretien d'embauche à la maison d'arrêt de Strasbourg, en novembre 2012. (Photo Pascal Bastien)
GRAND ANGLE - A la prison de l’Elsau (Bas-Rhin), depuis trois ans, des employeurs
viennent derrière les barreaux pour faire passer des entretiens d’embauche aux
détenus. Pour eux, c’est une journée cruciale où se joue une chance de réinsertion.
Par NOÉMIE ROUSSEAU (à Strasbourg)
Yves (1) est sorti «confiant» de la maison d’arrêt de l’Elsau, près de Strasbourg. C’était le
31 décembre dernier. A 30 ans, ce chef de cuisine a déjà fait trois séjours dans cette prison pour des
histoires de vol. Il l’a quittée avec un regain d’espoir et une «promesse d’embauche» pour un poste
de cuisinier dans la restauration collective. Il l’avait décrochée un mois auparavant, lors d’un
entretien derrière les barreaux avec deux agents de la Sodexo.
Comme une cinquantaine de détenus, il a participé au forum de l’emploi organisé dans la maison
d’arrêt : chaque année depuis trois ans, le Pôle Emploi et le Spip (Service pénitentiaire d’insertion et
de probation) locaux font venir les patrons dans les murs durant une journée. «Question de
simplicité», explique Philippe Wotling, conseiller justice à Pôle Emploi : le temps que le détenu
obtienne sa permission de sortie pour se présenter à l’employeur - en moyenne quinze jours -, le
poste est souvent pourvu.
Ces rencontres entre prisonniers et recruteurs, c’est lui qui les a initiées. Car il connaît bien le
problème des détenus. Voilà sept ans que Philippe Wotling passe ses journées à la maison d’arrêt où
il suit 400 prisonniers, retape leurs CV, les forme aux nouvelles techniques de recherche d’emploi,
relance pour eux la machine administrative (inscription à Pôle Emploi, demandes d’aides à la CAF et
ailleurs, etc.). Objectif de ces actions menées un peu partout en France, la réinsertion professionnelle
des détenus, leur trouver un travail ou une formation qualifiante à l’horizon de leur sortie. L’ANPE
(devenue Pôle Emploi) est entrée en prison en 1999, année de la première convention de partenariat
avec l’administration pénitentiaire. Là, avec le forum de l’emploi, Philippe Wotling va plus loin : le
recrutement a lieu au cœur de l’univers carcéral.
«Et s’ils me prennent, je dors où, moi ?»
La majorité des détenus a quitté l’école après le collège, était au chômage l’année précédant
l’incarcération et n’a pas le permis de conduire, observe l’agent de Pôle Emploi. «Mais ils sont
motivés, ils jouent gros : la possibilité d’avoir un travail, un aménagement de peine. Le plus dur, c’est
de trouver des patrons qui leur donnent une chance.»
Le 21 novembre, six employeurs étaient présents au forum de l’emploi de la maison d’arrêt de l’Elsau
: Sodexo, Emmaüs, une entreprise de livraison, une autre du BTP, une société de nettoyage et une
dans le recyclage de vêtements. Tous sont des habitués des dispositifs d’insertion. Certains sont déjà
venus. Ils écrasent une dernière cigarette devant la porte de la maison d’arrêt, avant de se mêler à un
petit groupe de femmes au regard gêné et aux enfants turbulents, «les parloirs», comme on les
appelle ici.
La file avance doucement. Il faut laisser à l’entrée ses papiers, son portable. Passer un portique qui
n’arrête pas de sonner. Remise à chacun d’un «bouton rouge» sur lequel il suffit d’appuyer «pour voir
beaucoup de surveillants accourir», précise Philippe Leibrich, du Spip, co-organisateur du forum. Dans
les étages, les allers et venues des détenus convoqués sont minutés. Rendez-vous en «zone scolaire»,
l’espace de la prison dédié aux actions de formation.
Commencent les entretiens. Mehdi, 35 ans, chemise impeccable, une pochette cartonnée dans les
mains, en sort optimiste. «Ça se présente assez bien», commente-t-il. Pourtant, quelques minutes
plus tôt, la recruteuse semblait s’étonner qu’un mécanicien comme lui veuille travailler dans le
recyclage de vêtements. Mais Mehdi a un objectif : «montrer patte blanche au juge» pour récupérer
sa fille de 12 ans. «C’est quand elle a été placée que je me suis mis à boire, que j’ai commis un vol, et
voilà…» Il se dit prêt à n’importe quelle tâche, a déjà envoyé une cinquantaine de CV, obtenu
13 réponses, toutes négatives, «mais c’est un bon pourcentage pour quelqu’un en prison».
Plus loin dans le couloir, Stéphane Langhoff, éducateur de la mission locale de Pôle Emploi, s’efforce
de tranquilliser Vincent, 26 ans, très nerveux, qui postule à un emploi dans le BTP. «Et s’ils me
prennent, je dors où, moi ?» «Ça, tu ne leur en parles pas, on va voir, il y a toujours des possibilités…»,
coupe l’éducateur. Et Vincent de raconter qu’«avant la prison», il travaillait comme crépisseur et
dormait dehors, dans un stade. Quand son employeur l’a découvert, le lendemain, il lui a déniché un
logement : «Ça, c’est un vrai patron. Mais à Noël, il m’a lâché. L’hiver, dans le métier, c’est toujours
pareil. Du coup, j’ai six mois d’impayés de loyers. En tout, avec les crédits, j’ai 12 000 euros de dette.»
Vincent devrait sortir cet hiver, en pleine «période creuse». «Tous mes amis sont au chômage. Au
bout de trois mois, ça cherche un peu moins et ça commence à revendre du shit pour s’en sortir.»
C’est son douzième passage au tribunal qui l’a conduit ici, à l’Elsau.
Devant les recruteurs, il sort son CV de la poche de son jean, plié en huit. Les deux responsables du
chantier d’insertion relèvent un «parcours instable», l’écoutent, le testent, le mettent en garde :
l’activité dans le BTP est difficile, elle nécessite entraide, respect, discipline… Vincent est invité à
«reprendre contact, une fois sorti». Il insiste, terriblement déçu. «Ils m’ont trouvé bizarre, je l’ai vu»,
confie-t-il, déboussolé. Il discute encore un peu, dit rêver d’un CDI, en avoir marre de «stresser,
galérer, avoir froid». Et puis il se tait. Le gardien le raccompagne à sa cellule.
«Ils voulaient tous me prendre !»
Yves, lui, a été reçu par deux «charmantes jeunes femmes» représentant la Sodexo, «ravies» par ses
diplômes et son expérience : un CAP cuisine, un BEP et un bac pro loupé de «trois points, à cause du
français», des boulots en France, en Espagne et enfin en Suisse, «chef de cuisine et locataire d’un
chalet de 300 m2». La bonne vie si, de passage en France, il n’avait été rattrapé par une vieille affaire
de vandalisme et incarcéré à l’automne dernier pour quatre mois à l’Elsau, un endroit «familier» où il
avait séjourné une première fois en 2005 pour vol. A l’époque, «à part l’insalubrité, c’était génial»,
dit-il, parce qu’il voyait chaque semaine son conseiller du Spip. Lequel lui dégotta alors un logement
et un emploi pour sa sortie. La seconde fois, en 2009, il ressort avec un domicile, mais pas de travail.
Enfin, en 2012, c’était une «sale peine», dit-il : la maison d’arrêt est surpeuplée (750 détenus pour
450 places), les travailleurs sociaux débordés. Mais, il a cette «promesse d’embauche».
C’est le soir, fin du forum, tour de table des employeurs. Ils ont trouvé les détenus «moins stones»,
«bien préparés». Neuf seront revus en entretien à l’extérieur, cinq seront accueillis pour un stage,
sept ont une promesse d’embauche en CDDI, des CDD d’insertion, de quatre mois renouvelables
six fois, destinés aux publics éloignés de l’emploi (chômeurs longue durée, travailleurs handicapés…).
En trois ans, le forum de l’emploi a permis d’avoir de «bons résultats», estime Philippe Wotling. Sur
les quatre embauchés de 2010, un seul est retourné derrière les barreaux, «rattrapé par des faits plus
anciens» ; en 2011, six ont été recrutés, deux ont récidivé. Le dispositif a fait des émules dans les
établissements pénitentiaires aux alentours de Strasbourg.
Dominique a été repéré au printemps 2012, lors du forum de l’emploi de la prison d’Oermingen. «Ils
voulaient tous me prendre !» s’amuse-t-il. Sans doute parce qu’il n’a pas le profil du petit délinquant.
Comptable de formation, diplômé de l’université, il a rapidement grimpé les échelons dans une
grande banque française. Trois ans plus tard, restructuration. Chômage. Sa vie bascule. A 27 ans, il
atterrit dans un foyer Sonacotra. Là, «une connaissance d’une connaissance» lui propose de «retaper
un appartement au black». Quand il réclame l’argent, une bagarre éclate, le propriétaire succombe.
Dominique prend dix-huit ans pour homicide volontaire. En prison, ce fils de berger découvre «les
horreurs dont les gens sont capables» et le trafic de drogue. Un aménagement de peine lui permet de
sortir au bout de «douze ans, neuf mois et sept jours». A 41 ans, l’ex-cadre devient coursier. Débuts
difficiles. Le soir, il révise sur une carte de Strasbourg l’itinéraire du lendemain. Mais au volant, il
panique, se perd, «plie» deux voitures. «En tant que comptable, j’avais l’habitude de faire gagner de
l’argent au patron. Là, je voyais bien que je n’étais pas rentable.» Aujourd’hui, ça roule, on lui confie
souvent des «courses VIP, à faire dans l’heure». Il voudrait bien rester dans cette entreprise.
Seulement, il ne peut qu’y passer : les CDD sont limités à deux ans.
«On ne peut pas tout maîtriser»
Décrocher un boulot stable, c’est évidemment le graal. Un détenu toxicomane, incarcéré dans le sud
de la France, est lui aussi devenu coursier dans la même entreprise d’insertion strasbourgeoise. Sur le
point de se faire embaucher en CDI par une société concurrente, il a succombé à une overdose. Ni les
services sociaux ni ses collègues ne s’étaient aperçus de sa rechute. «Au début, on n’a pas pu
s’empêcher de vivre ce drame comme un échec… Mais il faut s’y résoudre, », déplore son ancien
patron, encore affecté, mais déterminé à poursuivre. Au fil des ans, il a remarqué que, dans son
entreprise, les ex-détenus ont besoin d’un temps d’adaptation plus long, mais «prennent le travail
très à cœur». Et puis, il y a les réussites franches. Un détenu recruté à l’Elsau lors du forum 2010 a
créé depuis une entreprise dans le dépannage informatique.
Yves, lui, à peine sorti de prison, a vu l’avenir s’assombrir. La «promesse» a tourné court. Il a
recontacté la Sodexo le 2 janvier, comme convenu. On ne l’a pas oublié, seulement, il n’y a pas de
place en ce moment, on le rappellera, promis. «Il ne faut pas donner de l’espoir quand il n’y en a
pas», souffle-t-il, amer. Pas de travail, pas de logement, pas droit non plus au RSA en raison d’une
escroquerie aux Assédic commise dans le passé. Reste l’hébergement d’urgence. Quand les foyers de
Strasbourg affichent complet, il prend le train pour tenter sa chance au 115 de Colmar. Les amendes
SNCF s’accumulent. Il continue malgré tout à faire le tour des restaurants, dépose des CV. Mais
«même dans la restauration, c’est aujourd’hui difficile».
(1) Tous les prénoms ont été modifiés.
Source: http://www.liberation.fr/societe/2013/02/17/jour-d-espoirs-a-taule-emploi_882449